XLIII

XLIIIMiss avait, à Chatou, un correspondant goguenard qui fit, un jour, une mauvaise farce. Prié à dîner par une très aimable Dame, qui lui détailla les convives, il connut que parmi ceux-ci, devait figurer l’honorable directeur de laRevue des Deux Mondes. Au lieu d’acquiescer avec reconnaissance, l’invité répondit:«Madame,«J’habite la campagne. Je ne viens pas beaucoup à Paris. Monsieur Charmes publie les vers(?) de la Duchesse de Rohan,plutôt que les miens (est-ce une preuve de compétence et de goût?). Cet homme-là ne mérite pas son nom. Il doit manger desLucioles; et comme vous ne pouvez manquer d’être une excellente maîtresse de maison, par le seul fait que vous vous abstenez de rimer, vous obtiendrez, sans nul doute, du maître d’hôtel, de servir, tout crus, au patron du périodique démodé, quelquesversluisants. Et comme vous devez être difficile sur la marchandise, ce ne seront pas ceux de la Duchesse de Rohan.«Quoi qu’il en soit, ça me ferait de la peine (je suis de la Société Protectrice des Animaux) de voir croquer par cette bouche classique, ces petites bêtes lumineuses et inoffensives.«Veuillez agréer, Madame, etc...»Cette lettre, que son correspondant luiavait communiquée, Miss la lut à ses maîtres, qui ne la jugèrent justiciable que du panier.Et ce fut un nouveau grief mutuel.Le même mauvais plaisant en eut encore «une bien bonne». Un Américain était venu à Paris pour composer une bibliothèque; il achetait les belles éditions, les faisait signer, dédicacer par les auteurs; et cela devait constituer, pour l’avenir, au delà des mers, une collection précieuse. Le plan, excellent, présentait une lacune, dont le bibliophile convenait, dans la circulaire manuscrite dont il se faisait précéder: la présence dans son temple d’une quantité de mécréants de Lettres qui s’y étaient faufilés. Un choix plus mûr les en rejetait, mais il en restait.Il y avait aussi un cahier qui subissait le même inconvénient; il regorgeait dessignatures sans intérêt de ceux qui, la plume trempée, s’embusquent à tous les coins de rue, dans l’espoir de lever le lapin de l’album, et d’y cracher le coup de fusil de l’encre grise ou bleue. Autant dire qu’il foisonnait de Vacaresco, de Pomairols et de Liégeard, mais qu’on n’y lisait point les noms de France, de Loti ou de Barrès, de Mirbeau, d’Hermant ou de Bataille. Ceux-là emploient leurs plumes à d’autres exploits. Le mauvais plaisant fut sollicité. Jupiter facétieux permet parfois qu’on sollicite les mauvais plaisants. Le nôtre répondit:«J’ai lu, Monsieur, dans votre excellente notice, avec autant d’inquiétude que de sollicitude, qu’une neurasthénie, contractée au cours de vos travaux, ne vous permettait plus que de signer vos lettres. Souffrez que je ne risque point le même mal, dont me frapperait incontinentl’honneur de signer, à mon tour, entre Mam’zelle Vacaresco et Stephen Liégeard.«Veuillez agréer, Monsieur, etc...»Les Balkans n’avaient pas plus de chance avec Miss. Celle qu’on nomme la Reine de Roumanie, Carmen Silva pour les intimes, lui donnait tout particulièrement sur les nerfs. Elle s’entêtait à la considérer comme une préfète sauvage et raseuse; tout lui paraissaittocdans cette royauté-là et cette sensibilité-là. Pour la réfuter, et même la contredire, il aurait fallu ne pas voir une photo de cette Dame, la représentant occupée à tendre, dans la direction d’une Madone épouvantée, une couronne fausse et une lyre simulée. Et, dessous, il y avait écrit: «Ma couronne et ma lyre aux pieds de laMater Dolorosa...»Non, mais imaginez-vous l’idée que peut nourrir, du pouvoir suprême et de la véritable piété, une personne qui fait fabriquer un bandeau de papier et un instrument en carton pour poser avec ça devant un appareil, et tracer au-dessous du résultat cette bourde prétentieuse!«Oh! là! là!» n’aurait pas manqué de s’écrier Mademoiselle, si elle n’avait pas ignoré cette expression qui, heureusement, lui était inconnue.Un troisième trait du mauvais plaisant fut encore rapporté. «Nous sommes deux ennemis mortels!» se serait prétentieusement écriée, en parlant de lui, une vieille pianiste Versaillaise, aussi célèbre par sa platitude que par la démangeaison dont souffraient ses invités, sous l’action de sa présence circulante. Le mauvais plaisant répondit: «Autantqu’un oiseau de Paradis peut être l’ennemi d’un pou!»Mademoiselle en profita pour ergoter à perte de vue et d’ouïe, sur la possibilité d’une telle inimitié, dans l’ordre de l’Histoire Naturelle.Une autre Dame dit encore, du même: «Nous sommesbrouillés.» Il le sut et répondit: «Je suis heureux d’en être sûr.»—C’est la même qui voulait se faire passer pour sorcière (elle l’était d’aspect) et qui disait: «Cela porte malheur de se fâcher avec moi.»—«Le mieux—en conclut le mauvais plaisant—c’est donc de commencer par ne pas la connaître.»

XLIIIMiss avait, à Chatou, un correspondant goguenard qui fit, un jour, une mauvaise farce. Prié à dîner par une très aimable Dame, qui lui détailla les convives, il connut que parmi ceux-ci, devait figurer l’honorable directeur de laRevue des Deux Mondes. Au lieu d’acquiescer avec reconnaissance, l’invité répondit:«Madame,«J’habite la campagne. Je ne viens pas beaucoup à Paris. Monsieur Charmes publie les vers(?) de la Duchesse de Rohan,plutôt que les miens (est-ce une preuve de compétence et de goût?). Cet homme-là ne mérite pas son nom. Il doit manger desLucioles; et comme vous ne pouvez manquer d’être une excellente maîtresse de maison, par le seul fait que vous vous abstenez de rimer, vous obtiendrez, sans nul doute, du maître d’hôtel, de servir, tout crus, au patron du périodique démodé, quelquesversluisants. Et comme vous devez être difficile sur la marchandise, ce ne seront pas ceux de la Duchesse de Rohan.«Quoi qu’il en soit, ça me ferait de la peine (je suis de la Société Protectrice des Animaux) de voir croquer par cette bouche classique, ces petites bêtes lumineuses et inoffensives.«Veuillez agréer, Madame, etc...»Cette lettre, que son correspondant luiavait communiquée, Miss la lut à ses maîtres, qui ne la jugèrent justiciable que du panier.Et ce fut un nouveau grief mutuel.Le même mauvais plaisant en eut encore «une bien bonne». Un Américain était venu à Paris pour composer une bibliothèque; il achetait les belles éditions, les faisait signer, dédicacer par les auteurs; et cela devait constituer, pour l’avenir, au delà des mers, une collection précieuse. Le plan, excellent, présentait une lacune, dont le bibliophile convenait, dans la circulaire manuscrite dont il se faisait précéder: la présence dans son temple d’une quantité de mécréants de Lettres qui s’y étaient faufilés. Un choix plus mûr les en rejetait, mais il en restait.Il y avait aussi un cahier qui subissait le même inconvénient; il regorgeait dessignatures sans intérêt de ceux qui, la plume trempée, s’embusquent à tous les coins de rue, dans l’espoir de lever le lapin de l’album, et d’y cracher le coup de fusil de l’encre grise ou bleue. Autant dire qu’il foisonnait de Vacaresco, de Pomairols et de Liégeard, mais qu’on n’y lisait point les noms de France, de Loti ou de Barrès, de Mirbeau, d’Hermant ou de Bataille. Ceux-là emploient leurs plumes à d’autres exploits. Le mauvais plaisant fut sollicité. Jupiter facétieux permet parfois qu’on sollicite les mauvais plaisants. Le nôtre répondit:«J’ai lu, Monsieur, dans votre excellente notice, avec autant d’inquiétude que de sollicitude, qu’une neurasthénie, contractée au cours de vos travaux, ne vous permettait plus que de signer vos lettres. Souffrez que je ne risque point le même mal, dont me frapperait incontinentl’honneur de signer, à mon tour, entre Mam’zelle Vacaresco et Stephen Liégeard.«Veuillez agréer, Monsieur, etc...»Les Balkans n’avaient pas plus de chance avec Miss. Celle qu’on nomme la Reine de Roumanie, Carmen Silva pour les intimes, lui donnait tout particulièrement sur les nerfs. Elle s’entêtait à la considérer comme une préfète sauvage et raseuse; tout lui paraissaittocdans cette royauté-là et cette sensibilité-là. Pour la réfuter, et même la contredire, il aurait fallu ne pas voir une photo de cette Dame, la représentant occupée à tendre, dans la direction d’une Madone épouvantée, une couronne fausse et une lyre simulée. Et, dessous, il y avait écrit: «Ma couronne et ma lyre aux pieds de laMater Dolorosa...»Non, mais imaginez-vous l’idée que peut nourrir, du pouvoir suprême et de la véritable piété, une personne qui fait fabriquer un bandeau de papier et un instrument en carton pour poser avec ça devant un appareil, et tracer au-dessous du résultat cette bourde prétentieuse!«Oh! là! là!» n’aurait pas manqué de s’écrier Mademoiselle, si elle n’avait pas ignoré cette expression qui, heureusement, lui était inconnue.Un troisième trait du mauvais plaisant fut encore rapporté. «Nous sommes deux ennemis mortels!» se serait prétentieusement écriée, en parlant de lui, une vieille pianiste Versaillaise, aussi célèbre par sa platitude que par la démangeaison dont souffraient ses invités, sous l’action de sa présence circulante. Le mauvais plaisant répondit: «Autantqu’un oiseau de Paradis peut être l’ennemi d’un pou!»Mademoiselle en profita pour ergoter à perte de vue et d’ouïe, sur la possibilité d’une telle inimitié, dans l’ordre de l’Histoire Naturelle.Une autre Dame dit encore, du même: «Nous sommesbrouillés.» Il le sut et répondit: «Je suis heureux d’en être sûr.»—C’est la même qui voulait se faire passer pour sorcière (elle l’était d’aspect) et qui disait: «Cela porte malheur de se fâcher avec moi.»—«Le mieux—en conclut le mauvais plaisant—c’est donc de commencer par ne pas la connaître.»

Miss avait, à Chatou, un correspondant goguenard qui fit, un jour, une mauvaise farce. Prié à dîner par une très aimable Dame, qui lui détailla les convives, il connut que parmi ceux-ci, devait figurer l’honorable directeur de laRevue des Deux Mondes. Au lieu d’acquiescer avec reconnaissance, l’invité répondit:

«Madame,

«J’habite la campagne. Je ne viens pas beaucoup à Paris. Monsieur Charmes publie les vers(?) de la Duchesse de Rohan,plutôt que les miens (est-ce une preuve de compétence et de goût?). Cet homme-là ne mérite pas son nom. Il doit manger desLucioles; et comme vous ne pouvez manquer d’être une excellente maîtresse de maison, par le seul fait que vous vous abstenez de rimer, vous obtiendrez, sans nul doute, du maître d’hôtel, de servir, tout crus, au patron du périodique démodé, quelquesversluisants. Et comme vous devez être difficile sur la marchandise, ce ne seront pas ceux de la Duchesse de Rohan.

«Quoi qu’il en soit, ça me ferait de la peine (je suis de la Société Protectrice des Animaux) de voir croquer par cette bouche classique, ces petites bêtes lumineuses et inoffensives.

«Veuillez agréer, Madame, etc...»

Cette lettre, que son correspondant luiavait communiquée, Miss la lut à ses maîtres, qui ne la jugèrent justiciable que du panier.

Et ce fut un nouveau grief mutuel.

Le même mauvais plaisant en eut encore «une bien bonne». Un Américain était venu à Paris pour composer une bibliothèque; il achetait les belles éditions, les faisait signer, dédicacer par les auteurs; et cela devait constituer, pour l’avenir, au delà des mers, une collection précieuse. Le plan, excellent, présentait une lacune, dont le bibliophile convenait, dans la circulaire manuscrite dont il se faisait précéder: la présence dans son temple d’une quantité de mécréants de Lettres qui s’y étaient faufilés. Un choix plus mûr les en rejetait, mais il en restait.

Il y avait aussi un cahier qui subissait le même inconvénient; il regorgeait dessignatures sans intérêt de ceux qui, la plume trempée, s’embusquent à tous les coins de rue, dans l’espoir de lever le lapin de l’album, et d’y cracher le coup de fusil de l’encre grise ou bleue. Autant dire qu’il foisonnait de Vacaresco, de Pomairols et de Liégeard, mais qu’on n’y lisait point les noms de France, de Loti ou de Barrès, de Mirbeau, d’Hermant ou de Bataille. Ceux-là emploient leurs plumes à d’autres exploits. Le mauvais plaisant fut sollicité. Jupiter facétieux permet parfois qu’on sollicite les mauvais plaisants. Le nôtre répondit:

«J’ai lu, Monsieur, dans votre excellente notice, avec autant d’inquiétude que de sollicitude, qu’une neurasthénie, contractée au cours de vos travaux, ne vous permettait plus que de signer vos lettres. Souffrez que je ne risque point le même mal, dont me frapperait incontinentl’honneur de signer, à mon tour, entre Mam’zelle Vacaresco et Stephen Liégeard.

«Veuillez agréer, Monsieur, etc...»

Les Balkans n’avaient pas plus de chance avec Miss. Celle qu’on nomme la Reine de Roumanie, Carmen Silva pour les intimes, lui donnait tout particulièrement sur les nerfs. Elle s’entêtait à la considérer comme une préfète sauvage et raseuse; tout lui paraissaittocdans cette royauté-là et cette sensibilité-là. Pour la réfuter, et même la contredire, il aurait fallu ne pas voir une photo de cette Dame, la représentant occupée à tendre, dans la direction d’une Madone épouvantée, une couronne fausse et une lyre simulée. Et, dessous, il y avait écrit: «Ma couronne et ma lyre aux pieds de laMater Dolorosa...»

Non, mais imaginez-vous l’idée que peut nourrir, du pouvoir suprême et de la véritable piété, une personne qui fait fabriquer un bandeau de papier et un instrument en carton pour poser avec ça devant un appareil, et tracer au-dessous du résultat cette bourde prétentieuse!

«Oh! là! là!» n’aurait pas manqué de s’écrier Mademoiselle, si elle n’avait pas ignoré cette expression qui, heureusement, lui était inconnue.

Un troisième trait du mauvais plaisant fut encore rapporté. «Nous sommes deux ennemis mortels!» se serait prétentieusement écriée, en parlant de lui, une vieille pianiste Versaillaise, aussi célèbre par sa platitude que par la démangeaison dont souffraient ses invités, sous l’action de sa présence circulante. Le mauvais plaisant répondit: «Autantqu’un oiseau de Paradis peut être l’ennemi d’un pou!»

Mademoiselle en profita pour ergoter à perte de vue et d’ouïe, sur la possibilité d’une telle inimitié, dans l’ordre de l’Histoire Naturelle.

Une autre Dame dit encore, du même: «Nous sommesbrouillés.» Il le sut et répondit: «Je suis heureux d’en être sûr.»—C’est la même qui voulait se faire passer pour sorcière (elle l’était d’aspect) et qui disait: «Cela porte malheur de se fâcher avec moi.»—«Le mieux—en conclut le mauvais plaisant—c’est donc de commencer par ne pas la connaître.»


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