XXIIMiss Winter entra au salon, furieuse. Elle certifia que la perfidie prenait parfois, pour se manifester, la forme de l’éloge, et que c’était la plus dangereuse. On lui demanda les raisons de cet éclat. C’était, dans un journal qu’elle tenait à la main, cette affirmation, par un courriériste, que «le siècle qui avait commencé par Victor Hugo, finissait par Edmond Rostand».Selon Mademoiselle, rien n’était plus injurieux et plus menaçant que les comparaisons disproportionnées. Elle établit, tout d’abord, que Rostand étaitun auteur dramatique et, à quelques rares exceptions près, ne se donnait personnellement pour rien autre. Quand bien même, par conséquent (ce dont l’allégation ferait sourire et que l’auteur se garde bien de prétendre),Cyranoserait égal àHernani, etl’Aiglon, àRuy Blas, il y aurait toujours entre le géant-roi de laForêt Mouillée, et l’étincelant roitelet qui chantait dans ses branches, toute la cataracte des volumes de poésie et de prose, dont l’énumération ne finirait jamais, pas plus que l’illumination ne s’en peut éteindre.A peine avait-elle achevé ces mots que, cette énumération, elle se mit à l’ébaucher de mémoire. Oui, on eut la surprise—un peu révérencieuse, vraiment—de l’entendre crier: «Odes et Ballades, Les Feuilles d’Automne, Les Chants du Crépuscule, Les Rayons et les Ombres, LesVoix intérieures, La Légende des Siècles, La Chanson des Rues et des Bois, Les Contemplations, Les Châtiments, L’Année Terrible, L’Art d’être Grand-Père, La Fin de Satan, Les Quatre Vents de l’Esprit, Toute la Lyre!...»Mademoiselle lançait ces titres, d’un ton emphatique, exultant et inspiré. On eût dit la Muse de Guernesey, la Sibylle du Romantisme.Elle prit un temps, reprit haleine, et continua: «La Pitié Suprême, Religions et Religion, L’Ane, Le Pape, Dieu!»L’ordre dans lequel elle avait placé ces trois derniers titres parut offensant.Il y eut une pause. La voix de la Marquise s’éleva timidement: «Calmez-vous, Mademoiselle, vous allez vous rendre malade!»La sibylle n’entend rien, une horreur sacrée la possède. Elle poursuit:«Notre-Dame de Paris, Les Misérables, Les Travailleurs de la Mer, L’Homme qui rit, Quatre-Vingt-Treize, Napoléon le Petit, Histoire d’un Crime, Le Dernier Jour d’un Condamné, Claude Gueux, Han d’Islande, Bug-Jargal...»Elle râlait. On s’empressa autour de l’Institutrice, craignant une crise nerveuse; elle se dégagea en hurlant:«William Shakespeare, Le Rhin, Littérature et Philosophie Mêlées, Choses Vues, Correspondance, Actes et Paroles, Depuis l’Exil!...»Miss tomba épuisée. Puis, rassemblant ses forces, d’un ton aigrelet, qu’elle cherchait à rendre piquant, elle lança le titre de l’unique volume de vers, que le courriériste, suivant elle, mal inspiré, s’était permis d’opposer tacitement au Titan de Marine-Terrace. Et comme dans un pincement depizzicato, elledétailla, elle détacha: «LES MUSARDISES».Nul ne savait s’il devait rire ou pleurer. La situation était embarrassante. Mademoiselle haletait. Chose étrange, la sincérité de son mouvement agit sur les plus rebelles. La Comtesse elle-même sonna pour demander de la fleur d’oranger, un verre d’eau sucrée.On remonta, pour les leçons. Quand la Gouvernante fut rentrée dans la salle d’études, avec ses élèves, la porte se rouvrit et l’on entendit une voix qui vociférait, une voix de Théâtre d’Orange: «Le Théâtre en Liberté, Les Années Funestes, Dernière Gerbe...»La voix se perdit...
XXIIMiss Winter entra au salon, furieuse. Elle certifia que la perfidie prenait parfois, pour se manifester, la forme de l’éloge, et que c’était la plus dangereuse. On lui demanda les raisons de cet éclat. C’était, dans un journal qu’elle tenait à la main, cette affirmation, par un courriériste, que «le siècle qui avait commencé par Victor Hugo, finissait par Edmond Rostand».Selon Mademoiselle, rien n’était plus injurieux et plus menaçant que les comparaisons disproportionnées. Elle établit, tout d’abord, que Rostand étaitun auteur dramatique et, à quelques rares exceptions près, ne se donnait personnellement pour rien autre. Quand bien même, par conséquent (ce dont l’allégation ferait sourire et que l’auteur se garde bien de prétendre),Cyranoserait égal àHernani, etl’Aiglon, àRuy Blas, il y aurait toujours entre le géant-roi de laForêt Mouillée, et l’étincelant roitelet qui chantait dans ses branches, toute la cataracte des volumes de poésie et de prose, dont l’énumération ne finirait jamais, pas plus que l’illumination ne s’en peut éteindre.A peine avait-elle achevé ces mots que, cette énumération, elle se mit à l’ébaucher de mémoire. Oui, on eut la surprise—un peu révérencieuse, vraiment—de l’entendre crier: «Odes et Ballades, Les Feuilles d’Automne, Les Chants du Crépuscule, Les Rayons et les Ombres, LesVoix intérieures, La Légende des Siècles, La Chanson des Rues et des Bois, Les Contemplations, Les Châtiments, L’Année Terrible, L’Art d’être Grand-Père, La Fin de Satan, Les Quatre Vents de l’Esprit, Toute la Lyre!...»Mademoiselle lançait ces titres, d’un ton emphatique, exultant et inspiré. On eût dit la Muse de Guernesey, la Sibylle du Romantisme.Elle prit un temps, reprit haleine, et continua: «La Pitié Suprême, Religions et Religion, L’Ane, Le Pape, Dieu!»L’ordre dans lequel elle avait placé ces trois derniers titres parut offensant.Il y eut une pause. La voix de la Marquise s’éleva timidement: «Calmez-vous, Mademoiselle, vous allez vous rendre malade!»La sibylle n’entend rien, une horreur sacrée la possède. Elle poursuit:«Notre-Dame de Paris, Les Misérables, Les Travailleurs de la Mer, L’Homme qui rit, Quatre-Vingt-Treize, Napoléon le Petit, Histoire d’un Crime, Le Dernier Jour d’un Condamné, Claude Gueux, Han d’Islande, Bug-Jargal...»Elle râlait. On s’empressa autour de l’Institutrice, craignant une crise nerveuse; elle se dégagea en hurlant:«William Shakespeare, Le Rhin, Littérature et Philosophie Mêlées, Choses Vues, Correspondance, Actes et Paroles, Depuis l’Exil!...»Miss tomba épuisée. Puis, rassemblant ses forces, d’un ton aigrelet, qu’elle cherchait à rendre piquant, elle lança le titre de l’unique volume de vers, que le courriériste, suivant elle, mal inspiré, s’était permis d’opposer tacitement au Titan de Marine-Terrace. Et comme dans un pincement depizzicato, elledétailla, elle détacha: «LES MUSARDISES».Nul ne savait s’il devait rire ou pleurer. La situation était embarrassante. Mademoiselle haletait. Chose étrange, la sincérité de son mouvement agit sur les plus rebelles. La Comtesse elle-même sonna pour demander de la fleur d’oranger, un verre d’eau sucrée.On remonta, pour les leçons. Quand la Gouvernante fut rentrée dans la salle d’études, avec ses élèves, la porte se rouvrit et l’on entendit une voix qui vociférait, une voix de Théâtre d’Orange: «Le Théâtre en Liberté, Les Années Funestes, Dernière Gerbe...»La voix se perdit...
Miss Winter entra au salon, furieuse. Elle certifia que la perfidie prenait parfois, pour se manifester, la forme de l’éloge, et que c’était la plus dangereuse. On lui demanda les raisons de cet éclat. C’était, dans un journal qu’elle tenait à la main, cette affirmation, par un courriériste, que «le siècle qui avait commencé par Victor Hugo, finissait par Edmond Rostand».
Selon Mademoiselle, rien n’était plus injurieux et plus menaçant que les comparaisons disproportionnées. Elle établit, tout d’abord, que Rostand étaitun auteur dramatique et, à quelques rares exceptions près, ne se donnait personnellement pour rien autre. Quand bien même, par conséquent (ce dont l’allégation ferait sourire et que l’auteur se garde bien de prétendre),Cyranoserait égal àHernani, etl’Aiglon, àRuy Blas, il y aurait toujours entre le géant-roi de laForêt Mouillée, et l’étincelant roitelet qui chantait dans ses branches, toute la cataracte des volumes de poésie et de prose, dont l’énumération ne finirait jamais, pas plus que l’illumination ne s’en peut éteindre.
A peine avait-elle achevé ces mots que, cette énumération, elle se mit à l’ébaucher de mémoire. Oui, on eut la surprise—un peu révérencieuse, vraiment—de l’entendre crier: «Odes et Ballades, Les Feuilles d’Automne, Les Chants du Crépuscule, Les Rayons et les Ombres, LesVoix intérieures, La Légende des Siècles, La Chanson des Rues et des Bois, Les Contemplations, Les Châtiments, L’Année Terrible, L’Art d’être Grand-Père, La Fin de Satan, Les Quatre Vents de l’Esprit, Toute la Lyre!...»
Mademoiselle lançait ces titres, d’un ton emphatique, exultant et inspiré. On eût dit la Muse de Guernesey, la Sibylle du Romantisme.
Elle prit un temps, reprit haleine, et continua: «La Pitié Suprême, Religions et Religion, L’Ane, Le Pape, Dieu!»
L’ordre dans lequel elle avait placé ces trois derniers titres parut offensant.
Il y eut une pause. La voix de la Marquise s’éleva timidement: «Calmez-vous, Mademoiselle, vous allez vous rendre malade!»
La sibylle n’entend rien, une horreur sacrée la possède. Elle poursuit:
«Notre-Dame de Paris, Les Misérables, Les Travailleurs de la Mer, L’Homme qui rit, Quatre-Vingt-Treize, Napoléon le Petit, Histoire d’un Crime, Le Dernier Jour d’un Condamné, Claude Gueux, Han d’Islande, Bug-Jargal...»
Elle râlait. On s’empressa autour de l’Institutrice, craignant une crise nerveuse; elle se dégagea en hurlant:
«William Shakespeare, Le Rhin, Littérature et Philosophie Mêlées, Choses Vues, Correspondance, Actes et Paroles, Depuis l’Exil!...»
Miss tomba épuisée. Puis, rassemblant ses forces, d’un ton aigrelet, qu’elle cherchait à rendre piquant, elle lança le titre de l’unique volume de vers, que le courriériste, suivant elle, mal inspiré, s’était permis d’opposer tacitement au Titan de Marine-Terrace. Et comme dans un pincement depizzicato, elledétailla, elle détacha: «LES MUSARDISES».
Nul ne savait s’il devait rire ou pleurer. La situation était embarrassante. Mademoiselle haletait. Chose étrange, la sincérité de son mouvement agit sur les plus rebelles. La Comtesse elle-même sonna pour demander de la fleur d’oranger, un verre d’eau sucrée.
On remonta, pour les leçons. Quand la Gouvernante fut rentrée dans la salle d’études, avec ses élèves, la porte se rouvrit et l’on entendit une voix qui vociférait, une voix de Théâtre d’Orange: «Le Théâtre en Liberté, Les Années Funestes, Dernière Gerbe...»
La voix se perdit...