Reste une dernière cause de divorce, la plus discutée, celle qui, lors de notre campagne d’idées nous valut les attaques les plus vives, à mon frère et à moi, je veux dire le divorce par la volonté d’un seul.
Que de réprobations n’a-t-il pas soulevées ! Que d’arguties empruntées au droit romain et coutumier, au Code civil, à la morale, à la valeur du contrat synallagmatique ! Que de colères contre un texte de loi, dont Paul Hervieu, dans lesTenailles, faisait dire à son Hélène Fergan, malheureuse et ligotée : « Il y a une époque toute récente encore où, ici-même, en France, la décision d’un seul des époux suffisait à faire rompre le mariage. »
La volonté d’un seul ! Mais « c’est la répudiation ! » ont protesté les uns ; et, se targuant d’une vaine générosité, ils ont fait ressortir l’inconstance naturelle du mâle, l’abandon de la femme livrée à son caprice brusque et à son facile oubli des serments jurés.
Oui, c’est la répudiation, mais ne feignez pas de l’ignorer, la répudiationréciproque, dont l’emploi appartiendra également aux deux époux. Le fait que la femme en usera et que c’est elle, le plus souvent lésée, qui fournit la majorité des instances en divorce, contrebalance et au-delà le droit régalien de l’homme.
Cette répudiation à titre réciproque sera-t-elle l’ailleurs si fréquente ? Sa menace ne servira-t-elle pas souvent d’avertissement et de frein ? On tient d’ordinaire à ce que l’on craint de perdre. Supposons que, par un reste de tendresse ou par intérêt, — cas le plus banal — les époux ou l’un deux malgré tout tiennent au maintien du mariage et y trouvent leur compte. Croit-on que d’idée d’en sacrifier les avantages moraux ou matériels n’atténuera pas les angles, n’adoucira pas les chocs quotidiens, ne prédisposera pas les époux à plus d’égards et à plus d’indulgence, surtout lorsque le mal vient, comme presque toujours, du conflit des caractères ?
D’autres ont rappelé la valeur du contrat synallagmatique. Un accord conclu par une double volonté ne peut être rompu par une seule. Et pourquoi, je le demande, cet accord de double volonté serait-il maintenu aussi par une seule, contre la volonté de l’autre ? On a été deux à conclure, il faut être deux pour maintenir. Dans la pratique, on voit presque toujours d’un côté une victime, de l’autre celui ou celle qui l’opprime. Si des griefs motivés justifient de la part d’un des époux le divorce par la volonté d’un seul, quel intérêt, dites-le-moi donc, offrira celui ou celle qui, se cramponnant à un être qui ne l’aime plus, qui le déteste parfois avec raison, ne peut motiver son refus à divorcer que par la rancune, la vengeance, la jalousie ou l’âpreté d’argent ? Trouvez-vous donc immoral que, contre ce conjoint sans noblesse, sans bonté, intolérant et cupide, l’autre exerce la répudiation ?
Mais il peut advenir que celui qui n’a rien à se reprocher se voit délaissé par l’autre, envoûté par une passion subite ou par l’espoir d’une fortune supérieure. Une telle situation, certes, est douloureuse et digne de pitié. Mais cette pitié ne sera méritée qu’autant que la victime innocente n’impose pas un refus de représailles, ou une revendication à conserver des bénéfices sociaux. Quelle âme vraiment élevée, sincèrement désintéressée, voudrait maintenir à ses côtés de force celui ou celle qui veut le quitter ? Quelle âme délicate ne rendrait, fût-ce au prix du plus cruel déchirement, sa liberté à l’ingrat, au volage, au déserteur ou à la déserteuse ? Peut-on se prévaloir d’un contrat qui ne tire sa vertu que de son exécution libre et volontaire ? S’aliène-t-on devant le maire, quoiqu’il puisse survenir par la suite ? Est-ce qu’on se marie pour subir le dol, le mensonge, la trahison, la souffrance ? Est-ce que le fait seul que le contrat cesse d’être exécuté d’une part ou de l’autre, n’entraîne pas sa résiliation ?
Mais le dommage commis, dira-t-on, envers le délaissé ou la délaissée ? Ah ! disons s’il vous plaît, envers la délaissée seule ! Un homme a des bras, un cerveau pour travailler, et ne saurait sans déshonneur réclamer une compensation pécuniaire !
Il est bien certain que, pour la délaissée, le dommage devra être évalué et taxé ; il est bien évident que, à l’épouse quittée injustement et spoliée des profits de l’union, une réparation devra être donnée.
Mais, objecte-t-on encore, s’il s’agit d’un coup de tête, de la part du demandeur ou de la demanderesse, n’est-il pas à craindre qu’un divorce trop hâtif ne brise un lien qui eût pu se renouer par la suite ?
Exigez en ce cas que la volonté de divorcer se manifeste à des intervalles fixes, et ne prononcez le divorce qu’après, s’il le faut, trois ans et significations manifestes et réitérées. Mais ne condamnez plus des êtres libres, et qui n’ont pas prononcé des vœux éternels, à rester rivés pour leur honte et leur douleur à un conjoint qui peut, comme cela existe aujourd’hui encore, peser sur lui de son poids abhorré, l’empêcher de recréer un ménage, le condamne ou à un célibat morne ou à une liaison irrégulière et des enfants adultérins.
La volonté d’un seul, entourée de prudentes garanties, doit avoir sa place dans un divorce élargi, rendu plus libre et plus humain.