LXIX

LXIXMalheureusement, le jour venu, un vendredi, le temps fut détestable. Le jeudi, le soleil avait paru, laissant espérer, pour la messe basse du lendemain, une température clémente et capable d’assurer, à l’ombre de feu Miss, le rassemblement, en son nom, au pied des autels, de ceux qu’avaient naguère malédifiés ses récitations enfin pardonnées. Mais, durant la nuit, le baromètre eut un sursaut; on se réveilla dans la tempête. Sortir, il n’y fallait pas songer, pour la Marquise, d’autant que, par une malechance bizarre, un éparvin et un sétonclouaient à l’écurie l’attelage composé de deux juments valétudinaires. Charles était grippé, Henriette fléchit, les adolescentes chaudement vêtues s’insurgeaient à l’idée que la pieuse diversion promise pourrait bien se voir substituer les exercices fastidieux et coutumiers du pensionnat de Seine-et-Oise. Cependant on admettait encore de confier les écolières à une femme de chambre, pour cet exode peu distant, vu qu’il semblait indispensable que le château fût représenté au petit office vaguement funéraire qui se préparait; mais la rafale redoubla et tourna en trombe. Il ne pouvait être question de se risquer au dehors, par cette atmosphère, laquelle joua le même tour aux Demelly, qui regardèrent à deux fois avant de retarder un repas et de risquer un rhume pour ces mânes légers.Berthe et Noémi, restées très enfants, boudaient un peu contre la bourrasque; une idée leur vint qui tournait la difficulté, tout en faisant la part du cœur: «Maman, si nous lisions la Messe, à l’intention de Mademoiselle, devant la chapelle de notre alcôve?»... proposèrent-elles.La velléité parut louable et fut exaucée.Cet autel, moins pour prier que pour rire, leur restait de leur enfance, dont il avait été la gloire et la joie. Dressé sur une table de nuit drapée, entre les lits des deux sœurs, il tenait du sanctuaire et du joujou, avec ses fleurs artificielles, ses statuettes stéarinées ou polychromes et la réduction de cent objets de culte, mis à l’échelle des bébés et reproduits en faux.Une émotion vint aux jeunes prêtresses,en songeant qu’elles allaient officier en l’honneur de Celle qui les avait amusées et qu’elles avaient aimée. Sagement, elles demandèrent la permission d’allumer les minuscules bougies de couleur, qui se dressaient dans les candélabres de plomb, entre les tarlatanes étoilées. Et, sur l’autorisation qui leur en fut accordée par leur mère, elles s’éloignèrent, follement rieuses, sans prendre garde aux cris désordonnés de leur aïeule qui protestait, et les poursuivit dans le corridor, des longs éclats d’une recommandation dont elle abusait et qui lui était propre: «Prenez bien garde au feu!... Prenez bien garde au feu!»Les Grands Défunts sont rares; les Grands Prêtres aussi. On n’a pas toujours l’apologiste qu’on mérite, on est le mort qu’on peut. L’Oraison Funèbre baisse deton, comme plusieurs choses. Bossuet n’est plus là. Henriette d’Angleterre non plus.Ce fut le «Madame est morte!» de laPetite Mademoiselle.Paris.—Typ.Ph. Renouard, 19, rue des Saints-Pères—2709

LXIXMalheureusement, le jour venu, un vendredi, le temps fut détestable. Le jeudi, le soleil avait paru, laissant espérer, pour la messe basse du lendemain, une température clémente et capable d’assurer, à l’ombre de feu Miss, le rassemblement, en son nom, au pied des autels, de ceux qu’avaient naguère malédifiés ses récitations enfin pardonnées. Mais, durant la nuit, le baromètre eut un sursaut; on se réveilla dans la tempête. Sortir, il n’y fallait pas songer, pour la Marquise, d’autant que, par une malechance bizarre, un éparvin et un sétonclouaient à l’écurie l’attelage composé de deux juments valétudinaires. Charles était grippé, Henriette fléchit, les adolescentes chaudement vêtues s’insurgeaient à l’idée que la pieuse diversion promise pourrait bien se voir substituer les exercices fastidieux et coutumiers du pensionnat de Seine-et-Oise. Cependant on admettait encore de confier les écolières à une femme de chambre, pour cet exode peu distant, vu qu’il semblait indispensable que le château fût représenté au petit office vaguement funéraire qui se préparait; mais la rafale redoubla et tourna en trombe. Il ne pouvait être question de se risquer au dehors, par cette atmosphère, laquelle joua le même tour aux Demelly, qui regardèrent à deux fois avant de retarder un repas et de risquer un rhume pour ces mânes légers.Berthe et Noémi, restées très enfants, boudaient un peu contre la bourrasque; une idée leur vint qui tournait la difficulté, tout en faisant la part du cœur: «Maman, si nous lisions la Messe, à l’intention de Mademoiselle, devant la chapelle de notre alcôve?»... proposèrent-elles.La velléité parut louable et fut exaucée.Cet autel, moins pour prier que pour rire, leur restait de leur enfance, dont il avait été la gloire et la joie. Dressé sur une table de nuit drapée, entre les lits des deux sœurs, il tenait du sanctuaire et du joujou, avec ses fleurs artificielles, ses statuettes stéarinées ou polychromes et la réduction de cent objets de culte, mis à l’échelle des bébés et reproduits en faux.Une émotion vint aux jeunes prêtresses,en songeant qu’elles allaient officier en l’honneur de Celle qui les avait amusées et qu’elles avaient aimée. Sagement, elles demandèrent la permission d’allumer les minuscules bougies de couleur, qui se dressaient dans les candélabres de plomb, entre les tarlatanes étoilées. Et, sur l’autorisation qui leur en fut accordée par leur mère, elles s’éloignèrent, follement rieuses, sans prendre garde aux cris désordonnés de leur aïeule qui protestait, et les poursuivit dans le corridor, des longs éclats d’une recommandation dont elle abusait et qui lui était propre: «Prenez bien garde au feu!... Prenez bien garde au feu!»Les Grands Défunts sont rares; les Grands Prêtres aussi. On n’a pas toujours l’apologiste qu’on mérite, on est le mort qu’on peut. L’Oraison Funèbre baisse deton, comme plusieurs choses. Bossuet n’est plus là. Henriette d’Angleterre non plus.Ce fut le «Madame est morte!» de laPetite Mademoiselle.Paris.—Typ.Ph. Renouard, 19, rue des Saints-Pères—2709

Malheureusement, le jour venu, un vendredi, le temps fut détestable. Le jeudi, le soleil avait paru, laissant espérer, pour la messe basse du lendemain, une température clémente et capable d’assurer, à l’ombre de feu Miss, le rassemblement, en son nom, au pied des autels, de ceux qu’avaient naguère malédifiés ses récitations enfin pardonnées. Mais, durant la nuit, le baromètre eut un sursaut; on se réveilla dans la tempête. Sortir, il n’y fallait pas songer, pour la Marquise, d’autant que, par une malechance bizarre, un éparvin et un sétonclouaient à l’écurie l’attelage composé de deux juments valétudinaires. Charles était grippé, Henriette fléchit, les adolescentes chaudement vêtues s’insurgeaient à l’idée que la pieuse diversion promise pourrait bien se voir substituer les exercices fastidieux et coutumiers du pensionnat de Seine-et-Oise. Cependant on admettait encore de confier les écolières à une femme de chambre, pour cet exode peu distant, vu qu’il semblait indispensable que le château fût représenté au petit office vaguement funéraire qui se préparait; mais la rafale redoubla et tourna en trombe. Il ne pouvait être question de se risquer au dehors, par cette atmosphère, laquelle joua le même tour aux Demelly, qui regardèrent à deux fois avant de retarder un repas et de risquer un rhume pour ces mânes légers.

Berthe et Noémi, restées très enfants, boudaient un peu contre la bourrasque; une idée leur vint qui tournait la difficulté, tout en faisant la part du cœur: «Maman, si nous lisions la Messe, à l’intention de Mademoiselle, devant la chapelle de notre alcôve?»... proposèrent-elles.

La velléité parut louable et fut exaucée.

Cet autel, moins pour prier que pour rire, leur restait de leur enfance, dont il avait été la gloire et la joie. Dressé sur une table de nuit drapée, entre les lits des deux sœurs, il tenait du sanctuaire et du joujou, avec ses fleurs artificielles, ses statuettes stéarinées ou polychromes et la réduction de cent objets de culte, mis à l’échelle des bébés et reproduits en faux.

Une émotion vint aux jeunes prêtresses,en songeant qu’elles allaient officier en l’honneur de Celle qui les avait amusées et qu’elles avaient aimée. Sagement, elles demandèrent la permission d’allumer les minuscules bougies de couleur, qui se dressaient dans les candélabres de plomb, entre les tarlatanes étoilées. Et, sur l’autorisation qui leur en fut accordée par leur mère, elles s’éloignèrent, follement rieuses, sans prendre garde aux cris désordonnés de leur aïeule qui protestait, et les poursuivit dans le corridor, des longs éclats d’une recommandation dont elle abusait et qui lui était propre: «Prenez bien garde au feu!... Prenez bien garde au feu!»

Les Grands Défunts sont rares; les Grands Prêtres aussi. On n’a pas toujours l’apologiste qu’on mérite, on est le mort qu’on peut. L’Oraison Funèbre baisse deton, comme plusieurs choses. Bossuet n’est plus là. Henriette d’Angleterre non plus.

Ce fut le «Madame est morte!» de laPetite Mademoiselle.

Paris.—Typ.Ph. Renouard, 19, rue des Saints-Pères—2709


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