XII

XIILes robes, les chapeaux eux-mêmes ne font pas toute la toilette. Le prestige ou la déplaisance qui en émanent résultent d’une décoration d’ensemble, laquelle emprunte à des détails et, très spécialement, aux bijoux.L’écrin de Mademoiselle était pauvre, cela va de soi. Il contenait principalement du gypse et de l’ambre, de l’aventurine et de l’onyx, des coquillages montés, des améthystes suisses et du lapis de Chamounix, des coraux en branches, des agates herborisées, des perles baroques et des turquoises mortes; un péridot,une aigue-marine, une chrysoprase, un rubis-balai, une pierre de lune et un œil de tigre, une perle Técla et un diamant de Bluze.Ces pierrailles se succédaient, en alternant, sur duchangeantou duchiné, de l’écossais ou de la cheviotte.Un fragment de succin, dans lequel était emprisonnée une patte de coléoptère, induisait l’Institutrice à citer les vers de Chénier, les jours qu’elle portait ce morceau d’ambre.Mentionnons encore des laves du Vésuve et des scarabées de La Bourboule. Il y avait aussi des cornes contre lajettaturaet un lot de breloques, parmi lesquelles un flacon gros comme une noisette, dans lequel séjournait de l’essence de roses, et que Mademoiselle comparait, pour cela, aux pendants d’oreilles de Salammbô. Ajoutez un bracelet enverre de la Mandchourie, un autre composé de tristes gemmes aux noms oubliés, desquels les initiales, en s’additionnant, avaient jadis orthographié un vocable chéri ou une parole d’amour. Une croix était si grande que, découpée sur ce maigre sein, l’on eût dit de celles qui s’érigent aux endroits où il est arrivé un accident.Un minuscule ski entitre fixeservait de broche. La Gouvernante l’avait gagné dans un concours de cet exercice. C’était, pour elle, sa violette des Jeux Floraux, son joujou de Clémence Isaure.Enfin, un cœur en émail noir s’ornait d’une fantaisie en demi-perles. C’était le cadeau nuptial de l’élève Russe. Comme celle-ci faisait remarquer à sa mère, en hésitant sur les conditions de l’achat, qu’il était pénible d’offrir, à une femme encore jeune, un médaillonqui ne s’ouvraitpas, la Dame répondit d’un ton péremptoire: «C’est inutile,elle n’aurait rien à mettre dedans.»Dans quelle mesure convenait-il de tolérer ces fantaisies ou de s’en irriter, la Comtesse ne le démêlait pas encore. La chose représentait fort peu de dépense, un reste de jeunesse et un fond de naïveté, trois motifs pour ne pas sévir. On songeait bien quelquefois à dire: «Mademoiselle, nous serions heureux de vous voir adopter une coiffure plate...» Mais personne n’aurait voulu se charger de cette commission indiscrète. En outre, il y avait l’appliquedont la forme était immodifiable. Les plumes de dindon qui s’y piquaient, à l’heure du dîner, on les ramassait dans la basse-cour. Tout cela n’était pas très méchant. En interdire l’usage ne devait-il pas sembler inutilement sévère? Seules,les fleurs naturelles, épinglées au corsage, déplaisaient nettement. On leur trouvait un air «romance», quelque chose de sentimental et de voluptueux qui pouvait troubler les fillettes, en un mot qui résumait tout:leur donner des idées.

XIILes robes, les chapeaux eux-mêmes ne font pas toute la toilette. Le prestige ou la déplaisance qui en émanent résultent d’une décoration d’ensemble, laquelle emprunte à des détails et, très spécialement, aux bijoux.L’écrin de Mademoiselle était pauvre, cela va de soi. Il contenait principalement du gypse et de l’ambre, de l’aventurine et de l’onyx, des coquillages montés, des améthystes suisses et du lapis de Chamounix, des coraux en branches, des agates herborisées, des perles baroques et des turquoises mortes; un péridot,une aigue-marine, une chrysoprase, un rubis-balai, une pierre de lune et un œil de tigre, une perle Técla et un diamant de Bluze.Ces pierrailles se succédaient, en alternant, sur duchangeantou duchiné, de l’écossais ou de la cheviotte.Un fragment de succin, dans lequel était emprisonnée une patte de coléoptère, induisait l’Institutrice à citer les vers de Chénier, les jours qu’elle portait ce morceau d’ambre.Mentionnons encore des laves du Vésuve et des scarabées de La Bourboule. Il y avait aussi des cornes contre lajettaturaet un lot de breloques, parmi lesquelles un flacon gros comme une noisette, dans lequel séjournait de l’essence de roses, et que Mademoiselle comparait, pour cela, aux pendants d’oreilles de Salammbô. Ajoutez un bracelet enverre de la Mandchourie, un autre composé de tristes gemmes aux noms oubliés, desquels les initiales, en s’additionnant, avaient jadis orthographié un vocable chéri ou une parole d’amour. Une croix était si grande que, découpée sur ce maigre sein, l’on eût dit de celles qui s’érigent aux endroits où il est arrivé un accident.Un minuscule ski entitre fixeservait de broche. La Gouvernante l’avait gagné dans un concours de cet exercice. C’était, pour elle, sa violette des Jeux Floraux, son joujou de Clémence Isaure.Enfin, un cœur en émail noir s’ornait d’une fantaisie en demi-perles. C’était le cadeau nuptial de l’élève Russe. Comme celle-ci faisait remarquer à sa mère, en hésitant sur les conditions de l’achat, qu’il était pénible d’offrir, à une femme encore jeune, un médaillonqui ne s’ouvraitpas, la Dame répondit d’un ton péremptoire: «C’est inutile,elle n’aurait rien à mettre dedans.»Dans quelle mesure convenait-il de tolérer ces fantaisies ou de s’en irriter, la Comtesse ne le démêlait pas encore. La chose représentait fort peu de dépense, un reste de jeunesse et un fond de naïveté, trois motifs pour ne pas sévir. On songeait bien quelquefois à dire: «Mademoiselle, nous serions heureux de vous voir adopter une coiffure plate...» Mais personne n’aurait voulu se charger de cette commission indiscrète. En outre, il y avait l’appliquedont la forme était immodifiable. Les plumes de dindon qui s’y piquaient, à l’heure du dîner, on les ramassait dans la basse-cour. Tout cela n’était pas très méchant. En interdire l’usage ne devait-il pas sembler inutilement sévère? Seules,les fleurs naturelles, épinglées au corsage, déplaisaient nettement. On leur trouvait un air «romance», quelque chose de sentimental et de voluptueux qui pouvait troubler les fillettes, en un mot qui résumait tout:leur donner des idées.

Les robes, les chapeaux eux-mêmes ne font pas toute la toilette. Le prestige ou la déplaisance qui en émanent résultent d’une décoration d’ensemble, laquelle emprunte à des détails et, très spécialement, aux bijoux.

L’écrin de Mademoiselle était pauvre, cela va de soi. Il contenait principalement du gypse et de l’ambre, de l’aventurine et de l’onyx, des coquillages montés, des améthystes suisses et du lapis de Chamounix, des coraux en branches, des agates herborisées, des perles baroques et des turquoises mortes; un péridot,une aigue-marine, une chrysoprase, un rubis-balai, une pierre de lune et un œil de tigre, une perle Técla et un diamant de Bluze.

Ces pierrailles se succédaient, en alternant, sur duchangeantou duchiné, de l’écossais ou de la cheviotte.

Un fragment de succin, dans lequel était emprisonnée une patte de coléoptère, induisait l’Institutrice à citer les vers de Chénier, les jours qu’elle portait ce morceau d’ambre.

Mentionnons encore des laves du Vésuve et des scarabées de La Bourboule. Il y avait aussi des cornes contre lajettaturaet un lot de breloques, parmi lesquelles un flacon gros comme une noisette, dans lequel séjournait de l’essence de roses, et que Mademoiselle comparait, pour cela, aux pendants d’oreilles de Salammbô. Ajoutez un bracelet enverre de la Mandchourie, un autre composé de tristes gemmes aux noms oubliés, desquels les initiales, en s’additionnant, avaient jadis orthographié un vocable chéri ou une parole d’amour. Une croix était si grande que, découpée sur ce maigre sein, l’on eût dit de celles qui s’érigent aux endroits où il est arrivé un accident.

Un minuscule ski entitre fixeservait de broche. La Gouvernante l’avait gagné dans un concours de cet exercice. C’était, pour elle, sa violette des Jeux Floraux, son joujou de Clémence Isaure.

Enfin, un cœur en émail noir s’ornait d’une fantaisie en demi-perles. C’était le cadeau nuptial de l’élève Russe. Comme celle-ci faisait remarquer à sa mère, en hésitant sur les conditions de l’achat, qu’il était pénible d’offrir, à une femme encore jeune, un médaillonqui ne s’ouvraitpas, la Dame répondit d’un ton péremptoire: «C’est inutile,elle n’aurait rien à mettre dedans.»

Dans quelle mesure convenait-il de tolérer ces fantaisies ou de s’en irriter, la Comtesse ne le démêlait pas encore. La chose représentait fort peu de dépense, un reste de jeunesse et un fond de naïveté, trois motifs pour ne pas sévir. On songeait bien quelquefois à dire: «Mademoiselle, nous serions heureux de vous voir adopter une coiffure plate...» Mais personne n’aurait voulu se charger de cette commission indiscrète. En outre, il y avait l’appliquedont la forme était immodifiable. Les plumes de dindon qui s’y piquaient, à l’heure du dîner, on les ramassait dans la basse-cour. Tout cela n’était pas très méchant. En interdire l’usage ne devait-il pas sembler inutilement sévère? Seules,les fleurs naturelles, épinglées au corsage, déplaisaient nettement. On leur trouvait un air «romance», quelque chose de sentimental et de voluptueux qui pouvait troubler les fillettes, en un mot qui résumait tout:leur donner des idées.


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