L'Insurrection de Cuba(5)

Si esta vivora te picaNo hay remedio en la botica.Devise qui le plus souvent employée, a valu à certainsnavajasle nom lugubrement plaisant denavajas de santolio, couteaux de l'extrême-onction.Mais il est temps de nous arrêter. Quelques-uns des détails que l'on vient de lire et qui expliquent les dessins que nous donnons, ont été par nous empruntés au magnifique ouvrage que vient de publier la librairie Hachette: l'Espagne, par le baron Ch. Daviller. C'est un splendide volume in-4º de 800 pages, très-intéressant, très-bien écrit, et illustré de 300 gravures dessinées sur bois par M. Gustave Doré.L. C.L'Insurrection de Cuba(5)Note 5:Les deux gravures qui accompagnent cet article sont extraites duTour du Monde, nouveau journal des voyages, publié par la maison Hachette et Cie.Dans l'histoire de la semaine nous disons où en est l'affaire duVirginius, qui est venue si inopinément compliquer, vis-à-vis des États-Unis d'Amérique, la situation déjà si critique de la malheureuse Espagne. Nous n'avons pas à y revenir ici. On sait qu'à la première nouvelle de l'exécution des flibustiers américains, il y eut comme une explosion d'indignation aux États-Unis. On ne parlait que d'armer et d'entrer en campagne sur l'heure.Cette indignation était-elle bien réelle? J'en doute.On sait que depuis longtemps les États-Unis convoitent la possession de l'île de Cuba; et, si les richesses et la merveilleuse situation de la perle des Antilles n'excusent pas ces convoitises, au moins les expliquent-elles. La fertilité de l'île de Cuba est très-grande en effet, sa végétation magnifique. On y trouve de vastes forêts de palmiers, de cèdres, de cocotiers, de chênes, de pins; on y cultive la canne à sucre, le tabac, le caféier, le cotonnier, l'indigotier, le riz, le maïs, qui sont pour le planteur une source intarissable de richesses, et rien n'égale la beauté de son port de la Havane que défendent de vastes fortifications. Les vues que nous donnons de ce port et de l'intérieur de l'île prouveront au lecteur que nous n'exagérons en rien.Cuba forme, avec les autres Antilles espagnoles, un gouvernement dont la Havane est le chef-lieu. Civilement, elle est divisée en deux provinces: la Havane et Santiago; militairement, en trois départements: l'Est, le Centre, et l'Ouest; financièrement en trois intendances: la Havane, Puerto-Principe et Santiago; au point de vue maritime enfin, en cinq provinces: La Havane, Trinitad, Remedios, Nuevitas et Santiago. Elle renferme une population de 1,449,462 habitants, dont 564,698 blancs, 16,176 hommes libres de couleur et 662,087 esclaves qui seront libérés après la pacification de l'île d'après la loi récemment votée par les cortès espagnoles. En attendant l'esclavage y règne toujours, et bien que la traite soit interdite, plusieurs milliers d'esclaves y sont encore introduits chaque année. La révolte de ces esclaves l'a ensanglantée plusieurs fois dans le cours de ce siècle et l'ensanglante encore aujourd'hui. Espérons que c'est pour la dernière fois et que ces révoltes cesseront avec la cause qui les a fait naître.L'Espagne attache le plus grand prix, et cela se comprend, à cette colonie que les États-Unis, nous l'avons dit, voudraient bien aussi s'annexer. En 1845, ils ont offert de l'acheter, et peut-être l'Espagne a-t-elle eu tort de ne pas la vendre. Finiront-ils par s'en emparer d'une façon ou de l'autre? Selon toutes les probabilités, oui.UN VOYAGE EN ESPAGNEPENDANT L'INSURRECTION CARLISTEVAbdication du roi Amédée et proclamation de la République.--Agissements de la Junte carliste établie à Bayonne.--Don Carlos séjournant à la frontière.--Conseil particulier du prétendant.--Nomination de nouveaux chefs carlistes.Lorsque l'abdication du roi Amédée fut portée aux Cortès et que celles-ci, en dépit du ministre Zorilla, proclamèrent la République, j'étais à Vitoria, capitale de la province de l'Alava. De ces deux nouvelles, la première était prévue depuis longtemps, le jeune prince italien, malgré ses qualités personnelles incontestables, étant profondément détesté par tous les Espagnols, sans distinction de partis, devait en arriver forcément à cet acte d'abdication. Aussi n'étonna-t-elle personne.Il n'en fut pas de même de la proclamation de la République par une Chambre qui passait pour être foncièrement monarchique. La population ne voulut pas d'abord croire à la réalité de cette nouvelle. Mais lorsqu'il fallut bien se rendre à l'évidence, elle protesta énergiquement contre cette forme de gouvernement subitement improvisée. Je ne crois pas me tromper en affirmant qu'à Vitoria, ville d'environ vingt mille âmes, il ne s'y trouvait pas, en avril dernier,cent républicains. La désorganisation s'introduisit dans l'administration des affaires publiques. Le gouverneur de la province, les membres de l'ayuntamiento, tous les principaux employés du pouvoir central donnèrent leur démission en masse, si bien qu'en deux ou trois jours, la ville et toutes les localités de la province furent livrées à la plus complète anarchie.Le même désordre se reproduisit dans les autres provinces qui, comme celle de Vitoria, furent plongées dans la stupeur à l'annonce seule du mot de République, qui a été toujours, depuis la Révolution de 1793, un horrible épouvantail dans l'esprit des populations basques, au point qu'elles nous ont regardé, pendant longtemps, nous Français, comme des monstres et des buveurs de sang.Dans toutes les excursions que je fis à Pampelune, Tolosa, Bilbao, Saint-Sébastien, etc., je constatai le même désarroi dans toutes les administrations et une égale répugnance, de la part des populations, à vouloir accepter la nouvelle forme de gouvernement. Alors se produisit une espèce d'anarchie dont profita habilement le parti carliste. Jusqu'alors, l'insurrection avait été assez mollement conduite, soit que les chefs n'eussent pas une entière confiance en son succès, soit qu'elle manquât d'argent et d'armes; ce dernier fait était vrai, j'en ai eu la certitude.Mais à partir du jour où commença la désorganisation du pouvoir central, la junte de guerre, établie à Bayonne depuis le mois de mars, fonctionna avec plus d'activité. Elle se composait de membres moitié Espagnols, moitié Français, dont la mission consistait à procurer des armes, de l'argent et des hommes à l'insurrection. Jusqu'alors elle lui en avait bien fourni, mais dans une mesure bien restreinte. C'est du moins ce dont se plaignaient lescabecillasqui se trouvaient à la tête des bandes. Elle trouva pour la seconder, attendu les circonstances politiques du moment, les fournisseurs et les banquiers auxquels elle s'était adressée, dès le début de la campagne, dans de meilleures dispositions. Les premiers, toujours craintifs et n'ayant pas une foi bien robuste dans le succès de l'insurrection, n'exécutaient que d'une manière bien irrégulière les marchés passés pour fournitures d'armes de munitions et d'équipements militaires.--Les seconds se montraient très-difficiles pour accepter les traites souscrites par les agents de don Carlos et laissaient sortir du sein de leurs caisses, pour les besoins de la guerre, que le moins d'argent possible. Ce qui explique le peu de progrès que faisait l'insurrection.Mais à dater du mois d'avril et du commencement de mai, fournisseurs et banquiers furent plus accommodants et pleins de zèle pour seconder les vues et les projets du parti carliste, avec lequel ils avaient pris des engagements sérieux par l'intermédiaire de la junte de Bayonne. Les armes et les munitions passèrent alors plus régulièrement et en plus grande quantité la frontière qu'auparavant, malgré les difficultés bien plus nombreuses qu'on opposait à leur passage, du côté de France, où venait d'être établi sur la frontière un cordon sanitaire de troupes. On en expédia même de l'Angleterre.J'ai assisté à un débarquement d'armes expédiées de Birmingham. Vers le milieu du mois de mai, un bateau à vapeur vint en plein jour (il était sept heures du matin) s'arrêter dans le petit port de Fontarabie, en face le débarcadère des pêcheurs, À son apparition, des barques allèrent l'aborder, et en moins d'une heure elles transportèrent quatre cents caisses qu'elles déposèrent sur la berge, rendant l'opération du débarquement, une bande de quinze cents hommes environ, commandée par le colonel Martinez, et dont les trois quarts étaient sans armes, s'emparèrent des colis qui renfermaient des fusils et des munitions, les ouvrirent et s'armèrent séance tenante. Les caisses restées sans être ouvertes furent déposées sur des charrettes et transportées, sous bonne escorte, au camp d'Achulégui. Ce débarquement s'opéra sans qu'il trouvât là moindre opposition de la part des troupes et des volontaires de la République casernés à Irun, c'est-à-dire à deux kilomètres au plus du port de Fontarabie. Et ce qui me parut plus étrange encore, c'est que la bande carliste et les caisses chargées sur des charrettes traînées par des bœufs, passèrent tranquillement devant les portes de la ville.A cette expédition, dont je fus spectateur, j'eus l'occasion de revoir mon ami, le colonel Martinez, qui commandait l'escorte du convoi et qui paraissait tout radieux.--Vous n'êtes pas encore à Madrid, mon cher colonel, lui dis-je, en lui rappelant son dernier adieu à Vera, mais vous y êtes sur le chemin, à ce qu'il me paraît.--Dix débarquements comme celui-ci, me répondit-il, et notre cause est gagnée!--Vous ne craignez pas d'être surpris sur votre route par les troupes républicaines?--Toutes mes précautions sont prises et je suis certain d'avance que les hommes de Loma n'oseront as venir nous barrer la route. Voyez, j'ai quinze cents hommes avec moi!Le colonel avait dit vrai. Pas un seul homme de la garnison d'Irun, qui se composait d'environ six cents hommes, soit volontaires, soit soldats de la ligne, n'osèrent sortir de la ville.J'ai assisté à trois autres débarquements du même genre, sans qu'ils fussent autrement contrariés, tant les frontières étaient mal gardées du côté de l'Espagne.D'un autre côté, don Carlos, que les journaux espagnols et étrangers avaient fait mourir plusieurs fois et voyager tantôt en Angleterre, tantôt en Suisse, vint s'installer d'abord dans un hôtel de Pau et ensuite au château de Peyrolhade, où il a résidé jusqu'à son entrée en Espagne. Voulant m'assurer par moi-même si le fait était exact, je fis, au mois de juin, une excursion dans les Basses-Pyrénées, et je me rendis à ce château, situé presque sur les limites qui séparent la France de l'Espagne. Ce n'était pas sans de grandes difficultés que je pus arriver jusqu'à cette demeure seigneuriale, malgré les titres et les recommandations dont j'étais porteur, tant on avait pris de précautions pour la rendre inabordable.Lorsqu'un inconnu venant de France ou d'Espagne apparaissait dans le lointain, se dirigeant vers le château bâti sur une élévation qui domine les alentours à une distance de quatre kilomètres, des vedettes placées de loin en loin, depuis le sommet des montagnes jusqu'au village de Peyrolhade, qui lui-même est éloigné de la résidence royale d'environ une lieue, s'empressaient d'en informer le commandant du palais. Celui-ci envoyait immédiatement des gardes à sa rencontre pour le reconnaître. S'ils avaient les moindres soupçons sur l'individu, on le prévenait poliment qu'il se trompait de chemin en lui indiquant le moyen d'en prendre un autre; et ils s'éloignaient. Si, au contraire, c'était un ami ou une personne dont on n'avait pas à se méfier, on le conduisait au château.C'est ainsi que sur la présentation d'une lettre du président de la junte carliste, je fus admis auprès de la personne du prince, qui voulut bien me recevoir lui-même. Don Carlos est âgé de vingt-neuf à trente ans environ. Sa taille est élevée, sa figure pleine de noblesse; un air de grandeur et de majesté rayonne sur sa physionomie franche et sympathique. Tout en lui, jusqu'à sa parole claire, douce et concise, prévient en sa faveur. L'audience qu'il m'accorda ne fut pas longue, mais elle répondit au but que je m'étais proposé d'atteindre.Il ne faudrait pas croire pourtant que le prétendant se montrât très-facile à accorder des audiences particulières. Il est arrivé, à ce sujet, aux visiteurs étrangers, de curieuses méprises. Milord D..., désirant s'entretenir avec don Carlos, s'était rendu à cheval de Pau au château de Peyrolhade. Arrivé à la résidence princière, il fut reçu par le général Ellio, auquel il demanda de le présenter auroi. Le vieux général s'empressa de le conduire dans le salon bleu, aux tentures fleurdelisées, où se trouvaient trois personnages, la tête couverte de bérets blancs (boinas) agrémentés de passementeries d'or. Milord D..., qui ne connaissait le prince que par ses portraits, croyant voir don Carlos dans le personnage placé au milieu des deux autres, lui offre ses hommages et entre avec lui dans une très-longue conversation sur la situation troublée de l'Espagne. Après une demi-heure d'entretien, les deux interlocuteurs se quittèrent enchantés l'un de l'autre. La vérité est que le noble visiteur avait pris le major Arjona, secrétaire du prince, pour don Carlos lui-même. Celui-ci, resté dans son cabinet, n'était pas encore descendu au salon.Je dois ajouter que cette résidence étant journellement visitée par des émigrés de tous les pays qui venaient offrirau roi, les uns le secours de leur épée, les autres solliciter des grades et des faveurs, le général Ellio avait organisé un service rigoureux de police autour du prince, afin de prévenir toute tentative d'espionnage ou d'attaque personnelle contre l'hôte illustre du château. Je dois reconnaître que cette surveillance pouvait ne pas être inutile, au milieu de ce coin isolé des montagnes que cherchaient à découvrir les émissaires du gouvernement de Madrid et dont l'inutilité de leurs recherches a fait toujours leur désespoir.Ce fut pendant le court espace de temps que je passai au château de Peyrolhade que je pus me renseigner sur le personnel dont se composait la maison du prince et qu'il n'y a pas, je crois, indiscrétion de faire connaître. Elle comprenait le général Ellio, président du conseil de guerre, cinq chefs carlistes qui en étaient les membres et dont le marquis de Valdespina faisait partie, et du major Arjona, secrétaire particulier de don Carlos.Les opérations du conseil de guerre consistaient dans la direction à donner aux opérations militaires dont le plan était tracé d'avance: dans la nomination descabecillaset leur envoi aux divers postes qu'ils devaient occuper; enfin, dans le contrôle de tous les actes qui concernaient l'organisation des bandes, leur armement et leur équipement.Malgré le mystère dont on entourait le château de Peyrolhade, cette retraite soi-disant introuvable de don Carlos, était le centre d'un va-et-vient de gens qui, des deux côtés des Pyrénées, s'y rendaient pour les affaires de l'insurrection. C'étaient les membres de la junte qui venaient, les uns ou les autres, prendre les ordres du conseil de guerre, lui communiquer les résultats de ses opérations et s'entendre avec lui sur les difficultés qui pouvaient se présenter: et ces difficultés étaient nombreuses, surtout dès le début de la campagne; c'étaient des agents secrets qu'on avait établis sur la frontière et jusque dans les centres des provinces, qui venaient faire leurs rapports sur tout ce qui se passait d'hostile ou de favorable au parti; c'étaient, enfin, les envoyés descabecillasen campagne, qui apportaient au château tout ce qui concernait la situation bonne ou mauvaise des bandes qu'ils commandaient.Lorsque je repassai la frontière, j'appris la nomination de nouveaux chefs carlistes, dont quelques-uns étaient déjà au château de Peyrolhade, au moment de mon départ de cette résidence. Au nombre de ces chefs qui devaient donner à l'insurrection une nouvelle impulsion, étaient le général Ellio, qui reprenait un service actif, le marquis de Valdespina, Dorregaray et Lizarraga. Ces quatre généraux, que j'ai vus plusieurs fois sur les champs de bataille, méritent d'être connus, à cause des commandements qu'ils occupent à la tête des bandes et des services qu'ils rendent à la cause carliste. C'est ce que je me propose de faire, après avoir dit quelques mots sur l'emprunt que le parti contracta à Londres. C'est, au reste, avec l'argent qu'il produisit que la guerre civile put prendre plus d'extension et de développements, ainsi que je vais le constater.LES THÉÂTRESPorte-Saint-Martin.Libres!drame en huit tableaux, par M. Edmond Gondinet.--Ambigu-Comique.La falaise de Penmarck, drame en cinq actes, de M. Crisafulli.--Odéon.Le docteur Bourguibus. comédie en un acte et en vers, de M. Edmond Cottinet. --Gymnase.Monsieur Adolphe, pièce en trois actes, de M. Alexandre Dumas fils.La pièce de M. Gondinet,Libres!m'a beaucoup plu. Je sais que les dilettanti du genre, les raffinés du mélodrame y trouveront à redire, car elle n'est pas construite et charpentée selon les règles, elle ne vous saisit pas à la gorge à un moment donné pour vous laisser pantelant et lui crier merci dans quelques scènes pleines d'émotion ou de terreur. Son scénario ne s'avance pas progressivement pour marcher à travers des péripéties les plus sombres pour arriver aux catastrophes finales; mais qu'importe que le drame échappe à l'analyse par sa trame un peu légère, qu'importe que faction un peu mince tienne en quelques lignes, si l'impression d'ensemble est allée droit à l'effet voulu, et si au sortir du théâtre le drame a laissé dans l'esprit du spectateur un souvenir, et que l'âme s'en sente encore agitée par delà la représentation. C'est ce qui arrive.C'est peu de chose en effet que cette histoire dramatique facilement imaginée et qui se déroule autour de Lambros, le polémarque de la Selléide, avec cet amour de sa fiancée Chryseis, avec cette trahison du traître Andronicos livrant par jalousie et par haine son pays à Aly, pacha de Janina. Cette rivalité est le thème obligé de tous les mélodrames. Quelques scènes plus ou moins heureuses ajoutées à cette nomenclature du crime des traîtres ne font rien à l'affaire. Le drame n'aurait rien perdu assurément à plus de nouveauté dans cette fable romanesque. Il eût été meilleur, à coup sûr, en se privant de ce groupe de comiques propres à jeter de la gaieté, comme cela se passe dans toute pièce du boulevard. Je n'en disconviens pas; mais je le répète, le drame de M. Gondinet m'a plu par sa composition générale, par son mouvement, par cette grande histoire de liberté qu'il met en scène, par ce récit de l'affranchissement d'un peuple. Tout cela est animé, vivant, tout cela s'écoute d'un bout à l'autre avec la plus vive curiosité, au milieu de nombreux épisodes et à travers tout ce pays de la Grèce.Il semble que M. Gondinet, qui est un esprit fin et qui a bien sa jeunesse et sa poésie, ait lu cette histoire de l'indépendance hellénique dans les livres de Fouqueville et de Fauriel, qu'il ait lu avec ardeur ces chants recueillis par M. de Marcellus, et que se souvenant de cet enthousiasme qui enflamma vers 1825 nos poètes de France et d'Angleterre pour la cause de ce peuple, il ait voulu rendre dans un drame toute cette vie d'un passé qui passionna si profondément l'Europe aux temps où elle avait plus de sympathie et plus de larmes pour les opprimés et les vaincus.A ce drame de l'indépendance d'un pays qui eut pour alliés les poètes, M. Gondinet a laissé son caractère poétique. C'est là son côté original et piquant. Il se dégage des conventions scéniques par un souffle heureux. Il a pour lui, et que le lecteur me pardonne cette phrase du temps, il a pour lui les Muses de la patrie et de la liberté. Comme aux jours de ses premiers fils, la Grèce est encore le pays des vers. Elle chante aux noces des fiancés, aux berceaux des fils, sur la tombe des soldats, elle a des épithalames et des nénîes; ses poètes populaires sont de toutes ses fêtes. M. Gondinet les a parfois reproduits avec un rare bonheur:Le klepte est tombé sous les halles,Chantons les marches triomphales,Que son nom résonne partout.Creusez sa tombe haute et grandePour que son bras armé s'étendeEt pour qu'il s'y tienne debout.Faites à la pierre une entaillePour que dans les jours de batailleIl entende les combattants.Plantez devant un laurier-rosePour que l'hirondelle s'y poseEt l'avertisse du printemps.Ainsi parle sur le cadavre du polémarque Lambros, le héros de la pièce, D'autres chantent les hymnes de liberté, et le drame s'écoule toujours soutenu par un sentiment fin et délicat qui le vivifie dans un cadre poétique, C'est la Grèce avec ses aspirations de liberté, avec ses glorieux révoltés, c'est elle avec ses kleptes, ses chkipetars, ses costumes brillants; nous la retrouvions dans sa gracieuse et pittoresque beauté, avec ce décor qui nous transporte sur la place de Variadès, au fond duquel se dessine dans le lointain les hautes montagnes et les gracieux villages attachés à leurs flancs. Nous nous sommes cru un instant sur la côte du Péloponèse, au tableau qui représente la falaise couverte d'arbres et dominant les flots bleus de la mer. C'est un chef-d'œuvre que ce décor qui représente le Grand-Souli, avec ses maisons blanches, ses cactus en fleurs, ses vignes qui grimpent jusques aux toits en tuiles rouges, avec son pont jeté sur un torrent. Il semble que M. Rubé, qui en est l'auteur, l'ait composé d'après une vue photographique rapportée du pays de Messène ou d'Argos. Cet art du décorateur, qui, je crois, n'a jamais été poussé aussi loin dans la vérité des tableaux, nous a rendu la Grèce avec la plus grande fidélité. Et c'est là un attrait de plus pour le drame de M. Gondinet, que le public a accueilli avec le plus vif succès.L'interprétation de la pièce est excellente. M. Dumaine joue avec une sincère conviction et une réelle autorité ce rôle de Lambros, qui domine tout le drame. Taillade, c'est Aly, le pacha de Janina, un tyran bizarre et cruel qui tourne parfois à la ganache. Larcy, Charly, font retentir leurs voix vibrantes, et Laurent égaye la pièce par sa bonne humeur. Quant à Mme Dica-Petit, fort belle sous ses magnifiques costumes de femme souliote, elle a donné au personnage de Chryseis un véritable caractère de passion et de noblesse.J'aime ce bon mélodrame du temps passé, avec tous ses trucs, ses épouvantails, ses tours, ses prisons, ses rochers, ses falaises, tout son attirail de crimes et d'horreurs, mais encore faut-il que ces horreurs soient possibles à raconter. M. Crisafulli a poussé dans laFalaise de Penmarckce genre tellement au noir que pour ma part je ne m'y reconnais plus. Voilà une aventure, par exemple! Le commandant Pierre Lecourbe se marie; le jour même de ses noces il reçoit l'ordre de rallier l'escadre en partance! Ainsi le veut l'amiral qui ne transige pas avec la consigne. Le commandant a un frère, un ivrogne, lequel après les libations les plus regrettables, croyant entrer chez sa fiancée, se trompe de porte et pénètre chez sa belle-sœur, la femme du commandant.Vingt ans après ce bel exploit, le commandant Lecourbe vit auprès de sa femme et entre deux filles, qu'il aime, sans soupçonner que sa fille aînée doit le jour à un horrible crime. L'affection du commandant pour cette enfant semble même plus grande que pour l'autre, à ce point qu'il dépouille sa fille cadette au bénéfice de sa sœur. La mère révoltée d'une telle injustice révèle à moitié ce terrible secret à son mari. Ce que le commandant ignore c'est le nom du coupable. Il va donc à son frère, Pierre Lecourbe, et lui confie le soin de sa vengeance en lui faisant jurer que cet homme mourra et, par le fait, il tient son serment, car honteux de lui, il se précipite du haut de la falaise de Penmarck, qui n'est là que pour fournir un titre pittoresque à la pièce. C'est à l'aide de cette fable dramatique que M. Crisafulli a obtenu une scène des plus saisissantes. Celle des deux frères, dont l'un demande vengeance à l'autre pour son honneur outragé, pour son nom souillé. Mais vraiment ces fortunes-là coûtent bien cher puisque c'est au prix de telles situations qu'on les obtient. Si ce drame nous demande au début de grands crédits pour faire marcher sa petite industrie, je suis prêt pour ma part à les lui refuser. Qu'il s'arrange, n'a-t-il pas la trahison, le meurtre, l'assassinat. S'il lui faut plus encore, il est trop exigeant; qu'il meure faute d'appui, je n'y vois pas d'inconvénient.J'ai donc hâte de sortir de cetteFalaise de Penmarckpour entrer dans une joyeuse comédie, pleine de belle humeur, d'esprit et de gaieté, et qui a pour titre leDocteur Bourguibus: elle est née de la fantaisie d'un poète, et de la première à la dernière scène elle s'en va lestement, joyeuse de ses bonnes trouvailles comiques, de ses vers plutôt improvisés qu'écrits, étincelants de saillies. Ce docteur Bourguibus qui a pour parents tous les héros de la comédie bergamasque a unetoquade. Pardon du mot: aux XVIIIe siècle on aurait dit du docteur qu'il avait le timbre fêlé. Le brave homme qui a la monomanie de la pitié, s'attache particulièrement aux gredins. Que lui parlez-vous d'honnêtes gens! la belle affaire! ils ont leur conscience pour eux et le paradis au bout. Mais un criminel, un assassin, par exemple, un meurtrier que la justice, l'infâme justice a frappé, voilà ce qui tente l'âme du docteur Bourguibus. C'est une cure à faire. S'occupe-t-on des gens bien portants? Non; on soigne les malades; qu'est-ce qu'un criminel? un malade: le tout est de le guérir. Grâce à ce raisonnement, le docteur cueille au haut d'un gibet un gibier de potence qu'il arrache à main armée aux mains des valets du bourreau. Cet exploit a coûté la vie à cinq honnêtes gens: c'est pour rien. Et voilà Spalâtre installé dans le logis de docteur. On va voir ce qu'on peut obtenir avec des soins d'un gredin qu'on a dépendu. Tout est pour lui, les bons morceaux, les complaisances des domestiques, et jusqu'à la main de la nièce du docteur. Seulement il veut conduire sagement l'homme à complète guérison. Il dort, silence; il va se réveiller, qu'il ouvre les yeux aux sons d'une musique réjouissante: un murmure de menuet et le docteur et sa nièce effleurent sur la mandoline et le violon l'adorable morceau de Boccherini. Là-dessus Spalâtre qui entr'ouvre les yeux rêve de voyageur égaré et d'assassinat au coin d'un bois. Elle est charmante cette scène du bandit que la musique ramène à ses premières inclinations, le meurtre. La cure a si bien opéré que Spalâtre, non content de voler pour son propre compte, fait de la propagande et entraîne les domestiques du docteur à voler avec lui, si bien que le pauvre Bourguibus paye ses théories humanitaires de ses meubles, de sa bourse et de sa montre. Bien en a pris à l'amoureux de la nièce de se déguiser en bourreau et de venir demander Spalâtre au docteur qui le retient contre la loi, car à la vue de l'homme noir, Spalâtre s'est enfui maudissant cet imbécile de docteur qui l'expose à retomber dans les mains de la justice. Tout s'arrange; le docteur se guérit de son faible pour les gredins et de sa haine pour les gens de police, et le public applaudit chaleureusement à l'auteur et aux interprètes de cette comédie des plus originales et des plus amusantes.Le théâtre au Gymnase a remporté hier, mercredi, un éclatant succès avecMonsieur Adolphe. Je reviendrai la semaine prochaine sur cette œuvre exquise de M. Alexandre Dumas. Je ne puis que signaler aujourd'hui l'accueil chaleureux que le public tout entier a fait à sa pièce. C'est là une des plus grandes fêtes du théâtre au Gymnase. Depuis vingt ans, depuis ces jours duDemi-monde, je ne crois pas qu'il eût été témoin d'une semblable ovation. La salle passait du rire aux larmes, de l'émotion à la gaieté. Elle a acclamé l'auteur, saluant dans son œuvre cette sûreté de talent, cette élévation dans la pensée, cette explosion de l'esprit qui font de M. Dumas fils un maître. Tout son public lui était revenu, heureux d'oublier les quelques moments de froideur qui s'était faite entre lui et l'auteur de laFemme de Claude, et comme regrettant ses sévérités passagères, on se sentait comme reconnaissant envers M. Dumas de lui rendre l'auteur aimé des jours passés.Les interprètes deMonsieur Adolpheont été couverts d'applaudissements, et Pujol, et Achard, et Mlle Alphonsine, cette transfuge des théâtres de féerie, qui s'est montrée merveilleuse comédienne dans le rôle de Mme Guichard.Je donne avec plaisir une bonne nouvelle à mes lecteurs: Les concerts de M. Daubé vont reprendre leur cours, non plus auGrand-Hôteloù on les suivait autrefois, mais à la salle que M. Henri Herz a mise gracieusement à la disposition de M. Daubé.M. Savigny.LES ÉVÉNEMENTS DE CUBA.--Vue générale de la Havane.L'ILE DE CUBA.--Vue prise près de la côte de Candela.(Agrandissement)Toujours:Peau de satin! Fraises au champagne! Lèvres de Feu!!valses de J. Klein. Il n'y a donc pas autre chose?BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUEHistoire de l'Astronomie, par Ferd. Hœfer.--La science profonde et l'érudition encyclopédique du docteur Hœfer sont trop connues et trop appréciées pour qu'il soit utile de présenter à nos lecteurs l'auteur de la nouvelleHistoire de l'Astronomie. Chacun sait que pour écrire une histoire compétente de quelque science que ce soit, il faut être du métier et connaître la pratique du sujet dont on se fait le rapporteur. Or M. Hœfer a écrit une histoire de lachimie, qui est devenue classique, une histoire de laphysiqueestimée de tous les savants, une histoire de labotanique, une histoire de lazoologie, aussi complètes l'une que l'autre; et voici une histoire de l'astronomie, que je viens de lire avec la plus vive attention, et que nul astronome de profession n'aurait certainement mieux écrite. Elle est complète sans être trop étendue, s'adresse aux gens du monde aussi bien qu'aux savants, et présente un tableau exact et intéressant des progrès inouïs de cette science admirable, depuis les Hindous, les Chinois, les Chaldéens, les Égyptiens, jusqu'aux découvertes sublimes de notre époque, illustrée depuis moins de trois siècles par les Galilée, les Kepler, les Newton, les Laplace; par des scrutateurs des mystères célestes qui laisseront dans l'histoire des noms comme ceux de Cassini, Halley, Huygens, Rœmer, Dalembert, Herschell, Bessel, Struve, Arago, etc.L'histoire de l'astronomie présente plus que nulle autre le tableau des véritables progrès de l'esprit humain. Celle des peuples, des dynasties, des religions, offre des alternatives de lumière et de ténèbres, des grandeurs et des décadences, des guerres et des trêves, et souvent, hélas, du sang et des ruines. Mais les progrès de la science du ciel, au contraire, offrent une continuité lente, mais permanente, du travail de la pensée humaine, depuis l'ignorance primitive jusqu'à l'époque où nous sommes, pendant laquelle nous osons mesurer les distances qui nous séparent des étoiles, et analyser les substances qui brûlent dans le soleil. Aujourd'hui, nous voyons les mondes rouler sous nos pieds; nous sentons la terre courir et nous emporter à travers l'espace infini, et déjà nous avons les premiers éléments nécessaires pour deviner lavie inconnuequi rayonne à la surface des autres terres du ciel! C'est la science sans patrie et sans dogmes, sans chaînes et sans larmes, qui, toujours pure, s'élève et s'épanouit dans la divine lumière du ciel; c'est celle qui fait le plus d'honneur à l'esprit humain, qui met en évidence les plus nobles facultés de l'homme; c'est celle qui nous aaffranchis.Les plus grands révolutionnaires ne s'appellent pas Cromwell, Washington, Mirabeau ou Robespierre; ils s'appellent Copernic, Galilée. Kepler, Newton.On lira avec plaisir et profit le nouveau livre du docteur Hœfer. Dans son ouvrage publié l'année dernière, et intitulé: l'Homme devant ses œuvres, l'auteur avait montré par quels principes il juge l'humanité; et il n'est certes pas inutile, à notre époque où tout court si vite, de s'arrêter un instant sur le chemin de la vie, comme le Dante avant de pénétrer au sombre royaume, et de réfléchir un instant sur les faits et gestes de notre race soi-disant raisonnable. L'histoire de l'astronomie est écrite avec la même netteté de vues, moins sévère que celle de Delambre, lequel en est souvent ridicule, et plus juste pour les anciens, qui méritent tout notre respect, attendu qu'il faut à toutes les sciences un commencement. Celui qui renaîtrait dans trois siècles seulement serait bien étonné de notre état scientifique, social et religieux de 1873, et, s'il n'était juste, nous traiterait d'ignares et d'imbéciles. C'est ce qu'a fait l'astronome Delambre, trop souvent. M. Hœfer n'est pas tombé dans ce travers, et nous l'en félicitons.Les Merveilles de la photographie, par G. Tissandier.--Voici un nouveau volume de laBibliothèque des merveilles, et qui fait honneur à la collection. Qu'y a-t-il de plus merveilleux que la photographie, dont les travaux nous laissent pourtant déjà indifférents? La terre tourne si vite que l'on oublie le lendemain la situation de la veille, et il semble que nos pensées se multiplient et s'envolent beaucoup plus vite depuis que nous connaissons la rapidité des mouvements célestes. En fait, il n'y a que quarante-sept ans que le premier traité entre Niepce et Daguerre a été signé, et aujourd'hui les photographes pullulent dans toutes les villes d'Europe, et les photographies sont tombées dans le domaine public, et l'on n'accorde plus aux meilleures d'entre elles qu'une attention momentanée. Mais tandis que pour la masse du public la photographie est encore toute entière dans la reproduction plus ou moins durable d'un visage, d'un monument ou d'un paysage, l'art s'est agrandi, s'est développé comme toutes les connaissances humaines, et déjà rend d'immédiats services à la plupart d'entre elles. La photomicrographie fixe aujourd'hui l'image centuplée de l'insecte, invisible à l'œil nu, dessine l'agencement moléculaire minéral, végétal ou animal, nous montre les cristaux du sang ou l'épiderme délicat d'une pauvre chenille. A l'opposé, toute l'Assemblée nationale est reproduite sur un carré de collodion du diamètre d'une tête d'épingle, sans rien perdre de ses proportions ni de sa grandeur réelle. Si nous passons maintenant du petit au grand, nous trouvons la photographie appliquée au soleil, à la lune, aux planètes et même aux étoiles, et nous avons déjà des sériés de plusieurs années de portraits du soleil, faits chaque jour, et montrant la variation incessante de son aspect et de ses taches. Des photographies directes de la lune sont si excellentes que l'on se promène facilement dans les vallées et les paysages lunaires ainsi reproduits. Appliqué à la météorologie, le même art remplace maintenant l'observateur en enregistrant automatiquement l'état du ciel, la marche du baromètre, du thermomètre, du vent, de l'aiguille aimantée, etc., ce qui permettra d'avoir un bien plus grand nombre de constatations simultanées et permanentes et de donner à la météorologie la base qui lui manque encore. Il y a plus: la photographieimprimemaintenant elle-même, et le livre de M. Tissandier nous offre un spécimen de photoglyphe à l'encre de Chine gélatinée, qui montre au premier coup d'œil toute la valeur artistique et toute l'importance pratique du nouveau procédé. On le voit, le jeune et savant directeur du journalla Naturea su réunir dans son nouveau livre toutes les richesses de l'art dont il voulait raconter les merveilles.Camille Flammarion.Une courtisane vierge, par M. Amédée de Céséna.--L'auteur fut un journaliste grave, un personnage politique, un polémiste. Il n'est qu'un conteur qui spécule sur de certaines curiosités malsaines. Je pense qu'il suffit de citer le titre du livre pour montrer tout ce que M. de Céséna a voulu lui donner d'alléchant. Le romancier se défend, d'ailleurs, dans sa préface, d'être un corrupteur. Il prétend au titre demoraliste. Ce n'est donc pas un moraliste homeopathique: il fait de la morale par les contraires.Les Femmes au cœur d'or, par M. Eugène Moret. (1 vol. Dentu.)--Il y a, dans le roman-feuilleton, des auteurs dont la réputation n'égale pas le talent, et M. Eugène Moret est de ce nombre. Il a des succès, et très-grands, dans le public des journaux populaires, des livraisons à dix centimes, et il mérite ces succès-là. Ses livres sont moraux, honnêtes et intéressants. Il a publié sur lesFemmes de la Révolution et de la Terreurdes feuilletons absolument amusants et qui, réunis en volume, ont beaucoup plu aux lecteurs. CesFemmes au cœur d'orauront certainement le même sort et méritent le même accueil. C'est là un roman qui vaut dix fois mieux, à coup sur, que bien des romans célèbres, et qui fait honneur au talent très-loyal, sans fracas, sans charlatanisme, de M. Eugène Moret.La comtesse de Nancey, par M. Xavier de Montépin. (3 volumes in-18. Chez Sartorius.)--M. Xavier de Montépin est, en librairie, le triomphateur de la saison. Il a publié trois ou quatre volumes, épisodes détachés d'un même roman, qui en sont à leur huitième ou dixième édition.La comtesse de Nancey, l'Amant d'Alice, le Mari de Marguerite, ont amusé tout un public, le public des romans d'Arsène Houssaye, celui qui aime l'impossibilité en pleine vie réelle, les aventures improbables placées dans le milieu parisien. M. de Montépin, jusqu'ici, n'avait point connu pareille vogue, pas même il y a seize ou dix-huit ans, lorsqu'il écrivait lesViveurs de Pariset lesFilles de plâtre. Je crois même nie rappeler que lesFilles de plâtrelui valurent une assignation devant la police correctionnelle. Aujourd'hui, en ce temps d'ordreet demoralité, les romans de M. de Montépin montent aux nues. L'auteur est un aimable homme qui n'a d'autre tort que de vouloir, de temps à autre, dire son mot dans la politique courante. Quand il conte ces aventures extraordinaires, il amuse et il entraîne. Au fond, cela lui suffit. Le public le suit, il est satisfait. Il nepolitiqueque par aventure. Son rôle est d'inventer: il invente. Les folles amours, les coups de couteau, les scandales à Bade, les espions prussiens, les batailles de la Commune, les propos de boudoirs, tout se coudoie dans la trilogie que M. de Montépin appela tout d'abord leMari de Marguerite. Je n'analyserai point ces pages. Leur succès a été absolu, et si l'on n'avait abusé du mot, je dirais volontiers que c'est un des signes du temps. Mais ne faut-il pas des rêves à tout le monde? Pâture à liseurs, disait Petrus Corel en parlant de ses livres. Chacun choisit le mets qui lui convient,--et cela n'empêche pas de rééditer Corneille.La Célestine, de Fernando de Rojas, traduite par M. Germond de Lavigne. (Nouvelle collection Jannet.)--M. E. Picard continue avec succès la publication de ses petits chefs-d'œuvre littéraires faisant suite à la collection Jannet. Les bibliophiles se disputeront également lacollection rouge, qui est l'ancienne, et lacollection bleue, qui est la nouvelle. Sous cette dernière forme, les œuvres de Rabelais vont être tantôt achevées, et M. André Lefèvre vient de donner une édition desLettres persanes, de Montesquieu, qui pourrait bien être définitive. Aujourd'hui, M. Germond de Lavigne, si compétent en ce qui touche la littérature espagnole, publie, dans cette même collection, une traduction de la Célestine, ce roman dialogué d'un intérêt si puissant et d'un charme si particulier qui date, s'il vous plaît, du XVe siècle,--de 1492,--et qui semble comme la source où Calderon et Pope puisèrent leurs drames ensoleillés et entraînants.Moratin avait raison d'appelerla Célestineunenouvelle dramatique. Ce n'est que cela, en effet; mais cette nouvelle est inimitable. Il y a de tout, dans ce conte, de la morale et de la poésie, des aventures d'amour, des leçons tragiques, des séductions et des drames. Le type du prodigue Calixte est peint de main de maître, et le profil de la Célestine, une proche parente de la Macette de Régnier, est inoubliable. L'homme qui écrivit cette sorte de drame, Fernando de Rojas, était un de ces artistes rares et puissants que les littérateurs nomment d'un grand nom, les précurseurs.M. Germond de Lavigne a traduit la Célestine avec ce talent qui lui valut, il y a quelques années, les éloges de Charles Nodier. Il n'a pas essayé, dit-il, de reforger les endroits scandaleux qui pouvaient offenser les religieuses oreilles, et il a bien fait. Sa traduction y gagne d'être une œuvre d'art à travers laquelle on saisit toute la couleur, tout l'éclat du style castillan.Jules Claretie.LES FUYARDS A LA PORTE DE BALAN. Gravure extraite de laGuerre de1870-71, par A. Wachter. (E. Lachaud, éditeur.)LA GUERRE DE 1870-71Histoire politique et militairePAR A. WACHTERAu moment où les débats du procès Bazaine remettent en lumière les tristes péripéties de la dernière guerre et les causes de nos désastres, nous croyons devoir appeler l'attention de nos lecteurs sur un ouvrage que nous avons déjà signalé lors de son apparition: nous voulons parler de l'Histoire de la guerre de1870-71 de M. Wachter, éditée par la librairie Lachaud. Parmi les innombrables publications qui se sont succédé sur ce sujet depuis trois ans, celle-ci est l'une des plus complètes, des plus intéressantes et des mieux à la portée du public. Les connaissances spéciales de M. Wachter ont fait de lui, depuis longtemps, un de nos écrivains militaires les plus justement estimés; une étude approfondie des opérations stratégiques qu'il a suivies sur le terrain même et une lecture attentive des documents allemands qu'il a consultés dans leur texte original, ont permis à M. Wachter de réunir dans les deux volumes qui composent son travail, les renseignements les plus exacts, les plus authentiques, et de les présenter d'une manière plus méthodique et plus claire que dans la plupart des ouvrages du même genre; ajoutons que le livre est richement illustré de dessins de M. Darjou, l'habile artiste dont nos lecteurs connaissent trop bien le talent, pour que nous ayons besoin d'en faire l'éloge. Les deux gravures que nous avons publiées la semaine dernière sur la bataille de Rezonville et les carrières du Caveau étaient extraites du beau livre de MM. Wachter et Darjou; celle que nous reproduisons aujourd'hui un nouveau spécimen de ces illustrations, qui sont le vivant commentaire du texte de M. Wachter.L'Exposition universelle de Vienne a fourni à l'Illustrationl'occasion d'affirmer une fois de plus cette supériorité hors ligne qu'elle a depuis longtemps acquise sur toutes les publications analogues. Comme en 1867, l'Illustrationavait exposé, outre ses volumes et ses collections, une série de spécimens permettant de suivre pas à pas les opérations si compliquées de la gravure et ces procédés grâce auxquels nous arrivons à donner au public la représentation des faits d'actualité presque aussi vite que la presse quotidienne où donne le récit. Cette exposition a particulièrement attiré l'attention du jury international, qui a décerné à l'Illustrationunemédaille de mérite, la plus haute récompense après la grande médaille d'honneur.Cette distinction est, croyons-nous, la seule du même genre qui ait été obtenue par un journal illustré; nous sommes heureux d'en faire part à nos lecteurs; ils y verront une preuve nouvelle des efforts-incessants qui a valu à l'Illustrationla légitime réputation dont elle jouit dans le monde entier.EXPLICATION DU DERNIER RÉBUS:Même en 999, à l'approche de l'an mille, on ne vit point aller autant en pèlerinage.

Si esta vivora te picaNo hay remedio en la botica.

Si esta vivora te picaNo hay remedio en la botica.

Si esta vivora te pica

No hay remedio en la botica.

Devise qui le plus souvent employée, a valu à certainsnavajasle nom lugubrement plaisant denavajas de santolio, couteaux de l'extrême-onction.

Mais il est temps de nous arrêter. Quelques-uns des détails que l'on vient de lire et qui expliquent les dessins que nous donnons, ont été par nous empruntés au magnifique ouvrage que vient de publier la librairie Hachette: l'Espagne, par le baron Ch. Daviller. C'est un splendide volume in-4º de 800 pages, très-intéressant, très-bien écrit, et illustré de 300 gravures dessinées sur bois par M. Gustave Doré.

L. C.

Note 5:Les deux gravures qui accompagnent cet article sont extraites duTour du Monde, nouveau journal des voyages, publié par la maison Hachette et Cie.

Dans l'histoire de la semaine nous disons où en est l'affaire duVirginius, qui est venue si inopinément compliquer, vis-à-vis des États-Unis d'Amérique, la situation déjà si critique de la malheureuse Espagne. Nous n'avons pas à y revenir ici. On sait qu'à la première nouvelle de l'exécution des flibustiers américains, il y eut comme une explosion d'indignation aux États-Unis. On ne parlait que d'armer et d'entrer en campagne sur l'heure.

Cette indignation était-elle bien réelle? J'en doute.

On sait que depuis longtemps les États-Unis convoitent la possession de l'île de Cuba; et, si les richesses et la merveilleuse situation de la perle des Antilles n'excusent pas ces convoitises, au moins les expliquent-elles. La fertilité de l'île de Cuba est très-grande en effet, sa végétation magnifique. On y trouve de vastes forêts de palmiers, de cèdres, de cocotiers, de chênes, de pins; on y cultive la canne à sucre, le tabac, le caféier, le cotonnier, l'indigotier, le riz, le maïs, qui sont pour le planteur une source intarissable de richesses, et rien n'égale la beauté de son port de la Havane que défendent de vastes fortifications. Les vues que nous donnons de ce port et de l'intérieur de l'île prouveront au lecteur que nous n'exagérons en rien.

Cuba forme, avec les autres Antilles espagnoles, un gouvernement dont la Havane est le chef-lieu. Civilement, elle est divisée en deux provinces: la Havane et Santiago; militairement, en trois départements: l'Est, le Centre, et l'Ouest; financièrement en trois intendances: la Havane, Puerto-Principe et Santiago; au point de vue maritime enfin, en cinq provinces: La Havane, Trinitad, Remedios, Nuevitas et Santiago. Elle renferme une population de 1,449,462 habitants, dont 564,698 blancs, 16,176 hommes libres de couleur et 662,087 esclaves qui seront libérés après la pacification de l'île d'après la loi récemment votée par les cortès espagnoles. En attendant l'esclavage y règne toujours, et bien que la traite soit interdite, plusieurs milliers d'esclaves y sont encore introduits chaque année. La révolte de ces esclaves l'a ensanglantée plusieurs fois dans le cours de ce siècle et l'ensanglante encore aujourd'hui. Espérons que c'est pour la dernière fois et que ces révoltes cesseront avec la cause qui les a fait naître.

L'Espagne attache le plus grand prix, et cela se comprend, à cette colonie que les États-Unis, nous l'avons dit, voudraient bien aussi s'annexer. En 1845, ils ont offert de l'acheter, et peut-être l'Espagne a-t-elle eu tort de ne pas la vendre. Finiront-ils par s'en emparer d'une façon ou de l'autre? Selon toutes les probabilités, oui.

Abdication du roi Amédée et proclamation de la République.--Agissements de la Junte carliste établie à Bayonne.--Don Carlos séjournant à la frontière.--Conseil particulier du prétendant.--Nomination de nouveaux chefs carlistes.

Lorsque l'abdication du roi Amédée fut portée aux Cortès et que celles-ci, en dépit du ministre Zorilla, proclamèrent la République, j'étais à Vitoria, capitale de la province de l'Alava. De ces deux nouvelles, la première était prévue depuis longtemps, le jeune prince italien, malgré ses qualités personnelles incontestables, étant profondément détesté par tous les Espagnols, sans distinction de partis, devait en arriver forcément à cet acte d'abdication. Aussi n'étonna-t-elle personne.

Il n'en fut pas de même de la proclamation de la République par une Chambre qui passait pour être foncièrement monarchique. La population ne voulut pas d'abord croire à la réalité de cette nouvelle. Mais lorsqu'il fallut bien se rendre à l'évidence, elle protesta énergiquement contre cette forme de gouvernement subitement improvisée. Je ne crois pas me tromper en affirmant qu'à Vitoria, ville d'environ vingt mille âmes, il ne s'y trouvait pas, en avril dernier,cent républicains. La désorganisation s'introduisit dans l'administration des affaires publiques. Le gouverneur de la province, les membres de l'ayuntamiento, tous les principaux employés du pouvoir central donnèrent leur démission en masse, si bien qu'en deux ou trois jours, la ville et toutes les localités de la province furent livrées à la plus complète anarchie.

Le même désordre se reproduisit dans les autres provinces qui, comme celle de Vitoria, furent plongées dans la stupeur à l'annonce seule du mot de République, qui a été toujours, depuis la Révolution de 1793, un horrible épouvantail dans l'esprit des populations basques, au point qu'elles nous ont regardé, pendant longtemps, nous Français, comme des monstres et des buveurs de sang.

Dans toutes les excursions que je fis à Pampelune, Tolosa, Bilbao, Saint-Sébastien, etc., je constatai le même désarroi dans toutes les administrations et une égale répugnance, de la part des populations, à vouloir accepter la nouvelle forme de gouvernement. Alors se produisit une espèce d'anarchie dont profita habilement le parti carliste. Jusqu'alors, l'insurrection avait été assez mollement conduite, soit que les chefs n'eussent pas une entière confiance en son succès, soit qu'elle manquât d'argent et d'armes; ce dernier fait était vrai, j'en ai eu la certitude.

Mais à partir du jour où commença la désorganisation du pouvoir central, la junte de guerre, établie à Bayonne depuis le mois de mars, fonctionna avec plus d'activité. Elle se composait de membres moitié Espagnols, moitié Français, dont la mission consistait à procurer des armes, de l'argent et des hommes à l'insurrection. Jusqu'alors elle lui en avait bien fourni, mais dans une mesure bien restreinte. C'est du moins ce dont se plaignaient lescabecillasqui se trouvaient à la tête des bandes. Elle trouva pour la seconder, attendu les circonstances politiques du moment, les fournisseurs et les banquiers auxquels elle s'était adressée, dès le début de la campagne, dans de meilleures dispositions. Les premiers, toujours craintifs et n'ayant pas une foi bien robuste dans le succès de l'insurrection, n'exécutaient que d'une manière bien irrégulière les marchés passés pour fournitures d'armes de munitions et d'équipements militaires.--Les seconds se montraient très-difficiles pour accepter les traites souscrites par les agents de don Carlos et laissaient sortir du sein de leurs caisses, pour les besoins de la guerre, que le moins d'argent possible. Ce qui explique le peu de progrès que faisait l'insurrection.

Mais à dater du mois d'avril et du commencement de mai, fournisseurs et banquiers furent plus accommodants et pleins de zèle pour seconder les vues et les projets du parti carliste, avec lequel ils avaient pris des engagements sérieux par l'intermédiaire de la junte de Bayonne. Les armes et les munitions passèrent alors plus régulièrement et en plus grande quantité la frontière qu'auparavant, malgré les difficultés bien plus nombreuses qu'on opposait à leur passage, du côté de France, où venait d'être établi sur la frontière un cordon sanitaire de troupes. On en expédia même de l'Angleterre.

J'ai assisté à un débarquement d'armes expédiées de Birmingham. Vers le milieu du mois de mai, un bateau à vapeur vint en plein jour (il était sept heures du matin) s'arrêter dans le petit port de Fontarabie, en face le débarcadère des pêcheurs, À son apparition, des barques allèrent l'aborder, et en moins d'une heure elles transportèrent quatre cents caisses qu'elles déposèrent sur la berge, rendant l'opération du débarquement, une bande de quinze cents hommes environ, commandée par le colonel Martinez, et dont les trois quarts étaient sans armes, s'emparèrent des colis qui renfermaient des fusils et des munitions, les ouvrirent et s'armèrent séance tenante. Les caisses restées sans être ouvertes furent déposées sur des charrettes et transportées, sous bonne escorte, au camp d'Achulégui. Ce débarquement s'opéra sans qu'il trouvât là moindre opposition de la part des troupes et des volontaires de la République casernés à Irun, c'est-à-dire à deux kilomètres au plus du port de Fontarabie. Et ce qui me parut plus étrange encore, c'est que la bande carliste et les caisses chargées sur des charrettes traînées par des bœufs, passèrent tranquillement devant les portes de la ville.

A cette expédition, dont je fus spectateur, j'eus l'occasion de revoir mon ami, le colonel Martinez, qui commandait l'escorte du convoi et qui paraissait tout radieux.

--Vous n'êtes pas encore à Madrid, mon cher colonel, lui dis-je, en lui rappelant son dernier adieu à Vera, mais vous y êtes sur le chemin, à ce qu'il me paraît.

--Dix débarquements comme celui-ci, me répondit-il, et notre cause est gagnée!

--Vous ne craignez pas d'être surpris sur votre route par les troupes républicaines?

--Toutes mes précautions sont prises et je suis certain d'avance que les hommes de Loma n'oseront as venir nous barrer la route. Voyez, j'ai quinze cents hommes avec moi!

Le colonel avait dit vrai. Pas un seul homme de la garnison d'Irun, qui se composait d'environ six cents hommes, soit volontaires, soit soldats de la ligne, n'osèrent sortir de la ville.

J'ai assisté à trois autres débarquements du même genre, sans qu'ils fussent autrement contrariés, tant les frontières étaient mal gardées du côté de l'Espagne.

D'un autre côté, don Carlos, que les journaux espagnols et étrangers avaient fait mourir plusieurs fois et voyager tantôt en Angleterre, tantôt en Suisse, vint s'installer d'abord dans un hôtel de Pau et ensuite au château de Peyrolhade, où il a résidé jusqu'à son entrée en Espagne. Voulant m'assurer par moi-même si le fait était exact, je fis, au mois de juin, une excursion dans les Basses-Pyrénées, et je me rendis à ce château, situé presque sur les limites qui séparent la France de l'Espagne. Ce n'était pas sans de grandes difficultés que je pus arriver jusqu'à cette demeure seigneuriale, malgré les titres et les recommandations dont j'étais porteur, tant on avait pris de précautions pour la rendre inabordable.

Lorsqu'un inconnu venant de France ou d'Espagne apparaissait dans le lointain, se dirigeant vers le château bâti sur une élévation qui domine les alentours à une distance de quatre kilomètres, des vedettes placées de loin en loin, depuis le sommet des montagnes jusqu'au village de Peyrolhade, qui lui-même est éloigné de la résidence royale d'environ une lieue, s'empressaient d'en informer le commandant du palais. Celui-ci envoyait immédiatement des gardes à sa rencontre pour le reconnaître. S'ils avaient les moindres soupçons sur l'individu, on le prévenait poliment qu'il se trompait de chemin en lui indiquant le moyen d'en prendre un autre; et ils s'éloignaient. Si, au contraire, c'était un ami ou une personne dont on n'avait pas à se méfier, on le conduisait au château.

C'est ainsi que sur la présentation d'une lettre du président de la junte carliste, je fus admis auprès de la personne du prince, qui voulut bien me recevoir lui-même. Don Carlos est âgé de vingt-neuf à trente ans environ. Sa taille est élevée, sa figure pleine de noblesse; un air de grandeur et de majesté rayonne sur sa physionomie franche et sympathique. Tout en lui, jusqu'à sa parole claire, douce et concise, prévient en sa faveur. L'audience qu'il m'accorda ne fut pas longue, mais elle répondit au but que je m'étais proposé d'atteindre.

Il ne faudrait pas croire pourtant que le prétendant se montrât très-facile à accorder des audiences particulières. Il est arrivé, à ce sujet, aux visiteurs étrangers, de curieuses méprises. Milord D..., désirant s'entretenir avec don Carlos, s'était rendu à cheval de Pau au château de Peyrolhade. Arrivé à la résidence princière, il fut reçu par le général Ellio, auquel il demanda de le présenter auroi. Le vieux général s'empressa de le conduire dans le salon bleu, aux tentures fleurdelisées, où se trouvaient trois personnages, la tête couverte de bérets blancs (boinas) agrémentés de passementeries d'or. Milord D..., qui ne connaissait le prince que par ses portraits, croyant voir don Carlos dans le personnage placé au milieu des deux autres, lui offre ses hommages et entre avec lui dans une très-longue conversation sur la situation troublée de l'Espagne. Après une demi-heure d'entretien, les deux interlocuteurs se quittèrent enchantés l'un de l'autre. La vérité est que le noble visiteur avait pris le major Arjona, secrétaire du prince, pour don Carlos lui-même. Celui-ci, resté dans son cabinet, n'était pas encore descendu au salon.

Je dois ajouter que cette résidence étant journellement visitée par des émigrés de tous les pays qui venaient offrirau roi, les uns le secours de leur épée, les autres solliciter des grades et des faveurs, le général Ellio avait organisé un service rigoureux de police autour du prince, afin de prévenir toute tentative d'espionnage ou d'attaque personnelle contre l'hôte illustre du château. Je dois reconnaître que cette surveillance pouvait ne pas être inutile, au milieu de ce coin isolé des montagnes que cherchaient à découvrir les émissaires du gouvernement de Madrid et dont l'inutilité de leurs recherches a fait toujours leur désespoir.

Ce fut pendant le court espace de temps que je passai au château de Peyrolhade que je pus me renseigner sur le personnel dont se composait la maison du prince et qu'il n'y a pas, je crois, indiscrétion de faire connaître. Elle comprenait le général Ellio, président du conseil de guerre, cinq chefs carlistes qui en étaient les membres et dont le marquis de Valdespina faisait partie, et du major Arjona, secrétaire particulier de don Carlos.

Les opérations du conseil de guerre consistaient dans la direction à donner aux opérations militaires dont le plan était tracé d'avance: dans la nomination descabecillaset leur envoi aux divers postes qu'ils devaient occuper; enfin, dans le contrôle de tous les actes qui concernaient l'organisation des bandes, leur armement et leur équipement.

Malgré le mystère dont on entourait le château de Peyrolhade, cette retraite soi-disant introuvable de don Carlos, était le centre d'un va-et-vient de gens qui, des deux côtés des Pyrénées, s'y rendaient pour les affaires de l'insurrection. C'étaient les membres de la junte qui venaient, les uns ou les autres, prendre les ordres du conseil de guerre, lui communiquer les résultats de ses opérations et s'entendre avec lui sur les difficultés qui pouvaient se présenter: et ces difficultés étaient nombreuses, surtout dès le début de la campagne; c'étaient des agents secrets qu'on avait établis sur la frontière et jusque dans les centres des provinces, qui venaient faire leurs rapports sur tout ce qui se passait d'hostile ou de favorable au parti; c'étaient, enfin, les envoyés descabecillasen campagne, qui apportaient au château tout ce qui concernait la situation bonne ou mauvaise des bandes qu'ils commandaient.

Lorsque je repassai la frontière, j'appris la nomination de nouveaux chefs carlistes, dont quelques-uns étaient déjà au château de Peyrolhade, au moment de mon départ de cette résidence. Au nombre de ces chefs qui devaient donner à l'insurrection une nouvelle impulsion, étaient le général Ellio, qui reprenait un service actif, le marquis de Valdespina, Dorregaray et Lizarraga. Ces quatre généraux, que j'ai vus plusieurs fois sur les champs de bataille, méritent d'être connus, à cause des commandements qu'ils occupent à la tête des bandes et des services qu'ils rendent à la cause carliste. C'est ce que je me propose de faire, après avoir dit quelques mots sur l'emprunt que le parti contracta à Londres. C'est, au reste, avec l'argent qu'il produisit que la guerre civile put prendre plus d'extension et de développements, ainsi que je vais le constater.

Porte-Saint-Martin.Libres!drame en huit tableaux, par M. Edmond Gondinet.--Ambigu-Comique.La falaise de Penmarck, drame en cinq actes, de M. Crisafulli.--Odéon.Le docteur Bourguibus. comédie en un acte et en vers, de M. Edmond Cottinet. --Gymnase.Monsieur Adolphe, pièce en trois actes, de M. Alexandre Dumas fils.

La pièce de M. Gondinet,Libres!m'a beaucoup plu. Je sais que les dilettanti du genre, les raffinés du mélodrame y trouveront à redire, car elle n'est pas construite et charpentée selon les règles, elle ne vous saisit pas à la gorge à un moment donné pour vous laisser pantelant et lui crier merci dans quelques scènes pleines d'émotion ou de terreur. Son scénario ne s'avance pas progressivement pour marcher à travers des péripéties les plus sombres pour arriver aux catastrophes finales; mais qu'importe que le drame échappe à l'analyse par sa trame un peu légère, qu'importe que faction un peu mince tienne en quelques lignes, si l'impression d'ensemble est allée droit à l'effet voulu, et si au sortir du théâtre le drame a laissé dans l'esprit du spectateur un souvenir, et que l'âme s'en sente encore agitée par delà la représentation. C'est ce qui arrive.

C'est peu de chose en effet que cette histoire dramatique facilement imaginée et qui se déroule autour de Lambros, le polémarque de la Selléide, avec cet amour de sa fiancée Chryseis, avec cette trahison du traître Andronicos livrant par jalousie et par haine son pays à Aly, pacha de Janina. Cette rivalité est le thème obligé de tous les mélodrames. Quelques scènes plus ou moins heureuses ajoutées à cette nomenclature du crime des traîtres ne font rien à l'affaire. Le drame n'aurait rien perdu assurément à plus de nouveauté dans cette fable romanesque. Il eût été meilleur, à coup sûr, en se privant de ce groupe de comiques propres à jeter de la gaieté, comme cela se passe dans toute pièce du boulevard. Je n'en disconviens pas; mais je le répète, le drame de M. Gondinet m'a plu par sa composition générale, par son mouvement, par cette grande histoire de liberté qu'il met en scène, par ce récit de l'affranchissement d'un peuple. Tout cela est animé, vivant, tout cela s'écoute d'un bout à l'autre avec la plus vive curiosité, au milieu de nombreux épisodes et à travers tout ce pays de la Grèce.

Il semble que M. Gondinet, qui est un esprit fin et qui a bien sa jeunesse et sa poésie, ait lu cette histoire de l'indépendance hellénique dans les livres de Fouqueville et de Fauriel, qu'il ait lu avec ardeur ces chants recueillis par M. de Marcellus, et que se souvenant de cet enthousiasme qui enflamma vers 1825 nos poètes de France et d'Angleterre pour la cause de ce peuple, il ait voulu rendre dans un drame toute cette vie d'un passé qui passionna si profondément l'Europe aux temps où elle avait plus de sympathie et plus de larmes pour les opprimés et les vaincus.

A ce drame de l'indépendance d'un pays qui eut pour alliés les poètes, M. Gondinet a laissé son caractère poétique. C'est là son côté original et piquant. Il se dégage des conventions scéniques par un souffle heureux. Il a pour lui, et que le lecteur me pardonne cette phrase du temps, il a pour lui les Muses de la patrie et de la liberté. Comme aux jours de ses premiers fils, la Grèce est encore le pays des vers. Elle chante aux noces des fiancés, aux berceaux des fils, sur la tombe des soldats, elle a des épithalames et des nénîes; ses poètes populaires sont de toutes ses fêtes. M. Gondinet les a parfois reproduits avec un rare bonheur:

Le klepte est tombé sous les halles,Chantons les marches triomphales,Que son nom résonne partout.Creusez sa tombe haute et grandePour que son bras armé s'étendeEt pour qu'il s'y tienne debout.Faites à la pierre une entaillePour que dans les jours de batailleIl entende les combattants.Plantez devant un laurier-rosePour que l'hirondelle s'y poseEt l'avertisse du printemps.

Le klepte est tombé sous les halles,Chantons les marches triomphales,Que son nom résonne partout.Creusez sa tombe haute et grandePour que son bras armé s'étendeEt pour qu'il s'y tienne debout.Faites à la pierre une entaillePour que dans les jours de batailleIl entende les combattants.Plantez devant un laurier-rosePour que l'hirondelle s'y poseEt l'avertisse du printemps.

Le klepte est tombé sous les halles,

Chantons les marches triomphales,

Que son nom résonne partout.

Creusez sa tombe haute et grande

Pour que son bras armé s'étende

Et pour qu'il s'y tienne debout.

Faites à la pierre une entaille

Pour que dans les jours de bataille

Il entende les combattants.

Plantez devant un laurier-rose

Pour que l'hirondelle s'y pose

Et l'avertisse du printemps.

Ainsi parle sur le cadavre du polémarque Lambros, le héros de la pièce, D'autres chantent les hymnes de liberté, et le drame s'écoule toujours soutenu par un sentiment fin et délicat qui le vivifie dans un cadre poétique, C'est la Grèce avec ses aspirations de liberté, avec ses glorieux révoltés, c'est elle avec ses kleptes, ses chkipetars, ses costumes brillants; nous la retrouvions dans sa gracieuse et pittoresque beauté, avec ce décor qui nous transporte sur la place de Variadès, au fond duquel se dessine dans le lointain les hautes montagnes et les gracieux villages attachés à leurs flancs. Nous nous sommes cru un instant sur la côte du Péloponèse, au tableau qui représente la falaise couverte d'arbres et dominant les flots bleus de la mer. C'est un chef-d'œuvre que ce décor qui représente le Grand-Souli, avec ses maisons blanches, ses cactus en fleurs, ses vignes qui grimpent jusques aux toits en tuiles rouges, avec son pont jeté sur un torrent. Il semble que M. Rubé, qui en est l'auteur, l'ait composé d'après une vue photographique rapportée du pays de Messène ou d'Argos. Cet art du décorateur, qui, je crois, n'a jamais été poussé aussi loin dans la vérité des tableaux, nous a rendu la Grèce avec la plus grande fidélité. Et c'est là un attrait de plus pour le drame de M. Gondinet, que le public a accueilli avec le plus vif succès.

L'interprétation de la pièce est excellente. M. Dumaine joue avec une sincère conviction et une réelle autorité ce rôle de Lambros, qui domine tout le drame. Taillade, c'est Aly, le pacha de Janina, un tyran bizarre et cruel qui tourne parfois à la ganache. Larcy, Charly, font retentir leurs voix vibrantes, et Laurent égaye la pièce par sa bonne humeur. Quant à Mme Dica-Petit, fort belle sous ses magnifiques costumes de femme souliote, elle a donné au personnage de Chryseis un véritable caractère de passion et de noblesse.

J'aime ce bon mélodrame du temps passé, avec tous ses trucs, ses épouvantails, ses tours, ses prisons, ses rochers, ses falaises, tout son attirail de crimes et d'horreurs, mais encore faut-il que ces horreurs soient possibles à raconter. M. Crisafulli a poussé dans laFalaise de Penmarckce genre tellement au noir que pour ma part je ne m'y reconnais plus. Voilà une aventure, par exemple! Le commandant Pierre Lecourbe se marie; le jour même de ses noces il reçoit l'ordre de rallier l'escadre en partance! Ainsi le veut l'amiral qui ne transige pas avec la consigne. Le commandant a un frère, un ivrogne, lequel après les libations les plus regrettables, croyant entrer chez sa fiancée, se trompe de porte et pénètre chez sa belle-sœur, la femme du commandant.

Vingt ans après ce bel exploit, le commandant Lecourbe vit auprès de sa femme et entre deux filles, qu'il aime, sans soupçonner que sa fille aînée doit le jour à un horrible crime. L'affection du commandant pour cette enfant semble même plus grande que pour l'autre, à ce point qu'il dépouille sa fille cadette au bénéfice de sa sœur. La mère révoltée d'une telle injustice révèle à moitié ce terrible secret à son mari. Ce que le commandant ignore c'est le nom du coupable. Il va donc à son frère, Pierre Lecourbe, et lui confie le soin de sa vengeance en lui faisant jurer que cet homme mourra et, par le fait, il tient son serment, car honteux de lui, il se précipite du haut de la falaise de Penmarck, qui n'est là que pour fournir un titre pittoresque à la pièce. C'est à l'aide de cette fable dramatique que M. Crisafulli a obtenu une scène des plus saisissantes. Celle des deux frères, dont l'un demande vengeance à l'autre pour son honneur outragé, pour son nom souillé. Mais vraiment ces fortunes-là coûtent bien cher puisque c'est au prix de telles situations qu'on les obtient. Si ce drame nous demande au début de grands crédits pour faire marcher sa petite industrie, je suis prêt pour ma part à les lui refuser. Qu'il s'arrange, n'a-t-il pas la trahison, le meurtre, l'assassinat. S'il lui faut plus encore, il est trop exigeant; qu'il meure faute d'appui, je n'y vois pas d'inconvénient.

J'ai donc hâte de sortir de cetteFalaise de Penmarckpour entrer dans une joyeuse comédie, pleine de belle humeur, d'esprit et de gaieté, et qui a pour titre leDocteur Bourguibus: elle est née de la fantaisie d'un poète, et de la première à la dernière scène elle s'en va lestement, joyeuse de ses bonnes trouvailles comiques, de ses vers plutôt improvisés qu'écrits, étincelants de saillies. Ce docteur Bourguibus qui a pour parents tous les héros de la comédie bergamasque a unetoquade. Pardon du mot: aux XVIIIe siècle on aurait dit du docteur qu'il avait le timbre fêlé. Le brave homme qui a la monomanie de la pitié, s'attache particulièrement aux gredins. Que lui parlez-vous d'honnêtes gens! la belle affaire! ils ont leur conscience pour eux et le paradis au bout. Mais un criminel, un assassin, par exemple, un meurtrier que la justice, l'infâme justice a frappé, voilà ce qui tente l'âme du docteur Bourguibus. C'est une cure à faire. S'occupe-t-on des gens bien portants? Non; on soigne les malades; qu'est-ce qu'un criminel? un malade: le tout est de le guérir. Grâce à ce raisonnement, le docteur cueille au haut d'un gibet un gibier de potence qu'il arrache à main armée aux mains des valets du bourreau. Cet exploit a coûté la vie à cinq honnêtes gens: c'est pour rien. Et voilà Spalâtre installé dans le logis de docteur. On va voir ce qu'on peut obtenir avec des soins d'un gredin qu'on a dépendu. Tout est pour lui, les bons morceaux, les complaisances des domestiques, et jusqu'à la main de la nièce du docteur. Seulement il veut conduire sagement l'homme à complète guérison. Il dort, silence; il va se réveiller, qu'il ouvre les yeux aux sons d'une musique réjouissante: un murmure de menuet et le docteur et sa nièce effleurent sur la mandoline et le violon l'adorable morceau de Boccherini. Là-dessus Spalâtre qui entr'ouvre les yeux rêve de voyageur égaré et d'assassinat au coin d'un bois. Elle est charmante cette scène du bandit que la musique ramène à ses premières inclinations, le meurtre. La cure a si bien opéré que Spalâtre, non content de voler pour son propre compte, fait de la propagande et entraîne les domestiques du docteur à voler avec lui, si bien que le pauvre Bourguibus paye ses théories humanitaires de ses meubles, de sa bourse et de sa montre. Bien en a pris à l'amoureux de la nièce de se déguiser en bourreau et de venir demander Spalâtre au docteur qui le retient contre la loi, car à la vue de l'homme noir, Spalâtre s'est enfui maudissant cet imbécile de docteur qui l'expose à retomber dans les mains de la justice. Tout s'arrange; le docteur se guérit de son faible pour les gredins et de sa haine pour les gens de police, et le public applaudit chaleureusement à l'auteur et aux interprètes de cette comédie des plus originales et des plus amusantes.

Le théâtre au Gymnase a remporté hier, mercredi, un éclatant succès avecMonsieur Adolphe. Je reviendrai la semaine prochaine sur cette œuvre exquise de M. Alexandre Dumas. Je ne puis que signaler aujourd'hui l'accueil chaleureux que le public tout entier a fait à sa pièce. C'est là une des plus grandes fêtes du théâtre au Gymnase. Depuis vingt ans, depuis ces jours duDemi-monde, je ne crois pas qu'il eût été témoin d'une semblable ovation. La salle passait du rire aux larmes, de l'émotion à la gaieté. Elle a acclamé l'auteur, saluant dans son œuvre cette sûreté de talent, cette élévation dans la pensée, cette explosion de l'esprit qui font de M. Dumas fils un maître. Tout son public lui était revenu, heureux d'oublier les quelques moments de froideur qui s'était faite entre lui et l'auteur de laFemme de Claude, et comme regrettant ses sévérités passagères, on se sentait comme reconnaissant envers M. Dumas de lui rendre l'auteur aimé des jours passés.

Les interprètes deMonsieur Adolpheont été couverts d'applaudissements, et Pujol, et Achard, et Mlle Alphonsine, cette transfuge des théâtres de féerie, qui s'est montrée merveilleuse comédienne dans le rôle de Mme Guichard.

Je donne avec plaisir une bonne nouvelle à mes lecteurs: Les concerts de M. Daubé vont reprendre leur cours, non plus auGrand-Hôteloù on les suivait autrefois, mais à la salle que M. Henri Herz a mise gracieusement à la disposition de M. Daubé.

M. Savigny.

LES ÉVÉNEMENTS DE CUBA.--Vue générale de la Havane.

L'ILE DE CUBA.--Vue prise près de la côte de Candela.

(Agrandissement)

Toujours:Peau de satin! Fraises au champagne! Lèvres de Feu!!valses de J. Klein. Il n'y a donc pas autre chose?

Histoire de l'Astronomie, par Ferd. Hœfer.--La science profonde et l'érudition encyclopédique du docteur Hœfer sont trop connues et trop appréciées pour qu'il soit utile de présenter à nos lecteurs l'auteur de la nouvelleHistoire de l'Astronomie. Chacun sait que pour écrire une histoire compétente de quelque science que ce soit, il faut être du métier et connaître la pratique du sujet dont on se fait le rapporteur. Or M. Hœfer a écrit une histoire de lachimie, qui est devenue classique, une histoire de laphysiqueestimée de tous les savants, une histoire de labotanique, une histoire de lazoologie, aussi complètes l'une que l'autre; et voici une histoire de l'astronomie, que je viens de lire avec la plus vive attention, et que nul astronome de profession n'aurait certainement mieux écrite. Elle est complète sans être trop étendue, s'adresse aux gens du monde aussi bien qu'aux savants, et présente un tableau exact et intéressant des progrès inouïs de cette science admirable, depuis les Hindous, les Chinois, les Chaldéens, les Égyptiens, jusqu'aux découvertes sublimes de notre époque, illustrée depuis moins de trois siècles par les Galilée, les Kepler, les Newton, les Laplace; par des scrutateurs des mystères célestes qui laisseront dans l'histoire des noms comme ceux de Cassini, Halley, Huygens, Rœmer, Dalembert, Herschell, Bessel, Struve, Arago, etc.

L'histoire de l'astronomie présente plus que nulle autre le tableau des véritables progrès de l'esprit humain. Celle des peuples, des dynasties, des religions, offre des alternatives de lumière et de ténèbres, des grandeurs et des décadences, des guerres et des trêves, et souvent, hélas, du sang et des ruines. Mais les progrès de la science du ciel, au contraire, offrent une continuité lente, mais permanente, du travail de la pensée humaine, depuis l'ignorance primitive jusqu'à l'époque où nous sommes, pendant laquelle nous osons mesurer les distances qui nous séparent des étoiles, et analyser les substances qui brûlent dans le soleil. Aujourd'hui, nous voyons les mondes rouler sous nos pieds; nous sentons la terre courir et nous emporter à travers l'espace infini, et déjà nous avons les premiers éléments nécessaires pour deviner lavie inconnuequi rayonne à la surface des autres terres du ciel! C'est la science sans patrie et sans dogmes, sans chaînes et sans larmes, qui, toujours pure, s'élève et s'épanouit dans la divine lumière du ciel; c'est celle qui fait le plus d'honneur à l'esprit humain, qui met en évidence les plus nobles facultés de l'homme; c'est celle qui nous aaffranchis.Les plus grands révolutionnaires ne s'appellent pas Cromwell, Washington, Mirabeau ou Robespierre; ils s'appellent Copernic, Galilée. Kepler, Newton.

On lira avec plaisir et profit le nouveau livre du docteur Hœfer. Dans son ouvrage publié l'année dernière, et intitulé: l'Homme devant ses œuvres, l'auteur avait montré par quels principes il juge l'humanité; et il n'est certes pas inutile, à notre époque où tout court si vite, de s'arrêter un instant sur le chemin de la vie, comme le Dante avant de pénétrer au sombre royaume, et de réfléchir un instant sur les faits et gestes de notre race soi-disant raisonnable. L'histoire de l'astronomie est écrite avec la même netteté de vues, moins sévère que celle de Delambre, lequel en est souvent ridicule, et plus juste pour les anciens, qui méritent tout notre respect, attendu qu'il faut à toutes les sciences un commencement. Celui qui renaîtrait dans trois siècles seulement serait bien étonné de notre état scientifique, social et religieux de 1873, et, s'il n'était juste, nous traiterait d'ignares et d'imbéciles. C'est ce qu'a fait l'astronome Delambre, trop souvent. M. Hœfer n'est pas tombé dans ce travers, et nous l'en félicitons.

Les Merveilles de la photographie, par G. Tissandier.--Voici un nouveau volume de laBibliothèque des merveilles, et qui fait honneur à la collection. Qu'y a-t-il de plus merveilleux que la photographie, dont les travaux nous laissent pourtant déjà indifférents? La terre tourne si vite que l'on oublie le lendemain la situation de la veille, et il semble que nos pensées se multiplient et s'envolent beaucoup plus vite depuis que nous connaissons la rapidité des mouvements célestes. En fait, il n'y a que quarante-sept ans que le premier traité entre Niepce et Daguerre a été signé, et aujourd'hui les photographes pullulent dans toutes les villes d'Europe, et les photographies sont tombées dans le domaine public, et l'on n'accorde plus aux meilleures d'entre elles qu'une attention momentanée. Mais tandis que pour la masse du public la photographie est encore toute entière dans la reproduction plus ou moins durable d'un visage, d'un monument ou d'un paysage, l'art s'est agrandi, s'est développé comme toutes les connaissances humaines, et déjà rend d'immédiats services à la plupart d'entre elles. La photomicrographie fixe aujourd'hui l'image centuplée de l'insecte, invisible à l'œil nu, dessine l'agencement moléculaire minéral, végétal ou animal, nous montre les cristaux du sang ou l'épiderme délicat d'une pauvre chenille. A l'opposé, toute l'Assemblée nationale est reproduite sur un carré de collodion du diamètre d'une tête d'épingle, sans rien perdre de ses proportions ni de sa grandeur réelle. Si nous passons maintenant du petit au grand, nous trouvons la photographie appliquée au soleil, à la lune, aux planètes et même aux étoiles, et nous avons déjà des sériés de plusieurs années de portraits du soleil, faits chaque jour, et montrant la variation incessante de son aspect et de ses taches. Des photographies directes de la lune sont si excellentes que l'on se promène facilement dans les vallées et les paysages lunaires ainsi reproduits. Appliqué à la météorologie, le même art remplace maintenant l'observateur en enregistrant automatiquement l'état du ciel, la marche du baromètre, du thermomètre, du vent, de l'aiguille aimantée, etc., ce qui permettra d'avoir un bien plus grand nombre de constatations simultanées et permanentes et de donner à la météorologie la base qui lui manque encore. Il y a plus: la photographieimprimemaintenant elle-même, et le livre de M. Tissandier nous offre un spécimen de photoglyphe à l'encre de Chine gélatinée, qui montre au premier coup d'œil toute la valeur artistique et toute l'importance pratique du nouveau procédé. On le voit, le jeune et savant directeur du journalla Naturea su réunir dans son nouveau livre toutes les richesses de l'art dont il voulait raconter les merveilles.

Camille Flammarion.

Une courtisane vierge, par M. Amédée de Céséna.--L'auteur fut un journaliste grave, un personnage politique, un polémiste. Il n'est qu'un conteur qui spécule sur de certaines curiosités malsaines. Je pense qu'il suffit de citer le titre du livre pour montrer tout ce que M. de Céséna a voulu lui donner d'alléchant. Le romancier se défend, d'ailleurs, dans sa préface, d'être un corrupteur. Il prétend au titre demoraliste. Ce n'est donc pas un moraliste homeopathique: il fait de la morale par les contraires.

Les Femmes au cœur d'or, par M. Eugène Moret. (1 vol. Dentu.)--Il y a, dans le roman-feuilleton, des auteurs dont la réputation n'égale pas le talent, et M. Eugène Moret est de ce nombre. Il a des succès, et très-grands, dans le public des journaux populaires, des livraisons à dix centimes, et il mérite ces succès-là. Ses livres sont moraux, honnêtes et intéressants. Il a publié sur lesFemmes de la Révolution et de la Terreurdes feuilletons absolument amusants et qui, réunis en volume, ont beaucoup plu aux lecteurs. CesFemmes au cœur d'orauront certainement le même sort et méritent le même accueil. C'est là un roman qui vaut dix fois mieux, à coup sur, que bien des romans célèbres, et qui fait honneur au talent très-loyal, sans fracas, sans charlatanisme, de M. Eugène Moret.

La comtesse de Nancey, par M. Xavier de Montépin. (3 volumes in-18. Chez Sartorius.)--M. Xavier de Montépin est, en librairie, le triomphateur de la saison. Il a publié trois ou quatre volumes, épisodes détachés d'un même roman, qui en sont à leur huitième ou dixième édition.La comtesse de Nancey, l'Amant d'Alice, le Mari de Marguerite, ont amusé tout un public, le public des romans d'Arsène Houssaye, celui qui aime l'impossibilité en pleine vie réelle, les aventures improbables placées dans le milieu parisien. M. de Montépin, jusqu'ici, n'avait point connu pareille vogue, pas même il y a seize ou dix-huit ans, lorsqu'il écrivait lesViveurs de Pariset lesFilles de plâtre. Je crois même nie rappeler que lesFilles de plâtrelui valurent une assignation devant la police correctionnelle. Aujourd'hui, en ce temps d'ordreet demoralité, les romans de M. de Montépin montent aux nues. L'auteur est un aimable homme qui n'a d'autre tort que de vouloir, de temps à autre, dire son mot dans la politique courante. Quand il conte ces aventures extraordinaires, il amuse et il entraîne. Au fond, cela lui suffit. Le public le suit, il est satisfait. Il nepolitiqueque par aventure. Son rôle est d'inventer: il invente. Les folles amours, les coups de couteau, les scandales à Bade, les espions prussiens, les batailles de la Commune, les propos de boudoirs, tout se coudoie dans la trilogie que M. de Montépin appela tout d'abord leMari de Marguerite. Je n'analyserai point ces pages. Leur succès a été absolu, et si l'on n'avait abusé du mot, je dirais volontiers que c'est un des signes du temps. Mais ne faut-il pas des rêves à tout le monde? Pâture à liseurs, disait Petrus Corel en parlant de ses livres. Chacun choisit le mets qui lui convient,--et cela n'empêche pas de rééditer Corneille.

La Célestine, de Fernando de Rojas, traduite par M. Germond de Lavigne. (Nouvelle collection Jannet.)--M. E. Picard continue avec succès la publication de ses petits chefs-d'œuvre littéraires faisant suite à la collection Jannet. Les bibliophiles se disputeront également lacollection rouge, qui est l'ancienne, et lacollection bleue, qui est la nouvelle. Sous cette dernière forme, les œuvres de Rabelais vont être tantôt achevées, et M. André Lefèvre vient de donner une édition desLettres persanes, de Montesquieu, qui pourrait bien être définitive. Aujourd'hui, M. Germond de Lavigne, si compétent en ce qui touche la littérature espagnole, publie, dans cette même collection, une traduction de la Célestine, ce roman dialogué d'un intérêt si puissant et d'un charme si particulier qui date, s'il vous plaît, du XVe siècle,--de 1492,--et qui semble comme la source où Calderon et Pope puisèrent leurs drames ensoleillés et entraînants.

Moratin avait raison d'appelerla Célestineunenouvelle dramatique. Ce n'est que cela, en effet; mais cette nouvelle est inimitable. Il y a de tout, dans ce conte, de la morale et de la poésie, des aventures d'amour, des leçons tragiques, des séductions et des drames. Le type du prodigue Calixte est peint de main de maître, et le profil de la Célestine, une proche parente de la Macette de Régnier, est inoubliable. L'homme qui écrivit cette sorte de drame, Fernando de Rojas, était un de ces artistes rares et puissants que les littérateurs nomment d'un grand nom, les précurseurs.

M. Germond de Lavigne a traduit la Célestine avec ce talent qui lui valut, il y a quelques années, les éloges de Charles Nodier. Il n'a pas essayé, dit-il, de reforger les endroits scandaleux qui pouvaient offenser les religieuses oreilles, et il a bien fait. Sa traduction y gagne d'être une œuvre d'art à travers laquelle on saisit toute la couleur, tout l'éclat du style castillan.

Jules Claretie.

LES FUYARDS A LA PORTE DE BALAN. Gravure extraite de laGuerre de1870-71, par A. Wachter. (E. Lachaud, éditeur.)

Au moment où les débats du procès Bazaine remettent en lumière les tristes péripéties de la dernière guerre et les causes de nos désastres, nous croyons devoir appeler l'attention de nos lecteurs sur un ouvrage que nous avons déjà signalé lors de son apparition: nous voulons parler de l'Histoire de la guerre de1870-71 de M. Wachter, éditée par la librairie Lachaud. Parmi les innombrables publications qui se sont succédé sur ce sujet depuis trois ans, celle-ci est l'une des plus complètes, des plus intéressantes et des mieux à la portée du public. Les connaissances spéciales de M. Wachter ont fait de lui, depuis longtemps, un de nos écrivains militaires les plus justement estimés; une étude approfondie des opérations stratégiques qu'il a suivies sur le terrain même et une lecture attentive des documents allemands qu'il a consultés dans leur texte original, ont permis à M. Wachter de réunir dans les deux volumes qui composent son travail, les renseignements les plus exacts, les plus authentiques, et de les présenter d'une manière plus méthodique et plus claire que dans la plupart des ouvrages du même genre; ajoutons que le livre est richement illustré de dessins de M. Darjou, l'habile artiste dont nos lecteurs connaissent trop bien le talent, pour que nous ayons besoin d'en faire l'éloge. Les deux gravures que nous avons publiées la semaine dernière sur la bataille de Rezonville et les carrières du Caveau étaient extraites du beau livre de MM. Wachter et Darjou; celle que nous reproduisons aujourd'hui un nouveau spécimen de ces illustrations, qui sont le vivant commentaire du texte de M. Wachter.

L'Exposition universelle de Vienne a fourni à l'Illustrationl'occasion d'affirmer une fois de plus cette supériorité hors ligne qu'elle a depuis longtemps acquise sur toutes les publications analogues. Comme en 1867, l'Illustrationavait exposé, outre ses volumes et ses collections, une série de spécimens permettant de suivre pas à pas les opérations si compliquées de la gravure et ces procédés grâce auxquels nous arrivons à donner au public la représentation des faits d'actualité presque aussi vite que la presse quotidienne où donne le récit. Cette exposition a particulièrement attiré l'attention du jury international, qui a décerné à l'Illustrationunemédaille de mérite, la plus haute récompense après la grande médaille d'honneur.

Cette distinction est, croyons-nous, la seule du même genre qui ait été obtenue par un journal illustré; nous sommes heureux d'en faire part à nos lecteurs; ils y verront une preuve nouvelle des efforts-incessants qui a valu à l'Illustrationla légitime réputation dont elle jouit dans le monde entier.

EXPLICATION DU DERNIER RÉBUS:

Même en 999, à l'approche de l'an mille, on ne vit point aller autant en pèlerinage.


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