LIIIMademoiselle eut beau s’évertuer, on lui garda rancune de cet accident, bien qu’elle n’en fût que la cause involontaire. Elle résolut de se le faire pardonner. La fête de Monsieur le Curé lui en offrit, cette fois, l’occasion. Mise en garde par de successives écoles, la Comtesse voulut s’opposer; mais l’impotente, clouée sur sa chaise longue, souhaitait d’être amusée... on reparla desurprise; Henriette exigea d’y être mêlée; elle avait compté sans l’obstination, qui l’emporta.De nouveau, le célèbread augusta perangustaparut être la devise du trio des artistes. Les préparatifs furent hermétiques. Rien ne transpira. Sur l’heure des trois coups, l’Institutrice et ses deux élèves, toutes trois embobelinées, encapuchonnées de leurswaterproofs, disparurent derrière le paravent qui leur servait de coulisses, puis reparurent transformées.Miss Winter se tenait au centre, vêtue d’une tunique blanche, serrée à la ceinture par une cordelière. Son teint était bronzé. Une perruque de chanvre passée à la suie recouvrait sa coiffure et lui donnait l’air d’un jeune lévite moricaud, d’un Éliacin mulâtre.A ses côtés se tenaient les deux néophytes dans un pareil accoutrement, avec cette différence que la chevelure de la cadette était roulée comme celle des vicaires qui portent des cheveux longs;distinction qui, sans doute, indiquait un rôle d’homme.Tout à coup Mademoiselle se mit à psalmodier, d’un ton, que l’on jugea biblique; elle disait: «Je suis brune, mais je suis belle, ô filles de Jérusalem, je suis la rose de Cédar et le muguet des vallées.»Et Berthe, qui représentait leChœur, nettement détacha: «Qui est celle-ci qui s’élève du désert, comme une colonne de fumée montant des parfums de myrrhe, d’encens, et de toutes les poudres du parfumeur?»Puis ce fut le tour de Noémi,l’Époux, qui débita, en bégayant un peu, mais tout de même avec gentillesse: «Que vous êtes belle, ô mon amie, que vous êtes belle!... sans parler de ce qui doit être tenu secret! Vos cheveux sont comme un troupeau de chèvres nouvellementtondues.—Chacune de vos joues est comme une pomme de grenade... pour ne rien dire de ce qui est caché.—Votre col est comme la Tour de David, qui est bâtie avec des boulevards; votre nez est haut et grand comme la Tour du Liban, qui regarde du côté de Damas. Ma sœur, mon épouse est un jardin fermé et une fontaine scellée.»Et Mademoiselle répondit en baissant les yeux: «Que mon Bien-Aimé vienne dans son jardin et mange du fruit de ses arbres!...»Alors Berthe: «Revenez, revenez, ô Sulamite, afin que nous vous considérions.»La Sulamite continua: «Mon Bien-Aimé est blanc et vermeil, vous le distingueriez entre dix mille. Ses joues sont comme de petits parterres de plantes aromatiques. Les jambes sont commedes colonnes de marbre, posées sur des bases d’or. Mon Bien-Aimé est comme un bouquet de myrrhe, puisse-t-il demeurer entre mes mamelles!»...«Pas un mot de plus, Mademoiselle!» cria la Comtesse, debout, pâle de colère. «Je vous l’avais bien dit, ma mère; Monsieur le Curé, excusez-nous. Pour votre fête, cette ridicule et profane mascarade!...»«Ridicule mascarade, leCantique des Cantiques...» balbutiait la Gouvernante, simplement surprise, sincèrement désolée.Les deux fillettes restaient debout, gauches et décontenancées. On eût dit deux traversins noués par le milieu, ou deux sacs de farine.«Allez ôter ce carnaval, petites sottes!» vociféra Henriette, au comble de la fureur.O Berthe, ô Noémi, c’était évidemment lePetit Savoyard, de Guiraud, qu’il eût fallu que Mademoiselle vous fît apprendre!...
LIIIMademoiselle eut beau s’évertuer, on lui garda rancune de cet accident, bien qu’elle n’en fût que la cause involontaire. Elle résolut de se le faire pardonner. La fête de Monsieur le Curé lui en offrit, cette fois, l’occasion. Mise en garde par de successives écoles, la Comtesse voulut s’opposer; mais l’impotente, clouée sur sa chaise longue, souhaitait d’être amusée... on reparla desurprise; Henriette exigea d’y être mêlée; elle avait compté sans l’obstination, qui l’emporta.De nouveau, le célèbread augusta perangustaparut être la devise du trio des artistes. Les préparatifs furent hermétiques. Rien ne transpira. Sur l’heure des trois coups, l’Institutrice et ses deux élèves, toutes trois embobelinées, encapuchonnées de leurswaterproofs, disparurent derrière le paravent qui leur servait de coulisses, puis reparurent transformées.Miss Winter se tenait au centre, vêtue d’une tunique blanche, serrée à la ceinture par une cordelière. Son teint était bronzé. Une perruque de chanvre passée à la suie recouvrait sa coiffure et lui donnait l’air d’un jeune lévite moricaud, d’un Éliacin mulâtre.A ses côtés se tenaient les deux néophytes dans un pareil accoutrement, avec cette différence que la chevelure de la cadette était roulée comme celle des vicaires qui portent des cheveux longs;distinction qui, sans doute, indiquait un rôle d’homme.Tout à coup Mademoiselle se mit à psalmodier, d’un ton, que l’on jugea biblique; elle disait: «Je suis brune, mais je suis belle, ô filles de Jérusalem, je suis la rose de Cédar et le muguet des vallées.»Et Berthe, qui représentait leChœur, nettement détacha: «Qui est celle-ci qui s’élève du désert, comme une colonne de fumée montant des parfums de myrrhe, d’encens, et de toutes les poudres du parfumeur?»Puis ce fut le tour de Noémi,l’Époux, qui débita, en bégayant un peu, mais tout de même avec gentillesse: «Que vous êtes belle, ô mon amie, que vous êtes belle!... sans parler de ce qui doit être tenu secret! Vos cheveux sont comme un troupeau de chèvres nouvellementtondues.—Chacune de vos joues est comme une pomme de grenade... pour ne rien dire de ce qui est caché.—Votre col est comme la Tour de David, qui est bâtie avec des boulevards; votre nez est haut et grand comme la Tour du Liban, qui regarde du côté de Damas. Ma sœur, mon épouse est un jardin fermé et une fontaine scellée.»Et Mademoiselle répondit en baissant les yeux: «Que mon Bien-Aimé vienne dans son jardin et mange du fruit de ses arbres!...»Alors Berthe: «Revenez, revenez, ô Sulamite, afin que nous vous considérions.»La Sulamite continua: «Mon Bien-Aimé est blanc et vermeil, vous le distingueriez entre dix mille. Ses joues sont comme de petits parterres de plantes aromatiques. Les jambes sont commedes colonnes de marbre, posées sur des bases d’or. Mon Bien-Aimé est comme un bouquet de myrrhe, puisse-t-il demeurer entre mes mamelles!»...«Pas un mot de plus, Mademoiselle!» cria la Comtesse, debout, pâle de colère. «Je vous l’avais bien dit, ma mère; Monsieur le Curé, excusez-nous. Pour votre fête, cette ridicule et profane mascarade!...»«Ridicule mascarade, leCantique des Cantiques...» balbutiait la Gouvernante, simplement surprise, sincèrement désolée.Les deux fillettes restaient debout, gauches et décontenancées. On eût dit deux traversins noués par le milieu, ou deux sacs de farine.«Allez ôter ce carnaval, petites sottes!» vociféra Henriette, au comble de la fureur.O Berthe, ô Noémi, c’était évidemment lePetit Savoyard, de Guiraud, qu’il eût fallu que Mademoiselle vous fît apprendre!...
Mademoiselle eut beau s’évertuer, on lui garda rancune de cet accident, bien qu’elle n’en fût que la cause involontaire. Elle résolut de se le faire pardonner. La fête de Monsieur le Curé lui en offrit, cette fois, l’occasion. Mise en garde par de successives écoles, la Comtesse voulut s’opposer; mais l’impotente, clouée sur sa chaise longue, souhaitait d’être amusée... on reparla desurprise; Henriette exigea d’y être mêlée; elle avait compté sans l’obstination, qui l’emporta.
De nouveau, le célèbread augusta perangustaparut être la devise du trio des artistes. Les préparatifs furent hermétiques. Rien ne transpira. Sur l’heure des trois coups, l’Institutrice et ses deux élèves, toutes trois embobelinées, encapuchonnées de leurswaterproofs, disparurent derrière le paravent qui leur servait de coulisses, puis reparurent transformées.
Miss Winter se tenait au centre, vêtue d’une tunique blanche, serrée à la ceinture par une cordelière. Son teint était bronzé. Une perruque de chanvre passée à la suie recouvrait sa coiffure et lui donnait l’air d’un jeune lévite moricaud, d’un Éliacin mulâtre.
A ses côtés se tenaient les deux néophytes dans un pareil accoutrement, avec cette différence que la chevelure de la cadette était roulée comme celle des vicaires qui portent des cheveux longs;distinction qui, sans doute, indiquait un rôle d’homme.
Tout à coup Mademoiselle se mit à psalmodier, d’un ton, que l’on jugea biblique; elle disait: «Je suis brune, mais je suis belle, ô filles de Jérusalem, je suis la rose de Cédar et le muguet des vallées.»
Et Berthe, qui représentait leChœur, nettement détacha: «Qui est celle-ci qui s’élève du désert, comme une colonne de fumée montant des parfums de myrrhe, d’encens, et de toutes les poudres du parfumeur?»
Puis ce fut le tour de Noémi,l’Époux, qui débita, en bégayant un peu, mais tout de même avec gentillesse: «Que vous êtes belle, ô mon amie, que vous êtes belle!... sans parler de ce qui doit être tenu secret! Vos cheveux sont comme un troupeau de chèvres nouvellementtondues.—Chacune de vos joues est comme une pomme de grenade... pour ne rien dire de ce qui est caché.—Votre col est comme la Tour de David, qui est bâtie avec des boulevards; votre nez est haut et grand comme la Tour du Liban, qui regarde du côté de Damas. Ma sœur, mon épouse est un jardin fermé et une fontaine scellée.»
Et Mademoiselle répondit en baissant les yeux: «Que mon Bien-Aimé vienne dans son jardin et mange du fruit de ses arbres!...»
Alors Berthe: «Revenez, revenez, ô Sulamite, afin que nous vous considérions.»
La Sulamite continua: «Mon Bien-Aimé est blanc et vermeil, vous le distingueriez entre dix mille. Ses joues sont comme de petits parterres de plantes aromatiques. Les jambes sont commedes colonnes de marbre, posées sur des bases d’or. Mon Bien-Aimé est comme un bouquet de myrrhe, puisse-t-il demeurer entre mes mamelles!»...
«Pas un mot de plus, Mademoiselle!» cria la Comtesse, debout, pâle de colère. «Je vous l’avais bien dit, ma mère; Monsieur le Curé, excusez-nous. Pour votre fête, cette ridicule et profane mascarade!...»
«Ridicule mascarade, leCantique des Cantiques...» balbutiait la Gouvernante, simplement surprise, sincèrement désolée.
Les deux fillettes restaient debout, gauches et décontenancées. On eût dit deux traversins noués par le milieu, ou deux sacs de farine.
«Allez ôter ce carnaval, petites sottes!» vociféra Henriette, au comble de la fureur.
O Berthe, ô Noémi, c’était évidemment lePetit Savoyard, de Guiraud, qu’il eût fallu que Mademoiselle vous fît apprendre!...