LACQUEMANT,PARRICIDE.

Qu'un homme, né avec des inclinations perverses, et familiarisé dès l'enfance avec toutes les actions criminelles, en vienne jusqu'à tremper ses mains dans le sang même de son père, nous frémirons; mais ce qui agitera notre âme sera plutôt de l'effroi que de l'étonnement; cet homme portait sur le front le sceau de la réprobation; il n'a fait qu'accomplir sa destinée. Qu'un homme d'un caractère violent et irascible, aveuglé d'ailleurs par une passion délirante, ose, dans un accès de fureur, porter une main sacrilége sur l'auteur de ses jours; on le condamnera, mais non sans le plaindre; il sera bien coupable sans doute, mais plus malheureux encore peut-être. Ce forfait qu'il aura commis, jamais il n'en avait conçu l'horrible pensée; chez lui aucune préméditation; son cœurn'était pas complice de son bras meurtrier. Mais qu'un fils de mœurs douces, renommé pour ses vertus domestiques, reconnu pour un honnête citoyen, pur encore de toute espèce de délits, franchisse en un instant tous les degrés du crime, et se prépare avec réflexion à débuter par le parricide: voilà un phénomène moral qui déconcerte toutes les données de la sagesse humaine, et qui réunit, à lui seul, tous les genres d'horreur.

Jean-Baptiste Lacquemant demeurait à Beuvry, dépendance de la ville de Marchiennes. Au rapport de tous les habitans du canton, il était l'exemple de son village. Ennemi de toute espèce de dissipation, et surtout de ces plaisirs du cabaret auxquels le peuple ne se livre que trop souvent sans mesure, il ne s'occupait que de travaux rustiques, de ses devoirs de religion et du bonheur d'élever sa petite famille.

Un sordide intérêt vint détruire sa félicité et causer en lui la révolution la plus étrange et la plus odieuse. Son père était veuf; las de son isolement, il conçut le projet de se remarier, et jeta ses vues sur une veuve du canton. A cette nouvelle, Lacquemant,jusques là si doux, si modéré, devint furieux. Le projet de son père venait traverser tous ses petits plans d'agrandissement. Il résolut, à quelque prix que ce fût, de mettre obstacle au mariage projeté. Travesti et armé d'un bâton, il allait, la nuit, chercher et attendre son père, à dessein de le détourner, par des terreurs, du dessein qu'il avait conçu. Soit que ce moyen eût réussi, soit par tout autre motif, le père promit de ne plus aller voir la veuve.

La veille de l'Épiphanie, les gens de la campagne se réunissent ordinairement en famille pour célébrer la fête des rois. Lacquemant, qui croyait avoir amené son père à renoncer à tout penchant pour le mariage, l'invita à souper le 5 janvier 1784. Dans la gaîté du repas, le bon vieillard laissa échapper quelques propos qui prouvaient qu'il n'avait pas oublié la veuve. Ils retentirent à l'oreille de Lacquemant comme un horrible signal. Déjà sa pensée couvait un forfait.

L'heure de la séparation arrive: le vieillard quitte ses enfans, heureux d'avoir passé sa soirée au milieu d'eux. Lacquemant, inquiet, ne peut se résoudre à se coucher; ilveut auparavant s'assurer si son père est rentré dans sa maison; il se rend chez lui, et ne le trouvant pas, il soupçonne qu'il est allé chez la veuve. Aussitôt toutes les furies de l'enfer s'emparent de son cœur. Il court à sa maison, se déguise, s'arme d'un gros bâton de cerisier, et va s'embusquer sur le passage de son père. Dès qu'il l'aperçoit, il s'élance sur lui, lui porte avec violence plusieurs coups de bâton sur les jambes. Le malheureux vieillard chancelle, tombe; puis réunissant toutes ses forces, il se relève sur les genoux, reconnaît son fils, et frémit d'horreur..... Il implore la pitié de ce monstre dénaturé; mais ses prières sont impuissantes: ni ses gémissemens, ni la terreur peinte sur son front, ni ses cheveux blancs hérissés, ni ses bras tremblans tendus vers le parricide ne peuvent désarmer ce fils sans entrailles. Le monstre lui assène sur la tête le coup de la mort!.....

Le lendemain, 6 janvier, le cadavre de cet infortuné vieillard fut trouvé dans l'endroit où il avait été assassiné. Jamais les soupçons n'eussent atteint Lacquemant, si lui-même n'avait été au devant par ses inquiétudes etpar ses remords. Bientôt il fut décrété de prise de corps et arrêté; les hommes du fief de la cour féodale de Marchiennes instruisirent la procédure; Lacquemant fit l'aveu de son crime, et, par sentence du 23 janvier, il fut condamné à faire amende honorable, à avoir le poing droit coupé, à être rompu vif, brûlé ensuite et ses cendres jetées au vent.

Les mêmes juges crurent trouver, sinon une sorte de complicité, du moins des instigations de la part de la femme Lacquemant, tendantes à exciter son mari à effrayer et même à battre son père; et pour cette cause, elle fut condamnée à être présente à l'exécution de son mari, à être battue et fustigée de verges par les carrefours et lieux accoutumés de la ville, à être flétrie d'un fer chaud sur l'épaule droite, et bannie pour vingt ans du territoire de Marchiennes.

La procédure portée au parlement de Flandre, la cour, par arrêt du 29 janvier, confirma la sentence de Lacquemant et sursit à celle de sa femme jusqu'après l'exécution de l'arrêt du mari.

Le 31 janvier, celui-ci subit son supplice dans toute sa rigueur, mais avec une résignationque la religion seule peut inspirer. Ce malheureux, en montant à l'échafaud, dit aux religieux qui l'assistaient, que les transes qui le bouleversaient n'avaient point pour cause l'approche du supplice, mais la crainte que ce supplice ne suffît pas pour expier son forfait devant Dieu; qu'une autre alarme, non moins déchirante pour lui, était son incertitude sur les dispositions de l'âme de son père lorsqu'il expira.

Le procès-verbal d'exécution ne contenant aucunes charges contre la femme, elle fut seulement bannie pendant cinq ans par un second arrêt du 5 février 1784.


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