FIN DES AKHARNIENS

LE MÉGARIEN.

Tu le demandes! Quand je suis parti de là-bas pour le marché, les gens du Conseil faisaient tout ce qu'ils pouvaient pour que notre ville pérît le plus vite et le plus mal.

DIKÆOPOLIS.

Vous allez donc bientôt être tirés d'embarras.

LE MÉGARIEN.

C'est vrai.

DIKÆOPOLIS.

Et qu'y a-t-il encore à Mégara? Combien le blé s'y vend-il?

LE MÉGARIEN.

Chez nous il est à très haut prix, comme les dieux.

DIKÆOPOLIS.

Apportes-tu du sel?

LE MÉGARIEN.

Ne tenez-vous pas nos salines?

DIKÆOPOLIS.

Est-ce de l'ail?

LE MÉGARIEN.

Comment de l'ail? Mais dans toutes vos incursions, vrais mulots, vous déterrez les têtes avec vos piquets!

DIKÆOPOLIS.

Eh bien, qu'apportes-tu?

LE MÉGARIEN.

Des truies mystiques.

DIKÆOPOLIS.

A merveille! Montre-les-moi.

LE MÉGARIEN.

Hé! Elles sont belles. Soupèse-les si cela te plaît. Comme c'est gras et beau!

DIKÆOPOLIS.

Mais qu'est-ce donc?

LE MÉGARIEN.

Une truie, par Zeus!

DIKÆOPOLIS.

Que dis-tu? D'où vient-elle?

LE MÉGARIEN.

De Mégara. Ce n'est pas là une truie?

DIKÆOPOLIS.

Cela ne m'en a pas l'air.

LE MÉGARIEN.

N'est-ce pas absurde? Voilà un incrédule! Il dit que ce n'est pas une truie. Moi, si tu veux bien, gageons une mesure de sel parfumé de thym, si ce n'est pas là une truie, en bon grec!

DIKÆOPOLIS.

Pas du tout, elle tient de l'homme.

LE MÉGARIEN.

Sans doute, par Dioklès, elle tient de moi. Et toi, de qui crois-tu qu'elle soit? Veux-tu l'entendre grogner?

DIKÆOPOLIS.

Oui, de par les dieux! je veux bien.

LE MÉGARIEN.

Grogne vite, petite truie! Tu ne dis rien? Est-ce que tu te tais? Oh! tu vas mourir de male mort. Par Hermès! je te remporte à la maison.

LA FILLETTE.

Coï! Coï!

LE MÉGARIEN.

N'est-ce pas une truie?

DIKÆOPOLIS.

Oui, cela m'en a l'air. Bien nourrie, dans cinq ans, elle aura son bijou parfait.

LE MÉGARIEN.

Sache-le bien, elle sera pareille à sa mère.

DIKÆOPOLIS.

Mais on ne peut pas l'immoler en sacrifice.

LE MÉGARIEN.

Pourquoi donc? Qui empêche qu'elle ne soit immolée?

DIKÆOPOLIS.

Elle n'a pas de queue.

LE MÉGARIEN.

C'est qu'elle est jeune, mais devenue une vraie bête porcine, elle en aura une grande, grasse et rouge. Si tu veux la nourrir, ce sera une truie superbe.

DIKÆOPOLIS.

Comme le bijou de la sœur est semblable à celui de l'autre!

LE MÉGARIEN.

Elles sont de la même mère et du même père. Qu'elle engraisse, qu'il lui fleurisse des poils, et ce sera la plus belle truie qu'on puisse immoler à Aphroditè.

DIKÆOPOLIS.

Mais on n'immole pas de truies à Aphroditè.

LE MÉGARIEN.

Pas de truies à Aphroditè! Mais c'est la seule déesse à qui la chair des truies soit très agréable, quand elle est bien embrochée.

DIKÆOPOLIS.

Mangent-elles seules maintenant sans leur mère?

LE MÉGARIEN.

Oui, par Poséidôn! et aussi sans leur père.

DIKÆOPOLIS.

Que mangent-elles de préférence?

LE MÉGARIEN.

Tout ce que tu voudras leur donner. Mais demande-le-leur.

DIKÆOPOLIS.

Petite truie, petite truie!

LA FILLETTE.

Coï, coï!

DIKÆOPOLIS.

Mangerais-tu bien des pois chiches montants?

LA FILLETTE.

Coï, coï, coï!

DIKÆOPOLIS.

Et puis encore! Des figues de Phibalis?

LA FILLETTE.

Coï, coï!

DIKÆOPOLIS.

Quels cris aigus vous poussez à propos de figues! Que quelqu'un de l'intérieur apporte des figues à ces petites truies. En mangeront-elles? Ah! ah! comme elles les croquent, ô vénérable Hèraklès! De quel pays sont ces truies? On les croirait de Tragasa-la-Goulue.

LE MÉGARIEN.

Mais elles n'ont pas mangé toutes les figues: car en voici une que je leur ai enlevée.

DIKÆOPOLIS.

Par Zeus! ce sont deux gentilles bêtes. Combien veux-tu me vendre tes truies? Dis.

LE MÉGARIEN.

L'une pour une botte d'ail; l'autre, si tu veux, pour un khœnix de sel.

DIKÆOPOLIS.

Je te les achète. Attends ici.

LE MÉGARIEN.

Voilà qui va bien. Hermès, dieu du gain, puissé-je vendre ainsi ma femme et ma mère!

UN SYKOPHANTE.

Hé! l'homme. De quel pays es-tu?

LE MÉGARIEN.

Marchand de cochons de Mégara.

LE SYKOPHANTE.

Je dénonce comme ennemis tes cochons et toi.

LE MÉGARIEN.

Allons, bon! Voilà la cause de toutes nos misères revenue!

LE SYKOPHANTE.

Chanson mégarienne! Ne lâcheras-tu pas ce sac?

LE MÉGARIEN.

Dikæopolis! Dikæopolis! On me dénonce.

DIKÆOPOLIS.

Qui cela? Quel est ton dénonciateur? Agoranomes, vous ne mettrez pas à la porte les sykophantes? A quoi penses-tu de nous éclairer sans lanterne?

LE SYKOPHANTE.

Ne puis-je pas dénoncer les ennemis?

DIKÆOPOLIS.

Tu vas crier, si tu ne cours pas dénoncer ailleurs.

LE MÉGARIEN.

Quel fléau pour Athènes!

DIKÆOPOLIS.

Courage, Mégarien! Tiens, voilà le prix de tes truies; prends l'ail et le sel, et bien de la joie!

LE MÉGARIEN.

Ah! il n'y en a pas beaucoup chez nous.

DIKÆOPOLIS.

Quelle inadvertance! Qu'elle retombe sur ma tête!

LE MÉGARIEN.

Petits cochons, tâchez, sans votre père, de manger de la galette avec du sel, si quelqu'un vous en donne!

CHÅ’UR DES AKHARNIENS.

Heureux homme! N'as-tu pas entendu quel gain il tire de sa résolution? Il fera ses affaires assis sur l'Agora. Et si Ktésias se présente, ou quelque autre sykophante, il ira gémir assis. Pas un homme ne te fraudera sur le prix des denrées; Prépis n'essuiera pas devant toi son infâme derrière, et Kléonymos ne te bousculera pas. Tu te promèneras drapé dans une brillante læna. Tu ne rencontreras pas Hyperbolos, inassouvi de chicanes; tu ne seras pas abordé, en parcourant l'Agora, par Kratinos, toujours rasé à la fine lame, comme les galants; ni par le pervers Artémôn, trop alerte à la musique, exhalant de ses aisselles la mauvaise odeur d'un bouc de sa patrie Tragasa. Jamais plus ne te raillera le roi des méchants, Pauson, ni, sur l'Agora, Lysistratos, l'opprobre des Kholargiens, homme imprégné de tous les vices, grelottant et mourant de faim plus de trente jours par chaque mois.

UN BÅ’OTIEN.

Par Hèraklès! mon épaule n'en peut mais. Ismènias, pose doucement à terre le pouliot. Vous tous, flûteurs thébains, soufflez avec vos flûtes d'or dans un derrière de chien.

DIKÆOPOLIS.

Aux corbeaux! Ces frelons ne quitteront donc pas nos portes? D'où s'est abattue sur ma porte cette volée, élevée par Khæris, ces flûtistes bourdonnants?

LE BÅ’OTIEN.

Par Iolaos! ton souhait m'est agréable, étranger! Depuis Thèbæ, en soufflant derrière moi, ils ont fait tomber par terre mes fleurs de pouliot. Mais, si tu veux bien, achète-moi de ce que je porte, des poulets ou des sauterelles.

DIKÆOPOLIS.

Ah! salut! mon cher BÅ“otien, mangeur de kollix. Qu'apportes-tu?

LE BÅ’OTIEN.

Tout ce que nous avons de bon en Bœotia: origan, pouliot, nattes de jonc, feuilles à mèches, canards, geais, francolins, poules d'eau, roitelets, plongeons.

DIKÆOPOLIS.

Tu es un orage qui sème les oiseaux sur l'Agora.

LE BÅ’OTIEN.

J'apporte également oies, lièvres, renards, taupes, hérissons, chats, picfides, belettes, loutres, anguilles du Kopaïs.

DIKÆOPOLIS.

O toi, qui offres le morceau le plus agréable aux hommes, permets-moi de saluer les anguilles que tu apportes.

LE BÅ’OTIEN.

Toi, l'aînée de mes cinquante vierges du Kopaïs, viens faire la joie de notre hôte.

DIKÆOPOLIS.

O bien-aimée, objet de mes longs désirs, te voilà donc, toi pour qui soupirent les chœurs tragiques, et chère à Morykhos. Esclaves, apportez-moi ici le réchaud et le soufflet. Regardez, enfants, cette maîtresse anguille, qui vient enfin, désirée depuis six ans! Saluez-la, mes enfants. Moi, je fournirai le charbon pour faire honneur à l'étrangère. Mais emportez-la. La mort même ne pourra me séparer de toi, si on te cuit avec des bettes.

LE BÅ’OTIEN.

Et à moi, que me donneras-tu en retour?

DIKÆOPOLIS.

Tu me la donnes en paiement de ton droit au marché. Mais si tu veux vendre quelques autres choses, parle.

LE BÅ’OTIEN.

Hé! tout cela.

DIKÆOPOLIS.

Voyons, combien dis-tu? ou veux-tu troquer contre des denrées emportées d'ici?

LE BÅ’OTIEN.

Bien! Je prends des produits d'Athènes, qu'on n'a pas en Bœotia.

DIKÆOPOLIS.

Tu peux acheter et emporter des anchois de Phalèron ou de la poterie.

LE BÅ’OTIEN.

Des anchois et de la poterie? Mais nous en avons, là-bas. Je veux un produit qui ne soit pas chez nous et qui abonde ici.

DIKÆOPOLIS.

Je sais alors. Emporte un sykophante, emballé comme de la poterie.

LE BÅ’OTIEN.

Par les Jumeaux! j'aurais grand profit à en emmener un. Ce serait un singe plein de malice.

DIKÆOPOLIS.

Voici justement Nikarkhos qui vient dénoncer quelqu'un.

LE BÅ’OTIEN.

C'est un bien petit homme!

DIKÆOPOLIS.

Mais il est tout venin.

NIKARKHOS.

A qui sont ces marchandises?

LE BÅ’OTIEN.

A moi. De Thèbæ, Zeus m'en est témoin.

NIKARKHOS.

Et moi, je les dénonce comme ennemies.

LE BÅ’OTIEN.

Quel mauvais instinct te pousse à guerroyer et à batailler contre des oiseaux?

NIKARKHOS.

Je vais te dénoncer toi-même en sus.

LE BÅ’OTIEN.

Quel mal ai-je fait?

NIKARKHOS.

Je vais te le dire dans l'intérêt des assistants. Tu introduis des mèches de chez les ennemis.

DIKÆOPOLIS.

Ainsi donc tu dénonces des mèches?

NIKARKHOS.

Une seule suffit pour embraser l'arsenal.

DIKÆOPOLIS.

L'arsenal? une mèche?

NIKARKHOS.

Je le crois.

DIKÆOPOLIS.

Et comment?

NIKARKHOS.

Un Bœotien peut l'attacher à l'aile d'une tipule, la lancer sur l'arsenal au moyen d'un tube, par un grand vent de Boréas; et, le feu prenant une fois aux vaisseaux, ils flambent tout de suite.

DIKÆOPOLIS.

Méchant, digne de mille morts! ils flamberaient embrasés par une tipule et par une mèche?

NIKARKHOS,battu par Dikæopolis.

Des témoins!

DIKÆOPOLIS.

Fermez-lui la bouche! Donne-moi du foin: je vais l'emballer comme de la poterie, pour qu'il ne se casse pas en route.

LE CHÅ’UR.

Emballe bien, mon cher, cette marchandise destinée à l'étranger, afin qu'il n'aille pas la briser.

DIKÆOPOLIS.

J'y veillerai, car elle rend le son grêle d'un objet fêlé par le feu, et désagréable aux dieux.

LE CHÅ’UR.

Que va-t-il en faire?

DIKÆOPOLIS.

Un vase utile à tout, une coupe de maux, un mortier à procès, une lanterne pour espionner les comptables, un récipient à brouiller les affaires.

LE CHÅ’UR.

Mais qui oserait se servir d'un vase qui craque de la sorte dans la maison?

DIKÆOPOLIS.

Il est solide, mon bon, et il ne cassera jamais, s'il est suspendu par les pieds, la tête en bas.

LE CHÅ’UR.

Le voilà empaqueté comme tu le veux.

LE BÅ’OTIEN.

Je vais enlever ma gerbe.

LE CHŒUR,à Dikæopolis.

O le meilleur des hôtes, aide-le dans le transport, et jette où tu voudras ce sykophante bon à tout.

DIKÆOPOLIS.

J'ai eu bien de la peine à empaqueter ce maudit scélérat. Allons, Bœotien, emporte ta poterie.

LE BÅ’OTIEN.

Viens ici, et baisse ton épaule, Ismènikhos.

DIKÆOPOLIS.

Veille à la porter avec précaution. En réalité, tu ne porteras là rien de bon; fais-le toutefois. Tu gagneras à te charger de ce fardeau. Les sykophantes te porteront bonheur.

UN SERVITEUR DE LAMAKHOS.

Dikæopolis!

DIKÆOPOLIS.

Qu'y a-t-il? Pourquoi m'appelles-tu?

LE SERVITEUR.

Pourquoi? Lamakhos te prie de lui céder, moyennant cette drakhme, quelques grives pour la fête des Coupes, et, au prix de trois drakhmes, une anguille du Kopaïs.

DIKÆOPOLIS.

Qui est ce Lamakhos avec son anguille?

LE SERVITEUR.

Le terrible, l'infatigable, qui agite sa Gorgôn et qui remue les trois aigrettes, dont il est ombragé.

DIKÆOPOLIS.

Par Zeus! je refuse, me donnât-il son bouclier. Qu'il remue ses aigrettes en mangeant du poisson salé! S'il vient faire du bruit, j'appelle les agoranomes. Pour moi, j'emporte ces provisions, destinées à ma personne. J'entre sur les ailes des grives et des merles.

LE CHÅ’UR.

Tu as vu, oui, tu as vu, ville tout entière, la prudence et l'éminente sagesse de cet homme. Depuis qu'il a conclu une trêve, il peut acheter ce dont il a besoin pour sa maison et ce qui convient à des repas chaudement servis. D'eux-mêmes tous les biens lui arrivent.

Non, jamais je ne recevrai chez moi la Guerre; jamais elle ne me chantera l'air de Harmodios, assise à ma table, parce que c'est un être qui, pris de vin, et faisant ripaille chez ceux qui ont tous les biens, y cause tous les maux, renverse, ruine, détruit, et cela quand on lui a fait nombre d'avances: «Bois, assieds-toi, prends cette coupe de l'amitié,» tandis que lui porte partout le feu sur nos échalas, et répand brutalement le vin de nos vignes.

Chez l'homme que je dis le repas est grandement, libéralement ordonné, et les preuves de sa bonne chère se voient dans les plumes étalées devant sa porte.

DIKÆOPOLIS.

O compagne de la belle Kypris et des Grâces aimables, Réconciliation, comme tu as un beau visage! Ai-je pu l'ignorer? Puisse un Amour nous unir, moi et toi, semblable à celui qui est présent, et couronné de fleurs! Crois-tu donc, par hasard, que je suis trop vieux? Mais si je te prends, je crois pouvoir t'offrir trois avantages. Et d'abord je puis aligner un long plant de vignes, puis élever auprès de tendres rejetons de figuier, en troisième lieu, tout vieux que je suis, y marier de jeunes ceps de vigne, et enfin garnir d'oliviers tout le tour de mon champ pour nous oindre d'huile, toi et moi, aux Noumènia.

UN HÉRAUT.

Écoutez, peuple. A la façon de vos pères, buvez dans les coupes au son de la trompette. Celui qui l'aura vidée le premier recevra une outre faite comme Ktésiphon.

DIKÆOPOLIS.

Enfants, femmes, n'avez-vous pas entendu? Que faites-vous? N'entendez-vous pas le Héraut? Faites bouillir, rôtissez, retournez et enlevez ces lièvres prestement; tressez les couronnes... Apporte les broches, pour enfiler les grives.

LE CHÅ’UR.

J'envie ta prudence, mon cher homme, et encore plus ta bonne chère actuelle.

DIKÆOPOLIS.

Que sera-ce, quand vous verrez rôtir ces grives?

LE CHÅ’UR.

Je crois que tu dis juste encore sur ce point.

DIKÆOPOLIS.

Attise le feu.

LE CHÅ’UR.

Entends-tu avec quelle habileté culinaire, avec quelle science et avec quelle entente de gourmet il se fait servir?

UN LABOUREUR.

Malheureux que je suis!

DIKÆOPOLIS.

Par Hèraklès! quel est cet homme?

LE LABOUREUR.

Un homme infortuné.

DIKÆOPOLIS.

Suis ton chemin devant toi.

LE LABOUREUR.

O cher ami, puisque la trêve est pour toi seul, cède-moi un peu de pain, ne fût-ce que de cinq ans.

DIKÆOPOLIS.

Que t'est-il arrivé?

LE LABOUREUR.

Je suis ruiné, j'ai perdu deux bœufs.

DIKÆOPOLIS.

Comment?

LE LABOUREUR.

Les Bœotiens les ont pris à Phyla.

DIKÆOPOLIS.

O trois fois malheureux! Et tu es encore vêtu de blanc?

LE LABOUREUR.

Ces deux bœufs, par Zeus! me nourrissaient de leur fumier.

DIKÆOPOLIS.

Que te faut-il donc, maintenant?

LE LABOUREUR.

J'ai perdu la vue à pleurer mes bœufs. Mais si tu prends intérêt à Derkélès de Phyla, frotte-moi vite les deux yeux avec de la poix.

DIKÆOPOLIS.

Mais, malheureux, je ne suis pas en situation de rendre service à tout le monde.

LE LABOUREUR.

Allons, je t'en conjure, peut-être retrouverais-je mes bœufs.

DIKÆOPOLIS.

Impossible. Va-t'en pleurer auprès des disciples de Pittalos.

LE LABOUREUR.

Rien pour moi qu'une seule goutte de poix, verse-la dans ce chalumeau.

DIKÆOPOLIS.

Pas un fétu! Va-t'en gémir ailleurs!

LE LABOUREUR.

Infortuné que je suis; plus de bœufs de labour!

LE CHÅ’UR.

Cet homme, avec son traité, s'est fait une vie douce, et il ne semble vouloir partager avec personne.

DIKÆOPOLIS.

Toi, arrose les tripes avec du miel; fais griller les sépias.

LE CHÅ’UR.

Entends-tu ses éclats de voix?

DIKÆOPOLIS.

Grillez les anguilles!

LE CHÅ’UR.

Tu vas nous faire mourir, moi de faim, et les voisins de fumée et de ta voix, en criant de la sorte.

DIKÆOPOLIS.

Rôtissez cela, et que la couleur en soit dorée!

UN PARANYMPHE.

Dikæopolis! Dikæopolis!

DIKÆOPOLIS.

Quel est cet homme?

LE PARANYMPHE.

Un jeune marié t'envoie ces viandes de son repas de noces.

DIKÆOPOLIS.

Il fait bien, quel qu'il soit.

LE PARANYMPHE.

Il te prie, en échange de ces viandes, pour ne pas aller à la guerre et pour rester à caresser sa femme, de lui verser dans cette fiole un verre de poix.

DIKÆOPOLIS.

Remporte, remporte les viandes et ne me les donne pas, je ne verserais pas de la poix pour mille drakhmes. Mais quelle est cette femme?

LE PARANYMPHE.

C'est la meneuse de la noce: elle demande à te parler de la part de la mariée, à toi seul.

DIKÆOPOLIS.

Voyons, que dis-tu? Par les dieux! elle est plaisante la demande de la mariée! Elle désire que la partie essentielle du marié reste à la maison. Allons! qu'on apporte la trêve; je lui en donnerai à elle seule; elle est femme; elle ne doit pas souffrir de la guerre. Femme, approche; tends-moi la fiole. Sais-tu la manière de s'en servir? Dis à la mariée, quand on fera une levée de soldats, d'en frotter la nuit la partie essentielle de son mari. Qu'on remporte la trêve. Vite, la cruche au vin, pour que j'en verse dans les coupes!

LE CHÅ’UR.

Mais voici un homme aux sourcils froncés: il se presse comme pour annoncer un malheur.

UN PREMIER MESSAGER.

O fatigues, lames en bataille, Lamakhos!

LAMAKHOS.

Quel bruit résonne autour de mes demeures étincelantes d'airain?

LE MESSAGER.

Les stratèges t'ordonnent de prendre sur-le-champ tes cohortes et tes aigrettes, et d'aller garder la frontière, malgré la neige. Car on leur annonce qu'au moment de la fête des Coupes et des Marmites, des bandits bœotiens vont faire une invasion.

LAMAKHOS.

O stratèges, plus nombreux qu'utiles! n'est-il pas dur pour moi de ne pouvoir être de la fête?

DIKÆOPOLIS.

O armée polémolamaïque!

LAMAKHOS.

Malheur à moi! Tu ris de mon infortune!

DIKÆOPOLIS.

Veux-tu combattre contre un Géryôn à quatre ailes?

LAMAKHOS.

Hélas! hélas! quelle nouvelle m'apporte ce second messager?

UN SECOND MESSAGER.

Dikæopolis!

DIKÆOPOLIS.

Qu'est-ce?

LE SECOND MESSAGER.

Viens vite au banquet, et apporte ta corbeille et ta coupe. Le prêtre de Dionysos t'y invite. Mais hâte-toi, tu retardes le repas. Tout est prêt: lits, tables, coussins, tapis, couronnes, parfums, friandises, courtisanes, galettes, gâteaux, pains de sésame, tartes, belles danseuses, l'air bien-aimé de Harmodios. Ainsi, accours au plus vite.

LAMAKHOS.

Infortuné que je suis!

DIKÆOPOLIS.

C'est que tu as pris pour emblème cette grande Gorgôn. Fermez la porte, et qu'on apprête le repas.

LAMAKHOS.

Esclave, esclave, apporte-moi ici mon sac.

DIKÆOPOLIS.

Esclave, esclave, apporte-moi ici ma corbeille.

LAMAKHOS.

Du sel mêlé de thym et des oignons.

DIKÆOPOLIS.

Et à moi du poisson; les oignons me répugnent.

LAMAKHOS.

Apporte-moi ici, esclave, une feuille de figuier, pleine de hachis rance.

DIKÆOPOLIS.

Et à moi une feuille de figuier bien graissée, je la ferai cuire ici.

LAMAKHOS.

Mets là les plumes de mon casque.

DIKÆOPOLIS.

Mets là ces ramiers et ces grives.

LAMAKHOS.

Belle et blanche est cette plume d'autruche.

DIKÆOPOLIS.

Belle et dorée est cette chair de ramier.

LAMAKHOS.

Hé! l'homme! cesse de rire de mes armes.

DIKÆOPOLIS.

Hé! l'homme! veux-tu bien ne pas guigner mes grives!

LAMAKHOS.

Apporte l'étui de mes trois aigrettes.

DIKÆOPOLIS.

Et à moi le civet de lièvre.

LAMAKHOS.

Mais les mites n'ont-elles pas mangé les aigrettes?

DIKÆOPOLIS.

Mais ne vais-je pas manger du civet avant le dîner?

LAMAKHOS.

Hé! l'homme! veux-tu bien ne pas me parler?

DIKÆOPOLIS.

Je ne te parle pas; moi et mon esclave, nous sommes en discussion. Veux-tu gager et nous en rapporter à Lamakhos? Les sauterelles sont-elles plus délicates que les grives?

LAMAKHOS.

Je crois que tu fais l'insolent.

DIKÆOPOLIS.

Il donne la préférence aux sauterelles.

LAMAKHOS.

Esclave, esclave, décroche ma lance, et apporte-la-moi ici.

DIKÆOPOLIS.

Esclave, esclave, retire cette andouille du feu et apporte-la-moi ici.

LAMAKHOS.

Voyons, je vais retirer ma lance du fourreau. Tiens ferme, esclave.

DIKÆOPOLIS.

Et toi aussi, esclave, ne lâche pas.

LAMAKHOS.

Approche, esclave, les supports de mon bouclier.

DIKÆOPOLIS.

Apporte les pains, supports de mon estomac.

LAMAKHOS.

Apporte ici l'orbe de mon bouclier à la Gorgôn.

DIKÆOPOLIS.

Apporte ici l'orbe de ma tarte au fromage.

LAMAKHOS.

N'y a-t-il pas là pour les hommes de quoi rire largement?

DIKÆOPOLIS.

N'y a-t-il pas là pour les hommes de quoi savourer délicieusement?

LAMAKHOS.

Verse de l'huile, esclave, sur le bouclier. J'y vois un vieillard qui va être accusé de lâcheté.

DIKÆOPOLIS.

Verse du miel, esclave, sur la tarte. J'y vois un vieillard qui fait pleurer de rage Lamakhos le Gorgonien.

LAMAKHOS.

Apporte ici, esclave, ma cuirasse de combat.

DIKÆOPOLIS.

Apporte ici, esclave, ma cuirasse de table, ma coupe.

LAMAKHOS.

Avec cela, je tiendrai tête aux ennemis.

DIKÆOPOLIS.

Avec cela, je tiendrai tête aux buveurs.

LAMAKHOS.

Esclave, maintiens les couvertures du bouclier.

DIKÆOPOLIS.

Esclave, maintiens les plats de la corbeille.

LAMAKHOS.

Moi, je vais prendre et porter moi-même mon sac de campagne.

DIKÆOPOLIS.

Moi, je vais prendre mon manteau pour sortir.

LAMAKHOS.

Prends ce bouclier, esclave, emporte-le, et en route! Il neige. Babæax! C'est une campagne d'hiver.

DIKÆOPOLIS.

Prends le dîner: c'est une campagne de buveurs.

LE CHÅ’UR.

Mettez-vous de bon cœur en campagne. Mais quelles routes différentes ils suivent tous les deux! L'un boira, couronné de fleurs, et toi, transi de froid, tu monteras la garde. Celui-là va coucher avec une jolie fille et se faire frictionner je ne sais quoi.

PREMIER DEMI-CHÅ’UR.

Puisse Antimakhos, fils de Psakas, historien et poète, être tout simplement confondu par Zeus, lui qui, khorège aux Lénæa, m'a renvoyé tristement sans souper! Puissé-je le voir guetter une sépia qui, cuite, croustillante, salée, est servie sur table; et qu'au moment de la prendre, elle lui soit enlevée par un chien, qui s'enfuit!

SECOND DEMI-CHÅ’UR.

Que ce soit là pour lui un premier malheur; puis, qu'il lui arrive une autre aventure nocturne! Que revenant fiévreux chez lui des manœuvres de cavalerie, il rencontre Orestès ivre, qui lui casse la tête, pris d'un accès de fureur, et que, voulant ramasser une pierre, durant la nuit, il saisisse à pleine main un étron encore tout chaud; qu'il lance ce genre de pierre, manque son coup, et frappe Kratinos!

UN SERVITEUR DE LAMAKHOS.

Serviteurs de la maison de Lamakhos, vite de l'eau! Faites chauffer de l'eau dans une petite marmite, préparez des linges, du cérat, de la laine grasse et des tampons de charpie pour la cheville. Notre maître s'est blessé à un pieu, en sautant un fossé; il s'est déboîté et luxé la cheville, s'est brisé la tête contre une pierre et a fait jaillir la Gorgôn hors du bouclier. La grande plume du hâbleur gisant au milieu des pierres, il a fait retentir ce chant terrible: «O astre radieux, je te vois aujourd'hui pour la dernière fois; la lumière m'abandonne; c'est fait de moi! » A ces mots, il tombe dans un bourbier, se relève, rencontre des fuyards, poursuit les brigands et les presse de sa lance. Mais le voici lui-même. Ouvre la porte.

LAMAKHOS.

Oh! là, là! Oh! là, là! Horribles souffrances, je suis glacé. Malheureux, je suis perdu; une lance ennemie m'a frappé! Mais ce qu'il y aurait pour moi de plus cruel, c'est que Dikæopolis me vît blessé, et me rît au nez de mes infortunes.

DIKÆOPOLIS,entrant avec deux courtisanes.

Oh! là, là! Oh! là, là! quelles gorges! C'est ferme comme des coings! Baisez-moi tendrement, mes trésors; vos bras autour de mon cou; vos lèvres sur les miennes! Car j'ai le premier vidé ma coupe.

LAMAKHOS.

Cruel concours de malheurs! Hélas! hélas! quelles blessures cuisantes!

DIKÆOPOLIS.

Hé! hé! salut, cavalier Lamakhos!

LAMAKHOS.

Malheureux que je suis!

DIKÆOPOLIS.

Infortuné que je suis!

LAMAKHOS.

Pourquoi m'embrasses-tu?

DIKÆOPOLIS.

Pourquoi me mords-tu?

LAMAKHOS.

Quel malheur pour moi d'avoir payé ce rude écot!

DIKÆOPOLIS.

Est-ce qu'il y avait un écot à payer à la fête des Coupes?

LAMAKHOS.

Ah! ah! Pæan! Pæan!

DIKÆOPOLIS.

Mais il n'y a pas aujourd'hui de Pæania.

LAMAKHOS.

Soulevez, soulevez ma jambe. Oh! oh! tenez-la, mes amis.

DIKÆOPOLIS.

Et vous deux, prenez-moi juste la moitié du corps, mes amies.

LAMAKHOS.

J'ai le vertige de ce coup de pierre à la tête. Je suis pris d'étourdissements.

DIKÆOPOLIS.

Et moi je veux aller me coucher; je suis pris de redressements et d'éblouissements.

LAMAKHOS.

Portez-moi au logis de Pittalos, entre ses mains médicales.

DIKÆOPOLIS.

Portez-moi auprès des juges. Où est le roi du festin? Donnez-moi l'outre!

LAMAKHOS.

Une lance m'a percé les os. Quelle douleur!

DIKÆOPOLIS,montrant l'outre.

Voyez, elle est vide! Tènella! Tènella! Chantons victoire!

LE CHÅ’UR.

Tènella! comme tu dis, bon vieillard, victoire!

DIKÆOPOLIS.

J'ai rempli ma coupe d'un vin pur et je l'ai bue d'un trait.

LE CHÅ’UR.

Tènella! donc, brave homme! Emporte l'outre!

DIKÆOPOLIS.

Suivez, maintenant, en chantant: «Tènella! Victoire!»

LE CHÅ’UR.

Oui, nous te ferons un cortège de fête, chantant: «Tènella! Victoire! » pour toi et pour l'outre!

(L'AN 425 AVANT J.-C.)

Les Chevalierssont dirigés contre le démagogue Cléon qui s'était mis à la tête des affaires après la mort de Périclès, et qui, à la suite de son succès de Sphactérie, était devenu l'idole du peuple, personnifié dans la pièce par le bonhomme Dèmos. Le vieillard, circonvenu à la fois par Cléon, transformé en corroyeur, et par le marchand d'andouilles Agoracritos, finit par voir clair dans leur jeu. Cléon est chassé. Agoracritos, faisant amende honorable, sert consciencieusement son maître qui recouvre la jeunesse et la raison.


Back to IndexNext