MEURTRE DE MONALDESCHI.

La bizarre, l'inconcevable Christine, fille du célèbre Gustave-Adolphe, après avoir abdiqué solennellement la couronne de Suède, vint en France, où elle reçut l'accueil dû à son nom et à sa naissance. Ce fut pendant son séjour dans notre patrie qu'elle se souilla d'un crime horrible, l'assassinat de son grand-écuyer, le marquis Monaldeschi. Cet Italien avait, dit-on, été son amant; du moins il avait joui de toute sa confiance, et elle lui avait révélé ses pensées les plus secrètes. Il paraît qu'il composa secrètement contre cette princesse un libelle où il dévoilait toutes ses intrigues, et où il la traitait avec un profond mépris. Christine en fut informée par des ennemis du grand-écuyer, qui remirent entre ses mains la preuve de leur accusation.

Charmée d'avoir trouvé cette occasion de se défaire d'un homme qu'elle n'aimait plus, Christine fit traîner Monaldeschi à ses pieds, l'interrogea,le confondit. Après les reproches les plus violens, elle le condamna à mourir, et donna l'ordre à son capitaine des gardes, et à deux nouveaux favoris, d'égorger le coupable. Le père Lebel, religieux de l'ordre de la Trinité, du couvent de Fontainebleau, fut mandé au château de cette ville, qu'habitait en ce moment l'ex-reine de Suède. Il fut chargé d'assister le malheureux Monaldeschi pendant ses derniers momens. Le vénérable religieux, digne de son ministère de paix et de miséricorde, se jeta aux genoux de Christine, implora le pardon du grand-écuyer; mais ce fut vainement; elle demeura inflexible, et donna l'ordre de l'exécution.

Lebel, qui a publié une relation de ce meurtre, rapporte que Christine, qui pourtant se disait philosophe, s'éloigna d'une vingtaine de pas pour mieux jouir de ce spectacle. Les bourreaux fondirent sur la victime de tous côtés. Monaldeschi, après une vaine défense, tombe tout sanglant sous le fer de ses assassins. La reine, qui n'entend plus ses gémissemens, s'approche, le contemple avec une joie féroce, et lui insulte. Monaldeschi, à sa voix, semble s'éveiller, s'agite, se débat;il élève vers Christine une main suppliante pour lui demander grâce. «Quoi! s'écrie-t-elle avec un accent furieux, tu respires encore, et je suis reine!» Les assassins écrasent aussitôt la tête de ce malheureux, et traînent aux pieds de Christine sa victime expirante. «Non, ajouta-t-elle, non, ma fureur n'est pas satisfaite! Apprends, traître, que cette main, qui versa tant de bienfaits sur toi te frappe le dernier coup.»

Cet attentat contre l'humanité fut commis à Fontainebleau, le 10 octobre 1657, dans la galerie des Cerfs. Le père Lebel prit soin de faire inhumer le malheureux Monaldeschi.

Croirait-on que cette action abominable trouva des apologistes, et que des jurisconsultes firent des dissertations pour la justifier? C'est avec regret que l'on voit figurer le nom d'un Leibnitz parmi ces avocats officieux d'un meurtre sans excuse. «La postérité, dit d'Alembert, trouvera bien étrange qu'au centre de l'Europe, dans un siècle éclairé, on ait agité sérieusement si une reine qui a quitté le trône n'a pas le droit de faire égorger ses domestiques sans autre forme. Il aurait fallu demander plutôt si Christine, sur le trône mêmede Suède, aurait eu ce droit barbare; question qui eût été bientôt décidée au tribunal de la loi naturelle et des nations. L'état, dont la constitution doit être sacrée pour les monarques, parce qu'il subsiste toujours, tandis que les sujets et les rois disparaissent, a intérêt que tout homme soit jugé suivant les lois. C'est l'intérêt des princes mêmes, dont les lois font la force et la sûreté. L'humanité leur permet quelquefois d'en adoucir la rigueur en pardonnant, mais jamais de s'en dispenser pour être cruels. Ce serait faire injure aux rois que d'imaginer que ces principes puissent les offenser, ou qu'il fallût même du courage pour les réclamer au sein d'une monarchie. Ils sont le cri de la nature.»

La cruelle Christine, élevée dans les principes du despotisme, et despote par nature, n'était pas de cette opinion, si on en juge par une lettre imprimée parmi celles qui ont paru sous son nom. Elle est adressée au cardinal Mazarin, qui avait désapprouvé le meurtre de Monaldeschi. «Apprenez tous, valets et maîtres, dit-elle, qu'il m'a plu d'agir ainsi: je veux que vous sachiez que Christine se soucie peu de votre cour, encore moins de vous.Ma volonté est une loi qu'il faut respecter; vous taire est votre devoir: sachez que Christine est reine partout où elle est.»

«De quelque faute que Monaldeschi fût coupable envers elle, dit Voltaire, ayant renoncé à la royauté, elle devait demander justice, et non se la faire. Ce n'était pas une reine qui punissait un sujet; c'était une femme qui terminait une galanterie par un meurtre; c'était un Italien qui en faisait assassiner un autre par l'ordre d'une Suédoise dans le palais d'un roi de France. Nul ne doit être mis à mort que par les lois. Christine, en Suède, n'aurait eu le droit de faire assassiner personne; et certes, ce qui eût été un crime à Stockholm n'était pas permis à Fontainebleau. Ceux qui ont justifié cette action méritent de servir de pareils maîtres. Cette honte et cette cruauté ternirent la philosophie de Christine qui lui avait fait quitter un trône. Elle eût été punie en Angleterre et dans tous les pays où les lois règnent; mais la France ferma les yeux à cet attentat contre l'autorité du roi, contre le droit des nations et contre l'humanité.»

Christine mourut à Rome le 19 avril 1689.


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