= Quelles sont vos suggestions pour une meilleure accessibilité du web aux aveugles et malvoyants?
Il faudrait fournir des alternatives équivalentes au contenu visuel et auditif: le texte peut être expédié directement à des synthétiseurs vocaux et à des générateurs de braille et peut être représenté sur du papier.La voix synthétique et le braille sont indispensables aux individus non voyants et mal entendants.
= Comment définissez-vous le cyberespace?
Je crois que, dans le cyberespace, l'information et la quantité de l'information sont gouvernées par des lois mathématiques. Mais les modèles mathématiques n'ont pas trouvé encore leur solution, un peu comme le mouvement perpétuel ou la quadrature du cercle.
= Et la société de l'information?
La société de l'information peut être définie comme un milieu dans lequel se développent la culture et la civilisation par l'intermédiaire de l'informatique, qui restera la base et la théorie de cette société.
= Quel est votre meilleur souvenir lié à l'internet?
Mon meilleur souvenir est lié à la mise en oeuvre d'un serveur qui permet la lecture de son courrier depuis n'importe quel ordinateur muni d'une connexion internet. Le principe d'un tel serveur existait déjà , surtout sur des grandes sites américains. Mais rien ne remplace la sensation du devoir accompli.
= Et votre pire souvenir?
Ce sont les CV bidons, publiés sur des pages personnelles. Surtout quand les auteurs s'appropient des réalisations ou des activités qu'ils n'effectuent pas. Mais cela ouvre un débat plus large sur la répression des fraudes sur internet.
FRANCOIS VADROT (Paris)
#Fondateur et PDG de FTPress (French Touch Press), société de cyberpresse
*Entretien du 20 mai 2000
= Pouvez-vous présenter FTPress?
FTPress (French Touch Press) est une société française de cyberpresse. Elle a donné naissance aux sites suivants:
- www.ftpress.com, le site de la société de presse "maîtresse", qui présente le concept, les produits, l'organisation… et les membres de l'équipe, sous forme de portraits très personnels;
- www.internetactu.com, le site d'Internet Actu, consacré à l'actualité d'internet et des nouvelles technologies, créé le 9 septembre 1999 sous cette forme-là (mais successeur de LMB Actu (Le Micro Bulletin Actu), qui se trouvait au sein de la Délégation aux systèmes d'information (DSI) du CNRS (Centre national de la recherche scientifique));
- www.pixelactu.com, le site de Pixel Actu, consacré à l'actualité de l'image numérique, créé le 31 janvier 2000;
- www.esanteactu.com, le site de eSanté Actu, consacré à l'actualité de la eSanté, à savoir le croisement de la santé (vue par les professionnels du secteur) et d'internet, lancé le 16 mai 2000;
- www.lafontaine.net, le site de Jean de la Fontaine, qui présente l'intégralité de son oeuvre, ainsi que plein de dessins, pastiches, enregistrements, et publie quotidiennement "La fable du jour";
- www.commissairetristan.com, le site des Aventures du Commissaire Tristan, le premier cyberpolar online (gratuit), coproduit par FTPress et AlloCiné, lancé à mi-juin 2000.
Les projets sont nombreux pour les prochains mois.
= En quoi consiste exactement votre activité professionnelle?
En (très) résumé, cela consiste à développer une société, FTPress, spécialisée dans la presse online (enfin pour l'instant, car tout bouge tellement vite que ce pourrait bien ne plus être le cas dans quelques mois). Le concept de FTPress est de réaliser des médias professionnels spécialisés chacun dans un secteur économique: la santé, l'automobile, l'image numérique, les ressources humaines, la logistique, etc. Chaque média traite de l'économie, de la technologie, des aspects politiques et sociaux, d'un secteur modifié par l'arrivée des nouvelles technologies et d'internet. Le premier a été Internet Actu, créé au CNRS en février 1996, suivi de Pixel Actu (février 2000), puis de eSanté Actu (mai 2000). Nous sommes partis de l'écrit, mais nous allons maintenant vers le multimédia, avec prochainement des émissions de télévision. FTPress réalise aussi des médias pour des tiers.
= Comment voyez-vous votre avenir professionnel?
Mon avenir professionnel, je le vois comme un présent professionnel. Si vous m'aviez posé cette question il y a deux ans, je vous aurais répondu qu'à force de travailler avec internet (en tant que directeur aux systèmes d'information du CNRS) et à propos d'internet (en tant que directeur de la publication LMB Actu), je rêvais de créer une entreprise internet. Mais je me demandais alors comment m'y prendre. Si vous me l'aviez posée il y a un an, je vous aurais répondu que j'avais fait le saut, que les dés étaient jetés, et que j'avais annoncé mon départ de l'administration… pour créer FTPress. Je ne pouvais plus supporter de rester où j'étais. Je devenais aigre. C'était créer mon entreprise ou bien… prendre une année sabbatique à ne rien faire. Et aujourd'hui je suis en plein dedans. J'ai l'impression de vivre les histoires que l'on lit dans la presse sur les start-ups. C'est dur à supporter physiquement, tant le développement est rapide. Alors, mon avenir, je le vois à la plage, sans internet, pour me reposer avec ma femme ;-)
= Que pensez-vous des débats liés au respect du droit d'auteur sur le web?Quelles solutions pratiques suggérez-vous?
Ces débats sont fondés. Certaines personnes, souvent d'ailleurs celles qui ont le pouvoir donné par une institution d'appartenance, s'assoient sur le droit d'auteur, n'hésitant pas à apposer leur nom sur un texte écrit par un autre. Chez FTPress, nous appliquons grosso modo le principe de la GPL (general public licence, licence publique qui sert de fondement à Linux, ndlr) pour les logiciels libres. Nos textes sont reproductibles gratuitement dans la mesure où ce n'est pas fait dans des fins commerciales, et bien sûr sous réserve que la source soit mentionnée. Quant aux auteurs des dits textes, ils sont rémunérés normalement, avec un statut de journalistes, et également intéressés dans l'entreprise, par le jeu de bons de souscription (alias stock options). Cet intéressement aux résultats et à la valeur de l'entreprise complète la rémunération traditionnelle du journaliste pour un texte destiné à une publication déterminée. En contrepartie, FTPress ne paie plus les auteurs si le texte est revendu à un tiers (qui en fait un usage commercial). Je pense que c'est une solution à cette question dans le domaine de la presse. Mais c'est un problème complexe et varié, qui ne peut trouver une seule réponse.
= Comment voyez-vous l'évolution vers un internet multilingue?
Je ne sais pas répondre, sinon une banalité, comme: "chacun gardera son langage privilégié, avec l'anglais comme langue d'échange". Mais peut-on réellement penser que toute la population du monde va communiquer dans tous les sens? Peut-être? Via des systèmes de traduction instantanée, par écrit ou par oral? J'ai du mal à imaginer qu'on verra de sitôt des outils capables de translater les subtilités des modes de pensée propres à un pays: il faudrait pour lors traduire, non plus du langage, mais établir des passerelles de sensibilité. A moins que la mondialisation n'uniformise tout cela? En résumé, je pense que la bonne question est celle d'un internet multiculturel.
= Quel est votre meilleur souvenir lié à l'internet?
Quand nous avons franchi la barre des 10.000 abonnés à LMB Actu, début 1998.
= Et votre pire souvenir?
Une fois, quand nous avons écrit une bêtise dans Internet Actu, et que les messages incendiaires des abonnés ont commencé à arriver en trombe, dans les dix minutes suivant l'envoi. On a tous commencé à paniquer, car on venait de basculer LMB Actu dans le privé et la société FTPress ne reposait que sur le successeur, Internet Actu. Un désabonnement massif et c'en était fini de nous. Mais finalement, toutes ces réactions nous ont permis de démarrer la tribune des lecteurs, qui a été bien appréciée! Souvent, les erreurs ont du bon, du moment qu'on les avoue, et qu'on l'affiche ouvertement: ces échanges créent des liens entre les lecteurs et les auteurs.
*Entretien du 25 novembre 2000
= Quoi de neuf depuis notre dernier entretien?
Plein de choses! De nouveaux magazines (DRH Actu, NetLocal Actu, Automates intelligents dans quelques jours, Correspond@nces avec la Fondation la Poste, etc.), de la TV (avec un studio propre), un nouveau système d'information (ou de production) très puissant (Reef.com), le kiosque de presse (avec des partenaires presse externe, à commencer par Diora), etc.
= Utilisez-vous encore beaucoup de documents papier?
Ça n'a pas changé: j'imprime souvent nos propres publications pour les lire dans les transports en commun. Je n'ai pas beaucoup le temps de lire, hormis des romans.
= Le papier a-t-il encore de beaux jours devant lui?
Oui, il a encore de l'avenir, il y aura toujours du papier, ou si ce n'est pas le papier (matériau) que l'on connaît, ce sera un support souple, léger et fin comme lui (pour dans dix ans en principe).
= Quel est votre sentiment sur le livre électronique?
Ce n'est rien d'autre qu'un ordinateur portable dédié. Je ne vois pas bien pourquoi on se priverait des autres fonctions de l'ordinateur, quitte à transporter un écran.
= Quelles sont vos suggestions pour une meilleure accessibilité du web aux aveugles et malvoyants?
Ne pas abuser des interfaces purement graphiques, et conserver une distribution en texte simple (il n'y a d'ailleurs pas que les aveugles qui apprécient).
= Comment définissez-vous le cyberespace?
Rien d'original… Je ne vois pas très bien quoi rajouter au sens des deux mots qui composent ce terme.
= Et la société de l'information?
Une société dont l'information est le moteur, dans tous les sens du terme.
CHRISTIAN VANDENDORPE (Ottawa)
#Professeur à l'Université d'Ottawa et spécialiste des théories de la lecture
Professeur à l'Université d'Ottawa (Canada) et sémioticien spécialisé dans les théories de la lecture, Christian Vandendorpe est l'auteur d'un essai intitulé Du papyrus à l'hypertexte (La Découverte, Paris, 1999).
*Entretien du 21 mai 2001
= Pouvez-vous vous présenter?
Je suis professeur à l'Université d'Ottawa. Intéressé par la sémiotique (théorie générale des signes et des systèmes de significations linguistiques, ndlr), j'ai fait une thèse sur la lecture de la fable. J'ai découvert l'hypertexte comme outil de rédaction à partir de la réalisation d'une grammaire sur disque compact pour mes étudiants, Communication écrite (Didascom, Kingston, 1999). C'est pour raffiner ma réflexion sur ce nouvel environnement d'écriture et de lecture que j'ai rédigé un essai, Du papyrus à l'hypertexte.
= Comment voyez-vous l'avenir de l'imprimé?
Le papier est un support remarquable: léger, économique, polyvalent, et dont les diverses textures en appellent non seulement au sens de la vue, mais aussi au toucher et à l'odorat. Il a encore de beaux jours devant lui, surtout pour les ouvrages de luxe ou de prestige et que l'on voudra pouvoir manipuler et conserver pour leur valeur en tant qu'objets. Le papier va aussi rester comme support pour des textes d'une certaine ampleur que l'on voudra pouvoir lire à loisir. L'impression sur demande va répondre à cette demande. En même temps, les textes destinés à la lecture courante vont de plus en plus être appréhendés sur des supports numériques. C'est déjà le cas pour le courrier électronique et les activités de lecture sur le web. Mais l'ordinateur n'est pas un support idéal pour la lecture, en raison de la position qu'il impose au lecteur. En outre, la technologie de l'hypertexte encourage une lecture ergative, tournée vers l'action et la recherche de réponses brèves et rapides plutôt que vers la lecture de fiction ou d'essais.
= Comment voyez-vous l'avenir de l'internet?
Cet outil fabuleux qu'est le web peut accélérer les échanges entre les êtres, permettant des collaborations à distance et un épanouissement culturel sans précédent. Mais cet espace est encore fragile. Il risque d'être confisqué par des juridictions nationales. Ou il peut être transformé en une gigantesque machine à sous au moyen de laquelle la quasi-totalité de nos activités entrerait dans le circuit économique et ferait l'objet d'une tarification minutée. On ne peut pas encore prédire dans quel sens il évoluera. Le phénomène Napster a contribué à un début de prise en main par les juges, qui tendent à imposer sur cet espace les conceptions en vigueur dans le monde physique. On pourrait ainsi en étouffer le potentiel d'innovation. Il existe cependant des signes encourageants, notamment dans le développement des liaisons de personne à personne et surtout dans l'immense effort accompli par des millions d'internautes partout au monde pour en faire une zone riche et vivante. Il faut aussi saluer la décision du MIT (Masachusetts Institute of Technology) de placer tout le contenu de ses cours sur le web d'ici dix ans, en le mettant gratuitement à la disposition de tous. Entre les tendances à la privatisation du savoir et celles du partage et de l'ouverture à tous, je crois en fin de compte que c'est cette dernière qui va l'emporter.
= Quelle est votre opinion sur le livre électronique?
Le livre électronique va accélérer cette mutation du papier vers le numérique, surtout pour les ouvrages techniques. Mais les développements les plus importants sont encore à venir. Lorsque le procédé de l'encre électronique sera commercialisé sous la forme d'un codex numérique plastifié offrant une parfaite lisibilité en lumière réfléchie, comparable à celle du papier - ce qui devrait être courant vers 2010 ou 2015 -, il ne fait guère de doute que la part du papier dans nos activités de lecture quotidienne descendra à une fraction de ce qu'elle était hier. En effet, ce nouveau support portera à un sommet l'idéal de portabilité qui est à la base même du concept de livre. Tout comme le codex avait déplacé le rouleau de papyrus, qui avait lui-même déplacé la tablette d'argile, le codex numérique déplacera le codex papier, même si ce dernier continuera à survivre pendant quelques décennies, grâce notamment au procédé d'impression sur demande qui sera bientôt accessible dans des librairies spécialisées. Avec sa matrice de quelques douzaines de pages susceptibles de permettre l'affichage de millions de livres, de journaux ou de revues, le codex numérique offrira en effet au lecteur un accès permanent à la bibliothèque universelle. En plus de cette ubiquité et de cette instantanéité, qui répondent à un rêve très ancien, le lecteur ne pourra plus se passer de l'indexabilité totale du texte électronique, qui permet de faire des recherches plein texte et de trouver immédiatement le passage qui l'intéresse. Enfin, le codex numérique permettra la fusion des notes personnelles et de la bibliothèque et accélérera la mutation d'une culture de la réception vers une culture de l'expression personnelle et de l'interaction.
= Quel est votre avis sur les débats relatifs au respect du droit d'auteur sur le web?
En gros, je suis assez favorable aux positions défendues aux États-Unis par l'Electronic Frontier Foundation (EFF). D'abord, il me paraît prématuré de légiférer en cette matière, alors même que nous sommes au milieu d'un changement de civilisation. Il faudrait sans doute revoir les principes philosophiques sur lesquels repose la législation actuelle au lieu de prendre pour acquis qu'ils sont valides, tels quels et sans plus d'examen, dans le nouvel environnement technologique en train de se mettre en place. Plusieurs arguments militent en faveur d'une telle révision. D'abord, l'expérience de la lecture et l'appréhension du texte ne sont pas du même ordre selon qu'elles s'effectuent à partir d'un livre, d'un écran d'ordinateur, d'un livre électronique ou, demain, d'un codex numérique. Il y aurait donc lieu de faire des distinctions au plan du droit de citation ou du droit de lecture. Si, sur un écran, la valeur d'usage du texte n'est pas la même, ni sa pérennité en tant qu'objet, les droits ne devraient pas s'appliquer non plus de la même façon.
Idéalement, l'ensemble de la production intellectuelle devrait être accessible sur le web après dix ans (et même sans aucun délai en ce qui concerne les articles scientifiques). On ne paierait pour lire que si l'on choisissait de faire imprimer un texte donné en format codex dans une librairie agréée ou si l'on choisissait de le télécharger sur son livre électronique ou son codex numérique. Évidemment, le fait qu'un texte soit accessible gratuitement sur le web ne signifierait pas que l'on ait le droit de se l'approprier. La paternité intellectuelle est un droit inaliénable. Et la piraterie resterait un délit: il ne serait pas permis à un éditeur d'éditer à son profit un texte qu'il aurait "trouvé" sur le web.
Un autre argument à considérer est que la nouvelle technologie accélère la globalisation des échanges et que les conditions d'épanouissement de la culture sont en train de changer. On invoque généralement à l'appui du droit d'auteur le fait que l'absence de rétribution des artistes aurait un effet négatif sur la création. Mais est-ce vraiment le cas dans la situation actuelle? On voit en effet des auteurs très créatifs qui ne retirent guère de droits par manque d'une commercialisation adéquate; en revanche, des auteurs qui bénéficient d'une position dominante dans la distribution commerciale amassent des fortunes avec des productions insignifiantes. Le mouvement de globalisation va renforcer à l'extrême cette inégalité. En bref, on peut se demander si, au lieu de favoriser la diversité culturelle, le droit d'auteur ne sert pas principalement à la constitution d'immenses conglomérats de distribution qui imposent des produits standardisés. Au lieu de renforcer ce phénomène de commercialisation de la culture, et de criminaliser les comportements de millions d'usagers, il serait plus intéressant, d'un point de vue culturel, de faire du web une zone franche, à l'égal de la bibliothèque publique, où chacun peut être en contact avec la rumeur du monde, tant et aussi longtemps que l'on ne fait de celle-ci qu'un usage privé.
Surtout, il faut craindre les effets pervers d'une juridiction "dure" en matière de droits d'auteur. Pour en gérer l'application, les empires commerciaux vont exiger la mise en place de mécanismes de traçabilité des oeuvres qui transformeront le web, et donc notre principal instrument d'accès à la culture, en un immense réseau grillagé où seront entièrement placées sous contrôle non seulement nos habitudes de consommation, mais aussi nos habitudes de lecture. Une perspective qui fait peur et qui marquerait la fin de la bibliothèque.
= Comment définissez-vous le cyberespace?
C'est le nouveau territoire de la culture, un espace qui pourrait jouer le rôle de l'Agora dans la Grèce ancienne, mais à un niveau planétaire.
ROBERT WARE (Colorado)
#Créateur de OneLook Dictionaries, un moteur permettant une recherche rapide dans 650 dictionnaires
Créé par Robert Ware, OneLook Dictionaries est un moteur de recherche puisant dans les quelque 3 millions de mots de 750 dictionnaires (chiffres 2001) traitant de sujets divers (affaires, argot, généralités, informatique et internet, médecine, religion, sciences, sports, technologie, etc.) dans diverses langues (en anglais, français, allemand, italien et espagnol). Son correspondant français est Dicorama.
*Entretien du 2 septembre 1998 (entretien original en anglais)
= Comment voyez-vous l'évolution vers un web multilingue?
A titre personnel, je suis presque uniquement en contact avec des gens qui ne pratiquent qu'une langue et ne sont pas très motivés pour développer leurs aptitudes linguistiques. Etre en contact avec le monde entier change cette approche des choses. Et la change en mieux! J'ai été long à inclure des dictionnaires non anglophones (en partie parce que je suis monolingue). Mais vous en trouverez maintenant quelques-uns.
Un fait intéressant s'est produit dans le passé qui a été très instructif pour moi.
En 1994, je travaillais pour un établissement scolaire et j'essayais d'installer un logiciel sur un modèle d'ordinateur particulier. J'ai trouvé une personne qui était en train de travailler sur le même problème, et nous avons commencé à échanger des courriers électroniques. Soudain, cela m'a frappé… Le logiciel avait été écrit à 40 km de là , mais c'était une personne située de l'autre côté de la planète qui m'aidait. Les distances et les considérations géographiques n'importaient plus!
En effet c'est épatant, mais à quoi cela nous mène-t-il? Je ne puis communiquer qu'en anglais mais, heureusement, mon correspondant pouvait utiliser aussi bien l'anglais que l'allemand qui était sa langue maternelle. L'internet a supprimé une barrière, celle de la distance, mais il subsiste la barrière de la langue, bien réelle.
Il semble que l'internet propulse simultanément les gens dans deux directions différentes. L'internet, anglophone à l'origine, relie les gens dans le monde entier. Par là même il favorise une langue commune pour communiquer. Mais il crée aussi des contacts entre des personnes de langues différentes et permet ainsi le développement d'un intérêt plus grand pour le multilinguisme. Si une langue commune est appréciable, elle ne remplace en aucun cas cette nécessité.
L'internet favorise ainsi à la fois une langue commune et le multilinguisme, et ceci est un facteur qui aide à trouver des solutions. L'intérêt croissant pour les langues et le besoin qu'on en a stimulent de par le monde la création de cours de langues et d'instruments d'aide linguistique, et l'internet fournit la possibilité de les rendre disponibles rapidement et à bon marché.
RUSSON WOOLDRIDGE (Toronto)
#Professeur au département d'études françaises de l'Université de Toronto et créateur de ressources littéraires librement accessibles en ligne
Professeur au département d'études françaises de l'Université de Toronto, Russon Wooldridge est créateur de sites dans le domaine des études françaises (voir son site professionnel, notamment "Summary of electronic publications"), dont le Net des études françaises. Il est également éditeur en ligne (revue, actes de colloques) et chercheur (histoire de la langue, évolution des médias du papier et du web).
*Entretien du 8 février 2001
= En quoi consiste exactement votre activité professionnelle?
Aider les étudiants à vivre en français (cours de langue de première année du 1er cycle d'études, par exemple), à perfectionner leurs compétences linguistiques (cours de traduction de quatrième année du 1er cycle, par exemple), à approfondir leur connaissance de domaines spécifiques du savoir exprimés en français (cours et thèses de 2e et 3e cycles) et, à tous les niveaux, à se servir des outils appropriés. Mes activités de recherche, autrefois menées dans une tour d'ivoire, se font maintenant presque uniquement par des collaborations locales ou à distance.
= En quoi consiste exactement votre activité liée à l'internet?
Pour moi, c'est presque la même question. Tout mon enseignement exploite au maximum les ressources d'internet (le web et le courriel): les deux lieux communs d'un cours sont la salle de classe et le site du cours, sur lequel je mets tous les matériaux des cours. Je mets toutes les données de mes recherches des vingt dernières années sur le web (réédition de livres, articles, textes intégraux de dictionnaires anciens en bases de données interactives, de traités du 16e siècle, etc.). Je publie des actes de colloques, j'édite un journal, je collabore avec des collègues français, mettant en ligne à Toronto ce qu'ils ne peuvent pas publier en ligne chez eux. En mai 2000 j'ai organisé à Toronto un colloque international sur "Les études françaises valorisées par les nouvelles technologies". Tout cela se trouve sur mon site.
= Comment voyez-vous l'avenir?
Je me rends compte que sans internet mes activités seraient bien moindres, ou du moins très différentes de ce qu'elles sont actuellement. Donc je ne vois pas l'avenir sans. Mais il est crucial que ceux qui croient à la libre diffusion des connaissances veillent à ce que le savoir ne soit pas bouffé, pour être vendu, par les intérêts commerciaux. Ce qui se passe dans l'édition du livre en France, où on n'offre guère plus en librairie que des manuels scolaires ou pour concours (c'est ce qui s'est passé en linguistique, par exemple), doit être évité sur le web. Ce n'est pas vers les amazon.com qu'on se tourne pour trouver la science désintéressée. Sur mon site, je refuse toute sponsorisation.
= Utilisez-vous encore beaucoup de documents papier?
J'imprime de moins en moins. Alors qu'il y a trois ans je distribuais encore beaucoup de papier à mes étudiants, depuis quelque temps je mets tout sur le web et c'est à eux d'imprimer, s'ils le souhaitent! Je n'envoie plus de papier à mes correspondants; je leur écris par courriel et, si j'ai un document à leur transmettre, je l'envoie en fichier attaché en format html. Je n'écris plus pour le papier mais uniquement pour le web. Je prends toujours plaisir, quand même, à lire un roman relié ou un journal sur papier, bien que je consulte régulièrement la presse en ligne.
= Les jours du papier sont-ils comptés?
Dangereux de jouer aux prophètes! Le sort de l'imprimé dépendra peut-être plus de facteurs écolo-économiques que de facteurs humains ou sociaux. Que peut faire en général le goût ou l'habitude face aux forces économiques? On peut constater que le coût du papier va en augmentant, que le nombre d'arbres va en diminuant, que la pollution croît tous les jours, qu'un ordinateur utilise de moins en moins d'électricité avec chaque nouveau modèle. La fabrication du papier est-elle, sera-t-elle, plus ou moins polluante et consommatrice de sources naturelles que la fabrication de l'électricité?
= Quelle est votre opinion sur le livre électronique?
Il est certain que le livre électronique devient de plus en plus attrayant avec les progrès techniques, tout comme les jeux électroniques. Je dois avouer que je ne m'intéresse de près ni aux livres électroniques, ni aux jeux électroniques. Je lis en ligne pour mon travail, mais je préfère quitter mon ordinateur quand il s'agit de lire pour le plaisir.
= Quel est votre avis sur les débats relatifs au respect du droit d'auteur sur le web?
C'est une question importante, qui est loin d'être résolue. Je préfère parler de la propriété intellectuelle. On a le modèle du livre imprimé: si un auteur universitaire publie un livre sur papier, son institution n'en réclame pas la propriété, alors qu'il arrive qu'un livre publié sur un serveur institutionnel soit considéré comme appartenant à l'institution en question, ce qui est, à mon avis, injuste. A part cela, tout ce que l'auteur peut faire est de mettre un copyright à son nom sur les textes qu'il a écrits et qu'il publie en ligne et puis compter sur sa réputation pour que ses lecteurs "sérieux" en sachent la provenance. Le piratage a toujours existé: Voltaire voyait ses livres publiés anonymement en Hollande au 18e siècle, par exemple.
= Quelles sont vos suggestions pour une meilleure accessibilité du web aux aveugles et malvoyants?
Je n'ai pas de compétence pour répondre à cette question. La technologie trouvera sûrement un moyen de rendre l'accès possible par chacun des cinq sens, l'odorat y compris.
= Comment définissez-vous le cyberespace?
Je travaille dans la même université que Marshall McLuhan autrefois (nos carrières se sont un moment croisées). Le "village global" qu'il entrevoyait à l'époque de la radio et de la télévision est devenu une réalité dans l'ère d'internet. Mais un village sans classes sociales (il n'y a pas de châtelain).
= Et la société de l'information?
Si on veut parler de "société" il ne peut pas être question d'une opposition "haves" vs. "have-nots" (munis vs. démunis), sauf dans la mesure où l'accès à l'information est plus ou moins libre ou limité d'un point de vue technologique ou économique, voire politique. Par exemple, l'accès à l'information en ligne est plus libre au Canada qu'en France, plus libre en France qu'en Algérie, etc. Internet est potentiellement un moyen pour que chacun puisse s'approprier son propre contrôle de l'information, qui n'est plus diffusée par les seuls canaux dirigistes, comme l'Edition ou l'Université, entre autres.
= Quel est votre meilleur souvenir lié à l'internet?
Une lettre que j'ai reçue par courriel à propos de mon site sur le Dictionnaire de l'Académie française. Je la cite intégralement:
"Sujet: 'Bravo! mais encore un effort' / Bonjour, Je m'appelle Sophie, j'ai 10 ans, et je suis contente de trouver un dictionnaire sur internet. Mais je voudrais tout trouver, j'ai un exposé à faire sur la Fête du travail (1er mai) et ma requête n'a pas abouti… L'on voudrait tout trouver… Merci encore. Sophie"
= Et votre pire souvenir?
Voyons… (j'ai tendance à évacuer les mauvais souvenirs). Je pense ne pas avoir vraiment de "pire souvenir" en fait. Disons plutôt quelques déceptions quand je donne à X, Y et Z (et à d'autres) et que X, Y et Z ne donnent rien en retour. Je connais pas mal de "chercheurs" carriéristes. Stoïque et un peu cynique, j'observe d'un oeil désabusé, mais quand même dégoûté, le détournement mercantile de matériaux créés en premier lieu dans le but de les mettre librement en ligne (un cas particulier est documenté sur le site du projet d'informatisation du Dictionnaire de l'Académie française). La nature humaine est partout la même: la soif de pouvoir chez certains vs. le partage et le pouvoir individuel.
*Entretien du 15 mai 2001
= Quoi de neuf depuis notre dernier entretien?
Un pas de plus vers l'autonomisation de l'usager comme créateur de ressources en ligne: la dernière version de TACTweb, récemment installée sur un serveur de l'Université de Toronto, permet dorénavant de construire des bases interactives importantes comme les dictionnaires de la Renaissance (Estienne et Nicot; base RenDico), les deux principales éditions du Dictionnaire de l'Académie française (1694 et 1835), les collections de la Bibliothèque électronique de Lisieux (base LexoTor), les oeuvres complètes de Maupassant, ou encore les théâtres complets de Corneille, Molière, Racine, Marivaux et Beaumarchais (base Théâtre 17e-18e). À la différence de grosses bases comme Frantext ou ARTFL (American and French Research on the Treasury of the French Language) nécessitant l'intervention d'informaticiens professionnels, d'équipes de gestion et de logiciels coûteux, TACTweb, qui est un gratuiciel que l'on peut décharger en ligne et installer soi-même, peut être géré par le chercheur individuel créateur de ressources textuelles en ligne.
DENIS ZWIRN (Paris)
#Co-fondateur et PDG de Numilog, librairie en ligne de livres numériques
*Entretien du 19 février 2001
= Quelle est l'origine de Numilog?
Dès 1995, j'avais imaginé et dessiné des modèles de lecteurs électroniques permettant d'emporter sa bibliothèque avec soi et pesant comme un livre de poche. Début 1999, j'ai repris ce projet avec un ami spécialiste de la création de sites internet, en réalisant la formidable synergie possible entre des appareils de lecture électronique mobiles et le développement d'internet, qui permet d'acheminer les livres dématérialisés en quelques minutes dans tous les coins du monde.
= Pouvez-vous décrire l'activité de la société?
Numilog est d'abord une librairie en ligne de livres numériques. Notre site internet est dédié à la vente en ligne de ces livres, qui sont envoyés par courrier électronique ou téléchargés après paiement par carte bancaire. Il permet également de vendre des livres par chapitres.
Numilog est également un studio de fabrication de livres numériques: aujourd'hui, les livres numériques n'existent pas chez les éditeurs, il faut donc d'abord les fabriquer avant de pouvoir les vendre, dans le cadre de contrats négociés avec les éditeurs détenteurs des droits. Ce qui signifie les convertir à des formats convenant aux différents "readers" du marché: Acrobat Reader, Acrobat eBook Reader (que nous sommes les premiers en France à diffuser), et bientôt Microsoft Reader et les lecteurs électroniques du type Rocket eBook. Ce qui signifie également soigner leur mise en page numérique: la mise en page d'un livre numérique ne doit pas être la même que celle du livre papier correspondant si on veut proposer au lecteur une expérience de lecture confortable qui ne le déçoive pas.
Enfin, Numilog devient progressivement un diffuseur car, sur internet, il est important d'être présent en de très nombreux points du réseau pour faire connaître son offre. Pour les livres en particulier, il faut les proposer aux différents sites thématiques ou de communautés, dont les centres d'intérêt correspondent à leur sujet (sites de fans d'histoire, de management, de SF…). Numilog facilitera ainsi la mise en oeuvre de multiples "boutiques de livres numériques" thématiques.
= Pouvez-vous décrire le site web?
Le site www.numilog.com présente un catalogue thématique de livres numériques. Le site a été ouvert au public en septembre 2000 et propose 500 titres à la mi-février 2001 (et près de 650 en juin 2001, ndlr). Chaque mois, 50 à 100 titres nouveaux devraient y être ajoutés. Cette base de livres est accessible par un moteur de recherche. Chaque livre fait l'objet d'une fiche avec un résumé et un extrait. En quelques clics, il peut être acheté en ligne par carte bancaire, puis reçu par e-mail ou téléchargement. Début mars 2001, le site de Numilog sera relooké et présentera des fonctionnalités nouvelles, comme l'intégration d'une "authentique vente au chapitre" (les chapitres vendus isolément seront traités comme des éléments inclus dans la fiche-livre, et non comme d'autres livres) et la gestion très ergonomique des formats de lecture multiples. (Toutes ces fonctionnalités sont maintenant opérationnelles, ndlr.)
= Comment voyez-vous l'avenir?
Le développement attendu d'internet est une panacée qui possède suffisamment d'évidence pour ne pas y insister: il ne s'agit pas d'une mode, mais d'une révolution des moyens de communication qui présente des avantages objectifs tellement forts qu'on ne voit pas, sauf nouveau saut technologique inattendu, comment elle pourrait ne pas se répandre.
En ce qui concerne les livres numériques, selon Dirk Brass (Microsoft), dans les trente ans qui viennent, ils devraient représenter 90% des livres. Ce pari est moins certain que le précédent, mais ce n'est que parce qu'il indique une date. Je vois donc l'avenir de mes activités comme lié à ces deux anticipations: il s'agit de permettre à un public d'internautes de plus en plus large d'avoir progressivement accès à des bases de livres numériques aussi importantes que celles des livres papier, mais avec plus de modularité, de richesse d'utilisation et à moindre prix.
= Utilisez-vous encore beaucoup de documents papier?
Numilog en tant qu'entreprise utilise encore beaucoup le papier dans la mesure où nous scannons de nombreux livres pour les numériser, mais il s'agit là d'une activité ayant pour but de faire disparaître la nécessité du papier!
A titre personnel, j'utilise encore beaucoup le papier dans la mesure où de nombreux documents ne sont pas encore disponibles sous forme numérique, la presse hebdomadaire notamment… et les livres, puisque le volume de titres disponibles à ce jour en format de lecture à l'écran est ridicule par rapport aux quelques 600.000 titres existant en français. Pour écrire et envoyer du courrier ou des documents, par contre, j'utilise très peu le papier: le couple traitement de texte / courrier électronique en a fait disparaître quasiment totalement l'utilité.
= Les jours du papier sont-ils comptés?
Je pense sincèrement que l'usage du papier devrait fortement régresser dans les dix à quinze ans qui viennent, grâce à toutes les techniques de rédaction, de lecture, et de communication numérique. Et cela aura un impact positif sur les forêts! Cela ne signifie pas qu'il disparaîtra, notamment si on parvient à réaliser des hybrides papier / numérique, grâce à des techniques telles que l'encre électronique. Mais il se peut dans ce cas qu'il soit concurrencé par d'autres types de matières souples présentant des qualités de robustesse et d'agrément tactile équivalente ou supérieure.
= Quelle est votre opinion sur le livre électronique?
Le concept de livre électronique représente une extraordinaire avancée technologique et culturelle. Il doit permettre de faciliter la lecture et l'accès aux livres d'un très large public dans les années à venir. Ses principaux atouts sont la possibilité de transporter avec soi des dizaines de livres, de les lire dans des conditions de très bonne ergonomie en reproduisant l'agrément des livres traditionnels, tout en bénéficiant de nombreuses fonctionnalités de lecture absentes des livres traditionnels. Pour qu'il devienne un produit de consommation de masse, il faudra toutefois qu'il perde encore du poids et surtout que son prix soit attractif. En effet, le livre électronique stricto sensu est aujourd'hui concurrencé par des appareils que les gens achètent déjà massivement pour d'autres raisons que la lecture, mais qui peuvent servir de lecteurs électroniques grâce à des logiciels dédiés à la lecture: les assistants personnels (PDA) et les ordinateurs ultra-portables. Le coût marginal de la fonction "livre électronique" dans ces appareils est nul. Pour cette raison, je crois que l'avenir est à l'usage de plate-formes diversifiées selon les profils et les besoins des utilisateurs, et à une convergence progressive entre les lecteurs électroniques stricto sensu (qui intégreront des fonctions d'agendas) et les PDA (dont certains auront des écrans plus grands).
= Quel est votre avis sur les débats relatifs au respect du droit d'auteur sur le web?
Sur le plan juridique, une confusion est souvent faite entre la diffusion des oeuvres en réseau, l'accès à des sources d'information gratuites en ligne (mais qui ne sont pas des livres) et la vente d'exemplaires individuels de livres numériques. Il est de la responsabilité de chaque acteur du web de ne pas diffuser d'oeuvres sans l'accord de l'auteur, le web n'étant qu'un support de diffusion parmi d'autres. Dans une librairie en ligne, on achète un livre numérique comme un livre papier: après paiement et pour un usage individuel. Après le téléchargement, le code de la propriété intellectuelle s'applique à la version numérique au même titre qu'à la version papier de l'oeuvre: la reproduction n'est autorisée que pour l'usage privé de l'acheteur.
Le problème est donc exclusivement d'ordre technologique (….et civique): comment faire pour que ces droits soient effectivement respectés, compte tenu de la possibilité de copier un livre numérique et de l'envoyer à des amis? Plusieurs réponses sérieuses existent déjà . Les livres destinés aux lecteurs électroniques peuvent être cryptés de telle manière que seul un appareil désigné (ou plusieurs) puisse les lire. Ils ne peuvent en général pas être imprimés et sont donc en ce sens bien plus protecteurs que les livres papier, en évitant tout "photocopillage". En ce qui concerne les livres numériques pour ordinateurs, des solutions logicielles comparables ont été développées, par exemple par Adobe et par Microsoft, qui permettent de désigner un ordinateur ou un PDA comme support de lecture unique d'un livre. Des logiciels tels que Adobe Content Server proposent déjà des solutions plus sophistiquées, telles que la possibilité de définir un temps de lecture autorisée ou de prêter un livre numérique comme on prêterait un vrai livre.
= Quelles sont vos suggestions pour une meilleure accessibilité du web aux aveugles et malvoyants?
L'usage de logiciels de reconnaissance vocale et la conception de sites web adaptés à ces logiciels est sans doute à terme la meilleure solution. En ce qui concerne les malvoyants, les livres numériques présentent l'intérêt de pouvoir agrandir fortement la police de caractères.
= Quel est votre meilleur souvenir lié à l'internet?
Le jour de ma première connexion à domicile, le 31 décembre 1995: c'est un de mes plus beaux souvenirs de réveillon!
[Auteurs "classiques" / Auteurs hypermédias et multimédias /Bibliothécaires-documentalistes / Concepteurs d'appareils de lecture / Créateursde sites littéraires / Editeurs / Gestionnaires / Journalistes / Libraires /Linguistes (langue française) / Linguistes (toutes langues) / Professeurs]
(*) Entretiens traduits par Marie Lebert
= Auteurs "classiques"
Silvaine Arabo (Poitou-Charentes) / Poète et plasticienne, créatrice de la cyber-revue Poésie d'hier et d'aujourd'hui
Michel Benoît (Montréal) / Ecrivain, utilise l'internet comme outil de recherche, de communication et d'ouverture au monde
Alain Bron (Paris) / Consultant en systèmes d'information et écrivain.L'internet est un des personnages de son roman Sanguine sur toile.
Raymond Godefroy (Valognes, Normandie) / Ecrivain-paysan, publie son recueilFables pour l'an 2000 sur le web avant de le publier sur papier
Anne-Bénédicte Joly (Antony, région parisienne) / Ecrivain auto-éditant ses oeuvres et utilisant le web pour les faire connaître
Tim McKenna (Genève) / Ecrivain, s'interroge sur la notion complexe de "vérité" dans un monde en mutation constante
= Auteurs hypermédias et multimédias
Alex Andrachmes (Europe) / Producteur audiovisuel, écrivain et explorateur d'hypertexte
Lucie de Boutiny (Paris) / Ecrivain papier et pixel. Auteur de NON, roman multimédia publié en feuilleton sur le web
Anne-Cécile Brandenbourger (Bruxelles) / Auteur de La malédiction du parasol, hyper-roman publié aux éditions 00h00.com
Luc Dall'Armellina (Paris) / Co-auteur et webmestre d'oVosite, espace d'écritures hypermédias
Jean-Paul (Paris) / Webmestre du site hypermédia collectif Des cotres furtifs
Naomi Lipson (Paris & Tel-Aviv) / Ecrivain multimédia, traductrice et peintre
Xavier Malbreil (Ariège, Midi-Pyrénées) / Auteur multimédia, créateur du site www.0m1.com, modérateur de la liste e-critures
Murray Suid (Palo Alto, Californie) / Ecrivain, travaille pour EDVantageSoftware, société internet de logiciels éducatifs
= Bibliothécaires-documentalistes
Emmanuel Barthe (Paris) / Documentaliste juridique chez Coutrelis & Associés, cabinet d'avocats, et modérateur de la liste de discussion Juriconnexion
Michael Behrens * (Bielefeld, Allemagne) / Responsable de la bibliothèque numérique de la Bibliothèque universitaire de Bielefeld
Olivier Bogros (Lisieux, Normandie) / Créateur de la bibliothèque électronique de Lisieux et directeur de la bibliothèque municipale
Bakayoko Bourahima (Abidjan) / Documentaliste à l'Ecole nationale supérieure de statistique et d'économie appliquée (ENSEA)
Bruno Didier (Paris) / Webmestre de la bibliothèque de l'Institut Pasteur
Michael Hart (Illinois) / Fondateur du Project Gutenberg, la plus ancienne bibliothèque numérique sur l'internet
Roberto Hernández Montoya (Caracas) / Responsable de la bibliothèque numérique du magazine électronique Venezuela AnalÃtica
Pierre Le Loarer (Grenoble) / Directeur du centre de documentation de l'Institut d'études politiques de Grenoble et chargé de mission TICE (technologies de l'information et de la communication pour l'éducation)
John Mark Ockerbloom (Pennsylvanie) / Fondateur de The On-Line Books Page, répertoire de livres en ligne disponibles gratuitement
Anissa Rachef (Londres) / Bibliothécaire et professeur de français langue étrangère à l'Institut français de Londres
Peter Raggett (Paris) / Directeur du centre de documentation et d'information(CDI) de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE)
Jean-Baptiste Rey (Aquitaine) / Webmestre et rédacteur de Biblio On Line, un site web destiné aux bibliothèques
= Concepteurs d'appareils de lecture
Olivier Pujol (Paris) / PDG de la société Cytale et promoteur du Cybook, livre électronique
Pierre Schweitzer (Strasbourg) / Architecte designer, concepteur d'@folio (support de lecture nomade) et de Mot@mot (passerelle vers les bibliothèques numériques)
= Créateurs de sites littéraires
Isabelle Aveline (Lyon) / Créatrice de Zazieweb, un site consacré à l'actualité littéraire sur l'internet
Fabrice Lhomme (Bretagne) / Créateur d'Une Autre Terre, site consacré à la science-fiction
Blaise Rosnay (Paris) / Webmestre du site du Club des Poètes
= Editeurs
Nicolas Ancion (Madrid) / Ecrivain et responsable éditorial de Luc Pire électronique
Marie-Aude Bourson (Lyon) / Créatrice de la Grenouille Bleue et de Gloupsy, sites littéraires destinés aux nouveaux auteurs
Pierre-Noël Favennec (Paris & Lannion, Bretagne) / Expert à la direction scientifique de France Télécom R&D et directeur de la collection technique et scientifique des télécommunications
Pierre François Gagnon (Montréal) / Créateur d'Editel, pionnier de l'édition littéraire francophone en ligne
Olivier Gainon (Paris) / Fondateur et gérant de CyLibris, maison d'édition littéraire en ligne
Emmanuel Ménard (Paris) / Directeur des publications de CyLibris, maison d'édition littéraire en ligne
Jacky Minier (Orléans) / Créateur de Diamedit, site de promotion d'inédits artistiques et littéraires
Nicolas Pewny (Annecy) / Créateur des éditions du Choucas
Hervé Ponsot (Toulouse) / Webmestre du site web des éditions du Cerf, spécialisées en théologie
Bruno de Sa Moreira (Paris) / Co-fondateur des éditions 00h00.com, spécialisées dans l'édition numérique
= Gestionnaires
Patrice Cailleaud (Paris) / Membre fondateur et directeur de la communication deHandiCaPZéro
Gérard Jean-François (Caen) / Directeur du centre de ressources informatiques de l'Université de Caen
Pierre Magnenat (Lausanne) / Responsable de la cellule "gestion et prospective" du centre informatique de l'Université de Lausanne
Jean-Philippe Mouton (Paris) / Fondateur et gérant de la société d'ingénierieIsayas
Jacques Pataillot (Paris) / Conseiller en management chez Cap Gemini Ernst &Young
= Journalistes
Bernard Boudic (Rennes) / Responsable éditorial du serveur internet du quotidienOuest-France
Jean-Pierre Cloutier (Montréal) / Auteur des Chroniques de Cybérie, chronique hebdomadaire des actualités de l'internet
Jacques Coubard (Paris) / Responsable du site web du quotidien L'Humanité
Jacques Gauchey (San Francisco) / Spécialiste en industrie des technologies de l'information, "facilitator" entre les Etats-Unis et l'Europe, journaliste
Philippe Rivière (Paris) / Rédacteur au Monde diplomatique et responsable du site web
Jean-Paul Rousset Saint Auguste (Paris) / Journaliste spécialisé dans l'histoire des techniques
François Vadrot (Paris) / Fondateur et PDG de FTPress (French Touch Press), société de cyberpresse
= Libraires
Pascal Chartier (Lyon) / Créateur de Livre-rare-book, site professionnel de livres d'occasion
Catherine Domain (Paris) / Créatrice de la librairie Ulysse, la plus ancienne librairie de voyage au monde
Muriel Goiran (Rhône-Alpes) / Libraire à la librairie Decitre
Hélène Larroche (Paris) / Gérante de la librairie Itinéraires, spécialisée dans les voyages
Alain Marchiset (Paris) / Président du Syndicat de la librairie ancienne et moderne (SLAM)
Denis Zwirn (Paris) / Co-fondateur et PDG de Numilog, librairie en ligne de livres numériques
= Linguistes (langue française)
Arlette Attali (Paris) / Responsable de l'équipe "Recherche et projets internet" à l'Institut national de la langue française (INaLF)
Guy Bertrand & Cynthia Delisle (Montréal) / Respectivement directeur scientifique et consultante au Centre d'expertise et de veille inforoutes et langues (CEVEIL)
Alain Clavet (Ottawa) / Analyste de politiques au Commissariat aux langues officielles du Canada
Marcel Grangier (Berne) / Responsable de la section française des services linguistiques centraux de l'Administration fédérale suisse
Christiane Jadelot (Nancy) / Ingénieur d'études à l'Institut national de la langue française (INaLF)
Philippe Loubière (Paris) / Traducteur littéraire et dramatique, spécialiste de la Roumanie
Zina Tucsnak (Nancy) / Ingénieur d'études en informatique à l'ATILF (Analyses et traitements informatiques du lexique français)
= Linguistes (toutes langues)
Guy Antoine (New Jersey) / Créateur de Windows on Haiti, site de référence sur la culture haïtienne
Robert Beard (Pennsylvanie) / Co-fondateur de yourDictionary.com, portail de référence pour les langues
Christian Boitet (Grenoble) / Directeur du Groupe d'étude pour la traduction automatique (GETA), qui participe au Universal Networking Language Programme (UNLP)
Tyler Chambers * (Boston, Massachusetts) / Créateur de The Human-Languages Page (devenue iLoveLanguages en 2001) et de The Internet Dictionary Project
Helen Dry * (Michigan) / Modératrice de The Linguist List
Bill Dunlap (Paris & San Francisco) / Fondateur de Global Reach, société qui favorise le marketing international en ligne
Barbara Grimes (Hawaii) / Directrice de publication de l'Ethnologue, une encyclopédie des langues
Randy Hobler (Dobbs Ferry, New York) / Consultant en marketing internet, notamment chez Globalink, société spécialisée en produits et services de traduction
Eduard Hovy (Marina del Rey, Californie) / Directeur du Natural Language Group de l'Université de Californie du Sud
Brian King * / Directeur du WorldWide Language Institute, qui est à l'origine deNetGlos, un glossaire multilingue de la terminologie de l'internet
Geoffrey Kingscott * (Londres) / Co-directeur du magazine en ligne LanguageToday
Steven Krauwer (Utrecht, Pays-Bas) / Coordinateur d'ELSNET (European Network ofExcellence in Human Language Technologies)
Michael Martin * (Berkeley, Californie) / Créateur de Travlang, un site consacré aux voyages et aux langues
Yoshi Mikami * (Fujisawa, Japon) / Créateur de The Languages of the World byComputers and the Internet, et co-auteur de Pour un web multilingue
CaoimhÃn Ó DonnaÃle (Ile de Skye, Ecosse) / Webmestre du principal site d'information en gaélique écossais, avec une section consacrée aux langues européennes minoritaires
June Thompson * (Hull, Royaume-Uni) / Directeur du C&IT (Communications &Information Technology) Centre, basé à l'Université de Hull
Paul Treanor (Pays-Bas) / Gère sur son site personnel une section consacrée à l'avenir des langues en Europe
Robert Ware * (Colorado) / Créateur de Onelook Dictionaries, un moteur permettant une recherche rapide dans 650 dictionnaires
= Professeurs
Jean-Pierre Balpe (Paris) / Directeur du département hypermédias de l'Université de Paris 8
Richard Chotin (Paris) / Professeur à l'Ecole supérieure des affaires (ESA) deLille
Kushal Dave * (Yale) / Etudiant à l'Université de Yale, devenu professeur depuis
Emilie Devriendt (Paris) / Elève professeur à l'Ecole normale supérieure deParis et doctorante à l'Université de Paris 4-Sorbonne
Gérard Fourestier (Nice) / Créateur de Rubriques à Bac, bases de données destinées aux étudiants du premier cycle universitaire
Gaëlle Lacaze (Paris) / Ethnologue et professeur d'écrit électronique dans un institut universitaire professionnalisé
Maria Victoria Marinetti (Annecy) / Professeur d'espagnol en entreprise et traductrice
Patrick Rebollar (Tokyo) / Professeur de littérature française, créateur d'un site web de recherches et activités littéraires, modérateur de la liste de diffusion LITOR (littérature et ordinateur)
Henri Slettenhaar (Genève) / Professeur en technologies de la communication à laWebster University
Jacques Trahand (Grenoble) / Vice-président de l'Université Pierre Mendès France, chargé de l'enseignement à distance et des TICE (technologies de l'information et de la communication pour l'éducation)
Christian Vandendorpe (Ottawa) / Professeur à l'Université d'Ottawa et spécialiste des théories de la lecture
Russon Wooldridge (Toronto) / Professeur au département d'études françaises de l'Université de Toronto et créateur de ressources littéraires librement accessibles en ligne
BILAN, par Marie Lebert
[Genèse / Les débuts / Pourquoi par courriel? / Pourquoi ces questions? / Pourquoi les mêmes questions aux uns et aux autres? / Pourquoi sur plusieurs années? / Pourquoi en plusieurs langues? / Tentatives auprès des "canaux dirigistes" / Publication sur le Net des études françaises / Bilan sur les questions posées, et leurs réponses / Quelques chiffres / Le Livre 010101 / Les Entretiens sont eux-mêmes un réseau / La suite des Entretiens / Publications issues des Entretiens]
Profession: traductrice-éditrice pour gagner ma vie, chercheuse, écrivain et journaliste le reste du temps. Comme tant d’autres, je suis une adepte de l’internet. Je m’intéresse aux bouleversements apportés dans le monde du livre par le réseau et les technologies numériques. Entre 1998 et 2001, je conduis des entretiens par courriel avec une centaine de professionnels du livre et de la presse, et apparentés, souvent à plusieurs reprises (une fois par an environ) avec les mêmes correspondants. En 2001, je rassemble le tout dans un livre d’enquête. En 2002, j’en fais une synthèse. Récit. [14 septembre 2002]
= Genèse
Mon premier contact avec le web date d’avril 1996. Je commence à m’y intéresser de près en décembre 1997. A l’époque le réseau est en pleine expansion. On assiste aux prémices de ce qu’il va rapidement devenir, soit, entre autres, une formidable encyclopédie, une gigantesque bibliothèque, une immense librairie, un organe de presse des plus complets, et plus important encore, un nouveau moyen de faire circuler l’information et le savoir. De plus, au cours de l’année 1998, d’embryonnaire avec quelques dizaines de sites québécois, le web francophone devient progressivement l’oeuvre de toute la communauté francophone. On devine aussi les débuts de fortes secousses numériques dans l’industrie du livre imprimé. Le tout forme un sujet passionnant, insaisissable, avec de mois en mois des éléments nouveaux dans un domaine jusque-là relativement statique. Ce sujet m’intéresse. Je décide de lui consacrer du temps.
= Les débuts
Entre décembre 1997 et juin 1998, je me promène sur la toile à la recherche de sites et de ceux qui les font. Recherche de lien en lien, école buissonnière, utilisation des moteurs de recherche existants, surtout AltaVista pour le web international et Yahoo! pour le web francophone. A l'époque il est encore possible - mais plus pour longtemps - de faire le tour de la toile sur un sujet donné sans trop se perdre dans ses multiples méandres. Sous-entendu: la quantité de pages web est encore lisible par un seul individu. En bref, je me fais ma propre culture du réseau (une expression un peu pompeuse peut-être…) avant de contacter les gens.
En juin 1998, en utilisant les adresses électroniques trouvées sur les pages d’accueil, je contacte par courriel une cinquantaine de professionnels du livre et de la presse particulièrement actifs sur le réseau, l’expression "professionnels du livre et de la presse" étant à prendre au sens large puisqu’elle englobe écrivains, journalistes, éditeurs, libraires, bibliothécaires, documentalistes, professeurs, traducteurs, linguistes, spécialistes du numérique, etc. Presque tout le monde répond à la parfaite inconnue que je suis, alors que je n'enquête ni pour Le Monde ni pour Libé. Le web des débuts, coopératif, participatif et solidaire, me diront les nostalgiques, et ils ont raison. C’est comme cela que les Entretiens ont débuté.
= Pourquoi par courriel?
Tout d’abord parce que le courriel abolit le temps, les distances et les frontières. Reste le problème de la langue, on y reviendra plus loin. Ensuite parce que répondre par écrit est censé être relativement facile pour les professionnels du livre et de la presse, dont le métier est justement l’écrit. Et enfin parce que cela permet au correspondant d’avoir tout à la fois le temps de réfléchir, de répondre quand il veut, de se relire, de reprendre ses réponses dans les jours qui suivent, et d’en garder une trace.
D’emblée, la "règle du jeu" est que les participants répondent à leur guise à tout ou partie des questions, dans leur délai qui leur convient, qui va du jour suivant à plusieurs mois après. Je suis souvent séduite par leur disponibilité malgré une activité professionnelle prenante. Je suis souvent séduite aussi par la qualité de leurs réponses. Réponses courtes ou longues, envoyées toutes ensemble ou en plusieurs fois, sans discussion ou avec. Pour certains, il s’agit d’une simple réponse à un questionnaire, pour d’autres il s’agit d’un échange sur plusieurs courriels, d’où le terme "entretiens". Beaucoup me disent que ces questions leur donnent l’occasion de réfléchir sur des thèmes essentiels, par exemple la place que conserve l’imprimé dans leur vie, les avantages qu'ils voient au numérique, ou encore ce qu’ils entendent par société de l’information.
Point important, les professionnels sollicités ont des profils variés. Il se trouve que, sur les 97 participants, les différents corps de métiers sont à peu près correctement représentés: 14 écrivains, 7 journalistes, 10 éditeurs, 12 bibliothécaires-documentalistes, 12 professeurs, etc. Point tout aussi important, les participants ne sont en aucune façon choisis en fonction de leur notoriété. Ils sont choisis en fonction de leur expérience du numérique et de l’intérêt de celle-ci. Si certains ont de gros moyens financiers et bénéficient de l’appui des médias, d’autres se débrouillent avec conviction et sans moyens dans un anonymat relatif ou total, et il est grand temps de leur donner aussi la parole.
Entre 1998 et 2002, au fil de mes voyages, ou dans le but précis de faire leur connaissance, je rencontre plusieurs correspondants, à Paris, en Normandie, à Genève, à Montréal, à San Francisco ou ailleurs. A la date d'aujourd'hui, j’ai rencontré 32 correspondants sur les 97 interviewés, et j'ai l'intention d'en rencontrer encore quelques autres. Mais, même dans les rares cas où il m'est arrivé de rencontrer un correspondant en personne avant de lui proposer un entretien, l’entretien véritablement dit a toujours eu lieu par courriel. J'ai refusé les propositions d’entretiens verbaux, non pas pour m'éviter la fatigue de les retranscrire, mais pour les raisons évoquées plus haut.
= Pourquoi ces questions?
Je voulais absolument éviter tout ce dont j’ai moi-même en horreur, c’est-à -dire les questionnaires à trous, les réponses par oui ou par non, les réponses dans les huit jours, les réponses où on vous demande d'emblée de faire court même si, pour une fois, vous avez des choses à dire, les réponses à but uniquement statistique où on vous considère non pas comme une personne mais comme un numéro, etc.
Je voulais offrir à chacun une certaine liberté. Liberté de choix: chacun répond uniquement aux questions jugées intéressantes. Liberté de temps: pas de délai. Quand les gens prennent le temps de vous répondre sur des sujets relativement difficiles, la moindre de choses est de ne pas "leur mettre la pression". Liberté de parole: les réponses sont toutes publiées dans leur intégralité, et les correspondants qui le souhaitent peuvent les modifier dans les jours suivant publication. Liberté d’exploitation (quel horrible mot…): chacun peut bien sûr réutiliser son texte à sa guise.
En 1998, les questions concernent l’activité de chacun: aussi bien l'activité professionnelle que l'activité liée à l’internet, qui sont parfois différentes. Si possible aussi un descriptif du site web ainsi qu'un historique, tout comme une description rapide de l’organisme émetteur s’il y a lieu. Eventuellement une courte biographie de l’auteur, pour expliquer comment il en est venu à l’internet. Et enfin la vision que chacun a de l’avenir, soit pour son activité, soit pour l'activité de l'organisme dont il relève, soit pour l’internet lié au livre, soit pour l’internet en général.
Un an après, j’envoie de nouvelles questions aux personnes interviewées en 1998. Nous sommes dans un domaine qui évolue très vite, et il se passe tellement de choses d’une année sur l’autre qu’il m’apparaît plus important de contacter les mêmes personnes que de multiplier à l’infini le nombre des participants (je limite ce nombre à cent). Dans les 47 personnes interviewées en 1998, 14 s’en tiennent à un seul entretien et 33 poursuivent les années suivantes, une ou plusieurs fois de suite. Parallèlement, je contacte aussi d’autres personnes, le plus souvent par le même biais, à partir de leur site web. Les nouveaux participants venant s’ajouter aux "anciens" sont au nombre de 9 en 1999, 25 en 2000 et 16 en 2001.
En 1999, les nouvelles questions posées ont trait au multilinguisme, au droit d’auteur, à l’accessibilité du web pour les aveugles et malvoyants, et aux souvenirs personnels (meilleur et pire souvenir) liés au réseau. En 2000, elles concernent l’imprimé, le livre électronique et, pour les auteurs hypermédias, le rôle que joue l’hyperlien dans leur écriture. En 2001, les questions envoyées visent essentiellement à actualiser et compléter les réponses des années précédentes, et poser à nouveau les questions laissées de côté jusque-là .
Certains ne sont pas intéressés par les questions proposées telle ou telle année, et me disent préférer "passer leur tour" jusqu’à l’année suivante. Ou alors ils me disent ne rien avoir à ajouter pour le moment, y compris pour l'actualisation des informations, les choses n’avançant souvent pas aussi vite qu’ils l’auraient souhaité. Sur les 97 personnes ayant participé aux entretiens entre 1998 et 2001, 48 personnes participent une fois, 32 personnes participent à deux reprises (et pas toujours d’une année sur l’autre, pour les raisons que je viens d'évoquer), 13 personnes participent à trois reprises, et 4 personnes participent à quatre reprises.
Les questions ont un effet de cumul d’une année sur l’autre, si bien que les personnes contactées en 2000 ou 2001 se trouvent avoir des questionnaires nettement plus longs que les personnes contactées en 1998 et 1999.
= Pourquoi les mêmes questions aux uns et aux autres?
Si je décide de poser les mêmes questions aux uns et aux autres, ce n’est bien sûr ni par souci de rapidité, ni pour éviter de me fatiguer, ni parce que je manque d’imagination. C’est le meilleur moyen que j'aie trouvé de rassembler de nombreux avis sur le même sujet, pour pouvoir ensuite juxtaposer et éventuellement recouper ces réponses. Ceci m'est notamment très utile pour écrire certains passages du Livre 010101 sans me contenter de généralités un peu faciles, sinon de platitudes. De plus, comme, à partir de 1999, les Entretiens sont disponibles en ligne, plusieurs correspondants me disent avoir plaisir à lire les différentes réponses aux questions sur lesquelles ils ont eux mêmes "planché". Ils me disent aussi être souvent surpris par la diversité de ces réponses, par exemple, en 2000, le sentiment de chacun sur le livre électronique (e-book), qui vient de faire son apparition.
= Pourquoi sur plusieurs années?
Comme dit plus haut, je préfère interviewer les mêmes participants sur plusieurs années, à raison d'un entretien par an environ, plutôt que de multiplier le nombre des participants. A la réflexion, je suis heureuse d’avoir adopté cette démarche, qui était au début un peu intuitive.
Chose qui était pressentie par beaucoup dès 1998, les années 1998-2001 s'avèrent bien des années charnières pour le développement de l’internet et des technologies numériques dans le monde du livre et de la presse. Ces années apportent des changements considérables, à savoir en 1998 la création de nombreux sites, en 1999 le développement d’un web à la fois francophone et multilingue, en 2000 le passage du papier au numérique et les perspectives du tout numérique, et en 2001 des pronostics revus à la baisse pour le numérique qui, plutôt que de faire cavalier seul, semble parti pour cohabiter avec l’imprimé pendant pas mal d’années. Les réponses des uns et des autres sur plusieurs années permettent de mesurer cette évolution de l’intérieur.