L'Illustration, No. 0045, 6 Janvier 1844.Nº 45. Vol. II.--SAMEDI 6 JANVIER 1844.Bureaux, rue de Seine, 33.Ab pour Paris.--3 mois, 8 fr.--6 mois. 16 fr.--Un an, 30 fr.Prix de chaque Nº, 75 c.--La collection mensuelle br., 2 fr. 75.Ab. pour les Dép.--3 mois, 9 fr.--6 mois, 17 fr.--Un an, 32 fr.pour l'Étranger.  --    10       --   20      --   40SOMMAIRE.Histoire de la semaine.Éruption de l'Etna; Portrait de Tyler; Portrait et maison de Brune; Monument élevé à la mémoire du duc de Beaujolais, à Malte.--Courrier de Paris.--Le Parjure, romance; paroles et musique de M. Amédée de Beauplan avec une Gravure.--Théâtres. Le Laird de Dumbicky; André Chénier; le Médecin de son Honneur; Paris dans la comète; Gerolstein; une Idée de Médecin.--Projet de Perfectionnement de la Navigation à la vapeur et Suppression de la Cheminée dans les Bateaux, par M. Lefebvre.Trois gravures.--Séance de la Société Philotechnique.Une Gravure.--Institution Royale des Jeunes Aveugles.Cinq Gravures.--Les Caprices du Cœur, nouvelle (1re partie), par Marc Fournier.--Publications Illustrées.--La Belgique monumentale, artistique et pittoresque,quatre Gravures; la Tente de Charles le Téméraire.--Correspondance. --Annonces.--Janvier,Une gravure.--Modes.Une Gravure. --Une lettre d'un habitant de Concarneau.--Rébus.Histoire de la Semaine.Le discours d'ouverture de la session a le privilège d'occuper longtemps l'attention publique. Pendant un mois on le discute, on le paraphrase, on le commente. La Chambre s'est réunie dans ses bureaux cette semaine pour nommer la commission qui devra préparer sa réponse, et jusqu'à ce que ce projet d'adresse lui ait été apporté, jusqu'à ce qu'une discussion, qui s'annonce devoir être, animée, ait été mise à l'ordre du jour, les travaux législatifs seront en quelque sorte suspendus, les grands acteurs politiques demeureront dans la coulisse. M. Sauzet pourra, près de sa sonnette immobile, se remettre des émotions que lui a causées sa réélection trop longtemps incertaine.Un autre discours vient d'avoir du retentissement dans les deux mondes. Le message du président des États-Unis, M. Tyler, lu par lui à l'ouverture du congrès américain le 5 décembre, traite avec netteté et résolution des questions délicates qui touchent aux intérêts et à l'honneur de l'Union, que l'Angleterre envisage d'un point de vue à M. Tyler, président actuel desÉtats-Unis.elle, et dont la solution commande l'attention de la France. Nous devons remarquer avant tout dans le travail de M. Tyler le passage qui concerne le droit de visite et la traite des noirs. On sait que les États-Unis se sont formellement refusés vis-à -vis de l'Angleterre à la reconnaissance du droit qu'elle voulait généralement établir, et qu'il a été stipulé dans le traité Ashburton un autre mode de répression pour le traite des nègres. Le président s'est félicité des mesures qui ont été prises, et a exprimé hautement l'opinion qu'elles suffiraient pour amener l'abolition de la traite. La résistance de l'Union et les résultats du parti qu'elle a fait adopter sont pour nous un bon exemple et une utile expérience. Nous voudrions avoir à annoncer que ce document permet de compter sur une réduction du tarif américain. Malheureusement l'amélioration de la situation financière des États, due à de tout autres causes, fait illusion à leurs hommes politiques, et les porte à penser que la surcharge des droits à l'importation n'y est point étrangère. Le président Tyler parle du Texas et repousse les prétentions mexicaines de façon à ne pas permettre de douter que l'entrée dans l'Union du territoire texien ne soit prochaine. Quant au territoire d'Orégon et à sa délimitation définitive il annonce la ferme détermination de soutenir dans leur juste rigueur les droits de l'Amérique et de ne céder à aucune prétention non justifiée de l'Angleterre. Cette déclaration, comme aussi l'annexation probable du Texas, ont causé à Londres une vive émotion. Les feuilles ministérielles n'ont pas craint de dire que si l'opinion du président n'était pas désavouée par la majorité du congrès, c'était la guerre. Du reste, l'influence anglaise lutte et se débat péniblement dans l'Amérique du Nord. Au Canada, où l'ancien parti français avait conquis le pouvoir, une crise nouvelle vient de se manifester, mais rien n'annonce qu'elle doive donner plus d'action sur la marche des affaires au gouverneur anglais.Pour l'Amérique du Sud, une correspondance du Buenos-Ayres, publiée par leSun, assure que la rupture du gouvernement de Rosas avec celui du Brésil était complète au 23 octobre. On attribue ce conflit à des notes assez vives qui se seraient échangées entre le cabinet buénos-ayrien et l'ambassadeur brésilien, M. Duarte, à propos de l'attitude qu'aurait prise, dans les affaires de Montevideo M. Sinimber, consul de l'empereur dans cette dernière ville. La même correspondance parle de l'expulsion de M. Leitte, consul-général de Portugal à Montevideo, expulsion qu'aurait provoquée le général Riveira. La position des nombreux nationaux que nous comptons sur cette rive est toujours aussi menacée.La session législative du grand-duché de Bade est ouverte, et déjà la Chambre des Députés s'est occupée de diverses questions importantes qui montrent l'esprit dont elle est animée. On a demandé la présentation d'un projet de loi pour l'établissement du jury, et le rétablissement de la liberté de la presse dégagée de la censure et de toute procédure secrète.--A Athènes, l'assemblée nationale poursuit ses travaux sous la présidence de son doyen d'âge, qu'elle a maintenu au fauteuil à la presque unanimité. M. Notaras, auprès duquel tous les doyens de nos assemblées Françaises ne sont que de jeunes étourdis, est âgé decent sept ans. On discutait au départ des derniers navires la loi électorale et les conditions d'éligibilité.--En Espagne, les Chambres n'auront de longtemps sans doute rien à discuter. Narvaez leur a fait ces loisirs. Le parti qui se dit modéré était embarrassé de savoir comment il se tirerait, en présence des Chambres, de l'accusation qu'il avait voulu intenter à M. Olazaga et dont le projet a été renvoyé à une majorité favorable à l'ancien ministre, et des mesures réclamées par l'opinion publique contre l'état-major qui a été briser les presses et détruire le matériel des journaux de Madrid suspects d'opinions hostile? Il a trouvé un moyen de répondre à tout, ou plutôt de n'avoir à répondre à rien. Le 25, on est venu lire aux deux Chambres un décret qui ne dissout pas les cortès, qui ne proroge pas leur session, qui la suspend sans ajournement fixe. On s'était d'abord proposé de demander aux Chambres, avant de les congédier, l'autorisation de percevoir les impôts; mais on a réfléchi que cela amènerait inévitablement une discussion, et c'est ce qu'on avait à cœur d'éviter à tout prix. On va donc gouverner par ordonnances, l'armée aidant et jusqu'à ce qu'elle en aide un autre, sauf à venir plus tard demander un bill d'indemnité. C'est du moins quelque chose d'assez net et d'infiniment préférable à nos yeux, sous le rapport de la dignité, à la comédie jouée à l'occasion de lu déclaration royale. La reine-mère Marie-Christine se dispose à retourner à Madrid au commencement du mois de février. On paraît ne pas douter que sa présence, ses conseils et surtout ses millions pourront être d'un grand secours pour vaincre les difficultés qu'on est destiné à rencontrer. Pendant ce temps-là la lutte engagée à Figuières entre Ametler et Prim se poursuit avec acharnement, et bientôt il n'y aura plus autour d'eux que des ruines et la mort.Les lettres de Tunis annoncent, que, par suite des démêlés survenus avec la Sardaigne, le bey s'attend à voir arriver une flotte sarde, et qu'il a donné des ordres pour que le port fût immédiatement mis en état de défense. Les juifs eux-mêmes sont forcés de travailler aux fortifications; 15,000 hommes sont échelonnés sur divers points de la côte. On fait venir de Leghorn de la poudre, des armes; tout dans le pays a pris l'aspect de la guerre.--Si le bey de Tunis enrégimente les juifs de ses États, le roi de Danemark annonce également la louable intention d'enrégimenter tout le monde. Par les lois de ce royaume, sur le recrutement de l'armée de terre et de mer, qui datent du commencement du seizième siècle, époque où le servage, existait encore en Danemark, les paysans seuls sont tenus de faire le service militaire; et les autres citoyens, c'est-à -dire tous ceux qui sont fils de bourgeois, s'en trouvent exemptés par droit de naissance. Cet état de choses qui déjà , depuis longues années, a fait naître les plus vives plaintes, va être aboli. Le roi Christian vient d'ordonner qu'il sera soumis aux états provinciaux un projet de loi qui imposera à tous les Danois, sans aucune distinction de naissance, de rang ou de position sociale, l'obligation de servir dans l'armée de terre ou dans la marine. Le texte de ce projet a été publié dans le journal officiel de Copenhague.En attendant l'ouverture des débats de son procès, toujours fixée au 15 de ce mois, en attendant aussi la révocation du vice-roi d'Irlande, lord de Grey, mesure prochaine, à ce qu'on paraît croire, O'Connell porte la terreur dans d'autres rangs encore que ceux des orangistes. Voici ce qu'il écrit de l'abbaye de Derryane à un de ses amis: «Quel homme sans goût que cet avocat-général, de ne pas avoir voulu me laisser quinze jours encore dans mes montagnes! Hier nous avons eu une chasse superbe, nous avons tué cinq lièvres, et je l'ai suivie jusqu'au bout. Elle a duré cinq heures trois quarts. Les lièvres ont été tués à trois minutes d'intervalle l'un de l'autre. Tout retentissait de cris de joie que les échos répétaient. Jamais, depuis cinq années, je ne me suis trouvé plus dispos, et vous rirez quand vous saurez que j'ai été moins fatigué que plusieurs jeunes gens. Il nous a fallu faire trois milles pour rentrer. Je ne comptais pas sur une aussi belle chasse, car plusieurs de mes chiens: étaient morts de maladie; je les ai presque pleurés, mais les autres m'ont indemnisé. Si le temps est sec demain, je compte faire une nouvelle partie de chasse.» L'infatigable agitateur!!!Éruption de l'Etna, les 17 et 18 décembre 1843.Une longue et désastreuse éruption de l'Etna vient d'affliger la Sicile. Pendant dix jours le volcan a lancé des cendres brûlantes et vomi des flots de lave qui se sont répandus comme une mer dévorante et ont menacé de détruire la ville de Bronte. Les versants d'un mont ont heureusement fait dévier le courant. Mais dans son parcours, qui a été de deux lieues en ligne directe et de trois environ en tenant compte des déviations, la lave, qui présentait une largeur de soixante à soixante-dix pieds et une épaisseur de huit à dix, a tout détruit et fait des victimes nombreuses. De nouveaux cratères se sont manifestés et ouverts; une scène affreuse, entre autres, s'est passée près de la Cartiera, sur la route de Bronte à Catane. La lave s'était amoncelée dans un bas-fond où il se trouvait de l'eau, et elle y avait formé un monticule fort élevé auprès duquel s'étaient rassemblés un grand nombre de curieux et beaucoup d'ouvriers qui travaillaient à couper du bois, quand tout à coup la vapeur produite par l'ébullition de l'eau et les gaz comprimés dans l'intérieur de cette masse ont fait explosion. Pus de soixante personnes ont été brûlées ou tuées sur ce seul point par les vapeurs corrosives ainsi que par les éclats de la lave encore rouges, lancés à la distance de plus de cent cinquante mètres. Des voitures, des chevaux, des mulets, qui avaient été amenés par des voyageurs, se sont trouvés sans maîtres, et il a été impossible ni de compter les morts ni de savoir quels ils étaient, la plupart étant restés ensevelis sous les sables brûlants, les laves et les débris lancés par l'explosion.Mausolée du duc de Beaujolais, à Malte.Le 5 décembre dernier, à Malte, le consul de France, les officiers de la marine française et M. le baron Taylor, chargé d'une mission à cet effet, ont procédé avec pompe à l'inauguration du nouveau mausolée que le roi des Français vient de faire élever sur la tombe de son frère le duc de Beaujolais. La sculpture de ce monument est due au ciseau de M. Pradier. Les autorités civiles, maritimes et militaires, ainsi que le gouverneur, les amiraux Owen et Curtis, les consuls des diverses puissances, les commandants des bâtiments de guerre mouillés dans le port, ont assisté à la cérémonie. La chapelle ardente avait été placée sons la grande voûte de l'église; elle était surmontée des armes de la famille d'Orléans. L'église était entièrement tendue de noir. Le principal fort tirait un coup de canon de minute, en minute, et lorsqu'on a découvert le cercueil du duc de Beaujolais, le steamer français leVélocea fait un salut de vingt et un coups. Tous les bâtiments de guerre avaient leurs pavillons à mi-mât, et leurs vergues en croix.Casimir Delavigne a laissé une place à l'Académie et une autre à la bibliothèque de Fontainebleau. Cette double succession donne lieu à beaucoup de courses, de visites, de placets et de lettres de toute sorte, M. Alexandre Dumas a fait imprimer celle qui suit dansle Siècle, c'est-à -dire 10 mille exemplaires: «Monsieur le rédacteur, plusieurs journaux ont annoncé que j'avais sollicité et obtenu la place de bibliothécaire à Fontainebleau. Veuillez, je vous prie, démentir cette nouvelle, qui n'a aucun fondement. Si j'avais ambitionné un des Fauteuils que l'illustre auteur desMesséniennesou del'École des Vieillardsa laissés vacants, c'eût étéseulementson Fauteuil d'académicien. Veuillez agréer, etc.»--Seulement!--Un autre trait épistolaire a été lancé contre l'Académie par l'intendance de la liste civile. Le chef du cabinet, répondant à un solliciteur qui faisait valoir nous ne savons quels titres pour obtenir la place de bibliothécaire à Fontainebleau, lui a écrit officiellement que «cette place ne sera donnée qu'à un académicien OU à un homme de lettres.» C'est bien différent.Brune, décédé à Rouen,le 25 décembre 1843.La Normandie vient encore d'avoir à pleurer un de ses plus utiles et, disons-le, un de ses plus nobles enfants. Tous les Parisiens qui ont fait le voyage de Rouen ont remarqué à l'entrée du pont suspendu un petit édifice d'un goût simple et sévère, portant au front une table de marbre avec cette inscription: «A LOUIS BRUNE.La Ville de Rouen.» Cette maison avait été élevée aux frais de la ville, comme témoignage de reconnaissance publique, pour une longue série d'actes de courage et de dévouement. Louis Brune avait sauvé la vie à quarante-quatre personnes, qu'il avait, en exposant la sienne, retirées des flots. Malgré les récompenses dont il avait été l'objet il était lauréat du prix Montyon, chevalier de la Légion-d'Honneur, décoré de sept ou huit médailles, pensionné, malgré le retentissement justement donné à ses belles actions, Louis Brune était resté simple, bon et dévoué. Le jour, la nuit, à toute heure, il veillait, cherchant l'occasion d'exposer sa vie! A ceux qu'il avait sauvés il ne demandait qu'un souvenir, et le nombre en était si grand qu'il avait oublié le nom de plus d'un d'entre eux. Cet homme, dont l'existence était si précieuse, et qui, aimé, révéré de tous, avait tant de motifs pour la chérir; cet homme au cœur duquel il est impossible de prêter une pensée faible, une détermination coupable, s'est jeté du haut du pont de pierre de Rouen, et s'est ouvert le crâne.Maison de Brune à RouenCet inexplicable événement a consterné la ville entière. La mort de ce héros d'humanité a donné lieu à la publication d'une note sur sa vie que lui-même avait racontée et en quelque sorte dictée à un des journalistes rouennais, auxquels nous empruntons tous les détails de ce récit: «En 1816, j'avais neuf ans (il est mort à trente-six), je venais de perdre mon père, qui était chargeur au routage; ma mère restait avec quatre petits enfants. On me mit dans les manufactures. Le pain valait neuf sous la livre. Je gagnais six sous par douze heures de travail... Et quoique tout petit, je voyais bien la misère de notre maison; eux étaient presque toujours malades au lit; je laisse à deviner pourquoi... Moi, je les soignais: c'était mon affaire, puisque j'étais le plus fort. Mais les six sous des mécaniques ne me suffisaient pas; pourtant j'y suis resté sept ans. On me prêta deux seaux, un cercle, des bricoles; me voilà porteur d'eau. C'était un peu mieux, surtout quand je pus ajouter à cette profession celle de porteur de poisson à la halle. Je ne boudais pas au travail, et j'apportais toujours quelque chose à la maison. Enfin, on me fit concurrence, et je quittai le métier pour un troisième. Ah! celui-là ne m'allait guère. Faut-il le dire? Je servis pendant quatre ans comme domestique. Écoutez donc! mon maître, qui était un brave homme, avait promis de nourrir, de soigner ma mère et mes frères;ça m'avait touché en dedans!et j'avais accepté. Du reste, il a tenu parole. Mais je n'étais pas heureux, et plus d'une fois je voulais en finir, comme autrefois dans les mécaniques, en plaçant ma main dans un engrenage; c'était une bêtise, parce que le bon Dieu est bon, et qu'il y a toujours de la ressource quand on est honnête homme. Mais je vous dis tout. Apprenti carrossier pendant trois semaines à 50 centimes par jour, je quittai encore l'atelier. Cette fois, c'était faute de tablier de cuir. Puis je travaillai successivement aux pilotis, au déblai de la Seine, comme plongeur. Alors, j'étais un homme: on me payait bien, et on ne manquait plus de rien chez nous. A présent, grâce à tout le monde, j'ai la croix, une belle maison près de la rivière, et gare à ceux qui se jettent à l'eau, je les repêche sans miséricorde!»--Le convoi de Brune a été suivi par le deuil public, par la population tout entière.La fin de 1843 et le commencement de 1844 ont été féconds en morts illustres. Rouen encore a vu mourir son archevêque, M. le prince de Croi, grand-aumônier sous la Restauration. --La Suède a perdu un de ses plus savants médecins, le seul élevé de l'illustre Linné qui vécut encore, M. d'Afzéhus, professeur à l'Université d'Upsal, qui est mort à quatre-vingt-treize ans.--Un homme qui avait, de son vivant, distribué une partie de sa fortune aux malheureux, M. le comte Léon d'Ourches, qui a donné 200,000 francs à la Colonie agricole de Mettray, 60,000 francs aux victimes du désastre de la Pointe-à -Pitre, et une foule d'autres riches offrandes à des œuvres et à des établissements de charité, vient de mourir en son château, près de Metz.--Enfin, un homme qui laissera un des noms les plus honorables parmi les citoyens utiles, Mathieu de Dombasle, qui, lui, a tant fait pour l'agriculture, si négligée chez nous, Mathieu de Dombasle a terminé trop tôt une carrière dont les travaux et les services réclament plus de lignes qu'il ne nous est permis d'en accorder aujourd'hui à chaque mort illustre.Courrier de Paris.Dieu soit loué! Paris commente à prendre du repos et à rentrer dans son lit. Pendant huit jours, il avait brisé les écluses et débordait par les rues. Le 1er janvier fait de Paris une véritable mer agitée: tout y va, tout y vient; le flux et le reflux ne vous laissent ni repos ni relâche: partout, à droite, à gauche, ici et là , ce sont des flots qui se déroulent, des vagues qui se rencontrent et qui se heurtent.Où va cette multitude tumultueuse? qui la pousse ainsi? que veut-elle? sans doute quelque joie immense la précipite par toutes tes les voies ouvertes dans la ville? elle court après un grand plaisir ou un bonheur inouï? Pas le moins du monde: consultez chacun de ces bipèdes effarés, femmes, hommes, jeunes gens, vieillards, priez-les de vous donner le fin mot de toute cette agitation, et surtout faites-leur compliment du plaisir qu'ils y trouvent: «Maudit jour! s'écrieront-ils, peste soit du 1er janvier! au diable les étrennes!» et cependant nos gens continuent de se démener à perdre haleine; les uns barbotent de pavé en pavé, les autres se disputent lesomnibuset les fiacres; ceux-là galopent dans leur calèche, ceux-ci trottent comme des facteurs de la petite poste. Quel tapage sur les places publiques et dans les moindres rues? Et notez, pour ajouter au charme du tableau, que le 1er janvier est invariablement inondé de pluie. Le ciel ne veut pas qu'on l'accuse de lésiner sur la question des étrennes, et, pour s'épargner l'ennui des menus détails, il gratifie tous les ans Paris d'une ondée générale; charmant cadeau dont chacun reçoit les éclaboussures.Cette année le ciel s'est montré d'une générosité sans pareille il a humecté le jour de l'an des pieds à la tête. Il fallait le voir, ce jour infortuné, trempé jusqu'aux os, crotté jusqu'à l'échiné, incitant le pied dans le ruisseau, se glissant le long des gouttières, et engageant de tous côtés une humble mêlée de parapluies. Singulier spectacle qui montre pendant vingt-quatre heures tout un peuple pataugeant avec un sac de bonbons dans une poche, une poupée dans l'autre; dans la main un polichinelle et un cheval sous le bras!Mais enfin Paris en est quitte; il a douze mois de répit: jusqu'au 1er janvier 1845, on lui permettra de ne pas vivre exclusivement avec les marchands de joujoux et les confiseurs. Depuis quelques heures, Paris est rentré dans sa vie ordinaire, usant son mouchoir à essuyer tous les baisers et toutes les embrassades qu'il a donnés et reçus aux frais de la nouvelle année, et pansant les saignées faites à sa bourse. --Une moitié de la ville est mélancolique; c'est la moitié qui a acheté les bonbons; l'autre, qui les a vendus ou mangés, se montre d'une humeur charmante.Mais il est bien question de pastilles et de joujoux! Le 1er janvier a produit des choses autrement graves: il nous a ramené MM. les députés; diable! gardons-nous d'en rire. Il ne s'agit ici, comme on sait, ni de pantins ni de marionnettes; et si nos honorables nous font avaler plus d'une dragée, les dragées représentatives ne ressemblent guère à celles de Boisselier ou de Marquis; le budget, entre autres, le budget, bonbon monstre, n'est pas d'un goût aussi fin ni d'une digestion aussi facile. Le député est donc, en ce moment, l'objet le plus en vogue: il y a six mois qu'on n'en voyait plus, et le besoin commençait à s'en faire généralement sentir; six mois! c'est plus qu'il n'en faut pour vous remettre en crédit dans ce pays adorable. Vous semblez maussade, vous êtes devenu banal et insupportable, on ne veut plus de vous; dès que vous paraissez, on bâille et l'on tourne le dos: «Qui nous délivrera de cet ennuyeux,» dit-on; c'est tout au plus si l'on vous croit bon à divertir la bonne d'enfants et la portière; faites un voyage de six mois; disparaissez pendant six mois; que pendant six mois on n'entende plus parler de vous, et vous reviendrez un homme charmant; il n'y a rien de tel que l'absence pour rajeunir les choses et les hommes, et assaisonner d'un certain sel de nouveauté les plus décrépits et les plus insipides.Dieu nous garde de penser et surtout de dire que MM. les députés ont besoin de s'absenter pour être exquis; ils le sont toujours, la France le sait; mais enfin, ils subissent la loi commune: un semestre de silence les rend plus piquants au retour et remet le public en appétit.Le foyer de l'Opéra gagne beaucoup à l'ouverture des chambres; la chronique y languissait; on avait épuisé la question Carlotta Grisi; on était à bout de notes diplomatiques sur madame Stoltz et Duprez; et lemémorandumMaria, Forster et Adèle Dumilatre, n'offrait plus qu'un médiocre intérêt; la Chambre est venue se jeter fort à propos à travers ces questions languissantes et les ranimer en variant leur monotonie; le foyer de l'Opéra, depuis le discours de la couronne, a repris une physionomie curieuse et affairée; on y glisse agréablement l'affaire de l'adresse entre une discussion sur telle roulade ou sur tel rond de jambe, et la querelle de la présidence a singulièrement servi à donner de l'importance à la nouvelle du voyage entrepris par M. Léon Pillet à la recherche d'un ténor.La découverte du précieux ténor n'est pas encore faite, bien que M. le directeur de l'Opéra courre après ce phénix, bride abattue, tout à travers les Alpes; mais le président de la Chambre est déjà trouvé ou plutôt retrouvé; un ténor serait-il un oiseau plus rare qu'un président?On sait que c'est M. Sauzet, l'élu constitutionnel des trois dernières années, qui est remonté au fauteuil, en passant sur le corps à M. Dupin, qu'on avait essayé de mettre en travers, pour lui barrer le passage. Or, il paraît que M. Sauzet, le meilleur homme du monde et de l'éloquence la plus fleurie, n'est pas encore aguerri contre les émotions de cette lutte annuelle. Je tiens de son médecin que plus d'un mois avant la session, l'honorable député du Rhône éprouve invariablement des inquiétudes abdominales qui ne font qu'augmenter de jour en jour, jusqu'à l'heure fatale où la grande bataille de la présidence doit se décider; alors le malaise redouble, et M. Sauzet a grand peine à se posséder. La dernière candidature de M. Dupin avait rendu la victoire de M. Sanzet plus incertaine que de coutume. Un spirituel député du centre gauche, qui connaît le faible de M. Sauzet, demanda à un ministre, la veille du combat définitif: «Monsieur, avez-vous vu Sauzet ce matin? Comment vont ses entrailles?» On peut affirmer qu'aujourd'hui les entrailles de M. Sauzet se portent à ravir; mais, en revanche, les entrailles de M. Dupin sont peut-être un peu souffrantes.En même temps que l'ouverture de la session, on nous annonce l'ouverture des bals masqués. Faut-il voir la une allégorie? La salle de l'Opéra-Comique a donné le signal; le débardeur y a fait ses premières armes dimanche dernier; l'Académie Royale de Musique, ne voulant pas encourir les reproches de reculer devant cegalopprématuré, annonce ses fameux bals du samedi, bals à grand orchestre, toutes bougies et tous lustres flambants. Ou voit que l'année 1844 n'est pas d'humeur à engendrer la mélancolie et à se donner des airs de cénobite. A peine née depuis huit jours, elle embouche le cornet à piston, et se met en branle. Elle aura de quoi s'amuser, la luronne! Le carnaval est long et lui promet des nuits infinies de cachucha. On ne dira pas du carnaval de cette année ce que la chanson de Bélanger a dit d'un de ses aïeux:Ah! qu'il est court! Ah! qu'il est lourd!Le mercredi des cendres lui donne pleine licence jusqu'au 28 février inclusivement. Janvier et février seront voués tout entiers à l'archet de Musard et à la politique: on se querellera dans les Chambres, et le soir, on fera un tour de valse. Charmante vie!M. le préfet de la Seine pourra faire des heureux: ce n'est pas le temps qui lui manquera. Ces bals de M. de Rambuteau sont des plus magnifiques et des plus enviés; ceux qui y dansent ne se sentent pas de joie; ceux qui n'ont point leur part dans la fête, en meurent d'envie ou en sèchent de dépit. Que de journées employées à faire de la diplomatie pour arriver à cette conquête! Que de nuits sont troublées par l'ennui d'être exclu de ce paradis municipal! Si M. de Rambuteau était tenu de répondre à toutes les ambitions de contredanse, il faudrait qu'il demandât à son collègue le préfet de police l'autorisation d'ouvrir son bal sur la place Louis XV; peut-être même y serait-on à l'étroit, et faudrait-il y ajouter les Champs-Elysées pour succursale.Madame de Pontalba menace de faire pâlir l'éclat des bals de l'Hôtel-de-Ville; ce n'est pas que madame de Pontalba et l'Hôtel-de-Ville aient précisément la même clientèle; l'Hôtel-de-Ville, en bon prince qu'il est, donne la main à ses douze arrondissements, les fait danser et leur sert des sorbets et des glaces avec une affabilité presque roturière; c'est Paris qui saute et se rafraîchit au bal de la préfecture, et, en définitive. Paris c'est un peu tout le monde. Madame de Pontalba n'imite pas ces habitudes bénévoles et démocratiques; elle ne prend ses danseurs que dans la fine fleur du grand monde, et toutes ses valseuses habitent les hauts sommets du faubourg Saint-Germain; il faut avoir eu au moins un aïeul ou deux tués à la bataille de Nicopolis, pour être admis à faire un avant-deux chez madame de Pontalba; et s'il n'est pas prouvé qu'un de vos ancêtres était intime ami de Beaudoin de Jérusalem, on vous refuse le balancez-à -vos-dames et l'on vous destitue du tour-de-main. Ainsi les bals Pontalba et les bals de l'Hôtel-de-Ville ont un mérite très-distinct, ce qui n'empêche pas que l'on puisse porter ombrage à l'autre. Cette année, par exemple, l'Hôtel-de-Ville pourrait bien avoir le dessous et s'éclipser devant Pontalba. «Allez-vous chez madame de Pontalba:» sera évidemment le grand mot de ralliement qui courra cet hiver du salon au boudoir. Longtemps on n'avait fait que cette question: «Allez-vous au bal de l'Hôtel-de-Ville?» D'où vient ce changement? Est-ce que les pèlerinages d'outre-Manche et l'air de Belgrave-Square tourneraient les têtes de l'aristocratie?Le monde raffiné se prépare à faire son plus gracieux accueil à M. le prince Poniatowski, qu'on attend tous les jours d'Italie; le prince vient passer l'hiver à Paris, non pas pour dresser un plan de campagne avec Napoléon, comme aurait pu le faire naguère son illustre père, mort glorieusement dans la retraite de Russie; M. le prince Poniatowski actuel, fils du héros infortuné, est un parfait musicien qui arrive tout exprès pour chanter, de sa belle voix, des airs qu'il compose lui-même, et pour faire le bonheur de nos charmantes petites Parisiennes: «Un prince qui chante si bien! un Poniatowski auteur de si jolies romances! mais c'est délicieux! ravissant! ne trouvez-vous pas cela divin, ma chère?»-M. de Poniatowski ne va pas seulement sur les brisées de mademoiselle Loïsa Puget, de Bérat et de Labarre, il court après la gloire de Mozart et de Rossini; l'Italie a eu en ce genre des échantillons de son savoir-faire: M. Poniatowski l'a gratifiée d'un ou de deux opéras de son crû. On cite entre autre un ouvrage intitulé: Bonifacio di Geremei; peut-être M. le prince Poniatowski nous fera-t-il aussi le plaisir de nous faire entendre ses opéras; pourquoi Paris serait-il plus malheureux que ne l'a été Florence? Quoi qu'il en soit, il est évident que M. le prince Poniatowski va succéder, dans le monde parisien, à M. le prince Belgioso, longtemps célèbre ici par les charmes de sa voix et ses autres talents d'agrément. M. Belgioso a quitté Paris depuis un an, le volage! Il a bien fallu lui donner un remplaçant: prince pour prince, ces dames n'y perdront rien.On marie et on tue les gens, dans ce pays-ci, avec un aplomb remarquable. Remontez-vous au fait, vous trouvez que l'homme marié est toujours un parfait célibataire, et que la défunte et le défunt sont plus vivants que jamais. Ainsi, l'autre jour le bruit de la ville m'avait conduit adresser l'autel nuptial pour M. Berryer et madame la marquise de Sommariva; eh bien! j'en suis pour ma corbeille de mariage! M. Berryer n'a nulle intention de s'afficher à la mairie, et madame de Sommariva continue à vivre en paix dans le veuvage. Et moi, qui avais déjà commandé mon babil de noces! je vais intenter une action en dommages et intérêts,--contre qui?--contre l'air, contre le vent qui nous apportent tous ces contes inventés par on ne sait qui, et venus on ne sait d'où?Tandis qu'on mariait M. Berryer malgré lui, on tuait ma dame Catalani sans plus la consulter; il est vrai qu'on la ressuscitait le lendemain. L'illustre cantatrice a été morte et vivante trois ou quatre fois dans la même semaine. Tout, compte fait, il paraît malheureusement que madame Catalani est positivement morte: un journal musical donnait hier la triste nouvelle d'une façon si affirmative et d'un air si candide qu'il est difficile d'en douter, à moins qu'il n'y ait plus aucune espèce de bonne foi sur la terre. Suivant cette version nécrologique, madame Catalani aurait rendu le dernier soupir dans sa villa, près de Sinigaglia; elle était âgée de soixante ans, étant née en 1784.--Mais de quoi m'avisé-je de le prendre sur ce ton lugubre et de mettre un crêpe à mon bras? Peut-être demain faudra-t-il vous annoncer que madame Catalani n'a jamais joui d'une santé plus parfaite, et qu'au lieu d'un enterrement, elle a donné dans sa villa romana un dîner magnifique où les convives joyeux ont vidé le vin de Chypre et de Champagne, en l'honneur de son teint vermeil et de son embonpoint. On a vu des résurrections, moins extraordinaires, témoin celle de M. Duponchel, ancien directeur de l'Opéra, dont le trépas avait été, il y a trois ou quatre ans, annoncé dans toute la ville par billets de faire part: «Vous êtes invité à assister au convoi et enterrement de M. Duponchel, directeur de l'Académie royale de Musique, mort à huit heures du matin hier, 11 novembre.» La famille, les amis éplorés arrivent au domicile mortuaire pour mener le défunt en terre, et le trouvent dans sa salle à manger, dévorant d'un rude appétit un certain pâté de foie gras.--C'était une plaisanterie de quelques mystificateurs; mais une plaisanterie un peu noire, on l'avouera.On a calculé la quantité de citoyens français qui ne portent pas de souliers; le chiffre, suivant ce dénombrement, s'élève à vingt millions. Vingt millions sur trente-quatre millions d'habitants! Ou voit que notre patrie n'est pas très-bien chaussée. Il est juste, cependant, de tenir compte de ceux qui portent des sabots; nous en donnerons le total une autre fois, toujours est-il qu'il y a plus de va-nu-pieds en France que de semelles. Un journal annonce, à ce propos, qu'un cordonnier vient d'inventer une mécanique merveilleuse qui peut fabriquer quarante paires de souliers par jour. Mettez cette mécanique dans les mains de tous les cordonniers et de tous les savetiers de France, et vous aurez en peu de temps un incroyable approvisionnement de souliers: de quoi satisfaire tous les pieds qui n'en ont pas. Le journal en question se réjouit fort de cette découverte, et semble croire une toute la France va marcher avec des doubles semelles et des bottes vernies. Nous nous en réjouirions volontiers avec la feuille philanthropique, si une petite réflexion n'ajournait notre joie: fabriquer des millions de souliers à la minute, c'est quelque chose; mais la grande question est de pouvoir payer les mémoires du cordonnier. Quand notre ami le journal aura inventé une mécanique pour donner six francs à tous ceux qui n'ont pas le sou et veulent des souliers, et vingt francs pour une paire de bottes, la question commencera à s'éclaircir. Voilà la vraie mécanique difficile à trouver, et qu'on ne trouvera jamais, j'en ai peur.La dynastie des Vestris n'est pas morte: un Vestris vient de débuter à l'Opéra, entre mademoiselle Maria et M. Albert. Il a le jarret ferme et digne de ses pères, les grands Vestris. Ombre de Vestris 1er, tu as dû, en voyant ton petit-fils pirouetter si agréablement, battre dans ta tombe un entrechat à huit!(Agrandissement)(Agrandissement)Théâtres.Le Laird de Dumbicky, drame en cinq actes, deM. Aexandre Dumas.--André Chénier, deM. Daillière.-Le Médecin de son Honneur, deM. Hippolyte Lucas.--Paris dans la Comète.--Gérolstein.--Une idée de Médecin, deM. Dartois.Le Second-Théâtre-Français a donné trois drames coup sur coup, les trois drames dont les noms précèdent; M. Dumas, M. Lucas, M. Daillière, sont les pères avoués et reconnus de ces trois enfants; deux sont ornés de rimes et d'alexandrins; le troisième est en simple prose; quand je dis simple, je me trompe: M. Alexandre Dumas ne fait rien simplement Par où commencerai-je? Evidemment par les gros bataillons, c'est-à -dire par M. Dumas et sa prose en cinq actes; MM. Lucas et Daillière, plus légèrement armés, viendront à leur tour. C'est doncle Laird de Dumbickyà qui reviennent les honneurs du pas; ne lui enviez pas cette consolation! Le pauvre.Lairdvient d'éprouver tant de malheurs! le parterre s'est montré pour lui si rude et si implacable!Son nom est Mac-Allan; vous devinez tout de suite que nous avons affaire à un Écossais, et vous devinez juste. Mac-Allan a un oncle, sir David, grand partisan des Stuarts; après la bataille de Worcester, qui ruina complètement la cause royale, lu fidèle sir David recueillit le jeune prince, depuis Charles II, et l'aida à se mettre en sûreté; ceci valut à sir David la haine de Cromwell et la confiscation du ses biens.La Restauration venue, et Charles II ayant repris possession du trône paternel, sir David songe à obtenir sa réintégration dans sa fortune et dans son autorité; pour réveiller la mémoire du roi Charles, qui l'oublie, il envoie à Londres son neveu Mac-Allan, laird du Dumbicky. A son arrivée, Mac-Allan, trouve qu'au lieu de s'occuper de récompenser la fidélité de ses vieux serviteurs et de songer aux affaires de l'État, Charles II n'a d'autre soin que celui d'une vie dissipée et frivole. Ceci blesse un peu l'honnêteté du noble Écossais. Patience, il en verra bien d'autres. Savez-vous en effet le rôle qu'on va faire jouer à ce brave laird, et quelle récompense on prépare, dans sa personne, au dévouement de son oncle?--Non pas vraiment.--Eh bien! je vais vous le dire. Le laird de Dumbicky, sans le savoir, devient le pivot d'une intrigue honteuse, qui se débat entre Nelly, la maîtresse en titre du roi Charles II, et le duc de Buckingham, son favori. Voici le mot de ce tripotage: Buckingham veut renverser la favorite Nelly, en lui substituant, dans l'autour du maître, une jeune et honnête fille nommée Sarah, que le roi désire; de son côté, Nelly prétend défendre son crédit et avoir raison de Sarah et de Buckingham.Mac-Allan est choisi par le duc et par Nelly pour l'éditeur responsable de cette double combinaison; d'une part Buckingham lui fait épouser Sarah légitimement, afin de sauver les apparences et d'éviter au roi l'odieux d'une séduction exercée sur une innocente jeune fille. Le mariage couvre tout. D'autre part, Nelly avertit Mac-Allan de ce guet-apens infâme; ce n'est point par intérêt pour lui, mais par un sentiment de jalousie et pour empêcher Buckingham de réussir.Le laird de Dumbicky, en sa qualité d'honnête homme et de mari sérieux, n'a évidemment qu'une chose à faire: de rendre l'honneur de sa femme et le sien contre les entreprises combinées de Buckingham et du roi! Or, il se met en garde avec d'autant plus de résolution qu'il est sur de la vertu de Sarah et qu'il l'aime sincèrement. Je ne suivrai pas Mac-Allan, Kelly, Buckingham, le roi et Sarah dans cette bataille; j'ai fait connaître le sujet du drame; on a pu voir que c'était une de ces intrigues passablement équivoques, vingt fois exploitées au théâtre, et tout récemment encore par M. Alexandre Dumas lui-même, à la Porte-Saint-Martin, sous le titre deLouise Bernard. Nos dramaturges ne font plus que ruminer. --Les détails ne sauvent pas la banalité du sujet; ce sont toujours les mêmes effets peu scrupuleux, les mêmes moyens effrontés: rendez-vous suspects, portes ouvertes, chambres à coucher, escalades, substitutions de personnes, toutes les vieilles brutalités du drame d'alcôve. Oui, vieilles est le terme, car elles ont fait leur temps et lassé l'honnêteté du public, qui n'en veut plus.--Il va sans dire que le roi et Buckingham sont vaincus par Mac-Allan, que Sarah leur échappe, et que Nelly reste souveraine maîtresse.La soirée a été orageuse. Les sifflets, les sanglantes apostrophes du parterre ont servi d'escorte au drame malencontreux, pendant les deux derniers actes surtout. Au dénoûment, la tempête mugissait avec un effroyable courroux. Cette sévérité n'était que de la justice. Non-seulement le drame méritait peu d'indulgence du côté de l'invention, mais le ton de mauvais lieu qui s'y trahit, mais un dialogue plein de crudités et d'indécence ne pouvaient qu'aggraver les torts de l'auteur. Qu'on n'ait pas du génie et de l'originalité tous les jours, cela se conçoit aisément, les idées nouvelles sont rares, et n'en a pas qui veut; du moins devrait-on toujours respecter certaines convenances et ne pas dépasser les limites permises. On n'a pas besoin pour cela d'être un grand homme, mais tout simplement un homme honnête et suffisamment élevé. Voilà bien des chutes, monsieur Dumas; prenez garde!L'auteurd'André Chénier, M. Daillière, est un jeune soldat dramatique; il fait là sa première campagne; le drame en question est son coup d'essai, ce qui ne veut pas dire précisément que ce soit un coup de maître. Il y a cependant d'honnêtes intentions et quelque mérite dans l'ébauche de M. Daillière. Ébauche est le mot qui convient ici. M. Daillière, en effet, a su, à propos d'André Chénier, assembler quelques scènes d'un effet touchant; mais c'est là tout; l'action, les oppositions, les nuances, la lutte des passions, le contraste des caractères, tout ce qui constitue un drame proprement dit, manque à peu près à l'ouvrage; en deux mots, voici l'affaire:André Chénier gémit sous les verrous. Pour tromper les douleurs de la captivité, le poète fait des vers. A la poésie se joint une tendre passion, une passion respectueuse et idéale. Une jeune prisonnière, mademoiselle de Coigny, est l'objet de cet amour mélancolique et le partage; c'est pour elle, on le sait, qu'André écrivit cette ode dela jeune Captive, qu'il est difficile de lire encore aujourd'hui sans un profond attendrissement.Cependant l'heure fatale approche; déjà le bourreau a frappé plus d'un compagnon de l'infortuné poète; son tour va venir; il vient en effet, et le mélodieux André sort de ce cachot sans espoir, pour aller à l'échafaud, au milieu des larmes de mademoiselle de Coigny, de Marie-Joseph Chénier et du désespoir de son père.Il n'y a rien de plus dans l'ouvrage de M. Daillière, si ce n'est des rimes et des tirades qui, sans être toujours irréprochables, annoncent une certaine verve qui pourra plus tard donner des résultats plus complets. Quoi qu'il en soit, les bravos n'ont pas manqué à M. Daillière, et c'est déjà beaucoup que de commencer par là .Dans cette course au drame, M. Lucas est le véritable vainqueur. Aux prises avec MM. Dumas et Daillière, M. Hippolyte Lucas a jusqu'au bout gardé la corde; les deux autres couraient encore, qu'il était déjà arrivé. Calderon y est bien pour quelque chose; dans cette lutte, Calderon a été le partenaire de M. Hippolyte Lucas.Le Médecin de son Honneura servi d'enjeu à l'illustre poète; M. Lucas n'a fait qu'y entrer pour une certaine part d'esprit et d'étude ingénieuse; Calderon a fourni le capital.Don Guttière est le héros de l'aventure; c'est un noble castillan, fort épris de sa femme, dona Mencia, et des plus chatouilleux sur le point d'honneur; un jour qu'il rentre subitement au logis conjugal, il a des soupçons; bientôt ses soupçons se changent en douloureuse certitude: dona Mencia le trahit! Dona Mencia donne de secrets rendez-vous au prince Henri de Transtamare! O douleur! que faire? Don Guttière a bientôt pris son parti: qu'a-t-il besoin de recourir à d'autres qu'à lui-même? N'est-il pas le gardien ou plutôt le médecin de son honneur? il guérira donc cet honneur blessé; et voici l'horrible remède qu'il lui applique.--Une nuit, tandis que dona Mencia sommeille, le sombre don Guttière entre au domicile conjugal mystérieusement enveloppé dans son manteau; il vient suivi d'un chirurgien qu'il a fait saisir et amener de force par deux esclaves maures: «Tu vas entrer là , lui dit-il en lui désignant la chambre de dona Mencia; tu y trouveras une femme endormie: tu t'approcheras d'elle et tu lui ouvriras les veines!--Horreur! s'écrie le chirurgien, pâle et tremblant, vous pouvez me tuer, non faire de moi un assassin.--Eh bien! je te tuerai...» Et les deux esclaves s'approchent du misérable, le poignard levé. «J'irai donc,» dit-il, et il entre en chancelant; un instant après, on le voit revenir tout livide, et s'appuyant sur la porte où sa main sanglante laisse une trace de sang. Ce sang en dit assez: don Guttière est vengé.--Survient le roi de Castille: «Qu'as-tu fait? demande-t-il à don Guttière.--Sire, j'ai eu soin de mon honneur, réplique don Guttière; n'étais-je pas son meilleur médecin?» Et cependant don Guttière ne survivra point à cette terrible exécution; il suivra le roi à la guerre et s'y fera tuer.Cette dernière scène donne le frisson; si l'on objecte que c'est là un drame bien effroyable pour des nerfs français, nous répliquerons que le drame est espagnol; M. Hippolyte Lucas n'a fait que l'accommoder pour l'Odéon avec beaucoup d'intelligence, en vers très-élégants et très-français.Toute année qui meurt est sûre de trois ou quatre oraisons funèbres mêlées de vaudeville. L'année 1843 a eu le même sort que les autres: ici, c'est le théâtre du Palais-Royal qui l'enterre dans une revue intitulée:la Cour de Gérolstein; là , le théâtre des Variétés paie sa dette à la défunte année par une plaisanterie appelée:Paris dans la Comète. Ces deux pièces à couplets ne font que répéter à peu près ce quel'Illustrationa dit de l'année 1843 dans son dernier numéro: les modes, les théâtres, les pièces sifflées, M. Eugène Sue et lesMystères de Paris, les pipes et les cigares, que vous dirai-je? tous les faits mémorables de notre éloge nécrologique de l'an 1843.--Cela n'est pas toujours très spirituel; mais cela fait rire, elle rire est si bon!C'est une assez pauvre idée quel'Idée du Médecin: ce médecin a une sœur; pour attendrir un infidèle qu'elle aime, il fait courir le bruit de la mort de cette sœur abandonnée; l'infidèle, en effet, est au désespoir; au fond c'était une bonne âme; puis, il s'aperçoit qu'on s'est moqué de lui, et s'amuse à prendre sa revanche contre le médecin et sa sœur, en feignant de vouloir convoler en secondes noces. Le tout finit, on s'y attend, par une explication et un raccommodement général; l'idée n'est pas neuve.Projet de perfectionnement de la Navigation à la Vapeur, et suppression de la Cheminée dans les bateaux, par M. Lefebvre.Il a paru, il y a quelques semaines seulement, une brochure fort intéressante de M. P. Lefebvre, ancien élève de l'École Polytechnique. Cette brochure est consacrée aux développements d'une idée fort bizarre, relative à la navigation à vapeur. Bien que des expériences convenables n'aient pas encore déterminé la valeur de cette invention, comme les bases sur lesquelles elle repose n'offrent rien de contraire aux théories, que peut-être un jour, appliquée de l'autre côté du détroit, sommes-nous destinés à la voir revenir triomphalement en France et donnée comme la millième preuve de la supériorité de l'esprit ingénieux des Anglais, les lecteurs del'Illustrationn'en liront pas sans intérêt la description.C'est du reste un de nos engagements vis-à -vis du public de ne laisser rien paraître de nouveau, dans quelque genre que ce soit, sans être les premiers à les mettre de suite au courant.Dans les questions de mécanique, où il s'agit de surmonter des résistances, comme, par exemple, dans la locomotion sur terre, on ne s'occupe pas seulement du système qui doit se mouvoir, on n'améliore pas seulement la voiture, le mode d'attelage: on s'occupe aussi, avec grand avantage, du moyen de diminuer la résistance qui s'oppose au mouvement; c'est pour cela que l'on construit les routes ferrées, pavées, les chemins de fer.Or jusqu'ici, dans le problème de la navigation, on n'a pensé qu'à agir sur le corps flottant; il reste à résoudre la deuxième partie du problème, à opérer sur le fluide en vue de diminuer la résistance.C'est dans cette voie toute nouvelle que M. Lefebvre s'est efforcé d'entrer. De même que sur les routes ordinaires, l'introduction du fer disposé en rail, permettant l'emploi des machines en diminuant les chocs et les frottements, a donné à la locomotion cette rapidité qui n'est pas une des moindres merveilles de notre époque; de même sur les fleuves, les canaux, M. Lefebvre pense que l'air est appelé à jouer un rôle analogue et à augmenter d'une manière considérable la vitesse de la navigation à vapeur.Ainsi, dans le système de l'auteur, le corps flottant, le vaisseau ne doit plus avoir à vaincre la résistance d'un liquide, de l'eau, mais d'un mélange infiniment moins dense de gaz et de liquide, de l'eau et de l'air.Certes il serait difficile de disputer à M. Lefebvre la priorité de son ingénieuse idée, et si nous rapportons le fait suivant, c'est bien moins pour lui enlever le mérite de son invention que pour faire comprendre tout ce qu'elle peut avoir de pratique.Un mécanicien de Séville avait fait une pompe au moyen de laquelle il espérait élever l'eau à une grande hauteur; mais, arrivé; à trente-deux pieds, l'eau s'arrêtait, et tous les efforts du mécanicien étaient superflus; dans un moment d'emportement il jette avec violence son marteau: le tuyau de la pompe est atteint, et l'eau s'élance au niveau désiré! On chercha la cause du phénomène: c'était un petit trou ouvert dans la paroi du tuyau; et c'est ainsi que fut trouvée la pompe de Séville, dont on voit quelques modèles dans de vieux cabinets de physique. Un livre, déjà ancien, donne de cette manière la description d'une de ces pompes exécutée en grand:«On a vu il y a quelques années, place Dauphine, une pompe aspirante qui jetait l'eau sans interruption à une hauteur de cinquante-cinq pieds. Son canal d'aspiration était percé d'un trou très-petit qui restait constamment ouvert. L'air, entrant impétueusement par cet orifice, entrecoupait l'eau à mesure qu'elle montait dans le canal aspirant; de sorte qu'il se formait dans ce canal une colonne mixte d'eau et d'air, et par conséquent assez légère pour pouvoir être portée à la hauteur de cinquante-cinq pieds par l'air extérieur qui pressait sur l'eau du réservoir.»Voici donc un cas dans lequel, par l'introduction de l'air dans l'eau, on parvient à constituer un liquide d'une densité moindre qui se comporte alors comme un nouveau corps.Or, telle est précisément la donnée du problème que s'est posé M. Lefebvre.L'auteur propose de faire mouvoir par la machine à vapeur d'un bateau une machine soufflante, ce qui est d'une exécution facile. Cette machine soufflante sert à chasser de l'air par un tuyau placé au point le plus bas de l'avant du bateau; et ce tuyau est lui-même percé d'une infinité de petits trous tout le long de sa partie supérieure. L'air arrivant dans l'eau en petits filets rendus discontinus par la marche du bateau forme une multitude de globules. Voilà donc un bateau ne rencontrant plus dans sa progression qu'un mélange composé partie de liquide, partie de globules d'air, mélange dont la densité est bien moindre que celle de l'eau, fig. 1 et 2. Deux questions se présentent de suite à l'esprit pour apprécier la valeur de cette proposition.1º La résistance sera-t-elle réellement diminuée?2º Y aura-t-il avantage à utiliser la force motrice, à vaincre de cette manière la résistance?La théorie permet de répondre affirmativement à la première. En effet, la résistance considérée comme proportionnelle à la densité du fluide, doit nécessairement diminuer.De plus, si l'on cherche à se rendre compte des effets obtenus par ce bouillonnement d'air à l'avant du bateau, on trouve:1º Que le volume déplacé par le bateau en mouvement aura une moins grande masse;2° Que pressé en tout sens par le liquide, le bateau le sera moins à l'avant qu'à l'arriére, et par ce seul fait sera sollicité dans le sens de sa marche.En effet, la pression de l'eau, d'après des expériences admises, ne s'exercera pas sur les globules d'air en mouvement comme si elles étaient en repos.3º La succession de chocs produits par la rencontre du fluide en repos et du bateau en mouvement consommera une moins grande quantité de travail, vu qu'au moyen de l'espèce de coussin formé par le mélange d'air et d'eau, ils n'auront plus lieu qu'entre corps élastiques.Pour se former une idée juste de l'importance de cette dernière considération, il suffit de savoir que M. Piobert, chef d'escadron d'artillerie et membre de l'Institut, charge par le gouvernement d'expériences fort curieuses sur la pénétration des corps, ayant tiré des boulets de canon dans l'eau, vit leur mouvement s'amortir avec une extrême rapidité; ce qui prouve l'énorme résistance opposée. Le choc à l'entrée était tel que des obus (boulets creux) qui pénètrent sans se rompre dans des terres rassises étaient constamment brisés.Rien dans l'état actuel de la science ne peut nous mettre à même de résoudre la deuxième question: sera-t-il plus avantageux d'employer une partie de la force motrice à vaincre la résistance de la manière proposée? M. Lefebvre établit par un calcul dont les données sont tirées de l'ouvrage de M. Poncelet, qu'une pompe qui chasserait à l'avant d'un bateau un mètre cube d'air par seconde, devrait être mue par une force équivalente à seize chevaux-vapeur. Reste donc à savoir, et l'expérience seule peut nous l'apprendre, si un bateau dont les roues seraient mises en mouvement par une force de cinquante chevaux, par exemple, n'irait pas tout aussi vite que si trente-quatre chevaux seulement étaient employés à faire mouvoir les roues, et seize à faire jouer la pompe proposée. Une pareille expérience nous semble devoir être nécessairement faite un jour ou l'autre.Au reste, pour que ce système fût réellement avantageux, il ne suffirait pas qu'il pût servir à diminuer la résistance qui s'oppose au mouvement du bateau, il faudrait encore que par son emploi, on parvint à dépasser le maximum de vitesse obtenu jusqu'à ce jour. Or cette limite, dit M. Lefebvre, résultant bien plus de la diminution rapide de la proportion d'effet utile de l'appareil moteur, quand on augmente sa vitesse, que de la difficulté d'accroître la force motrice, il est évident que le système proposé l'emportera sur l'ancien pour obtenir les derniers accroissement de vitesse.Il paraît ainsi que son succès commercial est probable, surtout dans les cas où il importe d'obtenir avant tout de grandes vitesses, condition souvent la plus importante de toutes.L'auteur a relégué dans une de ses notes, et nous sommes fâchés qu'il ne lui ait pas donné plus de développement, une proposition que nous regardons comme le complément de son système: c'est la suppression de la cheminée.Il est bien démontré aujourd'hui que le tirage nécessaire à la combustion, obtenu au moyen d'une cheminée, ou, en d'autres termes, la vitesse imprimée à l'air au moyen d'un combustible, coûte beaucoup plus cher que la même vitesse imprimée par des agents mécaniques. M. Clément et M. Peclet l'ont positivement établi, tellement que, sans la complication de la machine et le danger des coups de feu pour les chaudières, il n'est pas un ingénieur qui n'admit qu'il n'y eût économie de combustible à faire précéder le foyer d'un ventilateur qui chasserait l'air, et qu'une combustion mieux utilisée compenserait au moins l'excès de force qu'il faudrait faire développer à la machine.Perfectionnement de la navigation à la vapeur.--Fig. 1. Avant d'un bâtiment à roues avec courant d'air, vu de côté.Fig. 2. Avant du bâtiment vu de face.L'impossibilité de donner beaucoup de hauteur aux cheminées de bateaux est la cause principale du peu d'effet utile du combustible. Or, si l'on fait aspirer à la machine soufflante proposée, au lieu d'air, les produits mêmes de la combustion, n'en résultera-t-il pas qu'une partie du travail qu'elle consommera correspondra à la partie du combustible précédemment employée au tirage?Dans le cas où il faudrait lancer 1 mètre cube par seconde, soit 360 mètres cubes par heure, chaque kilogramme de houille correspondant en général au passage dans la cheminée de 18 mètres cubes d'air, on voit que l'aspiration d'un mètre cube par seconde suffirait pour la combustion de 200 kilogrammes de charbon par heure, ou pour une machine de quarante à cinquante chevaux.Bâtiment à hélice avec courant d'air, sans cheminée.Les lecteurs de l'Illustrationn'ont pas oublié la description de la goélette à hélicele Napoléon. Au lieu de ces deux lourdes roues à palette qui flanquent les deux côtés des bateaux à vapeur, la goélettele Napoléona pour propulseur une hélice placée à son arrière et au-dessous de la ligne de flottaison; en sorte que le bâtiment semble marcher comme par enchantement; mais il reste encore sur le pont cette énorme cheminée qui obstrue le passage, empêche toute voilure un peu complète, et vomit sur la tête des passager» des torrents de noire fumée. Adoptez, le système de M. Lefebvre, et cette cheminée disparaîtra comme dans le système de M. Sauvage les roues ont disparu. N'aurons-nous pas alors atteint l'idéal de la navigation à vapeur?Séance semestrielle de la Société Philotechnique.La Société philotechnique, la plus ancienne des sociétés littéraires après l'Académie française, a tenu dimanche, 17 décembre, dans la jolie salle du la rue Neuve-Vivienne, l'une de ses deux séances publiques. L'assemblée était fort brillante et très-nombreuse. Lorsque M. le baron Ladoucette, secrétaire perpétuel, en énumérant les pertes et les acquisitions que la Société a faites depuis six mois, a annoncé la mort d'un de ses plus illustres confrères, Casimir Delavigne, l'auditoire entier s'est montré vivement ému.Plusieurs lectures en prose ou en vers ont été faites par les membres de la Société. Celles qui nous ont paru produire le plus d'impression sontles Deux Vieillards, de M. Villeneuve fils;Les Deux Ouvriers, de M. Desaint; une fable de M. Lavalette;En public, de M. Berville; une épître surl'Ingratitude, de M. Viennet; et surtout uneÉpître aux faiseurs de contes, de M. Roux de Rochelle.--Ces lectures terminées, un concert vocal et instrumental, dans lequel on a entendu Levassor, a eu lieu comme les années précédentes.Séance de la société philotechnique dansla salle des Concerts Vivienne.En résumé cette fête artistique et littéraire a été digne d'une Société qui compte parmi ses membres plusieurs de nos artistes les plus célèbres et de nos littérateurs les plus recommandables.Institution royale des Jeunes Aveugles.Institution des Jeunes Aveugles.--Inaugurationdu nouvel établissement.La cécité! est, de tons les maux qui affligent l'espèce humaine, celui qui, en tout temps et dans tous les pays, a été en possession de l'intérêt le plus constant et le plus universel. Le roi saint Louis, auquel les établissements de bienfaisance doivent tant chez nous, acquit de l'évêque de Paris une pièce de terre voisine du cloître. Saint Honoré, appeléeChampourisur laquelle il fit construire une maison, qui plus tard forma l'encoignure de la rue Saint-Nicaise, et qui était destinée à loger et entretenir des aveugles pauvres au nombre dequinze-vingts, comme on comptait alors, et qui prit son nom du nombre de ses hôtes. On ignore la date précise de cette fondation: on sait seulement qu'elle remonte à l'année 1260 environ. Voici ce qu'en dit le confesseur de La reine Marguerite: «Aussi li benoyst roy fist acheter une pièce de terre de lez Saint-Ennouré, où il fist fère une grant mansion porceque les poures avugles demorassent ilecques perpétuelement jusques à trois cens; et ont touz les anz de la borse du roy, pour potages et pour autres choses, rentes. En laquelle mansion est une église que il fist fère en l'eneur de saint Rémi, pour ce que lesditz avugles aient ilecques le service Dieu. Et plusieurs fois avint que li benoyst roy vint as jours de la feste Saint-Rémi, où lesditz avugles faisoient chanter solennellement l'office en l'église, les avugles présens entour le sainct roy.» En effet, Louis IX avait, en 1270, constitué de nouveau trente livres de rentes destinées spécialement au potage de ces trois cents aveugles. Clément XIV, de son côté, par une bulle de 1265, avait recommandé cette institution aux évêques et prélats de France, elles avait invités à accueillir et à favoriser les quêteurs qui allaient recueillant des aumônes pour elle. Guillaume de Villeneuve, dans sesCrieries de Paris, nous les présente demandant à grands cris du pain dans les rues:
L'Illustration, No. 0045, 6 Janvier 1844.
Nº 45. Vol. II.--SAMEDI 6 JANVIER 1844.Bureaux, rue de Seine, 33.Ab pour Paris.--3 mois, 8 fr.--6 mois. 16 fr.--Un an, 30 fr.Prix de chaque Nº, 75 c.--La collection mensuelle br., 2 fr. 75.Ab. pour les Dép.--3 mois, 9 fr.--6 mois, 17 fr.--Un an, 32 fr.pour l'Étranger.  --    10       --   20      --   40
SOMMAIRE.Histoire de la semaine.Éruption de l'Etna; Portrait de Tyler; Portrait et maison de Brune; Monument élevé à la mémoire du duc de Beaujolais, à Malte.--Courrier de Paris.--Le Parjure, romance; paroles et musique de M. Amédée de Beauplan avec une Gravure.--Théâtres. Le Laird de Dumbicky; André Chénier; le Médecin de son Honneur; Paris dans la comète; Gerolstein; une Idée de Médecin.--Projet de Perfectionnement de la Navigation à la vapeur et Suppression de la Cheminée dans les Bateaux, par M. Lefebvre.Trois gravures.--Séance de la Société Philotechnique.Une Gravure.--Institution Royale des Jeunes Aveugles.Cinq Gravures.--Les Caprices du Cœur, nouvelle (1re partie), par Marc Fournier.--Publications Illustrées.--La Belgique monumentale, artistique et pittoresque,quatre Gravures; la Tente de Charles le Téméraire.--Correspondance. --Annonces.--Janvier,Une gravure.--Modes.Une Gravure. --Une lettre d'un habitant de Concarneau.--Rébus.
Histoire de la semaine.Éruption de l'Etna; Portrait de Tyler; Portrait et maison de Brune; Monument élevé à la mémoire du duc de Beaujolais, à Malte.--Courrier de Paris.--Le Parjure, romance; paroles et musique de M. Amédée de Beauplan avec une Gravure.--Théâtres. Le Laird de Dumbicky; André Chénier; le Médecin de son Honneur; Paris dans la comète; Gerolstein; une Idée de Médecin.--Projet de Perfectionnement de la Navigation à la vapeur et Suppression de la Cheminée dans les Bateaux, par M. Lefebvre.Trois gravures.--Séance de la Société Philotechnique.Une Gravure.--Institution Royale des Jeunes Aveugles.Cinq Gravures.--Les Caprices du Cœur, nouvelle (1re partie), par Marc Fournier.--Publications Illustrées.--La Belgique monumentale, artistique et pittoresque,quatre Gravures; la Tente de Charles le Téméraire.--Correspondance. --Annonces.--Janvier,Une gravure.--Modes.Une Gravure. --Une lettre d'un habitant de Concarneau.--Rébus.
Le discours d'ouverture de la session a le privilège d'occuper longtemps l'attention publique. Pendant un mois on le discute, on le paraphrase, on le commente. La Chambre s'est réunie dans ses bureaux cette semaine pour nommer la commission qui devra préparer sa réponse, et jusqu'à ce que ce projet d'adresse lui ait été apporté, jusqu'à ce qu'une discussion, qui s'annonce devoir être, animée, ait été mise à l'ordre du jour, les travaux législatifs seront en quelque sorte suspendus, les grands acteurs politiques demeureront dans la coulisse. M. Sauzet pourra, près de sa sonnette immobile, se remettre des émotions que lui a causées sa réélection trop longtemps incertaine.
Un autre discours vient d'avoir du retentissement dans les deux mondes. Le message du président des États-Unis, M. Tyler, lu par lui à l'ouverture du congrès américain le 5 décembre, traite avec netteté et résolution des questions délicates qui touchent aux intérêts et à l'honneur de l'Union, que l'Angleterre envisage d'un point de vue à M. Tyler, président actuel desÉtats-Unis.elle, et dont la solution commande l'attention de la France. Nous devons remarquer avant tout dans le travail de M. Tyler le passage qui concerne le droit de visite et la traite des noirs. On sait que les États-Unis se sont formellement refusés vis-à -vis de l'Angleterre à la reconnaissance du droit qu'elle voulait généralement établir, et qu'il a été stipulé dans le traité Ashburton un autre mode de répression pour le traite des nègres. Le président s'est félicité des mesures qui ont été prises, et a exprimé hautement l'opinion qu'elles suffiraient pour amener l'abolition de la traite. La résistance de l'Union et les résultats du parti qu'elle a fait adopter sont pour nous un bon exemple et une utile expérience. Nous voudrions avoir à annoncer que ce document permet de compter sur une réduction du tarif américain. Malheureusement l'amélioration de la situation financière des États, due à de tout autres causes, fait illusion à leurs hommes politiques, et les porte à penser que la surcharge des droits à l'importation n'y est point étrangère. Le président Tyler parle du Texas et repousse les prétentions mexicaines de façon à ne pas permettre de douter que l'entrée dans l'Union du territoire texien ne soit prochaine. Quant au territoire d'Orégon et à sa délimitation définitive il annonce la ferme détermination de soutenir dans leur juste rigueur les droits de l'Amérique et de ne céder à aucune prétention non justifiée de l'Angleterre. Cette déclaration, comme aussi l'annexation probable du Texas, ont causé à Londres une vive émotion. Les feuilles ministérielles n'ont pas craint de dire que si l'opinion du président n'était pas désavouée par la majorité du congrès, c'était la guerre. Du reste, l'influence anglaise lutte et se débat péniblement dans l'Amérique du Nord. Au Canada, où l'ancien parti français avait conquis le pouvoir, une crise nouvelle vient de se manifester, mais rien n'annonce qu'elle doive donner plus d'action sur la marche des affaires au gouverneur anglais.
Pour l'Amérique du Sud, une correspondance du Buenos-Ayres, publiée par leSun, assure que la rupture du gouvernement de Rosas avec celui du Brésil était complète au 23 octobre. On attribue ce conflit à des notes assez vives qui se seraient échangées entre le cabinet buénos-ayrien et l'ambassadeur brésilien, M. Duarte, à propos de l'attitude qu'aurait prise, dans les affaires de Montevideo M. Sinimber, consul de l'empereur dans cette dernière ville. La même correspondance parle de l'expulsion de M. Leitte, consul-général de Portugal à Montevideo, expulsion qu'aurait provoquée le général Riveira. La position des nombreux nationaux que nous comptons sur cette rive est toujours aussi menacée.
La session législative du grand-duché de Bade est ouverte, et déjà la Chambre des Députés s'est occupée de diverses questions importantes qui montrent l'esprit dont elle est animée. On a demandé la présentation d'un projet de loi pour l'établissement du jury, et le rétablissement de la liberté de la presse dégagée de la censure et de toute procédure secrète.
--A Athènes, l'assemblée nationale poursuit ses travaux sous la présidence de son doyen d'âge, qu'elle a maintenu au fauteuil à la presque unanimité. M. Notaras, auprès duquel tous les doyens de nos assemblées Françaises ne sont que de jeunes étourdis, est âgé decent sept ans. On discutait au départ des derniers navires la loi électorale et les conditions d'éligibilité.
--En Espagne, les Chambres n'auront de longtemps sans doute rien à discuter. Narvaez leur a fait ces loisirs. Le parti qui se dit modéré était embarrassé de savoir comment il se tirerait, en présence des Chambres, de l'accusation qu'il avait voulu intenter à M. Olazaga et dont le projet a été renvoyé à une majorité favorable à l'ancien ministre, et des mesures réclamées par l'opinion publique contre l'état-major qui a été briser les presses et détruire le matériel des journaux de Madrid suspects d'opinions hostile? Il a trouvé un moyen de répondre à tout, ou plutôt de n'avoir à répondre à rien. Le 25, on est venu lire aux deux Chambres un décret qui ne dissout pas les cortès, qui ne proroge pas leur session, qui la suspend sans ajournement fixe. On s'était d'abord proposé de demander aux Chambres, avant de les congédier, l'autorisation de percevoir les impôts; mais on a réfléchi que cela amènerait inévitablement une discussion, et c'est ce qu'on avait à cœur d'éviter à tout prix. On va donc gouverner par ordonnances, l'armée aidant et jusqu'à ce qu'elle en aide un autre, sauf à venir plus tard demander un bill d'indemnité. C'est du moins quelque chose d'assez net et d'infiniment préférable à nos yeux, sous le rapport de la dignité, à la comédie jouée à l'occasion de lu déclaration royale. La reine-mère Marie-Christine se dispose à retourner à Madrid au commencement du mois de février. On paraît ne pas douter que sa présence, ses conseils et surtout ses millions pourront être d'un grand secours pour vaincre les difficultés qu'on est destiné à rencontrer. Pendant ce temps-là la lutte engagée à Figuières entre Ametler et Prim se poursuit avec acharnement, et bientôt il n'y aura plus autour d'eux que des ruines et la mort.
Les lettres de Tunis annoncent, que, par suite des démêlés survenus avec la Sardaigne, le bey s'attend à voir arriver une flotte sarde, et qu'il a donné des ordres pour que le port fût immédiatement mis en état de défense. Les juifs eux-mêmes sont forcés de travailler aux fortifications; 15,000 hommes sont échelonnés sur divers points de la côte. On fait venir de Leghorn de la poudre, des armes; tout dans le pays a pris l'aspect de la guerre.--Si le bey de Tunis enrégimente les juifs de ses États, le roi de Danemark annonce également la louable intention d'enrégimenter tout le monde. Par les lois de ce royaume, sur le recrutement de l'armée de terre et de mer, qui datent du commencement du seizième siècle, époque où le servage, existait encore en Danemark, les paysans seuls sont tenus de faire le service militaire; et les autres citoyens, c'est-à -dire tous ceux qui sont fils de bourgeois, s'en trouvent exemptés par droit de naissance. Cet état de choses qui déjà , depuis longues années, a fait naître les plus vives plaintes, va être aboli. Le roi Christian vient d'ordonner qu'il sera soumis aux états provinciaux un projet de loi qui imposera à tous les Danois, sans aucune distinction de naissance, de rang ou de position sociale, l'obligation de servir dans l'armée de terre ou dans la marine. Le texte de ce projet a été publié dans le journal officiel de Copenhague.
En attendant l'ouverture des débats de son procès, toujours fixée au 15 de ce mois, en attendant aussi la révocation du vice-roi d'Irlande, lord de Grey, mesure prochaine, à ce qu'on paraît croire, O'Connell porte la terreur dans d'autres rangs encore que ceux des orangistes. Voici ce qu'il écrit de l'abbaye de Derryane à un de ses amis: «Quel homme sans goût que cet avocat-général, de ne pas avoir voulu me laisser quinze jours encore dans mes montagnes! Hier nous avons eu une chasse superbe, nous avons tué cinq lièvres, et je l'ai suivie jusqu'au bout. Elle a duré cinq heures trois quarts. Les lièvres ont été tués à trois minutes d'intervalle l'un de l'autre. Tout retentissait de cris de joie que les échos répétaient. Jamais, depuis cinq années, je ne me suis trouvé plus dispos, et vous rirez quand vous saurez que j'ai été moins fatigué que plusieurs jeunes gens. Il nous a fallu faire trois milles pour rentrer. Je ne comptais pas sur une aussi belle chasse, car plusieurs de mes chiens: étaient morts de maladie; je les ai presque pleurés, mais les autres m'ont indemnisé. Si le temps est sec demain, je compte faire une nouvelle partie de chasse.» L'infatigable agitateur!!!
Éruption de l'Etna, les 17 et 18 décembre 1843.
Une longue et désastreuse éruption de l'Etna vient d'affliger la Sicile. Pendant dix jours le volcan a lancé des cendres brûlantes et vomi des flots de lave qui se sont répandus comme une mer dévorante et ont menacé de détruire la ville de Bronte. Les versants d'un mont ont heureusement fait dévier le courant. Mais dans son parcours, qui a été de deux lieues en ligne directe et de trois environ en tenant compte des déviations, la lave, qui présentait une largeur de soixante à soixante-dix pieds et une épaisseur de huit à dix, a tout détruit et fait des victimes nombreuses. De nouveaux cratères se sont manifestés et ouverts; une scène affreuse, entre autres, s'est passée près de la Cartiera, sur la route de Bronte à Catane. La lave s'était amoncelée dans un bas-fond où il se trouvait de l'eau, et elle y avait formé un monticule fort élevé auprès duquel s'étaient rassemblés un grand nombre de curieux et beaucoup d'ouvriers qui travaillaient à couper du bois, quand tout à coup la vapeur produite par l'ébullition de l'eau et les gaz comprimés dans l'intérieur de cette masse ont fait explosion. Pus de soixante personnes ont été brûlées ou tuées sur ce seul point par les vapeurs corrosives ainsi que par les éclats de la lave encore rouges, lancés à la distance de plus de cent cinquante mètres. Des voitures, des chevaux, des mulets, qui avaient été amenés par des voyageurs, se sont trouvés sans maîtres, et il a été impossible ni de compter les morts ni de savoir quels ils étaient, la plupart étant restés ensevelis sous les sables brûlants, les laves et les débris lancés par l'explosion.
Mausolée du duc de Beaujolais, à Malte.
Le 5 décembre dernier, à Malte, le consul de France, les officiers de la marine française et M. le baron Taylor, chargé d'une mission à cet effet, ont procédé avec pompe à l'inauguration du nouveau mausolée que le roi des Français vient de faire élever sur la tombe de son frère le duc de Beaujolais. La sculpture de ce monument est due au ciseau de M. Pradier. Les autorités civiles, maritimes et militaires, ainsi que le gouverneur, les amiraux Owen et Curtis, les consuls des diverses puissances, les commandants des bâtiments de guerre mouillés dans le port, ont assisté à la cérémonie. La chapelle ardente avait été placée sons la grande voûte de l'église; elle était surmontée des armes de la famille d'Orléans. L'église était entièrement tendue de noir. Le principal fort tirait un coup de canon de minute, en minute, et lorsqu'on a découvert le cercueil du duc de Beaujolais, le steamer français leVélocea fait un salut de vingt et un coups. Tous les bâtiments de guerre avaient leurs pavillons à mi-mât, et leurs vergues en croix.
Casimir Delavigne a laissé une place à l'Académie et une autre à la bibliothèque de Fontainebleau. Cette double succession donne lieu à beaucoup de courses, de visites, de placets et de lettres de toute sorte, M. Alexandre Dumas a fait imprimer celle qui suit dansle Siècle, c'est-à -dire 10 mille exemplaires: «Monsieur le rédacteur, plusieurs journaux ont annoncé que j'avais sollicité et obtenu la place de bibliothécaire à Fontainebleau. Veuillez, je vous prie, démentir cette nouvelle, qui n'a aucun fondement. Si j'avais ambitionné un des Fauteuils que l'illustre auteur desMesséniennesou del'École des Vieillardsa laissés vacants, c'eût étéseulementson Fauteuil d'académicien. Veuillez agréer, etc.»--Seulement!--Un autre trait épistolaire a été lancé contre l'Académie par l'intendance de la liste civile. Le chef du cabinet, répondant à un solliciteur qui faisait valoir nous ne savons quels titres pour obtenir la place de bibliothécaire à Fontainebleau, lui a écrit officiellement que «cette place ne sera donnée qu'à un académicien OU à un homme de lettres.» C'est bien différent.
Brune, décédé à Rouen,le 25 décembre 1843.
La Normandie vient encore d'avoir à pleurer un de ses plus utiles et, disons-le, un de ses plus nobles enfants. Tous les Parisiens qui ont fait le voyage de Rouen ont remarqué à l'entrée du pont suspendu un petit édifice d'un goût simple et sévère, portant au front une table de marbre avec cette inscription: «A LOUIS BRUNE.La Ville de Rouen.» Cette maison avait été élevée aux frais de la ville, comme témoignage de reconnaissance publique, pour une longue série d'actes de courage et de dévouement. Louis Brune avait sauvé la vie à quarante-quatre personnes, qu'il avait, en exposant la sienne, retirées des flots. Malgré les récompenses dont il avait été l'objet il était lauréat du prix Montyon, chevalier de la Légion-d'Honneur, décoré de sept ou huit médailles, pensionné, malgré le retentissement justement donné à ses belles actions, Louis Brune était resté simple, bon et dévoué. Le jour, la nuit, à toute heure, il veillait, cherchant l'occasion d'exposer sa vie! A ceux qu'il avait sauvés il ne demandait qu'un souvenir, et le nombre en était si grand qu'il avait oublié le nom de plus d'un d'entre eux. Cet homme, dont l'existence était si précieuse, et qui, aimé, révéré de tous, avait tant de motifs pour la chérir; cet homme au cœur duquel il est impossible de prêter une pensée faible, une détermination coupable, s'est jeté du haut du pont de pierre de Rouen, et s'est ouvert le crâne.Maison de Brune à RouenCet inexplicable événement a consterné la ville entière. La mort de ce héros d'humanité a donné lieu à la publication d'une note sur sa vie que lui-même avait racontée et en quelque sorte dictée à un des journalistes rouennais, auxquels nous empruntons tous les détails de ce récit: «En 1816, j'avais neuf ans (il est mort à trente-six), je venais de perdre mon père, qui était chargeur au routage; ma mère restait avec quatre petits enfants. On me mit dans les manufactures. Le pain valait neuf sous la livre. Je gagnais six sous par douze heures de travail... Et quoique tout petit, je voyais bien la misère de notre maison; eux étaient presque toujours malades au lit; je laisse à deviner pourquoi... Moi, je les soignais: c'était mon affaire, puisque j'étais le plus fort. Mais les six sous des mécaniques ne me suffisaient pas; pourtant j'y suis resté sept ans. On me prêta deux seaux, un cercle, des bricoles; me voilà porteur d'eau. C'était un peu mieux, surtout quand je pus ajouter à cette profession celle de porteur de poisson à la halle. Je ne boudais pas au travail, et j'apportais toujours quelque chose à la maison. Enfin, on me fit concurrence, et je quittai le métier pour un troisième. Ah! celui-là ne m'allait guère. Faut-il le dire? Je servis pendant quatre ans comme domestique. Écoutez donc! mon maître, qui était un brave homme, avait promis de nourrir, de soigner ma mère et mes frères;ça m'avait touché en dedans!et j'avais accepté. Du reste, il a tenu parole. Mais je n'étais pas heureux, et plus d'une fois je voulais en finir, comme autrefois dans les mécaniques, en plaçant ma main dans un engrenage; c'était une bêtise, parce que le bon Dieu est bon, et qu'il y a toujours de la ressource quand on est honnête homme. Mais je vous dis tout. Apprenti carrossier pendant trois semaines à 50 centimes par jour, je quittai encore l'atelier. Cette fois, c'était faute de tablier de cuir. Puis je travaillai successivement aux pilotis, au déblai de la Seine, comme plongeur. Alors, j'étais un homme: on me payait bien, et on ne manquait plus de rien chez nous. A présent, grâce à tout le monde, j'ai la croix, une belle maison près de la rivière, et gare à ceux qui se jettent à l'eau, je les repêche sans miséricorde!»--Le convoi de Brune a été suivi par le deuil public, par la population tout entière.
La fin de 1843 et le commencement de 1844 ont été féconds en morts illustres. Rouen encore a vu mourir son archevêque, M. le prince de Croi, grand-aumônier sous la Restauration. --La Suède a perdu un de ses plus savants médecins, le seul élevé de l'illustre Linné qui vécut encore, M. d'Afzéhus, professeur à l'Université d'Upsal, qui est mort à quatre-vingt-treize ans.--Un homme qui avait, de son vivant, distribué une partie de sa fortune aux malheureux, M. le comte Léon d'Ourches, qui a donné 200,000 francs à la Colonie agricole de Mettray, 60,000 francs aux victimes du désastre de la Pointe-à -Pitre, et une foule d'autres riches offrandes à des œuvres et à des établissements de charité, vient de mourir en son château, près de Metz.--Enfin, un homme qui laissera un des noms les plus honorables parmi les citoyens utiles, Mathieu de Dombasle, qui, lui, a tant fait pour l'agriculture, si négligée chez nous, Mathieu de Dombasle a terminé trop tôt une carrière dont les travaux et les services réclament plus de lignes qu'il ne nous est permis d'en accorder aujourd'hui à chaque mort illustre.
Dieu soit loué! Paris commente à prendre du repos et à rentrer dans son lit. Pendant huit jours, il avait brisé les écluses et débordait par les rues. Le 1er janvier fait de Paris une véritable mer agitée: tout y va, tout y vient; le flux et le reflux ne vous laissent ni repos ni relâche: partout, à droite, à gauche, ici et là , ce sont des flots qui se déroulent, des vagues qui se rencontrent et qui se heurtent.
Où va cette multitude tumultueuse? qui la pousse ainsi? que veut-elle? sans doute quelque joie immense la précipite par toutes tes les voies ouvertes dans la ville? elle court après un grand plaisir ou un bonheur inouï? Pas le moins du monde: consultez chacun de ces bipèdes effarés, femmes, hommes, jeunes gens, vieillards, priez-les de vous donner le fin mot de toute cette agitation, et surtout faites-leur compliment du plaisir qu'ils y trouvent: «Maudit jour! s'écrieront-ils, peste soit du 1er janvier! au diable les étrennes!» et cependant nos gens continuent de se démener à perdre haleine; les uns barbotent de pavé en pavé, les autres se disputent lesomnibuset les fiacres; ceux-là galopent dans leur calèche, ceux-ci trottent comme des facteurs de la petite poste. Quel tapage sur les places publiques et dans les moindres rues? Et notez, pour ajouter au charme du tableau, que le 1er janvier est invariablement inondé de pluie. Le ciel ne veut pas qu'on l'accuse de lésiner sur la question des étrennes, et, pour s'épargner l'ennui des menus détails, il gratifie tous les ans Paris d'une ondée générale; charmant cadeau dont chacun reçoit les éclaboussures.
Cette année le ciel s'est montré d'une générosité sans pareille il a humecté le jour de l'an des pieds à la tête. Il fallait le voir, ce jour infortuné, trempé jusqu'aux os, crotté jusqu'à l'échiné, incitant le pied dans le ruisseau, se glissant le long des gouttières, et engageant de tous côtés une humble mêlée de parapluies. Singulier spectacle qui montre pendant vingt-quatre heures tout un peuple pataugeant avec un sac de bonbons dans une poche, une poupée dans l'autre; dans la main un polichinelle et un cheval sous le bras!
Mais enfin Paris en est quitte; il a douze mois de répit: jusqu'au 1er janvier 1845, on lui permettra de ne pas vivre exclusivement avec les marchands de joujoux et les confiseurs. Depuis quelques heures, Paris est rentré dans sa vie ordinaire, usant son mouchoir à essuyer tous les baisers et toutes les embrassades qu'il a donnés et reçus aux frais de la nouvelle année, et pansant les saignées faites à sa bourse. --Une moitié de la ville est mélancolique; c'est la moitié qui a acheté les bonbons; l'autre, qui les a vendus ou mangés, se montre d'une humeur charmante.
Mais il est bien question de pastilles et de joujoux! Le 1er janvier a produit des choses autrement graves: il nous a ramené MM. les députés; diable! gardons-nous d'en rire. Il ne s'agit ici, comme on sait, ni de pantins ni de marionnettes; et si nos honorables nous font avaler plus d'une dragée, les dragées représentatives ne ressemblent guère à celles de Boisselier ou de Marquis; le budget, entre autres, le budget, bonbon monstre, n'est pas d'un goût aussi fin ni d'une digestion aussi facile. Le député est donc, en ce moment, l'objet le plus en vogue: il y a six mois qu'on n'en voyait plus, et le besoin commençait à s'en faire généralement sentir; six mois! c'est plus qu'il n'en faut pour vous remettre en crédit dans ce pays adorable. Vous semblez maussade, vous êtes devenu banal et insupportable, on ne veut plus de vous; dès que vous paraissez, on bâille et l'on tourne le dos: «Qui nous délivrera de cet ennuyeux,» dit-on; c'est tout au plus si l'on vous croit bon à divertir la bonne d'enfants et la portière; faites un voyage de six mois; disparaissez pendant six mois; que pendant six mois on n'entende plus parler de vous, et vous reviendrez un homme charmant; il n'y a rien de tel que l'absence pour rajeunir les choses et les hommes, et assaisonner d'un certain sel de nouveauté les plus décrépits et les plus insipides.
Dieu nous garde de penser et surtout de dire que MM. les députés ont besoin de s'absenter pour être exquis; ils le sont toujours, la France le sait; mais enfin, ils subissent la loi commune: un semestre de silence les rend plus piquants au retour et remet le public en appétit.
Le foyer de l'Opéra gagne beaucoup à l'ouverture des chambres; la chronique y languissait; on avait épuisé la question Carlotta Grisi; on était à bout de notes diplomatiques sur madame Stoltz et Duprez; et lemémorandumMaria, Forster et Adèle Dumilatre, n'offrait plus qu'un médiocre intérêt; la Chambre est venue se jeter fort à propos à travers ces questions languissantes et les ranimer en variant leur monotonie; le foyer de l'Opéra, depuis le discours de la couronne, a repris une physionomie curieuse et affairée; on y glisse agréablement l'affaire de l'adresse entre une discussion sur telle roulade ou sur tel rond de jambe, et la querelle de la présidence a singulièrement servi à donner de l'importance à la nouvelle du voyage entrepris par M. Léon Pillet à la recherche d'un ténor.
La découverte du précieux ténor n'est pas encore faite, bien que M. le directeur de l'Opéra courre après ce phénix, bride abattue, tout à travers les Alpes; mais le président de la Chambre est déjà trouvé ou plutôt retrouvé; un ténor serait-il un oiseau plus rare qu'un président?
On sait que c'est M. Sauzet, l'élu constitutionnel des trois dernières années, qui est remonté au fauteuil, en passant sur le corps à M. Dupin, qu'on avait essayé de mettre en travers, pour lui barrer le passage. Or, il paraît que M. Sauzet, le meilleur homme du monde et de l'éloquence la plus fleurie, n'est pas encore aguerri contre les émotions de cette lutte annuelle. Je tiens de son médecin que plus d'un mois avant la session, l'honorable député du Rhône éprouve invariablement des inquiétudes abdominales qui ne font qu'augmenter de jour en jour, jusqu'à l'heure fatale où la grande bataille de la présidence doit se décider; alors le malaise redouble, et M. Sauzet a grand peine à se posséder. La dernière candidature de M. Dupin avait rendu la victoire de M. Sanzet plus incertaine que de coutume. Un spirituel député du centre gauche, qui connaît le faible de M. Sauzet, demanda à un ministre, la veille du combat définitif: «Monsieur, avez-vous vu Sauzet ce matin? Comment vont ses entrailles?» On peut affirmer qu'aujourd'hui les entrailles de M. Sauzet se portent à ravir; mais, en revanche, les entrailles de M. Dupin sont peut-être un peu souffrantes.
En même temps que l'ouverture de la session, on nous annonce l'ouverture des bals masqués. Faut-il voir la une allégorie? La salle de l'Opéra-Comique a donné le signal; le débardeur y a fait ses premières armes dimanche dernier; l'Académie Royale de Musique, ne voulant pas encourir les reproches de reculer devant cegalopprématuré, annonce ses fameux bals du samedi, bals à grand orchestre, toutes bougies et tous lustres flambants. Ou voit que l'année 1844 n'est pas d'humeur à engendrer la mélancolie et à se donner des airs de cénobite. A peine née depuis huit jours, elle embouche le cornet à piston, et se met en branle. Elle aura de quoi s'amuser, la luronne! Le carnaval est long et lui promet des nuits infinies de cachucha. On ne dira pas du carnaval de cette année ce que la chanson de Bélanger a dit d'un de ses aïeux:
Ah! qu'il est court! Ah! qu'il est lourd!
Le mercredi des cendres lui donne pleine licence jusqu'au 28 février inclusivement. Janvier et février seront voués tout entiers à l'archet de Musard et à la politique: on se querellera dans les Chambres, et le soir, on fera un tour de valse. Charmante vie!
M. le préfet de la Seine pourra faire des heureux: ce n'est pas le temps qui lui manquera. Ces bals de M. de Rambuteau sont des plus magnifiques et des plus enviés; ceux qui y dansent ne se sentent pas de joie; ceux qui n'ont point leur part dans la fête, en meurent d'envie ou en sèchent de dépit. Que de journées employées à faire de la diplomatie pour arriver à cette conquête! Que de nuits sont troublées par l'ennui d'être exclu de ce paradis municipal! Si M. de Rambuteau était tenu de répondre à toutes les ambitions de contredanse, il faudrait qu'il demandât à son collègue le préfet de police l'autorisation d'ouvrir son bal sur la place Louis XV; peut-être même y serait-on à l'étroit, et faudrait-il y ajouter les Champs-Elysées pour succursale.
Madame de Pontalba menace de faire pâlir l'éclat des bals de l'Hôtel-de-Ville; ce n'est pas que madame de Pontalba et l'Hôtel-de-Ville aient précisément la même clientèle; l'Hôtel-de-Ville, en bon prince qu'il est, donne la main à ses douze arrondissements, les fait danser et leur sert des sorbets et des glaces avec une affabilité presque roturière; c'est Paris qui saute et se rafraîchit au bal de la préfecture, et, en définitive. Paris c'est un peu tout le monde. Madame de Pontalba n'imite pas ces habitudes bénévoles et démocratiques; elle ne prend ses danseurs que dans la fine fleur du grand monde, et toutes ses valseuses habitent les hauts sommets du faubourg Saint-Germain; il faut avoir eu au moins un aïeul ou deux tués à la bataille de Nicopolis, pour être admis à faire un avant-deux chez madame de Pontalba; et s'il n'est pas prouvé qu'un de vos ancêtres était intime ami de Beaudoin de Jérusalem, on vous refuse le balancez-à -vos-dames et l'on vous destitue du tour-de-main. Ainsi les bals Pontalba et les bals de l'Hôtel-de-Ville ont un mérite très-distinct, ce qui n'empêche pas que l'on puisse porter ombrage à l'autre. Cette année, par exemple, l'Hôtel-de-Ville pourrait bien avoir le dessous et s'éclipser devant Pontalba. «Allez-vous chez madame de Pontalba:» sera évidemment le grand mot de ralliement qui courra cet hiver du salon au boudoir. Longtemps on n'avait fait que cette question: «Allez-vous au bal de l'Hôtel-de-Ville?» D'où vient ce changement? Est-ce que les pèlerinages d'outre-Manche et l'air de Belgrave-Square tourneraient les têtes de l'aristocratie?
Le monde raffiné se prépare à faire son plus gracieux accueil à M. le prince Poniatowski, qu'on attend tous les jours d'Italie; le prince vient passer l'hiver à Paris, non pas pour dresser un plan de campagne avec Napoléon, comme aurait pu le faire naguère son illustre père, mort glorieusement dans la retraite de Russie; M. le prince Poniatowski actuel, fils du héros infortuné, est un parfait musicien qui arrive tout exprès pour chanter, de sa belle voix, des airs qu'il compose lui-même, et pour faire le bonheur de nos charmantes petites Parisiennes: «Un prince qui chante si bien! un Poniatowski auteur de si jolies romances! mais c'est délicieux! ravissant! ne trouvez-vous pas cela divin, ma chère?»-M. de Poniatowski ne va pas seulement sur les brisées de mademoiselle Loïsa Puget, de Bérat et de Labarre, il court après la gloire de Mozart et de Rossini; l'Italie a eu en ce genre des échantillons de son savoir-faire: M. Poniatowski l'a gratifiée d'un ou de deux opéras de son crû. On cite entre autre un ouvrage intitulé: Bonifacio di Geremei; peut-être M. le prince Poniatowski nous fera-t-il aussi le plaisir de nous faire entendre ses opéras; pourquoi Paris serait-il plus malheureux que ne l'a été Florence? Quoi qu'il en soit, il est évident que M. le prince Poniatowski va succéder, dans le monde parisien, à M. le prince Belgioso, longtemps célèbre ici par les charmes de sa voix et ses autres talents d'agrément. M. Belgioso a quitté Paris depuis un an, le volage! Il a bien fallu lui donner un remplaçant: prince pour prince, ces dames n'y perdront rien.
On marie et on tue les gens, dans ce pays-ci, avec un aplomb remarquable. Remontez-vous au fait, vous trouvez que l'homme marié est toujours un parfait célibataire, et que la défunte et le défunt sont plus vivants que jamais. Ainsi, l'autre jour le bruit de la ville m'avait conduit adresser l'autel nuptial pour M. Berryer et madame la marquise de Sommariva; eh bien! j'en suis pour ma corbeille de mariage! M. Berryer n'a nulle intention de s'afficher à la mairie, et madame de Sommariva continue à vivre en paix dans le veuvage. Et moi, qui avais déjà commandé mon babil de noces! je vais intenter une action en dommages et intérêts,--contre qui?--contre l'air, contre le vent qui nous apportent tous ces contes inventés par on ne sait qui, et venus on ne sait d'où?
Tandis qu'on mariait M. Berryer malgré lui, on tuait ma dame Catalani sans plus la consulter; il est vrai qu'on la ressuscitait le lendemain. L'illustre cantatrice a été morte et vivante trois ou quatre fois dans la même semaine. Tout, compte fait, il paraît malheureusement que madame Catalani est positivement morte: un journal musical donnait hier la triste nouvelle d'une façon si affirmative et d'un air si candide qu'il est difficile d'en douter, à moins qu'il n'y ait plus aucune espèce de bonne foi sur la terre. Suivant cette version nécrologique, madame Catalani aurait rendu le dernier soupir dans sa villa, près de Sinigaglia; elle était âgée de soixante ans, étant née en 1784.--Mais de quoi m'avisé-je de le prendre sur ce ton lugubre et de mettre un crêpe à mon bras? Peut-être demain faudra-t-il vous annoncer que madame Catalani n'a jamais joui d'une santé plus parfaite, et qu'au lieu d'un enterrement, elle a donné dans sa villa romana un dîner magnifique où les convives joyeux ont vidé le vin de Chypre et de Champagne, en l'honneur de son teint vermeil et de son embonpoint. On a vu des résurrections, moins extraordinaires, témoin celle de M. Duponchel, ancien directeur de l'Opéra, dont le trépas avait été, il y a trois ou quatre ans, annoncé dans toute la ville par billets de faire part: «Vous êtes invité à assister au convoi et enterrement de M. Duponchel, directeur de l'Académie royale de Musique, mort à huit heures du matin hier, 11 novembre.» La famille, les amis éplorés arrivent au domicile mortuaire pour mener le défunt en terre, et le trouvent dans sa salle à manger, dévorant d'un rude appétit un certain pâté de foie gras.--C'était une plaisanterie de quelques mystificateurs; mais une plaisanterie un peu noire, on l'avouera.
On a calculé la quantité de citoyens français qui ne portent pas de souliers; le chiffre, suivant ce dénombrement, s'élève à vingt millions. Vingt millions sur trente-quatre millions d'habitants! Ou voit que notre patrie n'est pas très-bien chaussée. Il est juste, cependant, de tenir compte de ceux qui portent des sabots; nous en donnerons le total une autre fois, toujours est-il qu'il y a plus de va-nu-pieds en France que de semelles. Un journal annonce, à ce propos, qu'un cordonnier vient d'inventer une mécanique merveilleuse qui peut fabriquer quarante paires de souliers par jour. Mettez cette mécanique dans les mains de tous les cordonniers et de tous les savetiers de France, et vous aurez en peu de temps un incroyable approvisionnement de souliers: de quoi satisfaire tous les pieds qui n'en ont pas. Le journal en question se réjouit fort de cette découverte, et semble croire une toute la France va marcher avec des doubles semelles et des bottes vernies. Nous nous en réjouirions volontiers avec la feuille philanthropique, si une petite réflexion n'ajournait notre joie: fabriquer des millions de souliers à la minute, c'est quelque chose; mais la grande question est de pouvoir payer les mémoires du cordonnier. Quand notre ami le journal aura inventé une mécanique pour donner six francs à tous ceux qui n'ont pas le sou et veulent des souliers, et vingt francs pour une paire de bottes, la question commencera à s'éclaircir. Voilà la vraie mécanique difficile à trouver, et qu'on ne trouvera jamais, j'en ai peur.
La dynastie des Vestris n'est pas morte: un Vestris vient de débuter à l'Opéra, entre mademoiselle Maria et M. Albert. Il a le jarret ferme et digne de ses pères, les grands Vestris. Ombre de Vestris 1er, tu as dû, en voyant ton petit-fils pirouetter si agréablement, battre dans ta tombe un entrechat à huit!
(Agrandissement)
(Agrandissement)
Le Laird de Dumbicky, drame en cinq actes, deM. Aexandre Dumas.--André Chénier, deM. Daillière.-Le Médecin de son Honneur, deM. Hippolyte Lucas.--Paris dans la Comète.--Gérolstein.--Une idée de Médecin, deM. Dartois.
Le Second-Théâtre-Français a donné trois drames coup sur coup, les trois drames dont les noms précèdent; M. Dumas, M. Lucas, M. Daillière, sont les pères avoués et reconnus de ces trois enfants; deux sont ornés de rimes et d'alexandrins; le troisième est en simple prose; quand je dis simple, je me trompe: M. Alexandre Dumas ne fait rien simplement Par où commencerai-je? Evidemment par les gros bataillons, c'est-à -dire par M. Dumas et sa prose en cinq actes; MM. Lucas et Daillière, plus légèrement armés, viendront à leur tour. C'est doncle Laird de Dumbickyà qui reviennent les honneurs du pas; ne lui enviez pas cette consolation! Le pauvre.Lairdvient d'éprouver tant de malheurs! le parterre s'est montré pour lui si rude et si implacable!
Son nom est Mac-Allan; vous devinez tout de suite que nous avons affaire à un Écossais, et vous devinez juste. Mac-Allan a un oncle, sir David, grand partisan des Stuarts; après la bataille de Worcester, qui ruina complètement la cause royale, lu fidèle sir David recueillit le jeune prince, depuis Charles II, et l'aida à se mettre en sûreté; ceci valut à sir David la haine de Cromwell et la confiscation du ses biens.
La Restauration venue, et Charles II ayant repris possession du trône paternel, sir David songe à obtenir sa réintégration dans sa fortune et dans son autorité; pour réveiller la mémoire du roi Charles, qui l'oublie, il envoie à Londres son neveu Mac-Allan, laird du Dumbicky. A son arrivée, Mac-Allan, trouve qu'au lieu de s'occuper de récompenser la fidélité de ses vieux serviteurs et de songer aux affaires de l'État, Charles II n'a d'autre soin que celui d'une vie dissipée et frivole. Ceci blesse un peu l'honnêteté du noble Écossais. Patience, il en verra bien d'autres. Savez-vous en effet le rôle qu'on va faire jouer à ce brave laird, et quelle récompense on prépare, dans sa personne, au dévouement de son oncle?--Non pas vraiment.--Eh bien! je vais vous le dire. Le laird de Dumbicky, sans le savoir, devient le pivot d'une intrigue honteuse, qui se débat entre Nelly, la maîtresse en titre du roi Charles II, et le duc de Buckingham, son favori. Voici le mot de ce tripotage: Buckingham veut renverser la favorite Nelly, en lui substituant, dans l'autour du maître, une jeune et honnête fille nommée Sarah, que le roi désire; de son côté, Nelly prétend défendre son crédit et avoir raison de Sarah et de Buckingham.
Mac-Allan est choisi par le duc et par Nelly pour l'éditeur responsable de cette double combinaison; d'une part Buckingham lui fait épouser Sarah légitimement, afin de sauver les apparences et d'éviter au roi l'odieux d'une séduction exercée sur une innocente jeune fille. Le mariage couvre tout. D'autre part, Nelly avertit Mac-Allan de ce guet-apens infâme; ce n'est point par intérêt pour lui, mais par un sentiment de jalousie et pour empêcher Buckingham de réussir.
Le laird de Dumbicky, en sa qualité d'honnête homme et de mari sérieux, n'a évidemment qu'une chose à faire: de rendre l'honneur de sa femme et le sien contre les entreprises combinées de Buckingham et du roi! Or, il se met en garde avec d'autant plus de résolution qu'il est sur de la vertu de Sarah et qu'il l'aime sincèrement. Je ne suivrai pas Mac-Allan, Kelly, Buckingham, le roi et Sarah dans cette bataille; j'ai fait connaître le sujet du drame; on a pu voir que c'était une de ces intrigues passablement équivoques, vingt fois exploitées au théâtre, et tout récemment encore par M. Alexandre Dumas lui-même, à la Porte-Saint-Martin, sous le titre deLouise Bernard. Nos dramaturges ne font plus que ruminer. --Les détails ne sauvent pas la banalité du sujet; ce sont toujours les mêmes effets peu scrupuleux, les mêmes moyens effrontés: rendez-vous suspects, portes ouvertes, chambres à coucher, escalades, substitutions de personnes, toutes les vieilles brutalités du drame d'alcôve. Oui, vieilles est le terme, car elles ont fait leur temps et lassé l'honnêteté du public, qui n'en veut plus.--Il va sans dire que le roi et Buckingham sont vaincus par Mac-Allan, que Sarah leur échappe, et que Nelly reste souveraine maîtresse.
La soirée a été orageuse. Les sifflets, les sanglantes apostrophes du parterre ont servi d'escorte au drame malencontreux, pendant les deux derniers actes surtout. Au dénoûment, la tempête mugissait avec un effroyable courroux. Cette sévérité n'était que de la justice. Non-seulement le drame méritait peu d'indulgence du côté de l'invention, mais le ton de mauvais lieu qui s'y trahit, mais un dialogue plein de crudités et d'indécence ne pouvaient qu'aggraver les torts de l'auteur. Qu'on n'ait pas du génie et de l'originalité tous les jours, cela se conçoit aisément, les idées nouvelles sont rares, et n'en a pas qui veut; du moins devrait-on toujours respecter certaines convenances et ne pas dépasser les limites permises. On n'a pas besoin pour cela d'être un grand homme, mais tout simplement un homme honnête et suffisamment élevé. Voilà bien des chutes, monsieur Dumas; prenez garde!
L'auteurd'André Chénier, M. Daillière, est un jeune soldat dramatique; il fait là sa première campagne; le drame en question est son coup d'essai, ce qui ne veut pas dire précisément que ce soit un coup de maître. Il y a cependant d'honnêtes intentions et quelque mérite dans l'ébauche de M. Daillière. Ébauche est le mot qui convient ici. M. Daillière, en effet, a su, à propos d'André Chénier, assembler quelques scènes d'un effet touchant; mais c'est là tout; l'action, les oppositions, les nuances, la lutte des passions, le contraste des caractères, tout ce qui constitue un drame proprement dit, manque à peu près à l'ouvrage; en deux mots, voici l'affaire:
André Chénier gémit sous les verrous. Pour tromper les douleurs de la captivité, le poète fait des vers. A la poésie se joint une tendre passion, une passion respectueuse et idéale. Une jeune prisonnière, mademoiselle de Coigny, est l'objet de cet amour mélancolique et le partage; c'est pour elle, on le sait, qu'André écrivit cette ode dela jeune Captive, qu'il est difficile de lire encore aujourd'hui sans un profond attendrissement.
Cependant l'heure fatale approche; déjà le bourreau a frappé plus d'un compagnon de l'infortuné poète; son tour va venir; il vient en effet, et le mélodieux André sort de ce cachot sans espoir, pour aller à l'échafaud, au milieu des larmes de mademoiselle de Coigny, de Marie-Joseph Chénier et du désespoir de son père.
Il n'y a rien de plus dans l'ouvrage de M. Daillière, si ce n'est des rimes et des tirades qui, sans être toujours irréprochables, annoncent une certaine verve qui pourra plus tard donner des résultats plus complets. Quoi qu'il en soit, les bravos n'ont pas manqué à M. Daillière, et c'est déjà beaucoup que de commencer par là .
Dans cette course au drame, M. Lucas est le véritable vainqueur. Aux prises avec MM. Dumas et Daillière, M. Hippolyte Lucas a jusqu'au bout gardé la corde; les deux autres couraient encore, qu'il était déjà arrivé. Calderon y est bien pour quelque chose; dans cette lutte, Calderon a été le partenaire de M. Hippolyte Lucas.Le Médecin de son Honneura servi d'enjeu à l'illustre poète; M. Lucas n'a fait qu'y entrer pour une certaine part d'esprit et d'étude ingénieuse; Calderon a fourni le capital.
Don Guttière est le héros de l'aventure; c'est un noble castillan, fort épris de sa femme, dona Mencia, et des plus chatouilleux sur le point d'honneur; un jour qu'il rentre subitement au logis conjugal, il a des soupçons; bientôt ses soupçons se changent en douloureuse certitude: dona Mencia le trahit! Dona Mencia donne de secrets rendez-vous au prince Henri de Transtamare! O douleur! que faire? Don Guttière a bientôt pris son parti: qu'a-t-il besoin de recourir à d'autres qu'à lui-même? N'est-il pas le gardien ou plutôt le médecin de son honneur? il guérira donc cet honneur blessé; et voici l'horrible remède qu'il lui applique.--Une nuit, tandis que dona Mencia sommeille, le sombre don Guttière entre au domicile conjugal mystérieusement enveloppé dans son manteau; il vient suivi d'un chirurgien qu'il a fait saisir et amener de force par deux esclaves maures: «Tu vas entrer là , lui dit-il en lui désignant la chambre de dona Mencia; tu y trouveras une femme endormie: tu t'approcheras d'elle et tu lui ouvriras les veines!--Horreur! s'écrie le chirurgien, pâle et tremblant, vous pouvez me tuer, non faire de moi un assassin.--Eh bien! je te tuerai...» Et les deux esclaves s'approchent du misérable, le poignard levé. «J'irai donc,» dit-il, et il entre en chancelant; un instant après, on le voit revenir tout livide, et s'appuyant sur la porte où sa main sanglante laisse une trace de sang. Ce sang en dit assez: don Guttière est vengé.--Survient le roi de Castille: «Qu'as-tu fait? demande-t-il à don Guttière.--Sire, j'ai eu soin de mon honneur, réplique don Guttière; n'étais-je pas son meilleur médecin?» Et cependant don Guttière ne survivra point à cette terrible exécution; il suivra le roi à la guerre et s'y fera tuer.
Cette dernière scène donne le frisson; si l'on objecte que c'est là un drame bien effroyable pour des nerfs français, nous répliquerons que le drame est espagnol; M. Hippolyte Lucas n'a fait que l'accommoder pour l'Odéon avec beaucoup d'intelligence, en vers très-élégants et très-français.
Toute année qui meurt est sûre de trois ou quatre oraisons funèbres mêlées de vaudeville. L'année 1843 a eu le même sort que les autres: ici, c'est le théâtre du Palais-Royal qui l'enterre dans une revue intitulée:la Cour de Gérolstein; là , le théâtre des Variétés paie sa dette à la défunte année par une plaisanterie appelée:Paris dans la Comète. Ces deux pièces à couplets ne font que répéter à peu près ce quel'Illustrationa dit de l'année 1843 dans son dernier numéro: les modes, les théâtres, les pièces sifflées, M. Eugène Sue et lesMystères de Paris, les pipes et les cigares, que vous dirai-je? tous les faits mémorables de notre éloge nécrologique de l'an 1843.--Cela n'est pas toujours très spirituel; mais cela fait rire, elle rire est si bon!
C'est une assez pauvre idée quel'Idée du Médecin: ce médecin a une sœur; pour attendrir un infidèle qu'elle aime, il fait courir le bruit de la mort de cette sœur abandonnée; l'infidèle, en effet, est au désespoir; au fond c'était une bonne âme; puis, il s'aperçoit qu'on s'est moqué de lui, et s'amuse à prendre sa revanche contre le médecin et sa sœur, en feignant de vouloir convoler en secondes noces. Le tout finit, on s'y attend, par une explication et un raccommodement général; l'idée n'est pas neuve.
Il a paru, il y a quelques semaines seulement, une brochure fort intéressante de M. P. Lefebvre, ancien élève de l'École Polytechnique. Cette brochure est consacrée aux développements d'une idée fort bizarre, relative à la navigation à vapeur. Bien que des expériences convenables n'aient pas encore déterminé la valeur de cette invention, comme les bases sur lesquelles elle repose n'offrent rien de contraire aux théories, que peut-être un jour, appliquée de l'autre côté du détroit, sommes-nous destinés à la voir revenir triomphalement en France et donnée comme la millième preuve de la supériorité de l'esprit ingénieux des Anglais, les lecteurs del'Illustrationn'en liront pas sans intérêt la description.
C'est du reste un de nos engagements vis-à -vis du public de ne laisser rien paraître de nouveau, dans quelque genre que ce soit, sans être les premiers à les mettre de suite au courant.
Dans les questions de mécanique, où il s'agit de surmonter des résistances, comme, par exemple, dans la locomotion sur terre, on ne s'occupe pas seulement du système qui doit se mouvoir, on n'améliore pas seulement la voiture, le mode d'attelage: on s'occupe aussi, avec grand avantage, du moyen de diminuer la résistance qui s'oppose au mouvement; c'est pour cela que l'on construit les routes ferrées, pavées, les chemins de fer.
Or jusqu'ici, dans le problème de la navigation, on n'a pensé qu'à agir sur le corps flottant; il reste à résoudre la deuxième partie du problème, à opérer sur le fluide en vue de diminuer la résistance.
C'est dans cette voie toute nouvelle que M. Lefebvre s'est efforcé d'entrer. De même que sur les routes ordinaires, l'introduction du fer disposé en rail, permettant l'emploi des machines en diminuant les chocs et les frottements, a donné à la locomotion cette rapidité qui n'est pas une des moindres merveilles de notre époque; de même sur les fleuves, les canaux, M. Lefebvre pense que l'air est appelé à jouer un rôle analogue et à augmenter d'une manière considérable la vitesse de la navigation à vapeur.
Ainsi, dans le système de l'auteur, le corps flottant, le vaisseau ne doit plus avoir à vaincre la résistance d'un liquide, de l'eau, mais d'un mélange infiniment moins dense de gaz et de liquide, de l'eau et de l'air.
Certes il serait difficile de disputer à M. Lefebvre la priorité de son ingénieuse idée, et si nous rapportons le fait suivant, c'est bien moins pour lui enlever le mérite de son invention que pour faire comprendre tout ce qu'elle peut avoir de pratique.
Un mécanicien de Séville avait fait une pompe au moyen de laquelle il espérait élever l'eau à une grande hauteur; mais, arrivé; à trente-deux pieds, l'eau s'arrêtait, et tous les efforts du mécanicien étaient superflus; dans un moment d'emportement il jette avec violence son marteau: le tuyau de la pompe est atteint, et l'eau s'élance au niveau désiré! On chercha la cause du phénomène: c'était un petit trou ouvert dans la paroi du tuyau; et c'est ainsi que fut trouvée la pompe de Séville, dont on voit quelques modèles dans de vieux cabinets de physique. Un livre, déjà ancien, donne de cette manière la description d'une de ces pompes exécutée en grand:
«On a vu il y a quelques années, place Dauphine, une pompe aspirante qui jetait l'eau sans interruption à une hauteur de cinquante-cinq pieds. Son canal d'aspiration était percé d'un trou très-petit qui restait constamment ouvert. L'air, entrant impétueusement par cet orifice, entrecoupait l'eau à mesure qu'elle montait dans le canal aspirant; de sorte qu'il se formait dans ce canal une colonne mixte d'eau et d'air, et par conséquent assez légère pour pouvoir être portée à la hauteur de cinquante-cinq pieds par l'air extérieur qui pressait sur l'eau du réservoir.»
Voici donc un cas dans lequel, par l'introduction de l'air dans l'eau, on parvient à constituer un liquide d'une densité moindre qui se comporte alors comme un nouveau corps.
Or, telle est précisément la donnée du problème que s'est posé M. Lefebvre.
L'auteur propose de faire mouvoir par la machine à vapeur d'un bateau une machine soufflante, ce qui est d'une exécution facile. Cette machine soufflante sert à chasser de l'air par un tuyau placé au point le plus bas de l'avant du bateau; et ce tuyau est lui-même percé d'une infinité de petits trous tout le long de sa partie supérieure. L'air arrivant dans l'eau en petits filets rendus discontinus par la marche du bateau forme une multitude de globules. Voilà donc un bateau ne rencontrant plus dans sa progression qu'un mélange composé partie de liquide, partie de globules d'air, mélange dont la densité est bien moindre que celle de l'eau, fig. 1 et 2. Deux questions se présentent de suite à l'esprit pour apprécier la valeur de cette proposition.
1º La résistance sera-t-elle réellement diminuée?
2º Y aura-t-il avantage à utiliser la force motrice, à vaincre de cette manière la résistance?
La théorie permet de répondre affirmativement à la première. En effet, la résistance considérée comme proportionnelle à la densité du fluide, doit nécessairement diminuer.
De plus, si l'on cherche à se rendre compte des effets obtenus par ce bouillonnement d'air à l'avant du bateau, on trouve:
1º Que le volume déplacé par le bateau en mouvement aura une moins grande masse;
2° Que pressé en tout sens par le liquide, le bateau le sera moins à l'avant qu'à l'arriére, et par ce seul fait sera sollicité dans le sens de sa marche.
En effet, la pression de l'eau, d'après des expériences admises, ne s'exercera pas sur les globules d'air en mouvement comme si elles étaient en repos.
3º La succession de chocs produits par la rencontre du fluide en repos et du bateau en mouvement consommera une moins grande quantité de travail, vu qu'au moyen de l'espèce de coussin formé par le mélange d'air et d'eau, ils n'auront plus lieu qu'entre corps élastiques.
Pour se former une idée juste de l'importance de cette dernière considération, il suffit de savoir que M. Piobert, chef d'escadron d'artillerie et membre de l'Institut, charge par le gouvernement d'expériences fort curieuses sur la pénétration des corps, ayant tiré des boulets de canon dans l'eau, vit leur mouvement s'amortir avec une extrême rapidité; ce qui prouve l'énorme résistance opposée. Le choc à l'entrée était tel que des obus (boulets creux) qui pénètrent sans se rompre dans des terres rassises étaient constamment brisés.
Rien dans l'état actuel de la science ne peut nous mettre à même de résoudre la deuxième question: sera-t-il plus avantageux d'employer une partie de la force motrice à vaincre la résistance de la manière proposée? M. Lefebvre établit par un calcul dont les données sont tirées de l'ouvrage de M. Poncelet, qu'une pompe qui chasserait à l'avant d'un bateau un mètre cube d'air par seconde, devrait être mue par une force équivalente à seize chevaux-vapeur. Reste donc à savoir, et l'expérience seule peut nous l'apprendre, si un bateau dont les roues seraient mises en mouvement par une force de cinquante chevaux, par exemple, n'irait pas tout aussi vite que si trente-quatre chevaux seulement étaient employés à faire mouvoir les roues, et seize à faire jouer la pompe proposée. Une pareille expérience nous semble devoir être nécessairement faite un jour ou l'autre.
Au reste, pour que ce système fût réellement avantageux, il ne suffirait pas qu'il pût servir à diminuer la résistance qui s'oppose au mouvement du bateau, il faudrait encore que par son emploi, on parvint à dépasser le maximum de vitesse obtenu jusqu'à ce jour. Or cette limite, dit M. Lefebvre, résultant bien plus de la diminution rapide de la proportion d'effet utile de l'appareil moteur, quand on augmente sa vitesse, que de la difficulté d'accroître la force motrice, il est évident que le système proposé l'emportera sur l'ancien pour obtenir les derniers accroissement de vitesse.
Il paraît ainsi que son succès commercial est probable, surtout dans les cas où il importe d'obtenir avant tout de grandes vitesses, condition souvent la plus importante de toutes.
L'auteur a relégué dans une de ses notes, et nous sommes fâchés qu'il ne lui ait pas donné plus de développement, une proposition que nous regardons comme le complément de son système: c'est la suppression de la cheminée.
Il est bien démontré aujourd'hui que le tirage nécessaire à la combustion, obtenu au moyen d'une cheminée, ou, en d'autres termes, la vitesse imprimée à l'air au moyen d'un combustible, coûte beaucoup plus cher que la même vitesse imprimée par des agents mécaniques. M. Clément et M. Peclet l'ont positivement établi, tellement que, sans la complication de la machine et le danger des coups de feu pour les chaudières, il n'est pas un ingénieur qui n'admit qu'il n'y eût économie de combustible à faire précéder le foyer d'un ventilateur qui chasserait l'air, et qu'une combustion mieux utilisée compenserait au moins l'excès de force qu'il faudrait faire développer à la machine.
L'impossibilité de donner beaucoup de hauteur aux cheminées de bateaux est la cause principale du peu d'effet utile du combustible. Or, si l'on fait aspirer à la machine soufflante proposée, au lieu d'air, les produits mêmes de la combustion, n'en résultera-t-il pas qu'une partie du travail qu'elle consommera correspondra à la partie du combustible précédemment employée au tirage?
Dans le cas où il faudrait lancer 1 mètre cube par seconde, soit 360 mètres cubes par heure, chaque kilogramme de houille correspondant en général au passage dans la cheminée de 18 mètres cubes d'air, on voit que l'aspiration d'un mètre cube par seconde suffirait pour la combustion de 200 kilogrammes de charbon par heure, ou pour une machine de quarante à cinquante chevaux.
Bâtiment à hélice avec courant d'air, sans cheminée.
Les lecteurs de l'Illustrationn'ont pas oublié la description de la goélette à hélicele Napoléon. Au lieu de ces deux lourdes roues à palette qui flanquent les deux côtés des bateaux à vapeur, la goélettele Napoléona pour propulseur une hélice placée à son arrière et au-dessous de la ligne de flottaison; en sorte que le bâtiment semble marcher comme par enchantement; mais il reste encore sur le pont cette énorme cheminée qui obstrue le passage, empêche toute voilure un peu complète, et vomit sur la tête des passager» des torrents de noire fumée. Adoptez, le système de M. Lefebvre, et cette cheminée disparaîtra comme dans le système de M. Sauvage les roues ont disparu. N'aurons-nous pas alors atteint l'idéal de la navigation à vapeur?
La Société philotechnique, la plus ancienne des sociétés littéraires après l'Académie française, a tenu dimanche, 17 décembre, dans la jolie salle du la rue Neuve-Vivienne, l'une de ses deux séances publiques. L'assemblée était fort brillante et très-nombreuse. Lorsque M. le baron Ladoucette, secrétaire perpétuel, en énumérant les pertes et les acquisitions que la Société a faites depuis six mois, a annoncé la mort d'un de ses plus illustres confrères, Casimir Delavigne, l'auditoire entier s'est montré vivement ému.
Plusieurs lectures en prose ou en vers ont été faites par les membres de la Société. Celles qui nous ont paru produire le plus d'impression sontles Deux Vieillards, de M. Villeneuve fils;Les Deux Ouvriers, de M. Desaint; une fable de M. Lavalette;En public, de M. Berville; une épître surl'Ingratitude, de M. Viennet; et surtout uneÉpître aux faiseurs de contes, de M. Roux de Rochelle.--Ces lectures terminées, un concert vocal et instrumental, dans lequel on a entendu Levassor, a eu lieu comme les années précédentes.
Séance de la société philotechnique dansla salle des Concerts Vivienne.
En résumé cette fête artistique et littéraire a été digne d'une Société qui compte parmi ses membres plusieurs de nos artistes les plus célèbres et de nos littérateurs les plus recommandables.
Institution des Jeunes Aveugles.--Inaugurationdu nouvel établissement.
La cécité! est, de tons les maux qui affligent l'espèce humaine, celui qui, en tout temps et dans tous les pays, a été en possession de l'intérêt le plus constant et le plus universel. Le roi saint Louis, auquel les établissements de bienfaisance doivent tant chez nous, acquit de l'évêque de Paris une pièce de terre voisine du cloître. Saint Honoré, appeléeChampourisur laquelle il fit construire une maison, qui plus tard forma l'encoignure de la rue Saint-Nicaise, et qui était destinée à loger et entretenir des aveugles pauvres au nombre dequinze-vingts, comme on comptait alors, et qui prit son nom du nombre de ses hôtes. On ignore la date précise de cette fondation: on sait seulement qu'elle remonte à l'année 1260 environ. Voici ce qu'en dit le confesseur de La reine Marguerite: «Aussi li benoyst roy fist acheter une pièce de terre de lez Saint-Ennouré, où il fist fère une grant mansion porceque les poures avugles demorassent ilecques perpétuelement jusques à trois cens; et ont touz les anz de la borse du roy, pour potages et pour autres choses, rentes. En laquelle mansion est une église que il fist fère en l'eneur de saint Rémi, pour ce que lesditz avugles aient ilecques le service Dieu. Et plusieurs fois avint que li benoyst roy vint as jours de la feste Saint-Rémi, où lesditz avugles faisoient chanter solennellement l'office en l'église, les avugles présens entour le sainct roy.» En effet, Louis IX avait, en 1270, constitué de nouveau trente livres de rentes destinées spécialement au potage de ces trois cents aveugles. Clément XIV, de son côté, par une bulle de 1265, avait recommandé cette institution aux évêques et prélats de France, elles avait invités à accueillir et à favoriser les quêteurs qui allaient recueillant des aumônes pour elle. Guillaume de Villeneuve, dans sesCrieries de Paris, nous les présente demandant à grands cris du pain dans les rues: