II

** *En attendant l'heure du match.Quelques vices plus laids trouvent pareillement leur contentement au tennis. La rosserie, voire la muflerie, s'y épanouissent à coeur joie. Pas d'occasion plus commode pour abuser lâchement de sa force. Avec impunité, le promenant de droite et de gauche, du grillage du fond au filet, vous époumonez jusqu'à l'agonie un gentleman rondouillard. Il vous suffit de quelques balles pour écoeurer une vierge ou déshonorer une dame mûre qui demeurerait respectable sur tout autre terrain. Il est des drives brutaux comme une rupture, des lobs perfides comme des billets souscrits à longue échéance, des volées basses et trompeuses comme un faux serment, des services américains décevants comme un flirt de même nationalité.«Le style, c'est l'homme». Jamais l'adage célèbre ne se vérifia mieux qu'au tennis. Jadis le croquet passait pour une épreuve décisive antérieure aux fiançailles. Si vous ne vous étiez pas jeté les maillets à la figure avant la fin de la partie, vous pouviez espérer naviguer en paix parmi les écueils de la vie conjugale. Combien les enseignements du tennis sont plus riches, plus délicats et plus féconds! Rien qu'à voir comment Z... tient sa raquette est une indication. Jamais vous ne me ferez croire qu'Amy soit un pingre, Decugis un mouton et Salm un enfant de choeur.Les arbitres de touche. Le juge-arbitre. Mlle de Csery (Hongroise) M. Decugis (Français). M. Craig Biddle (Américain). Miss Ryan (Américaine).LES CHAMPIONNATS DU MONDE DE LAWN-TENNIS.--Un matchmixte sur le grand court central du Stade français, à Saint-Cloud.Photographie J. Clair-Guyot.Autant que le caractère, le tennis révèle la profession. Chacune confère au jeu de ses adeptes une empreinte qui les décèle. La vigueur nette et un peu sèche des attaques trahit le militaire. Ce processus honorable et appliqué pue l'universitaire à plein nez. Drives et smashes risqués à l'aveuglette dénoncent le cerveau brûlé. Vous faut-il le dossier de l'avocat, le diagnostic du médecin?Je recommande particulièrement le tennis à l'intellectuel. Tandis que l'escrime l'énervera et que le golf sera impuissant à captiver son attention, le tennis, sitôt quelques balles échangées, s'empare de lui, le saisit et le distrait. Au bout d'un set, il a oublié les pires rosseries de ses confrères et combien son génie fut méconnu. La partie terminée, sous la douche bienfaisante, il se consolerait presque de n'en avoir point. Et, ensuite, placé en face d'une bonne tasse de thé et beurrant ses toasts, il reprendra confiance dans ses lumières, dans l'avenir de la France et le bonheur de l'humanité.IICONSEILS POUR TOUSLe tennis est le tennis, c'est-à-dire quelque chose de considérable. Cependant, il n'emplit pas la vie, du moins tout entière.Quand vous jouez au tennis, jouez-y. Vous aurez de l'esprit ailleurs, s'il vous en reste.Ne soyez ni appliqués jusqu'au tragique, ni désintéressés jusqu'au je m'enfichisme. Croyez ou ayez l'air de croire que c'est arrivé, ou presque.A moins que vous ne soyez Anglais, auquel cas ça viendra tout seul, faites-vous une tenue. Surveillez vos nerfs. Un masque mélodramatique est de trop. Une dégaine de gavroche pas tout à fait assez. Canet est bien.Soignez votre style, mais ne lui sacrifiez pas tout. Proportionnez vos ambitions à vos forces. Il n'est permis qu'à Gobert de faire de suite trente-deux fautes de service. Evitez les mimiques outrées. Ne saluez pas de l'épée pendant plusieurs secondes avant de servir. Même si le service est bon, il y a déception. Et si rien ne vient, cela vous a un air de misère et d'avortement.Ne considérez avec stupeur ni le ciel, ni la terre, ni votre raquette quand vous venez de manquer la balle. En somme, rappelez vos souvenirs, cela vous était déjà arrivé.Si vous dominez aisément votre adversaire, n'exagérez pas la muflerie. Il y a des manières de faire cadeau d'un jeu qui appellent la gifle. Sachez gagner.Et sachez perdre.Quand, après deux heures de jeu, vous êtes estoqué, ne dites pas à votre vainqueur épuisé: «J'ai joué quinze au-dessous de mon jeu.»Il y a, quand l'arbitre a jugé contre vous, certains regards de stupeur naïve qui sont d'exactes tentatives de chantage. Ils ne trompent personne.Sachez offrir de recommencer un coup douteux surtout s'il n'est pas très important pour vous.Même un sacré arbitre est un arbitre sacré: ne l'oubliez pas.N'engagez pas de controverse avec votre partenaire du double; vous n'êtes mariés que jusqu'à la fin de la partie.Si la petite jeune fille qui joue avec vous en mixte est tout à fait nulle, évitez néanmoins de vous désintéresser d'elle comme d'un animal galeux.Au champion:Souviens-toi que tu n'as pas toujours été champion et que tu ne le seras pas toujours.Sans doute que si tu as manqué, c'est la faute de la balle, de la raquette, du vent, de l'arbitre, du jour ou de la semaine. Mais c'est toujours davantage la tienne et celle de ton adversaire. Même pour le let? Oui, monsieur!Je sais bien que, puisque tu ne les paies pas, ça t'est égal de casser tes raquettes. Tout de même, pas d'excès d'ostentation dans tes dépits.Puisque le public paie, il n'est que de stricte honnêteté de défendre ta chance jusqu'au bout. Sans quoi tu le voles. Songes-y.Naturellement, puisque tu es ténor, tu peux te permettre certaines libertés. Sache les accommoder à ton grade, de même que tes exigences. Un champion interscolaire ne peut pas réclamer des balles neuves à chaque set. Certains petits cris d'oiseau n'ont toute leur grâce que sur les lèvres d'un vainqueur international.Si tu joues à l'étranger, outre la correction.Si tu joues en France, outre la courtoisie.N.-B.--Paie tes entrées.Aux jeunes filles:Vous flirtiez tout à l'heure et recommencerez dans un instant. Maintenant, on joue.Ayez, au tennis, une tenue de tennis. Les grands chapeaux, les chichis et les jupes entravées, ça sera délicieux en dehors du court.Point de glapissements suraigus ni de mutins trépignements. C'est gentil cinq minutes, et puis ça appelle la fessée.Cependant, n'adoptez pas non plus à l'égard des balles une attitude d'indifférence hautaine. Si elles ne vous intéressaient pas, vous pouviez rester assise.Ne laissez à aucun prix votre partenaire vous ramener les balles. Ces choses-là se paient cruellement. On peut en rater un mariage ou un divorce.Il n'est pas nécessaire que vous ayez une première balle foudroyante. Mais si vous envoyez régulièrement ces deux services dans le filet, mettez-vous plutôt au tricot.Inutile d'entretenir avec votre partenaire une conversation soutenue. Cependant adressez-lui de temps en temps un compliment, surtout s'il est en guigne.Ne clignez pas de l'oeil à la galerie. Ça peut vous jouer toutes sortes de sales tours.Ne vous enorgueillissez pas démesurément de vos succès. N'oubliez pas qu'en simple, ce monsieur chauve et grisonnant vous rendrait demi-trente.A l'apprenti:Encore quelques milliers de balles par-dessus le filet, et tu y seras presque. Mais, en attendant, ne tape pas sur chacune à tour de bras. Tennis n'est pas synonyme de frénésie. Et si tu savais ce que tu es ennuyeux pour tes souffre-drives!Ne t'accroche pas, parasite indécramponnable, aux basques de Laurentz ou de Gobert. Il ne t'est à peu près d'aucun profit de jouer avec beaucoup plus fort que toi. Regarde, et escrime-toi de préférence contre qui peut te rendre quinze au maximum.Si, un jour, Germot, vaguement surentraîné, échange avec toi quelques balles, ne répète pas pendant six mois d'un ton négligent: «J'ai pris quatre jeux à Germot.» Il les a laissés tomber, et tu t'es borné à les ramasser.Tu Marcellus eris!crois-le, je n'y vois nul inconvénient. Mais rappelle-toi que tu ne l'es pas encore.Au vieux joueur:O toi qui fus champion, je sympathise. Tes muscles se sont rouillés, tes articulations raidies, ton haleine est devenue plus courte. Et, pourtant, tenace, tu n'as pas déserté les courts. Je t'en félicite. C'est un bon signe de santé physique et morale. Continue. Il t'est encore permis de jouer les handicaps. Mais surveille-toi. N'oublie pas que tu es au bord d'être ridicule. Il t'appartient de faire en sorte de ne pas te dégoûter toi-même.Deux jeunes championnesrevenant du court.Évite le sillage des petites jeunes filles et des grands champions. Tu les embêtes, et, malgré leur excellente éducation, tu t'apercevras bientôt qu'ils ne t'amusent pas.Approprie tes ambitions à ce qui te reste de valeur. Pour peu que tu aies à promener du ventre, abstiens-toi les singles prolongés. Prends garde que tes courses évoquent l'autobus et ta face congestionnée le disque d'alarme.Aie le jeu consciencieux et bon enfant. Que ta victoire, rare, soit modeste. Accepte sans amertume la défaite. Ne t'époumone pas à lutter indéfiniment, à galoper d'un coin du terrain à l'autre. Ne batifole pas. Point de gestes excessifs ni d'exclamations puériles. Passé au filet, réprime le râle d'agonie qui te monte aux lèvres et sache sourire à la balle qui te fuit comme à une plaisanterie d'un goût délicat ou comme à la vie, qui, elle aussi, commence à t'échapper et qui ne reviendra pas.André Lichtenberger.CE QU'IL FAUT VOIRLE PETIT GUIDE DE L'ÉTRANGERLe hasard fait voisiner sur les murs de Paris, depuis quelque temps, des affiches qu'on pourrait appeler des affiches-soeurs. L'une annonça d'abord l'exposition d'Alphonse de Neuville, dont je parlais ici, il y a huit jours. L'autre, ensuite, nous informa d'une reprise desCloches de Corneville. Le peintre et le musicien sont de la même génération. C'est autour de l'année 1860 que Neuville exposait au Salon ses premiers tableaux militaires (qui étaient des tableaux de victoires); et c'est vers le même temps que Planquette composait ses premières chansons de café-concert, expurgées par la censure.Les Cloches de Cornevillesont de 1877: l'année où Neuville, en pleine gloire, envoyait le portrait de Paul Déroulède au Salon du Palais de l'Industrie. L'étranger, qui, après une heure passée à la galerie de La Béotie, aura consacré sa soirée auxCloches de Corneville, saura comment, il y a trente-cinq ans, notre pays célébrait ses soldats, et quels refrains--puisque tout finit par des chansons!--il aimait à chanter.Ce qu'il faudra voir encore, ces jours-ci? Il faudra voirla Pisanelle, au Châtelet; le concours général agricole, au Champ de Mars; et, avenue Montaigne, les Ballets russes dont les dernières représentations sont annoncées.Ne pas manquer surtout les deux tableaux duSacre du Printemps!Il n'arrive pas tous les jours qu'on voie, pour un Ballet, une foule se passionner et des auteurs crier à la cabale.Cabale inoffensive d'ailleurs; où l'on ricane, où l'on sifflote; une cabale qui, non seulement ne prend point les choses au tragique, mais semble ne se plaindre que de les voir prendre par quelques-uns un peu plus au sérieux qu'il ne faudrait.Est-ce à dire que le grand danseur par qui cette chorégraphie «païenne» lut imaginée et le musicien de talent qui fit sautiller si étrangement ces marionnettes sur une musique qu'en peut qualifier de troublante, sans offenser personne, aient manqué de sincérité, ou, comme l'affirmaient quelques spectateurs maussades, se soient moqués de nous? Mais non, et ce sont là des insinuations très vilaines. Le musicien qui prend la peine d'écrire et d'orchestrer une partition (ce qui est un fort rude labeur) ne songe jamais à se moquer de personne; et le chorégraphe qui anime de son inspiration des masses dansantes, règle des pas inédits, des mouvements neufs (ce qui ne doit pas être une mince besogne non plus!) ne saurait être accusé, le pauvre, d'être un homme sans sincérité. Où M. Nijinski a-t-il appris que les Russes de la préhistoire dansassent de la manière qu'il les fait danser? Nulle part, évidemment. Mais sa conviction qu'ils dansaient ainsi, et non autrement, n'en est pas moins certaine.Une sincérité moins certaine me paraît être celle de certains spectateurs. Ah! ceux-là sont admirables; et, s'il faut voirle Sacre du Printemps(que les auteurs me pardonnent cette opinion irrespectueuse), c'est aussi pour jouir du spectacle de ceux et de celles qui s'y pâment. Vous les connaissez; ce sont nos amis les snobs, qu'on retrouve partout, animés d'une ardeur que rien ne rebute, d'une apparence de foi qui ne se lasse point. Qu'il s'agisse de choses peintes ou de choses sculptées, de musique, de danse, de théâtre ou de belles-lettres, ils sont prêts, toujours. Il leur suffit que l'oeuvre soit présentée dans des conditions de suffisante élégance et déclarée très ennuyeuse et très obscure, pour qu'aussitôt ils se précipitent, d'avance conquis, et tout de suite proclament que rien n'est plus beau, plus clair, plus simple que ce qu'on leur montre là. Personne n'a compris? C'est assez pour qu'eux comprennent. Il ne faut point détester les snobs. Ce ne sont ni des gens sans esprit, ni des gens méchants. Ce sont des aristocrates; ce sont des personnes très dégoûtées qui ne veulent toucher qu'à des opinions qui n'ont pas servi.** *Les fêtes de la semaine prochaine, à Montmartre, ne les attireront sûrement pas. Elles attireront trop de monde pour que le snobisme y puisse trouver du plaisir. Je crois que, tout de même, en dépit de la cohue, elles vaudront d'être vues.La Butte et ses alentours sont habités par des hommes qui ont beaucoup d'esprit, qui sont gais, et qui savent perdre leur temps à des besognes charmantes qui ne rapportent rien; car ils sont généralement pauvres, ce qui explique pourquoi ils méprisent volontiers l'argent. On sait que leurs fêtes de la semaine prochaine--trois pleines journées de réjouissances!--son des fêtes d'adieu! On rira. On devrait pleurer, puisqu'il s'agit de saluer Montmartre non pas comme on salue un vainqueur, et comme le saluait, il y a vingt ans, le gentilhomme Salis, mais comme on salue un mort.En effet, Montmartre s'en va. Montmartre s'écroule; non de vieillesse, mais d'ambition. Montmartre veut avoir des rues larges à la place de ses ruelles, des garages d'automobiles à la place de ses petits jardins. La Butte veut être une butte moderne; électricité, téléphone, ascenseur et sagesse à tous les étages...Il faut en prendre son parti. Les démolisseurs sont à l'oeuvre, et le drame est commencé. Des ruelles historiques de Montmartre ont déjà disparu; d'autres vont disparaître, et cela continuera aussi longtemps que derrière les peintres qui enragent et les poètes qui pleurent, il y aura des propriétaires qui se frottent les mains.Il y aura donc peut-être, fout compte fait, pour l'Étranger qui passe, quelque chose de plus intéressant à voir dans Montmartre, la semaine prochaine, que les fêtes qui s'y donneront: il y aura Montmartre lui-même.Qu'il s'y promène avant qu'y sévisse le vacarme des cavalcades; et qu'il retourne y poursuivre sa promenade, après que les cavalcades auront passé.Même entamée par la pioche des entrepreneurs, la Butte demeure quelque chose de charmant. Certaines des rues qu'on y voit encore--telles la rue de l'Abreuvoir et la rue Girardon--étaient, au dix-septième siècle, des sentiers: et ces sentiers eux-mêmes avaient été tracés sur une terre foulée autrefois par les Druides, et où Mercure et Mars eurent des temples! Il n'y a plus de temples à Montmartre; mais il y reste encore trois moulins. Les «Amis du Vieux Paris» n'ont point d'architectures vénérables à y faire admirer aux étrangers: mais d'amusants débris du passé, des morceaux de pavillons, d'abbayes, d'observatoires, des traces de destruction guerrière y évoquent l'histoire de dix siècles, à côté de maints cabarets fameux où se racontent l'histoire... et les histoires d'hier.On ne peut pas dire que la Butte soit une belle chose, en vérité; mais tant d'événements s'y sont passés, et tant de figures y ont passé qu'on peut dire qu'elle compose à elle seule le plus prodigieux recueil d'anecdotes qu'il y ait à Paris.Étrangers, allez vite feuilleter le recueil, avant que le Progrès en ait chiffonné et balayé les dernières pages!Un Parisien.AGENDA (14-21 juin 1913)Conférences.--Hôtel de Sens (rue du Figuier): le 15 juin, à 4 heures, conférence de M. Léon Riotor. Le 20 juin, au Salon de la Société des Artistes Français (Grand Palais): conférence de M. Jean Morin:la Verrerie artistique dans l'antiquité.Exposition philatélique.--Au Palais de Glace (Champs-Elysées): du 21 au 30 juin, exposition philatélique internationale organisée par la Société française de timbrologie.Expositions artistiques.--Paris: Grand Palais: Salon de la Société des Artistes Français; Salon de la Société nationale des Beaux-Arts.--Pavillon de Marsan (Louvre): l'Art des Jardins en France.--Bibliothèque Le Peletier de Saint-Fargeau (29, rue de Sévigné): Promenades et Jardins de Paris.--Hôtel de Sens (rue du Figuier): le 16 juin, clôture de l'exposition des Artistes du 4e arrondissement.Congrès.--A l'Hôtel des Sociétés savantes: du 16 au 20 juin, se tiendra un congrès forestier international, organisé par le Touring-Club de France.Fêtes de bienfaisance.--Au vélodrome du Parc des Princes: le 16 juin, à 2 h. 1/2 fête artistique et sportive, au bénéfice de l'oeuvre française du rapatriement des artistes lyriques et dramatiques.--Au Trocadéro: le 17 juin, matinée donnée Par l'oeuvre des Trente Ans de théâtre au bénéfice de son dispensaire.Fête.--Le 19 juin, à l'Opéra: soirée de gala en l'honneur de Beethoven, Verdi, Saint-Saens. Au programme, sélection d'oeuvres des trois compositeurs, avec orchestre.Sports.--Courses de chevaux: le 14 juin, Auteuil; le 15, Chantilly, prix du Jockey-Club: le 16, Saint-Cloud; le 17, Enghien; le 18, le Tremblay; le 19, Longchamp; le 20, Maisons-Laffitte; le 21, Saint-Ouen.--Aéronautique: le 15 juin, à Saint-Cloud, grand prix annuel de l'Aéro-Club de France.--Automobile: le 22 juin, grand prix de France des motocyclettes, circuit de Fontainebleau.--Boxe: le 15 juin, à Toulouse: Willie Levis contre Kid Jackson.LES LIVRES & LES ÉCRIVAINSLE GRAND PRIX DE LITTÉRATUREC'était, la semaine dernière, la seconde fois que l'Académie française attribuait son Grand Prix de littérature. La raison de ce prix, fondé il y a trois ans sur l'initiative de M. Paul Thureau-Dangin, fut sans doute qu'il appartenait essentiellement à l'illustre compagnie de décider, elle avant tous autres, quelle oeuvre méritait, chaque année, d'être sacrée chef-d'oeuvre. De-ci de-là, d'autres jurys bien rentes avaient peu à peu rogné sur cette prérogative, et telles de leurs décisions avaient été retentissantes. On en était venu à complètement oublier que cent ou cent cinquante volumes--à peu près le quart de la production en librairie--étaient annuellement jugés dignes par l'illustre assemblée d'une plus ou moins haute récompense. Les lauréats de l'Académie étaient devenus plus nombreux encore que les officiers d'académie. On n'y prenait plus garde dans le public, tandis que l'on s'accoutumait à acheter de confiance, aux étalages des libraires, les volumes primés par les académiciens Goncourt ou même par les dames de laVie Heureuse. L'Académie ne pouvait rester sur cet affront. Elle ajouta à ses cent cinquante prix annuels un cent cinquante et unième prix auquel elle donna le nom de Grand Prix, et qu'elle dota de dix mille francs. Dix mille francs, c'est une somme. Il y eut une brusque émotion dans toute la gendelettres où, nuls, jeunes ou vieux, ne pouvaient bouder à un pareil encouragement à bien écrire. De son côté, l'Académie se devait à elle-même, pour cette fois, de bien juger. Elle souhaita d'être infaillible, et ce souci l'obséda au point que, le premier coup, dans le scrupule de se tromper, elle préféra s'abstenir de prendre une décision. On lui reprocha assez vivement cette attitude pour que, l'année suivante, elle supprimât le temps de la réflexion et se précipitât, les yeux fermés semble-t-il, sur une oeuvre dont on lui avait dit du bien:l'Élève Gilles, de M. André Lafon. Mais ce choix fut peu ratifié par le public. On attendit la belle, c'est-à-dire la troisième épreuve, qui se décida le jeudi de la semaine dernière. Trois livres, ou plutôt une oeuvre, toute une oeuvre d'écrivain et deux livres étaient en discussion. Couronnerait-on leJean-Christophe, de M. Romain Rolland, qui venait de terminer, par un éblouissant chapitre (1), ce roman, en onze volumes, de la pensée d'une époque; ou bien donnerait-on le prix aux romans nés d'hier de deux nouveaux venus dans les lettres:Laure(2), de M. Émile Clermont, oul'Appel des armes, de M. Ernest Psichari (3). Il apparut tout de suite que la beauté et la richesse de l'oeuvre de M. Romain Rolland étaient indiscutables et ne souffraient guère de comparaison. Mais il y avait à trancher une question de principe par quoi se divisaient les opinions académiques. Le Grand Prix devait-il honorer une carrière ou encourager un début? On vota plusieurs fois pour se mettre d'accord sur la thèse et, finalement, la majorité des suffrages attribua le laurier d'or à l'oeuvre de M. Romain Rolland, àJean-Christophe, que venait d'ailleurs de parachever le volume final paru dans les délais convenus pour la validité des candidatures. Le président de la République lui-même, M. Raymond Poincaré, avait tenu à participer à toutes les passes de la joute. On assure qu'il vota pourJean-Christophe.Note 1:Jean-Christophe, la Nouvelle Journée, par Romain Rolland, Ollendorff, éditeur, 3 fr. 50.Note 2:Laure, par Émile Clermont, Bernard Grasset, éditeur, 3 fr. 50.Note 3:L'Appel des armes, par Ernest Psichari, Oudin, éditeur, 3 fr. 50.Sans doute, l'Académie, en donnant le plus haut gage de son estime à M. Romain Rolland, n'a pas entendu épouser les doctrines sur la vie, aventureuses et un peu confuses, de Jean-Christophe Kraft, musicien génial, les conceptions imprécises de son humanitarisme, son mépris de l'oeuvre du passé et son peu de goût pour notre art national. Les idées, en elles-mêmes, n'ont pas été jugées, et c'est très bien ainsi. On n'a voulu retenir que l'abondance prodigieuse de la pensée, éclose à chaque ligne, la pureté, si française, de la langue, l'exacte et délicate beauté des paysages du Rhin, la fraîcheur émouvante des scènes de l'amour adolescent, le sens noble et profond des pages sur l'amitié. Lorsque parut le premierJean-Christophe--que le jury de laVie Heureuseeut, tout d'abord, l'heureux instinct de distinguer--ce fut une joie, une émotion vive et ravie dans ces lettres, car, dès ce moment, l'on salua et l'on mit hors de pair le grand écrivain qui venait de naître, et qui, aujourd'hui, dans sa laborieuse retraite de Vevey, où est venu le surprendre la consécration académique, travaille paisiblement à de nouvelles fortes oeuvres.** *M. Romain Rolland nous dit, dans la préface du dernier volume deJean-Christophe: «J'ai écrit la tragédie d'une génération qui va disparaître. Je n'ai cherché à rien dissimuler de ses vices et de ses vertus, de sa pesante tristesse, de son orgueil chaotique, de ses efforts héroïques et de ses accablements sous l'écrasant fardeau d'une tâche surhumaine: toute une somme du monde, une morale, une esthétique, une foi, une humanité nouvelle à refaire. Voilà ce que nous fûmes.» Et il ajoute: «Hommes d'aujourd'hui, jeunes hommes, à votre tour! Faites-vous de nos corps un marchepied et allez de l'avant. Soyez plus grands et plus heureux que nous.»Jeunes hommes d'aujourd'hui, s'écrie, en riposte, M. Ernest Psichari dansl'Appel des armes, pour redevenir grands et forts, ne continuez point de suivre la route de la critique, des vides sophismes et des inutiles tournois de l'esprit. Nous avons trop d'esprit. Mais nous n'avons plus d'âme. Notre cerveau éclate sous la poussée des imaginations folles et malsaines, et dans l'effort des mesquines discussions. Nous nous mourons de littérature. Arrêtons-nous sur le chemin de Byzance. Plus de paroles, de l'action. Retrempons notre race dans le soleil et dans le feu des terres neuves, mystiques et guerrières!Entre ces deux livres en conflit, le roman de M. Émile Clermont,Laure, a recueilli, pour de tous autres mérites, d'importants suffrages. La pensée est moins riche ou moins ardente que dans les oeuvres précédentes. Elle n'est pas moins élevée. Elle est plus subtile. C'est l'étude d'une âme inaccessible aux réalités modestes du bonheur humain. Qu'elle erre dans l'épanouissement sublime d'un parc au matin du printemps, ou qu'elle se replie dans le silence clos et froid d'une cellule, cette âme de Laure est une âme de cloître, orientée toujours vers l'infini. Elle est trop loin, trop haut pour descendre parmi les médiocrités de la vie. Elle passe, à distance, comme une lumière. Elle éclaire autour d'elle. Mais elle ne se mêle pas aux autres faibles et troubles lueurs humaines. On trouve, dans cette oeuvre, certainement influencée par l'art de M. René Boylesve, des nuances infinies de pensée, qui, parfois, à vrai dire, trahissent trop la recherche et nuisent au relief. Aussi le personnage étudié demeure-t-il, malgré tout, imprécis. Il y a des visions brèves, délicieuses, deux ou trois scènes muettes d'une grande émotion, et beaucoup de très jolies petites images qui n'arrivent pas cependant à nous donner un seul portrait expressif. M. Émile Clermont a révélé dans son récit de rares qualités d'écrivain. Et ces qualités, cependant, ne nous ont point valu un livre parfait ni même peut-être un très bon livre. L'attention se lasse. Elle résiste mal aux longueurs, car 200 pages pourraient, sans lui nuire, être retranchées de ce volume qui en compte 417. Enfin, il y a trop souvent une absence de simplicité qui irrite. Voici, par exemple, Laure qui prophétise avec un enfant sur les bras:--Plus tard, murmure-t-elle, que deviendras-tu, toi que j'aurai vu à l'aube de tes jours, comblé des plus beaux présages? A ton enfance quelle grâce aura manqué?... Pourtant faudra-t-il qu'au long des années, dans ton coeur si pur, les instincts vulgaires de la race s'éveillent l'un après l'autre? Hélas! le faudra-t-il?... Que deviendras-tu? Quoi donc! homme, simplement homme, traînant indéfiniment les mêmes désirs et les mêmes passions banales dans le cercle que nous savons! Cela seulement! éternellement cela! A cette perspective, tout regard s'attriste et toute pensée se décourage.Cela, c'est de la «littérature» et non point de la meilleure. Nous aimons mieux l'art, très fin, très souple, qui chatoie, en cent autres endroits, dans l'expression de la sensibilité humaine.Laure, c'est un joyau trop minutieusement ouvré. Il y a trop de facettes. On ne retrouve plus le foyer.Albéric Cahuet.L'ATTENTAT D'HANOILe commandant Chapuis.Nous avons, il y a deux semaines, signalé, par quelques documents photographiques, le déplorable attentat d'Hanoï, qui, le 26 avril dernier, fit deux victimes, le commandant Mongrand et le commandant Chapuis. Le portrait du premier qui avait pu nous parvenir sans retard, a été, à cette douloureuse occasion, publié dans notre numéro du 31 mai. Il convenait de rendre le même hommage à son camarade, frappé à ses côtés, officier, comme lui, d'infanterie coloniale.Le commandant Chapuis, blessé grièvement par la bombe jetée sur la terrasse du Hanoï-Hôtel, ne succomba qu'après une cruelle agonie: il eut encore le suprême courage de supporter une opération qui ne laissait aucun espoir.Il est mort au moment où il s'apprêtait à revenir en France, ayant terminé son séjour en Indochine.DOCUMENTS et INFORMATIONSHistoires de scorpions.L'histoire naturelle nous apprend que le scorpion est un animal d'une voracité extrême, redoutable pour les insectes dont il fait sa proie ordinaire, et même pour l'homme, qui doit, dans les pays chauds, se garder de sa piqûre envenimée: les deux photographies reproduites ci-contre témoignent que sa férocité s'exerce également sur ses semblables et que, dans cette gent cruelle, le plus vigoureux s'attaque volontiers au plus faible, et le dévore.C'est à un entomologiste de Biskra, M. Chiarelli, grand collectionneur d'insectes sahariens, que nous devons la communication de ces curieux documents. On sait que la femelle du scorpion porte ses petits sur son dos jusqu'à ce qu'ils soient assez forts pour aller chercher eux-mêmes leur subsistance. En ayant isolé une avec sa progéniture, M. Chiarelli voulut un jour la sortir de la boîte où il la conservait: mais à peine l'avait-il touchée qu'il vit les petits, effrayés sans doute, s'éparpiller, et la mère, les attrapant avec ses pinces, se mettre à les dévorer un à un. «Comme je craignais de les voir tous disparaître de cette façon, nous écrit l'observateur amusé de cette singulière scène, je plaçai immédiatement le scorpion dans un bocal, où je versai une solution de formol. La mère cessa de vivre, sans toutefois lâcher ceux qu'elle avait déjà saisis entre ses pinces.» Le photographe n'eut ensuite qu'à disposer l'animal et ses petits sur un morceau de drap noir afin d'obtenir le cliché que nous publions.M. Chiarelli procéda de la même manière pour deux scorpions de taille différente, qu'il avait placés dans un bocal, sans aucune nourriture, et qu'il retrouva, deux jours après, le plus gros dévorant l'autre: on ne voyait plus, de celui-ci, que l'extrémité de la queue, avec le dard. Le formol immobilisa, encore une fois, l'animal, qui put être alors aisément photographié avec sa proie.Dans le monde des scorpions.--Une mère qui dévore ses petits. Elle en tient un dans sa bouche et en a déjà saisi deux autres, un dans chaque pince.Collection de M. Chiarelli, à Biskra.--Photographies Bougault.Scorpion avalant un de ses congénères. On ne voit plus, de la victime, que les trois dernières phalanges de la queue et le crochet venimeux sortant de la bouche du mangeur.A propos du rocher de Tormery.Nous avons longuement rendu compte, dans notre numéro du 31 mai dernier, de l'explosion du «rocher de Tormery», par laquelle ont été anéantis les deux blocs latéraux de l'énorme masse de 9.000 mètres cubes qui menaçait le petit village savoyard. On a pu se demander--et l'auteur documenté de notre article posait, en terminant, la question--pourquoi on avait laissé subsister le bloc principal, si dangereux encore qu'on a dû prévoir, pour empêcher son écroulement, la construction d'un mur de soutien.M. A. Reulos, ingénieur des ponts et chaussées, qui fut chargé de l'opération, nous écrit que l'explosion de la masse entière, après avoir été soigneusement étudiée, était apparue comme impraticable et inutile, pour plusieurs raisons, qu'il nous explique. Tout d'abord, il eût été impossible de perforer, avec les moyens ordinaires, un bloc de 15 mètres d'épaisseur; il aurait fallu recourir à l'emploi de perforatrices en un point où l'installation d'un matériel compliqué présentait des difficultés presque insurmontables. D'autre part, une exploration minutieuse de la grande faille, en arrière du rocher, avait permis de constater que la masse centrale était solide et qu'il suffisait de la protéger, à la base, par des travaux appropriés. Enfin l'explosion totale faisait craindre des dégâts très importants dans le village. «Malgré l'effritement produit par la dynamite-gomme de la maison Davey-Bickford, assure M. A. Reulos, il reste toujours des morceaux de roc pouvant atteindre 1 ou 2 mètres cubes; plusieurs auraient été projetés au loin, et d'autres seraient restés accrochés dans les broussailles voisines, constituant pour les habitants de Tormery un péril permanent.»Sur quelques points de détail, M. A. Reulos rectifie nos informations: ce n'est pas la maison Davey-Bickford qui a fait percer les trous de mine, mais la maison Bernasconi, de Chambéry; et la partie centrale du rocher n'a pas eu, pendant l'explosion, le moindre mouvement.Traitement de la diphtérie par l'air chaud.M. Rendu a constaté que les microbes de la diphtérie sont détruits par un chauffage à 60 degrés pendant cinq minutes ou par une température de 70 degrés maintenue deux minutes. La diphtérie se localisant généralement aux voies respiratoires supérieures, un essai de traitement par la chaleur paraissait dès lors tout indiqué.Avant d'expérimenter sur des malades, l'auteur a voulu déterminer la limite de la température que peuvent supporter les voies respiratoires supérieures. Il a pu lui-même supporter des inhalations d'air chaud sec pendant un temps qui variait de 2 minutes à 100 degrés à une demi-heure à 60 degrés, la température de l'air étant prise à l'entrée de la bouche. Pour assurer cette tolérance imprévue, il suffit de protéger les lèvres et le reste de la face avec des compresses imbibées d'eau.Après cette étude préparatoire, le docteur Rendu a traité par l'air chaud 33 cas de diphtérie, en même temps qu'il soignait un autre groupe de 33 malades avec du sérum antidiphtérique. Les résultats ont été identiques dans les deux cas et la mortalité n'a pas dépassé 15%.LE CONGRÈS INTERNATIONAL DES FEMMESLe dixième congrès international des femmes, qui s'était réuni à Paris, vient de terminer ses travaux.Si les premières féministes pouvaient aujourd'hui contempler leur oeuvre, elles partageraient avec les doyennes du parti un étonnement extrême: Mmes Vincent, Hubertine Aucler et d'autres «anciennes», vaillantes et simples, ont dû se croire transportées dans un monde nouveau, au milieu de cette assemblée où furent représentées plus de vingt nations, assemblée aussi féminine que féministe, élégante et posée, où la sagesse présidait en personne derrière un bureau tout fleuri de roses.Beaucoup de vieilles dames, ayant évidemment passé l'âge de l'inexpérience; quelques-unes bien charmantes sous les cheveux blancs, n'abdiquant en rien leur dignité ou leur coquetterie de femmes et servant avec esprit la cause qu'elles défendent: telles furent, pour ne citer que celles-ci, Mme Siegfried, présidente du Congrès, et Mlle Bonneval, présidente de séance.D'autres, plus jeunes, ardemment convaincues, exposent leurs travaux avec mesure, une mesure qui, parfois, paraît de la froideur et empêche les idées de passer «la rampe», exception faite cependant pour Mmes Séverine et Maria Vérone, dont l'éloquence communicative enthousiasme les congressistes.Lady Aberdeen, ex-vice-reine des Indes, présidente d'honneur, apportait avec l'autorité de son nom la grâce aristocratique de sa personne; Mme Cruppi parlait avec une compétence que sa distinction faisait particulièrement apprécier; Mme Avril de Sainte-Croix se signalait par son activité et son bon sens positif qui lui fit lancer cette boutade: «Commencez par faire respecter les lois que vous avez, avant d'en demander d'autres.»Et, dans une harmonie parfaite, ce congrès s'est déroulé, sans heurt, sans déclaration outrancière. A peine sentait-on, par instant, poindre ce sentiment indéfinissable qui ressemble de loin à la jalousie, sentiment si accentué dans les assemblées masculines, mais qui, chez les femmes, pourrait bien n'être qu'une généreuse émulation.Les travaux présentés formaient un ensemble considérable embrassant des questions multiples: hygiène, travail, sciences, politique, etc., le tout traité avec une raison indiscutable.La section du suffrage offrait un intérêt particulier: on attendait, on espérait peut-être des manifestations ridicules. Cette sympathique curiosité a été déçue; Mme Maria Vérone, s'abstenant de tout commentaire personnel, a simplement rappelé les réformes utiles réalisées par les femmes dans les pays, déjà nombreux, où elles sont électrices et éligibles.En Amérique et en Océanie, le sort des ouvriers s'est fort amélioré depuis que les femmes votent. Partout les électrices ont fait adopter des lois importantes pour l'éducation morale; elles combattent tout ce qui déprave l'homme et la femme et, par suite, atteint l'enfant; elles mènent une guerre sans merci contre l'alcoolisme et elles ont obtenu des résultats extraordinaires en faisant interdire les débits d'alcool ou limiter leur nombre. C'est ainsi qu'en Suède on compte actuellement un débit pour 5.000 habitants au lieu de 1 pour 400 habitants il y a quelques années; en Norvège on ne trouve pas plus d'un cabaret pour 20.000 habitants; en Islande l'alcool est prohibé, l'alcoolisme a presque disparu en Finlande. Au Wyoming, où les femmes votent depuis vingt-cinq ans, il n'y a plus d'asiles d'indigents, les prisons sont presque vides et les crimes sont devenus très rares.La question de la paix est ainsi noblement posée par les congressistes; quels sont les moyens propres à éveiller dans les jeunes consciences l'amour de la justice et le respect du droit des peuples?Enfin Mme Maria Vérone lance cet appel éloquent qui précise le véritable point de vue du féminisme sérieux, trop souvent défiguré par ses adversaires: «Féministes de tous pays, nous devons lutter pour que les femmes obtiennent partout l'émancipation politique, on considérant cet affranchissement non point comme unbut, mais comme unmoyende réaliser notre programme, comme une étape nécessaire vers le progrès. Alors seulement il nous sera permis d'entrevoir un avenir meilleur pour ceux qui nous suivront, d'espérer que désormais la justice et le droit régneront dans la famille consolidée, dans la nation régénérée, dans l'humanité tout entière fraternellement unie.»A la Chambre de Manille: les députés philippins en séance.LE PARLEMENT PHILIPPINA regarder la curieuse photographie que nous reproduisons ici, on dirait, tout d'abord, d'une classe de grands écoliers bien sages, tous vêtus de semblable manière, ainsi qu'il convient aux élèves de la même institution, et écoutant attentivement la parole du maître, assis derrière leurs pupitres identiques... Nos yeux accoutumés aux vastes assemblées parlementaires où se discutent les affaires des grands États verront avec une surprise amusée, en cette image, la salle des séances de la Chambre philippine, à Manille. Sur chaque pupitre, une prévoyante administration a fait inscrire, en lettres blanches, le nom de celui qui l'occupe: grâce à cette disposition ingénieuse, le président ne peut avoir aucune hésitation à reconnaître et à désigner, dans le tumulte des débats, le député turbulent pour lequel s'impose un rappel à l'ordre.Les occasions lui sont fréquentes d'user des sévérités que lui accorde le règlement, car les délibérations de la Chambre philippine, pour se poursuivre devant une assemblée peu nombreuse, sont souvent bruyantes et passionnées. Il y a quelque temps, M. Pedro A. Paterno (que l'on aperçoit ici au premier rang) soulevait des protestations indignées en proposant, comme unique moyen d'augmenter rapidement la population de l'archipel, la bigamie obligatoire. Plus récemment, un projet de loi sur la suppression de l'esclavage, courageusement soutenu par le secrétaire de l'Intérieur, M. Dean C. Worcester, provoquait de vives controverses... Les députés de Manille n'observent point toujours la paisible attitude qu'on leur voit sur notre photographie.UN «PRINCE DES ESPIONS»«L'affaire Kedl», qui vient d'éclater brusquement en Autriche, a un côté romanesque, une ampleur qui la distingue des banales et mesquines histoires d'espionnage où quelque soldat besogneux est compromis à bas prix: le colonel Alfred Redl a pu être justement qualifié de prince des espions.Il était bel homme, et portait avec aisance le coquet uniforme autrichien. Il avait quarante-six ans; on lui en eût donné quarante. Le teint haut en couleur, le verbe assuré, l'allure athlétique, un peu vulgaire, pourtant, il s'imposait à l'attention là où il paraissait. Détail piquant, avant de trafiquer, avec la Russie, des secrets militaires de son pays, il a pris la parole, comme commissaire du gouvernement, représentant de la vindicte publique, dans maintes affaires d'espionnage. Il était, en dernier lieu, chef d'état-major du commandant du 8e corps, à Prague.Sa carrière avait été superbe, puisqu'on parlait déjà de sa promotion au grade de général. «Une carrière d'archiduc», disait au correspondant du Figaro un de ses camarades. Il menait grand train, avec autos et maîtresses cotées.Le colonel autrichien Alfred Redl.Phot. Harkanyi.La guerre des Balkans allait détruire ce bel édifice et révéler, derrière la brillante façade de cette vie fortunée, les infamies cachées. Ce fut, en effet, à de certaines coïncidences, au moment de la mobilisation autrichienne, à des concordances saisissantes entre les mouvements des troupes de la monarchie dualiste et de celles de la Russie, qu'on commença de soupçonner le colonel Redl. Une enquête discrète fut commencée. Le 24 mai, le chef d'état-major du 8e corps était mandé à Vienne: on voulait profiter de son absence pour opérer chez lui une perquisition. Elle donna des résultats accablants. Le drame se dénoua en quelques heures. Tandis que Redl dînait dans sa chambre d'hôtel, trois officiers d'état-major fouillaient l'automobile qui l'avait amené. Ils y trouvaient un revolver et des papiers déchirés. Déjà le télégraphe avait apporté au ministère de la Guerre les résultats de l'opération de Prague. Il semble qu'on eût dû arrêter Redl sans délai. Non. Les trois officiers, avec un procureur, lui firent visite dans sa chambre. Des policiers furent apostés dans les corridors de l'hôtel. Redl put néanmoins sortir, aller au café, écrire des lettres. Le lendemain, on le trouvait mort, un browning neuf gisant à ses pieds.L'affaire, toutefois, ne saurait être étouffée, car de nombreuses arrestations, s'y rapportant, ont été opérées.LES THÉÂTRESAprès leMartyre, de Saint-Sébastien, qui fut représenté, il y a deux ans, au théâtre du Châtelet, M. Gabriele d'Annunzio vient de donner sur cette même scène une nouvelle pièce, écrite en notre langue, dont il connaît et met en oeuvre, avec un lyrisme abondant, toutes les magnifiques ressources,la Pisanelle ou la Mort parfumée. Composée en vers décasyllabiques et non rimes, cette comédie, qui compte un prologue et trois actes, fait revivre une époque et une légende françaises, en nous transportant au treizième siècle, dans l'île de Chypre, alors gouvernée par le prince Huguet de Lusignan: la «Pisanelle», c'est une jeune femme de Pise, faite prisonnière par des pirates, qui vient, ainsi que l'ont annoncé les prédictions, délivrer l'île des maux dont elle est accablée.Mise en scène par M. Usewolod Meyerhold, des théâtres impériaux de Saint-Pétersbourg, encadrée dans des décors aux colorations audacieusement somptueuses de M. Léon Bakst, accompagnée d'une partition due à M. Hildebrando da Parma,la Pisanellea obtenu auprès du public parisien le plus chaleureux succès. On a beaucoup applaudi les interprètes, au premier rang desquels Mme Ida Rubinstein et MM. de Max et Joubé.Au théâtre Antoine, reprise duBaptême, de MM. Alfred Savoir et Nozières. Le succès de cette comédie, une des plus remarquables du répertoire contemporain, ne se dément pas et durera longtemps. On sait qu'elle met à la scène des juifs convertis au catholicisme et tirant avantage de leur conversion pour élargir leurs affaires. Le sujet était délicat à traiter. Les auteurs l'ont abordé sans parti pris; leurs types sont heureusement campés; l'intrigue, claire, bien conduite, abonde en traits d'observation. Parmi les interprètes, M. Lugné Poe et Mme Cheirel ont été particulièrement applaudis. Le spectacle commence parle Champ libre, un acte très divertissant de M. Jean Jullien.Les Escholiers ont donné quatre pièces nouvelles qui composent un spectacle varié.Coup double, de MM. Renouard et Le Clerc, est une aimable bergerie sentimentale.Le Tournant, de M. Lionel Nastorg, fait dialoguer d'autres amoureux avec philosophie à l'heure de la rupture.L'Épreuve d'amour, de M. Grawitz, indique son sujet par son titre; mais les amants ici portent le costume grec et s'expriment en vers. Quant à laVraie Loi, cette pièce se distingue par ses deux actes des précédentes qui n'en ont qu'un; on y voit les enfants d'un homme qui se tua, possédés à leur tour par la hantise du suicide. Pour la représentation de ces oeuvres, les Escholiers avaient fait appel à d'excellents artistes.(Agrandissement)Note du transcripteur: Les suppléments mentionnésen titre ne nous ont pas été fournis

** *

En attendant l'heure du match.

Quelques vices plus laids trouvent pareillement leur contentement au tennis. La rosserie, voire la muflerie, s'y épanouissent à coeur joie. Pas d'occasion plus commode pour abuser lâchement de sa force. Avec impunité, le promenant de droite et de gauche, du grillage du fond au filet, vous époumonez jusqu'à l'agonie un gentleman rondouillard. Il vous suffit de quelques balles pour écoeurer une vierge ou déshonorer une dame mûre qui demeurerait respectable sur tout autre terrain. Il est des drives brutaux comme une rupture, des lobs perfides comme des billets souscrits à longue échéance, des volées basses et trompeuses comme un faux serment, des services américains décevants comme un flirt de même nationalité.

«Le style, c'est l'homme». Jamais l'adage célèbre ne se vérifia mieux qu'au tennis. Jadis le croquet passait pour une épreuve décisive antérieure aux fiançailles. Si vous ne vous étiez pas jeté les maillets à la figure avant la fin de la partie, vous pouviez espérer naviguer en paix parmi les écueils de la vie conjugale. Combien les enseignements du tennis sont plus riches, plus délicats et plus féconds! Rien qu'à voir comment Z... tient sa raquette est une indication. Jamais vous ne me ferez croire qu'Amy soit un pingre, Decugis un mouton et Salm un enfant de choeur.

Les arbitres de touche. Le juge-arbitre. Mlle de Csery (Hongroise) M. Decugis (Français). M. Craig Biddle (Américain). Miss Ryan (Américaine).LES CHAMPIONNATS DU MONDE DE LAWN-TENNIS.--Un matchmixte sur le grand court central du Stade français, à Saint-Cloud.Photographie J. Clair-Guyot.

Autant que le caractère, le tennis révèle la profession. Chacune confère au jeu de ses adeptes une empreinte qui les décèle. La vigueur nette et un peu sèche des attaques trahit le militaire. Ce processus honorable et appliqué pue l'universitaire à plein nez. Drives et smashes risqués à l'aveuglette dénoncent le cerveau brûlé. Vous faut-il le dossier de l'avocat, le diagnostic du médecin?

Je recommande particulièrement le tennis à l'intellectuel. Tandis que l'escrime l'énervera et que le golf sera impuissant à captiver son attention, le tennis, sitôt quelques balles échangées, s'empare de lui, le saisit et le distrait. Au bout d'un set, il a oublié les pires rosseries de ses confrères et combien son génie fut méconnu. La partie terminée, sous la douche bienfaisante, il se consolerait presque de n'en avoir point. Et, ensuite, placé en face d'une bonne tasse de thé et beurrant ses toasts, il reprendra confiance dans ses lumières, dans l'avenir de la France et le bonheur de l'humanité.

Le tennis est le tennis, c'est-à-dire quelque chose de considérable. Cependant, il n'emplit pas la vie, du moins tout entière.

Quand vous jouez au tennis, jouez-y. Vous aurez de l'esprit ailleurs, s'il vous en reste.

Ne soyez ni appliqués jusqu'au tragique, ni désintéressés jusqu'au je m'enfichisme. Croyez ou ayez l'air de croire que c'est arrivé, ou presque.

A moins que vous ne soyez Anglais, auquel cas ça viendra tout seul, faites-vous une tenue. Surveillez vos nerfs. Un masque mélodramatique est de trop. Une dégaine de gavroche pas tout à fait assez. Canet est bien.

Soignez votre style, mais ne lui sacrifiez pas tout. Proportionnez vos ambitions à vos forces. Il n'est permis qu'à Gobert de faire de suite trente-deux fautes de service. Evitez les mimiques outrées. Ne saluez pas de l'épée pendant plusieurs secondes avant de servir. Même si le service est bon, il y a déception. Et si rien ne vient, cela vous a un air de misère et d'avortement.

Ne considérez avec stupeur ni le ciel, ni la terre, ni votre raquette quand vous venez de manquer la balle. En somme, rappelez vos souvenirs, cela vous était déjà arrivé.

Si vous dominez aisément votre adversaire, n'exagérez pas la muflerie. Il y a des manières de faire cadeau d'un jeu qui appellent la gifle. Sachez gagner.

Et sachez perdre.

Quand, après deux heures de jeu, vous êtes estoqué, ne dites pas à votre vainqueur épuisé: «J'ai joué quinze au-dessous de mon jeu.»

Il y a, quand l'arbitre a jugé contre vous, certains regards de stupeur naïve qui sont d'exactes tentatives de chantage. Ils ne trompent personne.

Sachez offrir de recommencer un coup douteux surtout s'il n'est pas très important pour vous.

Même un sacré arbitre est un arbitre sacré: ne l'oubliez pas.

N'engagez pas de controverse avec votre partenaire du double; vous n'êtes mariés que jusqu'à la fin de la partie.

Si la petite jeune fille qui joue avec vous en mixte est tout à fait nulle, évitez néanmoins de vous désintéresser d'elle comme d'un animal galeux.

Au champion:

Souviens-toi que tu n'as pas toujours été champion et que tu ne le seras pas toujours.

Sans doute que si tu as manqué, c'est la faute de la balle, de la raquette, du vent, de l'arbitre, du jour ou de la semaine. Mais c'est toujours davantage la tienne et celle de ton adversaire. Même pour le let? Oui, monsieur!

Je sais bien que, puisque tu ne les paies pas, ça t'est égal de casser tes raquettes. Tout de même, pas d'excès d'ostentation dans tes dépits.

Puisque le public paie, il n'est que de stricte honnêteté de défendre ta chance jusqu'au bout. Sans quoi tu le voles. Songes-y.

Naturellement, puisque tu es ténor, tu peux te permettre certaines libertés. Sache les accommoder à ton grade, de même que tes exigences. Un champion interscolaire ne peut pas réclamer des balles neuves à chaque set. Certains petits cris d'oiseau n'ont toute leur grâce que sur les lèvres d'un vainqueur international.

Si tu joues à l'étranger, outre la correction.

Si tu joues en France, outre la courtoisie.

N.-B.--Paie tes entrées.

Aux jeunes filles:

Vous flirtiez tout à l'heure et recommencerez dans un instant. Maintenant, on joue.

Ayez, au tennis, une tenue de tennis. Les grands chapeaux, les chichis et les jupes entravées, ça sera délicieux en dehors du court.

Point de glapissements suraigus ni de mutins trépignements. C'est gentil cinq minutes, et puis ça appelle la fessée.

Cependant, n'adoptez pas non plus à l'égard des balles une attitude d'indifférence hautaine. Si elles ne vous intéressaient pas, vous pouviez rester assise.

Ne laissez à aucun prix votre partenaire vous ramener les balles. Ces choses-là se paient cruellement. On peut en rater un mariage ou un divorce.

Il n'est pas nécessaire que vous ayez une première balle foudroyante. Mais si vous envoyez régulièrement ces deux services dans le filet, mettez-vous plutôt au tricot.

Inutile d'entretenir avec votre partenaire une conversation soutenue. Cependant adressez-lui de temps en temps un compliment, surtout s'il est en guigne.

Ne clignez pas de l'oeil à la galerie. Ça peut vous jouer toutes sortes de sales tours.

Ne vous enorgueillissez pas démesurément de vos succès. N'oubliez pas qu'en simple, ce monsieur chauve et grisonnant vous rendrait demi-trente.

A l'apprenti:

Encore quelques milliers de balles par-dessus le filet, et tu y seras presque. Mais, en attendant, ne tape pas sur chacune à tour de bras. Tennis n'est pas synonyme de frénésie. Et si tu savais ce que tu es ennuyeux pour tes souffre-drives!

Ne t'accroche pas, parasite indécramponnable, aux basques de Laurentz ou de Gobert. Il ne t'est à peu près d'aucun profit de jouer avec beaucoup plus fort que toi. Regarde, et escrime-toi de préférence contre qui peut te rendre quinze au maximum.

Si, un jour, Germot, vaguement surentraîné, échange avec toi quelques balles, ne répète pas pendant six mois d'un ton négligent: «J'ai pris quatre jeux à Germot.» Il les a laissés tomber, et tu t'es borné à les ramasser.

Tu Marcellus eris!crois-le, je n'y vois nul inconvénient. Mais rappelle-toi que tu ne l'es pas encore.

Au vieux joueur:

O toi qui fus champion, je sympathise. Tes muscles se sont rouillés, tes articulations raidies, ton haleine est devenue plus courte. Et, pourtant, tenace, tu n'as pas déserté les courts. Je t'en félicite. C'est un bon signe de santé physique et morale. Continue. Il t'est encore permis de jouer les handicaps. Mais surveille-toi. N'oublie pas que tu es au bord d'être ridicule. Il t'appartient de faire en sorte de ne pas te dégoûter toi-même.

Deux jeunes championnesrevenant du court.

Évite le sillage des petites jeunes filles et des grands champions. Tu les embêtes, et, malgré leur excellente éducation, tu t'apercevras bientôt qu'ils ne t'amusent pas.

Approprie tes ambitions à ce qui te reste de valeur. Pour peu que tu aies à promener du ventre, abstiens-toi les singles prolongés. Prends garde que tes courses évoquent l'autobus et ta face congestionnée le disque d'alarme.

Aie le jeu consciencieux et bon enfant. Que ta victoire, rare, soit modeste. Accepte sans amertume la défaite. Ne t'époumone pas à lutter indéfiniment, à galoper d'un coin du terrain à l'autre. Ne batifole pas. Point de gestes excessifs ni d'exclamations puériles. Passé au filet, réprime le râle d'agonie qui te monte aux lèvres et sache sourire à la balle qui te fuit comme à une plaisanterie d'un goût délicat ou comme à la vie, qui, elle aussi, commence à t'échapper et qui ne reviendra pas.André Lichtenberger.

Le hasard fait voisiner sur les murs de Paris, depuis quelque temps, des affiches qu'on pourrait appeler des affiches-soeurs. L'une annonça d'abord l'exposition d'Alphonse de Neuville, dont je parlais ici, il y a huit jours. L'autre, ensuite, nous informa d'une reprise desCloches de Corneville. Le peintre et le musicien sont de la même génération. C'est autour de l'année 1860 que Neuville exposait au Salon ses premiers tableaux militaires (qui étaient des tableaux de victoires); et c'est vers le même temps que Planquette composait ses premières chansons de café-concert, expurgées par la censure.Les Cloches de Cornevillesont de 1877: l'année où Neuville, en pleine gloire, envoyait le portrait de Paul Déroulède au Salon du Palais de l'Industrie. L'étranger, qui, après une heure passée à la galerie de La Béotie, aura consacré sa soirée auxCloches de Corneville, saura comment, il y a trente-cinq ans, notre pays célébrait ses soldats, et quels refrains--puisque tout finit par des chansons!--il aimait à chanter.

Ce qu'il faudra voir encore, ces jours-ci? Il faudra voirla Pisanelle, au Châtelet; le concours général agricole, au Champ de Mars; et, avenue Montaigne, les Ballets russes dont les dernières représentations sont annoncées.

Ne pas manquer surtout les deux tableaux duSacre du Printemps!Il n'arrive pas tous les jours qu'on voie, pour un Ballet, une foule se passionner et des auteurs crier à la cabale.

Cabale inoffensive d'ailleurs; où l'on ricane, où l'on sifflote; une cabale qui, non seulement ne prend point les choses au tragique, mais semble ne se plaindre que de les voir prendre par quelques-uns un peu plus au sérieux qu'il ne faudrait.

Est-ce à dire que le grand danseur par qui cette chorégraphie «païenne» lut imaginée et le musicien de talent qui fit sautiller si étrangement ces marionnettes sur une musique qu'en peut qualifier de troublante, sans offenser personne, aient manqué de sincérité, ou, comme l'affirmaient quelques spectateurs maussades, se soient moqués de nous? Mais non, et ce sont là des insinuations très vilaines. Le musicien qui prend la peine d'écrire et d'orchestrer une partition (ce qui est un fort rude labeur) ne songe jamais à se moquer de personne; et le chorégraphe qui anime de son inspiration des masses dansantes, règle des pas inédits, des mouvements neufs (ce qui ne doit pas être une mince besogne non plus!) ne saurait être accusé, le pauvre, d'être un homme sans sincérité. Où M. Nijinski a-t-il appris que les Russes de la préhistoire dansassent de la manière qu'il les fait danser? Nulle part, évidemment. Mais sa conviction qu'ils dansaient ainsi, et non autrement, n'en est pas moins certaine.

Une sincérité moins certaine me paraît être celle de certains spectateurs. Ah! ceux-là sont admirables; et, s'il faut voirle Sacre du Printemps(que les auteurs me pardonnent cette opinion irrespectueuse), c'est aussi pour jouir du spectacle de ceux et de celles qui s'y pâment. Vous les connaissez; ce sont nos amis les snobs, qu'on retrouve partout, animés d'une ardeur que rien ne rebute, d'une apparence de foi qui ne se lasse point. Qu'il s'agisse de choses peintes ou de choses sculptées, de musique, de danse, de théâtre ou de belles-lettres, ils sont prêts, toujours. Il leur suffit que l'oeuvre soit présentée dans des conditions de suffisante élégance et déclarée très ennuyeuse et très obscure, pour qu'aussitôt ils se précipitent, d'avance conquis, et tout de suite proclament que rien n'est plus beau, plus clair, plus simple que ce qu'on leur montre là. Personne n'a compris? C'est assez pour qu'eux comprennent. Il ne faut point détester les snobs. Ce ne sont ni des gens sans esprit, ni des gens méchants. Ce sont des aristocrates; ce sont des personnes très dégoûtées qui ne veulent toucher qu'à des opinions qui n'ont pas servi.

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Les fêtes de la semaine prochaine, à Montmartre, ne les attireront sûrement pas. Elles attireront trop de monde pour que le snobisme y puisse trouver du plaisir. Je crois que, tout de même, en dépit de la cohue, elles vaudront d'être vues.

La Butte et ses alentours sont habités par des hommes qui ont beaucoup d'esprit, qui sont gais, et qui savent perdre leur temps à des besognes charmantes qui ne rapportent rien; car ils sont généralement pauvres, ce qui explique pourquoi ils méprisent volontiers l'argent. On sait que leurs fêtes de la semaine prochaine--trois pleines journées de réjouissances!--son des fêtes d'adieu! On rira. On devrait pleurer, puisqu'il s'agit de saluer Montmartre non pas comme on salue un vainqueur, et comme le saluait, il y a vingt ans, le gentilhomme Salis, mais comme on salue un mort.

En effet, Montmartre s'en va. Montmartre s'écroule; non de vieillesse, mais d'ambition. Montmartre veut avoir des rues larges à la place de ses ruelles, des garages d'automobiles à la place de ses petits jardins. La Butte veut être une butte moderne; électricité, téléphone, ascenseur et sagesse à tous les étages...

Il faut en prendre son parti. Les démolisseurs sont à l'oeuvre, et le drame est commencé. Des ruelles historiques de Montmartre ont déjà disparu; d'autres vont disparaître, et cela continuera aussi longtemps que derrière les peintres qui enragent et les poètes qui pleurent, il y aura des propriétaires qui se frottent les mains.

Il y aura donc peut-être, fout compte fait, pour l'Étranger qui passe, quelque chose de plus intéressant à voir dans Montmartre, la semaine prochaine, que les fêtes qui s'y donneront: il y aura Montmartre lui-même.

Qu'il s'y promène avant qu'y sévisse le vacarme des cavalcades; et qu'il retourne y poursuivre sa promenade, après que les cavalcades auront passé.

Même entamée par la pioche des entrepreneurs, la Butte demeure quelque chose de charmant. Certaines des rues qu'on y voit encore--telles la rue de l'Abreuvoir et la rue Girardon--étaient, au dix-septième siècle, des sentiers: et ces sentiers eux-mêmes avaient été tracés sur une terre foulée autrefois par les Druides, et où Mercure et Mars eurent des temples! Il n'y a plus de temples à Montmartre; mais il y reste encore trois moulins. Les «Amis du Vieux Paris» n'ont point d'architectures vénérables à y faire admirer aux étrangers: mais d'amusants débris du passé, des morceaux de pavillons, d'abbayes, d'observatoires, des traces de destruction guerrière y évoquent l'histoire de dix siècles, à côté de maints cabarets fameux où se racontent l'histoire... et les histoires d'hier.

On ne peut pas dire que la Butte soit une belle chose, en vérité; mais tant d'événements s'y sont passés, et tant de figures y ont passé qu'on peut dire qu'elle compose à elle seule le plus prodigieux recueil d'anecdotes qu'il y ait à Paris.

Étrangers, allez vite feuilleter le recueil, avant que le Progrès en ait chiffonné et balayé les dernières pages!Un Parisien.

Conférences.--Hôtel de Sens (rue du Figuier): le 15 juin, à 4 heures, conférence de M. Léon Riotor. Le 20 juin, au Salon de la Société des Artistes Français (Grand Palais): conférence de M. Jean Morin:la Verrerie artistique dans l'antiquité.

Exposition philatélique.--Au Palais de Glace (Champs-Elysées): du 21 au 30 juin, exposition philatélique internationale organisée par la Société française de timbrologie.

Expositions artistiques.--Paris: Grand Palais: Salon de la Société des Artistes Français; Salon de la Société nationale des Beaux-Arts.--Pavillon de Marsan (Louvre): l'Art des Jardins en France.--Bibliothèque Le Peletier de Saint-Fargeau (29, rue de Sévigné): Promenades et Jardins de Paris.--Hôtel de Sens (rue du Figuier): le 16 juin, clôture de l'exposition des Artistes du 4e arrondissement.

Congrès.--A l'Hôtel des Sociétés savantes: du 16 au 20 juin, se tiendra un congrès forestier international, organisé par le Touring-Club de France.

Fêtes de bienfaisance.--Au vélodrome du Parc des Princes: le 16 juin, à 2 h. 1/2 fête artistique et sportive, au bénéfice de l'oeuvre française du rapatriement des artistes lyriques et dramatiques.--Au Trocadéro: le 17 juin, matinée donnée Par l'oeuvre des Trente Ans de théâtre au bénéfice de son dispensaire.

Fête.--Le 19 juin, à l'Opéra: soirée de gala en l'honneur de Beethoven, Verdi, Saint-Saens. Au programme, sélection d'oeuvres des trois compositeurs, avec orchestre.

Sports.--Courses de chevaux: le 14 juin, Auteuil; le 15, Chantilly, prix du Jockey-Club: le 16, Saint-Cloud; le 17, Enghien; le 18, le Tremblay; le 19, Longchamp; le 20, Maisons-Laffitte; le 21, Saint-Ouen.--Aéronautique: le 15 juin, à Saint-Cloud, grand prix annuel de l'Aéro-Club de France.--Automobile: le 22 juin, grand prix de France des motocyclettes, circuit de Fontainebleau.--Boxe: le 15 juin, à Toulouse: Willie Levis contre Kid Jackson.

C'était, la semaine dernière, la seconde fois que l'Académie française attribuait son Grand Prix de littérature. La raison de ce prix, fondé il y a trois ans sur l'initiative de M. Paul Thureau-Dangin, fut sans doute qu'il appartenait essentiellement à l'illustre compagnie de décider, elle avant tous autres, quelle oeuvre méritait, chaque année, d'être sacrée chef-d'oeuvre. De-ci de-là, d'autres jurys bien rentes avaient peu à peu rogné sur cette prérogative, et telles de leurs décisions avaient été retentissantes. On en était venu à complètement oublier que cent ou cent cinquante volumes--à peu près le quart de la production en librairie--étaient annuellement jugés dignes par l'illustre assemblée d'une plus ou moins haute récompense. Les lauréats de l'Académie étaient devenus plus nombreux encore que les officiers d'académie. On n'y prenait plus garde dans le public, tandis que l'on s'accoutumait à acheter de confiance, aux étalages des libraires, les volumes primés par les académiciens Goncourt ou même par les dames de laVie Heureuse. L'Académie ne pouvait rester sur cet affront. Elle ajouta à ses cent cinquante prix annuels un cent cinquante et unième prix auquel elle donna le nom de Grand Prix, et qu'elle dota de dix mille francs. Dix mille francs, c'est une somme. Il y eut une brusque émotion dans toute la gendelettres où, nuls, jeunes ou vieux, ne pouvaient bouder à un pareil encouragement à bien écrire. De son côté, l'Académie se devait à elle-même, pour cette fois, de bien juger. Elle souhaita d'être infaillible, et ce souci l'obséda au point que, le premier coup, dans le scrupule de se tromper, elle préféra s'abstenir de prendre une décision. On lui reprocha assez vivement cette attitude pour que, l'année suivante, elle supprimât le temps de la réflexion et se précipitât, les yeux fermés semble-t-il, sur une oeuvre dont on lui avait dit du bien:l'Élève Gilles, de M. André Lafon. Mais ce choix fut peu ratifié par le public. On attendit la belle, c'est-à-dire la troisième épreuve, qui se décida le jeudi de la semaine dernière. Trois livres, ou plutôt une oeuvre, toute une oeuvre d'écrivain et deux livres étaient en discussion. Couronnerait-on leJean-Christophe, de M. Romain Rolland, qui venait de terminer, par un éblouissant chapitre (1), ce roman, en onze volumes, de la pensée d'une époque; ou bien donnerait-on le prix aux romans nés d'hier de deux nouveaux venus dans les lettres:Laure(2), de M. Émile Clermont, oul'Appel des armes, de M. Ernest Psichari (3). Il apparut tout de suite que la beauté et la richesse de l'oeuvre de M. Romain Rolland étaient indiscutables et ne souffraient guère de comparaison. Mais il y avait à trancher une question de principe par quoi se divisaient les opinions académiques. Le Grand Prix devait-il honorer une carrière ou encourager un début? On vota plusieurs fois pour se mettre d'accord sur la thèse et, finalement, la majorité des suffrages attribua le laurier d'or à l'oeuvre de M. Romain Rolland, àJean-Christophe, que venait d'ailleurs de parachever le volume final paru dans les délais convenus pour la validité des candidatures. Le président de la République lui-même, M. Raymond Poincaré, avait tenu à participer à toutes les passes de la joute. On assure qu'il vota pourJean-Christophe.

Note 1:Jean-Christophe, la Nouvelle Journée, par Romain Rolland, Ollendorff, éditeur, 3 fr. 50.

Note 2:Laure, par Émile Clermont, Bernard Grasset, éditeur, 3 fr. 50.

Note 3:L'Appel des armes, par Ernest Psichari, Oudin, éditeur, 3 fr. 50.

Sans doute, l'Académie, en donnant le plus haut gage de son estime à M. Romain Rolland, n'a pas entendu épouser les doctrines sur la vie, aventureuses et un peu confuses, de Jean-Christophe Kraft, musicien génial, les conceptions imprécises de son humanitarisme, son mépris de l'oeuvre du passé et son peu de goût pour notre art national. Les idées, en elles-mêmes, n'ont pas été jugées, et c'est très bien ainsi. On n'a voulu retenir que l'abondance prodigieuse de la pensée, éclose à chaque ligne, la pureté, si française, de la langue, l'exacte et délicate beauté des paysages du Rhin, la fraîcheur émouvante des scènes de l'amour adolescent, le sens noble et profond des pages sur l'amitié. Lorsque parut le premierJean-Christophe--que le jury de laVie Heureuseeut, tout d'abord, l'heureux instinct de distinguer--ce fut une joie, une émotion vive et ravie dans ces lettres, car, dès ce moment, l'on salua et l'on mit hors de pair le grand écrivain qui venait de naître, et qui, aujourd'hui, dans sa laborieuse retraite de Vevey, où est venu le surprendre la consécration académique, travaille paisiblement à de nouvelles fortes oeuvres.

** *

M. Romain Rolland nous dit, dans la préface du dernier volume deJean-Christophe: «J'ai écrit la tragédie d'une génération qui va disparaître. Je n'ai cherché à rien dissimuler de ses vices et de ses vertus, de sa pesante tristesse, de son orgueil chaotique, de ses efforts héroïques et de ses accablements sous l'écrasant fardeau d'une tâche surhumaine: toute une somme du monde, une morale, une esthétique, une foi, une humanité nouvelle à refaire. Voilà ce que nous fûmes.» Et il ajoute: «Hommes d'aujourd'hui, jeunes hommes, à votre tour! Faites-vous de nos corps un marchepied et allez de l'avant. Soyez plus grands et plus heureux que nous.»

Jeunes hommes d'aujourd'hui, s'écrie, en riposte, M. Ernest Psichari dansl'Appel des armes, pour redevenir grands et forts, ne continuez point de suivre la route de la critique, des vides sophismes et des inutiles tournois de l'esprit. Nous avons trop d'esprit. Mais nous n'avons plus d'âme. Notre cerveau éclate sous la poussée des imaginations folles et malsaines, et dans l'effort des mesquines discussions. Nous nous mourons de littérature. Arrêtons-nous sur le chemin de Byzance. Plus de paroles, de l'action. Retrempons notre race dans le soleil et dans le feu des terres neuves, mystiques et guerrières!

Entre ces deux livres en conflit, le roman de M. Émile Clermont,Laure, a recueilli, pour de tous autres mérites, d'importants suffrages. La pensée est moins riche ou moins ardente que dans les oeuvres précédentes. Elle n'est pas moins élevée. Elle est plus subtile. C'est l'étude d'une âme inaccessible aux réalités modestes du bonheur humain. Qu'elle erre dans l'épanouissement sublime d'un parc au matin du printemps, ou qu'elle se replie dans le silence clos et froid d'une cellule, cette âme de Laure est une âme de cloître, orientée toujours vers l'infini. Elle est trop loin, trop haut pour descendre parmi les médiocrités de la vie. Elle passe, à distance, comme une lumière. Elle éclaire autour d'elle. Mais elle ne se mêle pas aux autres faibles et troubles lueurs humaines. On trouve, dans cette oeuvre, certainement influencée par l'art de M. René Boylesve, des nuances infinies de pensée, qui, parfois, à vrai dire, trahissent trop la recherche et nuisent au relief. Aussi le personnage étudié demeure-t-il, malgré tout, imprécis. Il y a des visions brèves, délicieuses, deux ou trois scènes muettes d'une grande émotion, et beaucoup de très jolies petites images qui n'arrivent pas cependant à nous donner un seul portrait expressif. M. Émile Clermont a révélé dans son récit de rares qualités d'écrivain. Et ces qualités, cependant, ne nous ont point valu un livre parfait ni même peut-être un très bon livre. L'attention se lasse. Elle résiste mal aux longueurs, car 200 pages pourraient, sans lui nuire, être retranchées de ce volume qui en compte 417. Enfin, il y a trop souvent une absence de simplicité qui irrite. Voici, par exemple, Laure qui prophétise avec un enfant sur les bras:

--Plus tard, murmure-t-elle, que deviendras-tu, toi que j'aurai vu à l'aube de tes jours, comblé des plus beaux présages? A ton enfance quelle grâce aura manqué?... Pourtant faudra-t-il qu'au long des années, dans ton coeur si pur, les instincts vulgaires de la race s'éveillent l'un après l'autre? Hélas! le faudra-t-il?... Que deviendras-tu? Quoi donc! homme, simplement homme, traînant indéfiniment les mêmes désirs et les mêmes passions banales dans le cercle que nous savons! Cela seulement! éternellement cela! A cette perspective, tout regard s'attriste et toute pensée se décourage.

Cela, c'est de la «littérature» et non point de la meilleure. Nous aimons mieux l'art, très fin, très souple, qui chatoie, en cent autres endroits, dans l'expression de la sensibilité humaine.Laure, c'est un joyau trop minutieusement ouvré. Il y a trop de facettes. On ne retrouve plus le foyer.Albéric Cahuet.

Le commandant Chapuis.

Nous avons, il y a deux semaines, signalé, par quelques documents photographiques, le déplorable attentat d'Hanoï, qui, le 26 avril dernier, fit deux victimes, le commandant Mongrand et le commandant Chapuis. Le portrait du premier qui avait pu nous parvenir sans retard, a été, à cette douloureuse occasion, publié dans notre numéro du 31 mai. Il convenait de rendre le même hommage à son camarade, frappé à ses côtés, officier, comme lui, d'infanterie coloniale.

Le commandant Chapuis, blessé grièvement par la bombe jetée sur la terrasse du Hanoï-Hôtel, ne succomba qu'après une cruelle agonie: il eut encore le suprême courage de supporter une opération qui ne laissait aucun espoir.

Il est mort au moment où il s'apprêtait à revenir en France, ayant terminé son séjour en Indochine.

Histoires de scorpions.

L'histoire naturelle nous apprend que le scorpion est un animal d'une voracité extrême, redoutable pour les insectes dont il fait sa proie ordinaire, et même pour l'homme, qui doit, dans les pays chauds, se garder de sa piqûre envenimée: les deux photographies reproduites ci-contre témoignent que sa férocité s'exerce également sur ses semblables et que, dans cette gent cruelle, le plus vigoureux s'attaque volontiers au plus faible, et le dévore.

C'est à un entomologiste de Biskra, M. Chiarelli, grand collectionneur d'insectes sahariens, que nous devons la communication de ces curieux documents. On sait que la femelle du scorpion porte ses petits sur son dos jusqu'à ce qu'ils soient assez forts pour aller chercher eux-mêmes leur subsistance. En ayant isolé une avec sa progéniture, M. Chiarelli voulut un jour la sortir de la boîte où il la conservait: mais à peine l'avait-il touchée qu'il vit les petits, effrayés sans doute, s'éparpiller, et la mère, les attrapant avec ses pinces, se mettre à les dévorer un à un. «Comme je craignais de les voir tous disparaître de cette façon, nous écrit l'observateur amusé de cette singulière scène, je plaçai immédiatement le scorpion dans un bocal, où je versai une solution de formol. La mère cessa de vivre, sans toutefois lâcher ceux qu'elle avait déjà saisis entre ses pinces.» Le photographe n'eut ensuite qu'à disposer l'animal et ses petits sur un morceau de drap noir afin d'obtenir le cliché que nous publions.

M. Chiarelli procéda de la même manière pour deux scorpions de taille différente, qu'il avait placés dans un bocal, sans aucune nourriture, et qu'il retrouva, deux jours après, le plus gros dévorant l'autre: on ne voyait plus, de celui-ci, que l'extrémité de la queue, avec le dard. Le formol immobilisa, encore une fois, l'animal, qui put être alors aisément photographié avec sa proie.

Dans le monde des scorpions.--Une mère qui dévore ses petits. Elle en tient un dans sa bouche et en a déjà saisi deux autres, un dans chaque pince.Collection de M. Chiarelli, à Biskra.--Photographies Bougault.Scorpion avalant un de ses congénères. On ne voit plus, de la victime, que les trois dernières phalanges de la queue et le crochet venimeux sortant de la bouche du mangeur.

A propos du rocher de Tormery.

Nous avons longuement rendu compte, dans notre numéro du 31 mai dernier, de l'explosion du «rocher de Tormery», par laquelle ont été anéantis les deux blocs latéraux de l'énorme masse de 9.000 mètres cubes qui menaçait le petit village savoyard. On a pu se demander--et l'auteur documenté de notre article posait, en terminant, la question--pourquoi on avait laissé subsister le bloc principal, si dangereux encore qu'on a dû prévoir, pour empêcher son écroulement, la construction d'un mur de soutien.

M. A. Reulos, ingénieur des ponts et chaussées, qui fut chargé de l'opération, nous écrit que l'explosion de la masse entière, après avoir été soigneusement étudiée, était apparue comme impraticable et inutile, pour plusieurs raisons, qu'il nous explique. Tout d'abord, il eût été impossible de perforer, avec les moyens ordinaires, un bloc de 15 mètres d'épaisseur; il aurait fallu recourir à l'emploi de perforatrices en un point où l'installation d'un matériel compliqué présentait des difficultés presque insurmontables. D'autre part, une exploration minutieuse de la grande faille, en arrière du rocher, avait permis de constater que la masse centrale était solide et qu'il suffisait de la protéger, à la base, par des travaux appropriés. Enfin l'explosion totale faisait craindre des dégâts très importants dans le village. «Malgré l'effritement produit par la dynamite-gomme de la maison Davey-Bickford, assure M. A. Reulos, il reste toujours des morceaux de roc pouvant atteindre 1 ou 2 mètres cubes; plusieurs auraient été projetés au loin, et d'autres seraient restés accrochés dans les broussailles voisines, constituant pour les habitants de Tormery un péril permanent.»

Sur quelques points de détail, M. A. Reulos rectifie nos informations: ce n'est pas la maison Davey-Bickford qui a fait percer les trous de mine, mais la maison Bernasconi, de Chambéry; et la partie centrale du rocher n'a pas eu, pendant l'explosion, le moindre mouvement.

Traitement de la diphtérie par l'air chaud.

M. Rendu a constaté que les microbes de la diphtérie sont détruits par un chauffage à 60 degrés pendant cinq minutes ou par une température de 70 degrés maintenue deux minutes. La diphtérie se localisant généralement aux voies respiratoires supérieures, un essai de traitement par la chaleur paraissait dès lors tout indiqué.

Avant d'expérimenter sur des malades, l'auteur a voulu déterminer la limite de la température que peuvent supporter les voies respiratoires supérieures. Il a pu lui-même supporter des inhalations d'air chaud sec pendant un temps qui variait de 2 minutes à 100 degrés à une demi-heure à 60 degrés, la température de l'air étant prise à l'entrée de la bouche. Pour assurer cette tolérance imprévue, il suffit de protéger les lèvres et le reste de la face avec des compresses imbibées d'eau.

Après cette étude préparatoire, le docteur Rendu a traité par l'air chaud 33 cas de diphtérie, en même temps qu'il soignait un autre groupe de 33 malades avec du sérum antidiphtérique. Les résultats ont été identiques dans les deux cas et la mortalité n'a pas dépassé 15%.

Le dixième congrès international des femmes, qui s'était réuni à Paris, vient de terminer ses travaux.

Si les premières féministes pouvaient aujourd'hui contempler leur oeuvre, elles partageraient avec les doyennes du parti un étonnement extrême: Mmes Vincent, Hubertine Aucler et d'autres «anciennes», vaillantes et simples, ont dû se croire transportées dans un monde nouveau, au milieu de cette assemblée où furent représentées plus de vingt nations, assemblée aussi féminine que féministe, élégante et posée, où la sagesse présidait en personne derrière un bureau tout fleuri de roses.

Beaucoup de vieilles dames, ayant évidemment passé l'âge de l'inexpérience; quelques-unes bien charmantes sous les cheveux blancs, n'abdiquant en rien leur dignité ou leur coquetterie de femmes et servant avec esprit la cause qu'elles défendent: telles furent, pour ne citer que celles-ci, Mme Siegfried, présidente du Congrès, et Mlle Bonneval, présidente de séance.

D'autres, plus jeunes, ardemment convaincues, exposent leurs travaux avec mesure, une mesure qui, parfois, paraît de la froideur et empêche les idées de passer «la rampe», exception faite cependant pour Mmes Séverine et Maria Vérone, dont l'éloquence communicative enthousiasme les congressistes.

Lady Aberdeen, ex-vice-reine des Indes, présidente d'honneur, apportait avec l'autorité de son nom la grâce aristocratique de sa personne; Mme Cruppi parlait avec une compétence que sa distinction faisait particulièrement apprécier; Mme Avril de Sainte-Croix se signalait par son activité et son bon sens positif qui lui fit lancer cette boutade: «Commencez par faire respecter les lois que vous avez, avant d'en demander d'autres.»

Et, dans une harmonie parfaite, ce congrès s'est déroulé, sans heurt, sans déclaration outrancière. A peine sentait-on, par instant, poindre ce sentiment indéfinissable qui ressemble de loin à la jalousie, sentiment si accentué dans les assemblées masculines, mais qui, chez les femmes, pourrait bien n'être qu'une généreuse émulation.

Les travaux présentés formaient un ensemble considérable embrassant des questions multiples: hygiène, travail, sciences, politique, etc., le tout traité avec une raison indiscutable.

La section du suffrage offrait un intérêt particulier: on attendait, on espérait peut-être des manifestations ridicules. Cette sympathique curiosité a été déçue; Mme Maria Vérone, s'abstenant de tout commentaire personnel, a simplement rappelé les réformes utiles réalisées par les femmes dans les pays, déjà nombreux, où elles sont électrices et éligibles.

En Amérique et en Océanie, le sort des ouvriers s'est fort amélioré depuis que les femmes votent. Partout les électrices ont fait adopter des lois importantes pour l'éducation morale; elles combattent tout ce qui déprave l'homme et la femme et, par suite, atteint l'enfant; elles mènent une guerre sans merci contre l'alcoolisme et elles ont obtenu des résultats extraordinaires en faisant interdire les débits d'alcool ou limiter leur nombre. C'est ainsi qu'en Suède on compte actuellement un débit pour 5.000 habitants au lieu de 1 pour 400 habitants il y a quelques années; en Norvège on ne trouve pas plus d'un cabaret pour 20.000 habitants; en Islande l'alcool est prohibé, l'alcoolisme a presque disparu en Finlande. Au Wyoming, où les femmes votent depuis vingt-cinq ans, il n'y a plus d'asiles d'indigents, les prisons sont presque vides et les crimes sont devenus très rares.

La question de la paix est ainsi noblement posée par les congressistes; quels sont les moyens propres à éveiller dans les jeunes consciences l'amour de la justice et le respect du droit des peuples?

Enfin Mme Maria Vérone lance cet appel éloquent qui précise le véritable point de vue du féminisme sérieux, trop souvent défiguré par ses adversaires: «Féministes de tous pays, nous devons lutter pour que les femmes obtiennent partout l'émancipation politique, on considérant cet affranchissement non point comme unbut, mais comme unmoyende réaliser notre programme, comme une étape nécessaire vers le progrès. Alors seulement il nous sera permis d'entrevoir un avenir meilleur pour ceux qui nous suivront, d'espérer que désormais la justice et le droit régneront dans la famille consolidée, dans la nation régénérée, dans l'humanité tout entière fraternellement unie.»

A la Chambre de Manille: les députés philippins en séance.

A regarder la curieuse photographie que nous reproduisons ici, on dirait, tout d'abord, d'une classe de grands écoliers bien sages, tous vêtus de semblable manière, ainsi qu'il convient aux élèves de la même institution, et écoutant attentivement la parole du maître, assis derrière leurs pupitres identiques... Nos yeux accoutumés aux vastes assemblées parlementaires où se discutent les affaires des grands États verront avec une surprise amusée, en cette image, la salle des séances de la Chambre philippine, à Manille. Sur chaque pupitre, une prévoyante administration a fait inscrire, en lettres blanches, le nom de celui qui l'occupe: grâce à cette disposition ingénieuse, le président ne peut avoir aucune hésitation à reconnaître et à désigner, dans le tumulte des débats, le député turbulent pour lequel s'impose un rappel à l'ordre.

Les occasions lui sont fréquentes d'user des sévérités que lui accorde le règlement, car les délibérations de la Chambre philippine, pour se poursuivre devant une assemblée peu nombreuse, sont souvent bruyantes et passionnées. Il y a quelque temps, M. Pedro A. Paterno (que l'on aperçoit ici au premier rang) soulevait des protestations indignées en proposant, comme unique moyen d'augmenter rapidement la population de l'archipel, la bigamie obligatoire. Plus récemment, un projet de loi sur la suppression de l'esclavage, courageusement soutenu par le secrétaire de l'Intérieur, M. Dean C. Worcester, provoquait de vives controverses... Les députés de Manille n'observent point toujours la paisible attitude qu'on leur voit sur notre photographie.

«L'affaire Kedl», qui vient d'éclater brusquement en Autriche, a un côté romanesque, une ampleur qui la distingue des banales et mesquines histoires d'espionnage où quelque soldat besogneux est compromis à bas prix: le colonel Alfred Redl a pu être justement qualifié de prince des espions.

Il était bel homme, et portait avec aisance le coquet uniforme autrichien. Il avait quarante-six ans; on lui en eût donné quarante. Le teint haut en couleur, le verbe assuré, l'allure athlétique, un peu vulgaire, pourtant, il s'imposait à l'attention là où il paraissait. Détail piquant, avant de trafiquer, avec la Russie, des secrets militaires de son pays, il a pris la parole, comme commissaire du gouvernement, représentant de la vindicte publique, dans maintes affaires d'espionnage. Il était, en dernier lieu, chef d'état-major du commandant du 8e corps, à Prague.

Sa carrière avait été superbe, puisqu'on parlait déjà de sa promotion au grade de général. «Une carrière d'archiduc», disait au correspondant du Figaro un de ses camarades. Il menait grand train, avec autos et maîtresses cotées.

Le colonel autrichien Alfred Redl.Phot. Harkanyi.

La guerre des Balkans allait détruire ce bel édifice et révéler, derrière la brillante façade de cette vie fortunée, les infamies cachées. Ce fut, en effet, à de certaines coïncidences, au moment de la mobilisation autrichienne, à des concordances saisissantes entre les mouvements des troupes de la monarchie dualiste et de celles de la Russie, qu'on commença de soupçonner le colonel Redl. Une enquête discrète fut commencée. Le 24 mai, le chef d'état-major du 8e corps était mandé à Vienne: on voulait profiter de son absence pour opérer chez lui une perquisition. Elle donna des résultats accablants. Le drame se dénoua en quelques heures. Tandis que Redl dînait dans sa chambre d'hôtel, trois officiers d'état-major fouillaient l'automobile qui l'avait amené. Ils y trouvaient un revolver et des papiers déchirés. Déjà le télégraphe avait apporté au ministère de la Guerre les résultats de l'opération de Prague. Il semble qu'on eût dû arrêter Redl sans délai. Non. Les trois officiers, avec un procureur, lui firent visite dans sa chambre. Des policiers furent apostés dans les corridors de l'hôtel. Redl put néanmoins sortir, aller au café, écrire des lettres. Le lendemain, on le trouvait mort, un browning neuf gisant à ses pieds.

L'affaire, toutefois, ne saurait être étouffée, car de nombreuses arrestations, s'y rapportant, ont été opérées.

Après leMartyre, de Saint-Sébastien, qui fut représenté, il y a deux ans, au théâtre du Châtelet, M. Gabriele d'Annunzio vient de donner sur cette même scène une nouvelle pièce, écrite en notre langue, dont il connaît et met en oeuvre, avec un lyrisme abondant, toutes les magnifiques ressources,la Pisanelle ou la Mort parfumée. Composée en vers décasyllabiques et non rimes, cette comédie, qui compte un prologue et trois actes, fait revivre une époque et une légende françaises, en nous transportant au treizième siècle, dans l'île de Chypre, alors gouvernée par le prince Huguet de Lusignan: la «Pisanelle», c'est une jeune femme de Pise, faite prisonnière par des pirates, qui vient, ainsi que l'ont annoncé les prédictions, délivrer l'île des maux dont elle est accablée.

Mise en scène par M. Usewolod Meyerhold, des théâtres impériaux de Saint-Pétersbourg, encadrée dans des décors aux colorations audacieusement somptueuses de M. Léon Bakst, accompagnée d'une partition due à M. Hildebrando da Parma,la Pisanellea obtenu auprès du public parisien le plus chaleureux succès. On a beaucoup applaudi les interprètes, au premier rang desquels Mme Ida Rubinstein et MM. de Max et Joubé.

Au théâtre Antoine, reprise duBaptême, de MM. Alfred Savoir et Nozières. Le succès de cette comédie, une des plus remarquables du répertoire contemporain, ne se dément pas et durera longtemps. On sait qu'elle met à la scène des juifs convertis au catholicisme et tirant avantage de leur conversion pour élargir leurs affaires. Le sujet était délicat à traiter. Les auteurs l'ont abordé sans parti pris; leurs types sont heureusement campés; l'intrigue, claire, bien conduite, abonde en traits d'observation. Parmi les interprètes, M. Lugné Poe et Mme Cheirel ont été particulièrement applaudis. Le spectacle commence parle Champ libre, un acte très divertissant de M. Jean Jullien.

Les Escholiers ont donné quatre pièces nouvelles qui composent un spectacle varié.Coup double, de MM. Renouard et Le Clerc, est une aimable bergerie sentimentale.Le Tournant, de M. Lionel Nastorg, fait dialoguer d'autres amoureux avec philosophie à l'heure de la rupture.L'Épreuve d'amour, de M. Grawitz, indique son sujet par son titre; mais les amants ici portent le costume grec et s'expriment en vers. Quant à laVraie Loi, cette pièce se distingue par ses deux actes des précédentes qui n'en ont qu'un; on y voit les enfants d'un homme qui se tua, possédés à leur tour par la hantise du suicide. Pour la représentation de ces oeuvres, les Escholiers avaient fait appel à d'excellents artistes.

(Agrandissement)

Note du transcripteur: Les suppléments mentionnésen titre ne nous ont pas été fournis


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