VQuand cette incidente, qui fera pénétrer plus avant dans l’intimité de nos personnages, n’aurait eu pour effet que de représenter le temps qui s’écoule, elle ne serait pas sans nécessité. La pendule marque neuf heures moins dix. Un roulement de voiture se fait entendre, le gravier crie, le phaéton est devant le seuil.La Marquise interrompt son tricot, dresse l’oreille et regarde curieusement. La Comtesse, debout au milieu du salon, l’air digne, sévère et déjà un peu irrité, lance un brusque rappel à ses filles quiveulent courir vers la porte, mues par un élan timide, en même temps que retenues par une crainte vague.Seul, le Comte traverse le vestibule, gagne le perron, d’où on l’entend discourir avec le cocher. Après quelques instants, il rentre, penaud et goguenard: «Personne!—dit-il.—Et, pour plus de sûreté, François a voulu attendre le second train. Le chef de gare a examiné les secondes; pas un voyageur n’en est descendu. Seulement, il y a des colis, paraît-il; beaucoup de colis. On ira les prendre demain matin.»La Comtesse s’était rassise et remise à broder, silencieuse mais furieuse. Puis, on l’entend pester et grincer: «Joli début!...»—Les autres sont stupéfaits. Brusquement, elle s’est relevée, sonne, bouscule les enfants, interdit la prière du soir, à cause de l’heure tardive, enjointà ses filles de dire un «Souvenez-vous» dans leur lit.Celles-ci s’éloignent en reprenant leurcorbillon.Charles et sa mère gardent le silence, de crainte de déchaîner le courroux d’Henriette. La porte s’entre-bâille, pour une dépêche, apportée, de fort loin, par un exprès, venu à pied. La Comtesse la saisit, l’ouvre, essaie de déchiffrer, sans y réussir (aveuglée qu’elle est par le mécontentement), et tend le papier à son mari.«C’est évidemment de la Gouvernante—conclut-il;—mais, d’où diable nous écrit-elle... de Chinon? Qu’est-ce qu’elle a bien pu aller faire là?»Il lit: «Égarée par renseignement faux. Porterai plainte.» Signé:Winter.«Je ne distingue pas le dernier mot. Ce doit être un repentir de la buraliste.»(Silence.) A Henriette: «Eh bien! ma chère, qu’est-ce que vous dites de ça?» Elle, se déchaîne: «Je dis que Madame de Gersaint a bien légèrement agi en nous adressant une cruche, une dinde ou une toquée. Elle n’en fait jamais d’autres. Nous voilà dans de beaux draps! (Henriette affectionne les expressions de lingerie.) Vous me rendrez la justice que je ne voulais pas entendre parler de cette inconnue... c’est vous qui l’avez exigé, ma mère...» Elle fait les demandes et les réponses et, sans doute, à un signe de dénégation, réplique verbeusement: «Si! si! vous avez objecté que les enfants allaient être privées de leur cours, tant que durerait leur préparation à la Première Communion, c’est-à-dire les deux ans que nous avons, à cause de cela, décidé de séjourner ici; que les petites ne pouvaient s’exempter de leçons... jevous demande un peu seulement ce que pourra leur apprendre cette hurluberlu, qui n’est seulement pas capable de trouver son chemin! En tout cas, elle ne leur enseignera pas l’exactitude. Je suis atterrée et outrée. D’autant plus que les quelques mots de cette ridicule dépêche sont autant d’indications de caractère. La sotte ne veut pas avouer qu’elle s’est trompée. Elle accuse les autres et paraît vouloir réclamer des dommages. Et voilà ce que nous avons introduit chez nous, dans une minute d’erreur!»Henriette continue de se lamenter et de fulminer. Les deux autres cherchent à la calmer. L’heure s’écoule dans les plaintives récriminations et les doléantes invectives. Puis, on se retire.En passant devant lanursery, la Comtesse prête l’oreille. Tout semble muet. Elle s’éloigne. Et cependant les deuxbonnes pièces ne dorment pas encore. Du fond de leur lit, elles poursuivent le colloque idiot, et continuent de se tendre l’imbécile vannerie: «Je vous vends mon corbillon, qu’y met-on?» interroge Berthe, pour la centième fois. Et, vaguement ensommeillée, sans plus de frais d’imagination, l’autre de répondre: «Un toton!»
VQuand cette incidente, qui fera pénétrer plus avant dans l’intimité de nos personnages, n’aurait eu pour effet que de représenter le temps qui s’écoule, elle ne serait pas sans nécessité. La pendule marque neuf heures moins dix. Un roulement de voiture se fait entendre, le gravier crie, le phaéton est devant le seuil.La Marquise interrompt son tricot, dresse l’oreille et regarde curieusement. La Comtesse, debout au milieu du salon, l’air digne, sévère et déjà un peu irrité, lance un brusque rappel à ses filles quiveulent courir vers la porte, mues par un élan timide, en même temps que retenues par une crainte vague.Seul, le Comte traverse le vestibule, gagne le perron, d’où on l’entend discourir avec le cocher. Après quelques instants, il rentre, penaud et goguenard: «Personne!—dit-il.—Et, pour plus de sûreté, François a voulu attendre le second train. Le chef de gare a examiné les secondes; pas un voyageur n’en est descendu. Seulement, il y a des colis, paraît-il; beaucoup de colis. On ira les prendre demain matin.»La Comtesse s’était rassise et remise à broder, silencieuse mais furieuse. Puis, on l’entend pester et grincer: «Joli début!...»—Les autres sont stupéfaits. Brusquement, elle s’est relevée, sonne, bouscule les enfants, interdit la prière du soir, à cause de l’heure tardive, enjointà ses filles de dire un «Souvenez-vous» dans leur lit.Celles-ci s’éloignent en reprenant leurcorbillon.Charles et sa mère gardent le silence, de crainte de déchaîner le courroux d’Henriette. La porte s’entre-bâille, pour une dépêche, apportée, de fort loin, par un exprès, venu à pied. La Comtesse la saisit, l’ouvre, essaie de déchiffrer, sans y réussir (aveuglée qu’elle est par le mécontentement), et tend le papier à son mari.«C’est évidemment de la Gouvernante—conclut-il;—mais, d’où diable nous écrit-elle... de Chinon? Qu’est-ce qu’elle a bien pu aller faire là?»Il lit: «Égarée par renseignement faux. Porterai plainte.» Signé:Winter.«Je ne distingue pas le dernier mot. Ce doit être un repentir de la buraliste.»(Silence.) A Henriette: «Eh bien! ma chère, qu’est-ce que vous dites de ça?» Elle, se déchaîne: «Je dis que Madame de Gersaint a bien légèrement agi en nous adressant une cruche, une dinde ou une toquée. Elle n’en fait jamais d’autres. Nous voilà dans de beaux draps! (Henriette affectionne les expressions de lingerie.) Vous me rendrez la justice que je ne voulais pas entendre parler de cette inconnue... c’est vous qui l’avez exigé, ma mère...» Elle fait les demandes et les réponses et, sans doute, à un signe de dénégation, réplique verbeusement: «Si! si! vous avez objecté que les enfants allaient être privées de leur cours, tant que durerait leur préparation à la Première Communion, c’est-à-dire les deux ans que nous avons, à cause de cela, décidé de séjourner ici; que les petites ne pouvaient s’exempter de leçons... jevous demande un peu seulement ce que pourra leur apprendre cette hurluberlu, qui n’est seulement pas capable de trouver son chemin! En tout cas, elle ne leur enseignera pas l’exactitude. Je suis atterrée et outrée. D’autant plus que les quelques mots de cette ridicule dépêche sont autant d’indications de caractère. La sotte ne veut pas avouer qu’elle s’est trompée. Elle accuse les autres et paraît vouloir réclamer des dommages. Et voilà ce que nous avons introduit chez nous, dans une minute d’erreur!»Henriette continue de se lamenter et de fulminer. Les deux autres cherchent à la calmer. L’heure s’écoule dans les plaintives récriminations et les doléantes invectives. Puis, on se retire.En passant devant lanursery, la Comtesse prête l’oreille. Tout semble muet. Elle s’éloigne. Et cependant les deuxbonnes pièces ne dorment pas encore. Du fond de leur lit, elles poursuivent le colloque idiot, et continuent de se tendre l’imbécile vannerie: «Je vous vends mon corbillon, qu’y met-on?» interroge Berthe, pour la centième fois. Et, vaguement ensommeillée, sans plus de frais d’imagination, l’autre de répondre: «Un toton!»
Quand cette incidente, qui fera pénétrer plus avant dans l’intimité de nos personnages, n’aurait eu pour effet que de représenter le temps qui s’écoule, elle ne serait pas sans nécessité. La pendule marque neuf heures moins dix. Un roulement de voiture se fait entendre, le gravier crie, le phaéton est devant le seuil.
La Marquise interrompt son tricot, dresse l’oreille et regarde curieusement. La Comtesse, debout au milieu du salon, l’air digne, sévère et déjà un peu irrité, lance un brusque rappel à ses filles quiveulent courir vers la porte, mues par un élan timide, en même temps que retenues par une crainte vague.
Seul, le Comte traverse le vestibule, gagne le perron, d’où on l’entend discourir avec le cocher. Après quelques instants, il rentre, penaud et goguenard: «Personne!—dit-il.—Et, pour plus de sûreté, François a voulu attendre le second train. Le chef de gare a examiné les secondes; pas un voyageur n’en est descendu. Seulement, il y a des colis, paraît-il; beaucoup de colis. On ira les prendre demain matin.»
La Comtesse s’était rassise et remise à broder, silencieuse mais furieuse. Puis, on l’entend pester et grincer: «Joli début!...»—Les autres sont stupéfaits. Brusquement, elle s’est relevée, sonne, bouscule les enfants, interdit la prière du soir, à cause de l’heure tardive, enjointà ses filles de dire un «Souvenez-vous» dans leur lit.
Celles-ci s’éloignent en reprenant leurcorbillon.
Charles et sa mère gardent le silence, de crainte de déchaîner le courroux d’Henriette. La porte s’entre-bâille, pour une dépêche, apportée, de fort loin, par un exprès, venu à pied. La Comtesse la saisit, l’ouvre, essaie de déchiffrer, sans y réussir (aveuglée qu’elle est par le mécontentement), et tend le papier à son mari.
«C’est évidemment de la Gouvernante—conclut-il;—mais, d’où diable nous écrit-elle... de Chinon? Qu’est-ce qu’elle a bien pu aller faire là?»
Il lit: «Égarée par renseignement faux. Porterai plainte.» Signé:Winter.
«Je ne distingue pas le dernier mot. Ce doit être un repentir de la buraliste.»(Silence.) A Henriette: «Eh bien! ma chère, qu’est-ce que vous dites de ça?» Elle, se déchaîne: «Je dis que Madame de Gersaint a bien légèrement agi en nous adressant une cruche, une dinde ou une toquée. Elle n’en fait jamais d’autres. Nous voilà dans de beaux draps! (Henriette affectionne les expressions de lingerie.) Vous me rendrez la justice que je ne voulais pas entendre parler de cette inconnue... c’est vous qui l’avez exigé, ma mère...» Elle fait les demandes et les réponses et, sans doute, à un signe de dénégation, réplique verbeusement: «Si! si! vous avez objecté que les enfants allaient être privées de leur cours, tant que durerait leur préparation à la Première Communion, c’est-à-dire les deux ans que nous avons, à cause de cela, décidé de séjourner ici; que les petites ne pouvaient s’exempter de leçons... jevous demande un peu seulement ce que pourra leur apprendre cette hurluberlu, qui n’est seulement pas capable de trouver son chemin! En tout cas, elle ne leur enseignera pas l’exactitude. Je suis atterrée et outrée. D’autant plus que les quelques mots de cette ridicule dépêche sont autant d’indications de caractère. La sotte ne veut pas avouer qu’elle s’est trompée. Elle accuse les autres et paraît vouloir réclamer des dommages. Et voilà ce que nous avons introduit chez nous, dans une minute d’erreur!»
Henriette continue de se lamenter et de fulminer. Les deux autres cherchent à la calmer. L’heure s’écoule dans les plaintives récriminations et les doléantes invectives. Puis, on se retire.
En passant devant lanursery, la Comtesse prête l’oreille. Tout semble muet. Elle s’éloigne. Et cependant les deuxbonnes pièces ne dorment pas encore. Du fond de leur lit, elles poursuivent le colloque idiot, et continuent de se tendre l’imbécile vannerie: «Je vous vends mon corbillon, qu’y met-on?» interroge Berthe, pour la centième fois. Et, vaguement ensommeillée, sans plus de frais d’imagination, l’autre de répondre: «Un toton!»