LV

LVIl y avait eu un chant du Cygne. Mademoiselle gardait rancune du peu d’enthousiasme marqué pour son projet de solo. Une occasion s’offrit à elle, d’une revanche à la fois discrète et retentissante. On l’avertit, plusieurs jours d’avance, qu’elle devrait accompagner ses élèves à une messe basse, qui serait célébrée, dans le village, pour le repos de l’âme d’une paysanne, naguère employée au château.Cette modeste cérémonie suivait son cours, en présence de quelques ouailles, quand celles-ci eurent l’étonnementd’entendre résonner la voix enrouée d’un orgue-chaudron qui n’avait pas parlé depuis des lustres. C’était un affreux instrument, sorte detacotde la musique, jadis acheté d’occasion dans une basilique de banlieue. Depuis longtemps on avait dû renoncer à en faire usage. Lebourdonet leprestants’y confondaient; son rythme devenait poussif; et quand on risquait leGrand Jeu, il semblait qu’un vol de canards enragés se fût déchaîné dans l’abside. Néanmoins, Berthe, déjà bonne petite Sainte Cécile, réussit à dompter ces éléments et plaqua de nobles accords. Noémi soufflait. Tout à coup, une voix s’éleva «pareille au bruit des Grandes Eaux» comme la voix apocalyptique. C’était l’organe de Mademoiselle, qui chantaitSulla tomba oscura, de Beethoven. Les ondes sonores emplirent le vaisseau avec une richesse incroyable,si l’on en croit la rumeur populaire et, peut-être, avec un style surprenant. Mais personne ne se trouvant là qui pût en juger, la chose resta obscure, comme la tombe du morceau.Les fillettes certifièrent avec exaltation que «c’était magnifique». Une femme de chambre, secrètement interrogée, répondit qu’elle «se croyait au théâtre». Des paysans affirmèrent que ça leur avait paru «bien gentil». Des voisins, un maréchal-ferrant et des batteurs de fléau, que le timbre fit s’interrompre de leur bruyant labeur, n’étaient pas loin de penser, dans ce bourg encore dévot, qu’il ne s’agît là d’un miracle. Le chant fut perçu à une grande distance. Un sourd l’entendit. Un vitrail se brisa.Pour éviter de nouveaux désagréments, la famille feignit d’ignorer.Quant à Monsieur le Curé, il se déclaraflatté du rehaut qu’un tel concours apportait à cet humble obit célébré dans sa paroisse; mais, d’une part, l’exception pouvait créer des jalousies; et de l’autre, une santé (la sienne) qui exigeait des ménagements, s’accommoderait mal d’une récidive aussi sonore; le saisissement causé par un tel mélange du grave et de l’aigu lui ayant, à ce brave desservant, au beau milieu dumemento, ce fut son expression, «donné des tranchées».

LVIl y avait eu un chant du Cygne. Mademoiselle gardait rancune du peu d’enthousiasme marqué pour son projet de solo. Une occasion s’offrit à elle, d’une revanche à la fois discrète et retentissante. On l’avertit, plusieurs jours d’avance, qu’elle devrait accompagner ses élèves à une messe basse, qui serait célébrée, dans le village, pour le repos de l’âme d’une paysanne, naguère employée au château.Cette modeste cérémonie suivait son cours, en présence de quelques ouailles, quand celles-ci eurent l’étonnementd’entendre résonner la voix enrouée d’un orgue-chaudron qui n’avait pas parlé depuis des lustres. C’était un affreux instrument, sorte detacotde la musique, jadis acheté d’occasion dans une basilique de banlieue. Depuis longtemps on avait dû renoncer à en faire usage. Lebourdonet leprestants’y confondaient; son rythme devenait poussif; et quand on risquait leGrand Jeu, il semblait qu’un vol de canards enragés se fût déchaîné dans l’abside. Néanmoins, Berthe, déjà bonne petite Sainte Cécile, réussit à dompter ces éléments et plaqua de nobles accords. Noémi soufflait. Tout à coup, une voix s’éleva «pareille au bruit des Grandes Eaux» comme la voix apocalyptique. C’était l’organe de Mademoiselle, qui chantaitSulla tomba oscura, de Beethoven. Les ondes sonores emplirent le vaisseau avec une richesse incroyable,si l’on en croit la rumeur populaire et, peut-être, avec un style surprenant. Mais personne ne se trouvant là qui pût en juger, la chose resta obscure, comme la tombe du morceau.Les fillettes certifièrent avec exaltation que «c’était magnifique». Une femme de chambre, secrètement interrogée, répondit qu’elle «se croyait au théâtre». Des paysans affirmèrent que ça leur avait paru «bien gentil». Des voisins, un maréchal-ferrant et des batteurs de fléau, que le timbre fit s’interrompre de leur bruyant labeur, n’étaient pas loin de penser, dans ce bourg encore dévot, qu’il ne s’agît là d’un miracle. Le chant fut perçu à une grande distance. Un sourd l’entendit. Un vitrail se brisa.Pour éviter de nouveaux désagréments, la famille feignit d’ignorer.Quant à Monsieur le Curé, il se déclaraflatté du rehaut qu’un tel concours apportait à cet humble obit célébré dans sa paroisse; mais, d’une part, l’exception pouvait créer des jalousies; et de l’autre, une santé (la sienne) qui exigeait des ménagements, s’accommoderait mal d’une récidive aussi sonore; le saisissement causé par un tel mélange du grave et de l’aigu lui ayant, à ce brave desservant, au beau milieu dumemento, ce fut son expression, «donné des tranchées».

Il y avait eu un chant du Cygne. Mademoiselle gardait rancune du peu d’enthousiasme marqué pour son projet de solo. Une occasion s’offrit à elle, d’une revanche à la fois discrète et retentissante. On l’avertit, plusieurs jours d’avance, qu’elle devrait accompagner ses élèves à une messe basse, qui serait célébrée, dans le village, pour le repos de l’âme d’une paysanne, naguère employée au château.

Cette modeste cérémonie suivait son cours, en présence de quelques ouailles, quand celles-ci eurent l’étonnementd’entendre résonner la voix enrouée d’un orgue-chaudron qui n’avait pas parlé depuis des lustres. C’était un affreux instrument, sorte detacotde la musique, jadis acheté d’occasion dans une basilique de banlieue. Depuis longtemps on avait dû renoncer à en faire usage. Lebourdonet leprestants’y confondaient; son rythme devenait poussif; et quand on risquait leGrand Jeu, il semblait qu’un vol de canards enragés se fût déchaîné dans l’abside. Néanmoins, Berthe, déjà bonne petite Sainte Cécile, réussit à dompter ces éléments et plaqua de nobles accords. Noémi soufflait. Tout à coup, une voix s’éleva «pareille au bruit des Grandes Eaux» comme la voix apocalyptique. C’était l’organe de Mademoiselle, qui chantaitSulla tomba oscura, de Beethoven. Les ondes sonores emplirent le vaisseau avec une richesse incroyable,si l’on en croit la rumeur populaire et, peut-être, avec un style surprenant. Mais personne ne se trouvant là qui pût en juger, la chose resta obscure, comme la tombe du morceau.

Les fillettes certifièrent avec exaltation que «c’était magnifique». Une femme de chambre, secrètement interrogée, répondit qu’elle «se croyait au théâtre». Des paysans affirmèrent que ça leur avait paru «bien gentil». Des voisins, un maréchal-ferrant et des batteurs de fléau, que le timbre fit s’interrompre de leur bruyant labeur, n’étaient pas loin de penser, dans ce bourg encore dévot, qu’il ne s’agît là d’un miracle. Le chant fut perçu à une grande distance. Un sourd l’entendit. Un vitrail se brisa.

Pour éviter de nouveaux désagréments, la famille feignit d’ignorer.

Quant à Monsieur le Curé, il se déclaraflatté du rehaut qu’un tel concours apportait à cet humble obit célébré dans sa paroisse; mais, d’une part, l’exception pouvait créer des jalousies; et de l’autre, une santé (la sienne) qui exigeait des ménagements, s’accommoderait mal d’une récidive aussi sonore; le saisissement causé par un tel mélange du grave et de l’aigu lui ayant, à ce brave desservant, au beau milieu dumemento, ce fut son expression, «donné des tranchées».


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