XXXVIl y avait à prendre et à laisser dans les interminables diatribes qui bourdonnaient au long des corridors et des allées, comme des essaims désaccordés de guêpes sans venin et d’abeilles sans miel. Mademoiselle ruminait, récriminait, incriminait, fulminait.C’était assez, n’est-ce pas? de ces répétitions, dites descouturières, que le Théâtre avait, d’abord, tolérées, puis admises, enfin légalisées, imprudemment, selon Miss, puisqu’elles prouvaient la place envahissante prise par les chiffons dans l’Art Dramatique d’aujourd’hui.L’Irlandaise les comparait aulierre, dont on se passe quand il y a dessculptures. Non, ce n’était point assez, paraît-il, puisqu’une littérature pareillement decouturière, autrefois non pas reléguée, mais traitée selon son mérite et placée en son lieu, quand elle occupait un coin de page éloignée, affleurait maintenant à la surface des grands journaux, qu’elle diminuait avec des néologismes jaillis du cerveau, plutôt bouillonné que bouillonnant, des rhétoriciens de garnitures.Ces textes s’accompagnaient (pas toujours) de gravures de modes, en révolte contre l’art spécial, savant, technique et raisonnable, naguère attribué à ces sortes de reproductions, du temps qu’elles exigeaient la représentation exacte de falbalas nommés, tels que desbiais, desberthesou desengageantes, afin que, sur l’inspection du tracé de ces atours, onpût les rééditer à l’étranger, ou en province.A vrai dire, à quoi servirait ce détail, en des jours où la toilette se contente d’arborer une amazone à la queue coupée et d’habiller les femmes comme de la soie d’un parapluie dont on a retiré les baleines, ou de les enrouler, telles que des cigares, d’étoffes tournées en manière de feuilles de tabac? Pour la coiffure, le parapluie retrouve ses baleines, se pose sur les têtes; la lionne en avale le manche, fixe un plumeau sur le sommet du riflard, et voilà toute trouvée l’exquisetoilette de la damedélicieuse. Car ce sont les épithètes que l’on inflige désormais invariablement aux choses et aux personnes. «Nous y reviendrons!» clamait la plaignante.Ces gravures de modes actuelles semblent échappées du burin de je ne saiscombien d’Helleu au rabais; ces commentaires, on les croirait giclés par la plume d’un Gautier à vingt-cinq centimes (pas la ligne, l’article!).«Goûtez-y! Goûtez-en!...», criait notre Juvénal en cornette, qui tirait de sa poche une coupure toute frissonnante de linons «incrustés», de corsages «ennuagés» et de cotillons «allurés», servis de pair et présentés à égalité avec les embarras diplomatiques, les crises cosmiques, les décès et les désastres. Franchement, qu’était-ce que ce charabia de comptoir et de cabinet d’essayage, pour voisiner de si près avec la prose d’écrivains qui se respectent?Et Miss ajoutait: «Qu’est-ce que ça peut bien nous faire que tout cela «fasse honneur» à Drecoll ou à Redfern?... Pas moins vrai que ça nous...ennuage!»D’autres filets moins tempérants osentajouter, à des nomenclatures d’affiquets, des descriptions de visages, proclamés «charmants» sous des touffes d’oreilles d’ours en velours ou de sureaux en graines. Ceci fâchait tout rouge notre Érynnie. A ce propos elle rappelait, non sans quelque bon sens, la réclamation d’un prédicateur qu’on faisait mine d’applaudir en chaire. «Les bravos dans l’église,—affirmait ce digne homme,—ce ne serait déjà pas très convenable; mais que serait-ce des sifflets?—Je ne pourrais cependant pas accepter les premiers, quand votre satisfaction me les décerne, sans admettre que vous m’infligiez les autres, les jours que je vous aurais déplu.»—C’était judicieux, c’était juste.Le raisonnement, selon l’Institutrice, s’appliquait aux épithètes des comptes rendus mondains. Du moment qu’unefigure peut être proclamée belle sous l’héliotrope ou le mélilot, il faut bien supporter de lire, une autre fois, que telle ou telle binette a été jugée désagréable sous le gratteron ou la fraccinelle. Et c’est une iniquité d’infliger à de respectables matrones, qui n’en peuvent mais, ces phraséologies de machine à écrire, qui pis est, de machine à coudre.Mais c’est bien une autre affaire quand les adjectifsexquisetdélicieuxviennent naïvement infliger leur affront à d’honnêtes dames. Car Mademoiselle l’estimait ainsi. Avait-elle tort? Le rouge lui montait au visage pour une mère de famille taxée de «délicieuse» ou d’«exquise», par un récit de fête. Suivant elle, une semblable maldonne dans l’usage des mots et le chapitre des éloges, motivait un envoi de témoins, de la partd’un fils, d’un frère, d’un époux. On objectait à Miss que ces deux qualificatifs étaient clichés d’avance, qu’ils ne tiraient pas à conséquence, vu qu’on les mettait à toute sauce, témoin la récente exposition d’un peintre certifiédélicieux, et de ses œuvres affirméesexquises, sans que rien, chez ce gros homme, l’assimile à un bon fruit, ni dans sa production vague et flasque, dénuée de personnalité, hors celle de tous les maîtres, tour à tour, pillés sans bonheur, motive la comparaison de ce résidu de cartons et de chevalets, avec une jolie fleur.La Gouvernante refusait de se laisser convaincre et en venait aux motsselectetrestreint. Comme les notes où figuraient ceux-là émanaient visiblement des personnes dont elles parlaient, Miss Winter jugeait ces notes irréfléchies et, ces personnes, mal inspirées. Suivant elle, lesgensbienet les gens de bien reçoivent tout le monde, ou, du moins, de tous les mondes, puisque chacun d’eux peut contenir des sujets de mérite. Il en résulte qu’une telle insistance à se montrer scrupuleux sur le choix de ses invités devait cacher une tare personnelle, en tout cas, s’accusait surtout (l’Insulaire en avait fait la remarque) chez des parvenues que l’on avait longtempsrefusé de recevoir, et qui croyaient se dédommager ainsi, tandis qu’elles ne faisaient au contraire que rappeler de vieux échecs.Elle ajoutait que la plupart des grandes vedettes de la Mondanité d’aujourd’hui n’auraient pas osé prétendre à lire leur nom dans un compte rendu, il y a seulement quinze années.Sur ce, le Timon femelle concluait par une évocation à la fois pathétique et comique, des ruines de la Société Parisienne,parcourue par sept femmes, qu’elle nommait (Mesdames P... B... C... M... M... de F... et de P...), lesquelles, armées de lanternes sourdes, cherchaient, non pas seulement, comme Diogène, un homme, mais un Duc.Et comme il n’y en avait plus beaucoup, du moins d’authentiques, les sept lanternes se fixaient à la fois sur le même; et comme c’en était un vrai, qui se montrait bon garçon, les sept lanternes crépitaient de plaisir.Et s’inspirant du titre d’un drame antique,Les Sept devant Théba, l’Étrangère appelait ces dames: les sept devant... (suivait le nom Ducal.)Heureusement, depuis longtemps, on n’écoutait plus; Mademoiselle, dégrisée de ses considérations, revenait à soi et se retrouvait au bout de ses preuves à l’appui et au fond du parc.Un arbre magnifique se dressait près d’elle. Des glands se détachaient des rameaux avec un bruit sec. Leur chute résonnait sur le sol comme des larmes dures pleurant un passé trop tôt révolu. La promeneuse solitaire leva les yeux vers les branches; elle eut un sourire attristé et ironique; sa bouche se tordit, comme si le secret du bien et du mal allait en sortir. D’un regard circulaire, elle sonda la solitude et la vérifia. Puis, prenant à témoin le Ciel et la Terre, elle brandit un journal qui se froissait dans sa main, et relatait le séjour d’Édouard VII à Biarritz. Alors, elle s’écria d’une voix sibylline: «Autrefois, les Rois rendaient la justice sous les chênes... et maintenant...ils dînent avec Madame Moore!...»
XXXVIl y avait à prendre et à laisser dans les interminables diatribes qui bourdonnaient au long des corridors et des allées, comme des essaims désaccordés de guêpes sans venin et d’abeilles sans miel. Mademoiselle ruminait, récriminait, incriminait, fulminait.C’était assez, n’est-ce pas? de ces répétitions, dites descouturières, que le Théâtre avait, d’abord, tolérées, puis admises, enfin légalisées, imprudemment, selon Miss, puisqu’elles prouvaient la place envahissante prise par les chiffons dans l’Art Dramatique d’aujourd’hui.L’Irlandaise les comparait aulierre, dont on se passe quand il y a dessculptures. Non, ce n’était point assez, paraît-il, puisqu’une littérature pareillement decouturière, autrefois non pas reléguée, mais traitée selon son mérite et placée en son lieu, quand elle occupait un coin de page éloignée, affleurait maintenant à la surface des grands journaux, qu’elle diminuait avec des néologismes jaillis du cerveau, plutôt bouillonné que bouillonnant, des rhétoriciens de garnitures.Ces textes s’accompagnaient (pas toujours) de gravures de modes, en révolte contre l’art spécial, savant, technique et raisonnable, naguère attribué à ces sortes de reproductions, du temps qu’elles exigeaient la représentation exacte de falbalas nommés, tels que desbiais, desberthesou desengageantes, afin que, sur l’inspection du tracé de ces atours, onpût les rééditer à l’étranger, ou en province.A vrai dire, à quoi servirait ce détail, en des jours où la toilette se contente d’arborer une amazone à la queue coupée et d’habiller les femmes comme de la soie d’un parapluie dont on a retiré les baleines, ou de les enrouler, telles que des cigares, d’étoffes tournées en manière de feuilles de tabac? Pour la coiffure, le parapluie retrouve ses baleines, se pose sur les têtes; la lionne en avale le manche, fixe un plumeau sur le sommet du riflard, et voilà toute trouvée l’exquisetoilette de la damedélicieuse. Car ce sont les épithètes que l’on inflige désormais invariablement aux choses et aux personnes. «Nous y reviendrons!» clamait la plaignante.Ces gravures de modes actuelles semblent échappées du burin de je ne saiscombien d’Helleu au rabais; ces commentaires, on les croirait giclés par la plume d’un Gautier à vingt-cinq centimes (pas la ligne, l’article!).«Goûtez-y! Goûtez-en!...», criait notre Juvénal en cornette, qui tirait de sa poche une coupure toute frissonnante de linons «incrustés», de corsages «ennuagés» et de cotillons «allurés», servis de pair et présentés à égalité avec les embarras diplomatiques, les crises cosmiques, les décès et les désastres. Franchement, qu’était-ce que ce charabia de comptoir et de cabinet d’essayage, pour voisiner de si près avec la prose d’écrivains qui se respectent?Et Miss ajoutait: «Qu’est-ce que ça peut bien nous faire que tout cela «fasse honneur» à Drecoll ou à Redfern?... Pas moins vrai que ça nous...ennuage!»D’autres filets moins tempérants osentajouter, à des nomenclatures d’affiquets, des descriptions de visages, proclamés «charmants» sous des touffes d’oreilles d’ours en velours ou de sureaux en graines. Ceci fâchait tout rouge notre Érynnie. A ce propos elle rappelait, non sans quelque bon sens, la réclamation d’un prédicateur qu’on faisait mine d’applaudir en chaire. «Les bravos dans l’église,—affirmait ce digne homme,—ce ne serait déjà pas très convenable; mais que serait-ce des sifflets?—Je ne pourrais cependant pas accepter les premiers, quand votre satisfaction me les décerne, sans admettre que vous m’infligiez les autres, les jours que je vous aurais déplu.»—C’était judicieux, c’était juste.Le raisonnement, selon l’Institutrice, s’appliquait aux épithètes des comptes rendus mondains. Du moment qu’unefigure peut être proclamée belle sous l’héliotrope ou le mélilot, il faut bien supporter de lire, une autre fois, que telle ou telle binette a été jugée désagréable sous le gratteron ou la fraccinelle. Et c’est une iniquité d’infliger à de respectables matrones, qui n’en peuvent mais, ces phraséologies de machine à écrire, qui pis est, de machine à coudre.Mais c’est bien une autre affaire quand les adjectifsexquisetdélicieuxviennent naïvement infliger leur affront à d’honnêtes dames. Car Mademoiselle l’estimait ainsi. Avait-elle tort? Le rouge lui montait au visage pour une mère de famille taxée de «délicieuse» ou d’«exquise», par un récit de fête. Suivant elle, une semblable maldonne dans l’usage des mots et le chapitre des éloges, motivait un envoi de témoins, de la partd’un fils, d’un frère, d’un époux. On objectait à Miss que ces deux qualificatifs étaient clichés d’avance, qu’ils ne tiraient pas à conséquence, vu qu’on les mettait à toute sauce, témoin la récente exposition d’un peintre certifiédélicieux, et de ses œuvres affirméesexquises, sans que rien, chez ce gros homme, l’assimile à un bon fruit, ni dans sa production vague et flasque, dénuée de personnalité, hors celle de tous les maîtres, tour à tour, pillés sans bonheur, motive la comparaison de ce résidu de cartons et de chevalets, avec une jolie fleur.La Gouvernante refusait de se laisser convaincre et en venait aux motsselectetrestreint. Comme les notes où figuraient ceux-là émanaient visiblement des personnes dont elles parlaient, Miss Winter jugeait ces notes irréfléchies et, ces personnes, mal inspirées. Suivant elle, lesgensbienet les gens de bien reçoivent tout le monde, ou, du moins, de tous les mondes, puisque chacun d’eux peut contenir des sujets de mérite. Il en résulte qu’une telle insistance à se montrer scrupuleux sur le choix de ses invités devait cacher une tare personnelle, en tout cas, s’accusait surtout (l’Insulaire en avait fait la remarque) chez des parvenues que l’on avait longtempsrefusé de recevoir, et qui croyaient se dédommager ainsi, tandis qu’elles ne faisaient au contraire que rappeler de vieux échecs.Elle ajoutait que la plupart des grandes vedettes de la Mondanité d’aujourd’hui n’auraient pas osé prétendre à lire leur nom dans un compte rendu, il y a seulement quinze années.Sur ce, le Timon femelle concluait par une évocation à la fois pathétique et comique, des ruines de la Société Parisienne,parcourue par sept femmes, qu’elle nommait (Mesdames P... B... C... M... M... de F... et de P...), lesquelles, armées de lanternes sourdes, cherchaient, non pas seulement, comme Diogène, un homme, mais un Duc.Et comme il n’y en avait plus beaucoup, du moins d’authentiques, les sept lanternes se fixaient à la fois sur le même; et comme c’en était un vrai, qui se montrait bon garçon, les sept lanternes crépitaient de plaisir.Et s’inspirant du titre d’un drame antique,Les Sept devant Théba, l’Étrangère appelait ces dames: les sept devant... (suivait le nom Ducal.)Heureusement, depuis longtemps, on n’écoutait plus; Mademoiselle, dégrisée de ses considérations, revenait à soi et se retrouvait au bout de ses preuves à l’appui et au fond du parc.Un arbre magnifique se dressait près d’elle. Des glands se détachaient des rameaux avec un bruit sec. Leur chute résonnait sur le sol comme des larmes dures pleurant un passé trop tôt révolu. La promeneuse solitaire leva les yeux vers les branches; elle eut un sourire attristé et ironique; sa bouche se tordit, comme si le secret du bien et du mal allait en sortir. D’un regard circulaire, elle sonda la solitude et la vérifia. Puis, prenant à témoin le Ciel et la Terre, elle brandit un journal qui se froissait dans sa main, et relatait le séjour d’Édouard VII à Biarritz. Alors, elle s’écria d’une voix sibylline: «Autrefois, les Rois rendaient la justice sous les chênes... et maintenant...ils dînent avec Madame Moore!...»
Il y avait à prendre et à laisser dans les interminables diatribes qui bourdonnaient au long des corridors et des allées, comme des essaims désaccordés de guêpes sans venin et d’abeilles sans miel. Mademoiselle ruminait, récriminait, incriminait, fulminait.
C’était assez, n’est-ce pas? de ces répétitions, dites descouturières, que le Théâtre avait, d’abord, tolérées, puis admises, enfin légalisées, imprudemment, selon Miss, puisqu’elles prouvaient la place envahissante prise par les chiffons dans l’Art Dramatique d’aujourd’hui.L’Irlandaise les comparait aulierre, dont on se passe quand il y a dessculptures. Non, ce n’était point assez, paraît-il, puisqu’une littérature pareillement decouturière, autrefois non pas reléguée, mais traitée selon son mérite et placée en son lieu, quand elle occupait un coin de page éloignée, affleurait maintenant à la surface des grands journaux, qu’elle diminuait avec des néologismes jaillis du cerveau, plutôt bouillonné que bouillonnant, des rhétoriciens de garnitures.
Ces textes s’accompagnaient (pas toujours) de gravures de modes, en révolte contre l’art spécial, savant, technique et raisonnable, naguère attribué à ces sortes de reproductions, du temps qu’elles exigeaient la représentation exacte de falbalas nommés, tels que desbiais, desberthesou desengageantes, afin que, sur l’inspection du tracé de ces atours, onpût les rééditer à l’étranger, ou en province.
A vrai dire, à quoi servirait ce détail, en des jours où la toilette se contente d’arborer une amazone à la queue coupée et d’habiller les femmes comme de la soie d’un parapluie dont on a retiré les baleines, ou de les enrouler, telles que des cigares, d’étoffes tournées en manière de feuilles de tabac? Pour la coiffure, le parapluie retrouve ses baleines, se pose sur les têtes; la lionne en avale le manche, fixe un plumeau sur le sommet du riflard, et voilà toute trouvée l’exquisetoilette de la damedélicieuse. Car ce sont les épithètes que l’on inflige désormais invariablement aux choses et aux personnes. «Nous y reviendrons!» clamait la plaignante.
Ces gravures de modes actuelles semblent échappées du burin de je ne saiscombien d’Helleu au rabais; ces commentaires, on les croirait giclés par la plume d’un Gautier à vingt-cinq centimes (pas la ligne, l’article!).
«Goûtez-y! Goûtez-en!...», criait notre Juvénal en cornette, qui tirait de sa poche une coupure toute frissonnante de linons «incrustés», de corsages «ennuagés» et de cotillons «allurés», servis de pair et présentés à égalité avec les embarras diplomatiques, les crises cosmiques, les décès et les désastres. Franchement, qu’était-ce que ce charabia de comptoir et de cabinet d’essayage, pour voisiner de si près avec la prose d’écrivains qui se respectent?
Et Miss ajoutait: «Qu’est-ce que ça peut bien nous faire que tout cela «fasse honneur» à Drecoll ou à Redfern?... Pas moins vrai que ça nous...ennuage!»
D’autres filets moins tempérants osentajouter, à des nomenclatures d’affiquets, des descriptions de visages, proclamés «charmants» sous des touffes d’oreilles d’ours en velours ou de sureaux en graines. Ceci fâchait tout rouge notre Érynnie. A ce propos elle rappelait, non sans quelque bon sens, la réclamation d’un prédicateur qu’on faisait mine d’applaudir en chaire. «Les bravos dans l’église,—affirmait ce digne homme,—ce ne serait déjà pas très convenable; mais que serait-ce des sifflets?—Je ne pourrais cependant pas accepter les premiers, quand votre satisfaction me les décerne, sans admettre que vous m’infligiez les autres, les jours que je vous aurais déplu.»—C’était judicieux, c’était juste.
Le raisonnement, selon l’Institutrice, s’appliquait aux épithètes des comptes rendus mondains. Du moment qu’unefigure peut être proclamée belle sous l’héliotrope ou le mélilot, il faut bien supporter de lire, une autre fois, que telle ou telle binette a été jugée désagréable sous le gratteron ou la fraccinelle. Et c’est une iniquité d’infliger à de respectables matrones, qui n’en peuvent mais, ces phraséologies de machine à écrire, qui pis est, de machine à coudre.
Mais c’est bien une autre affaire quand les adjectifsexquisetdélicieuxviennent naïvement infliger leur affront à d’honnêtes dames. Car Mademoiselle l’estimait ainsi. Avait-elle tort? Le rouge lui montait au visage pour une mère de famille taxée de «délicieuse» ou d’«exquise», par un récit de fête. Suivant elle, une semblable maldonne dans l’usage des mots et le chapitre des éloges, motivait un envoi de témoins, de la partd’un fils, d’un frère, d’un époux. On objectait à Miss que ces deux qualificatifs étaient clichés d’avance, qu’ils ne tiraient pas à conséquence, vu qu’on les mettait à toute sauce, témoin la récente exposition d’un peintre certifiédélicieux, et de ses œuvres affirméesexquises, sans que rien, chez ce gros homme, l’assimile à un bon fruit, ni dans sa production vague et flasque, dénuée de personnalité, hors celle de tous les maîtres, tour à tour, pillés sans bonheur, motive la comparaison de ce résidu de cartons et de chevalets, avec une jolie fleur.
La Gouvernante refusait de se laisser convaincre et en venait aux motsselectetrestreint. Comme les notes où figuraient ceux-là émanaient visiblement des personnes dont elles parlaient, Miss Winter jugeait ces notes irréfléchies et, ces personnes, mal inspirées. Suivant elle, lesgensbienet les gens de bien reçoivent tout le monde, ou, du moins, de tous les mondes, puisque chacun d’eux peut contenir des sujets de mérite. Il en résulte qu’une telle insistance à se montrer scrupuleux sur le choix de ses invités devait cacher une tare personnelle, en tout cas, s’accusait surtout (l’Insulaire en avait fait la remarque) chez des parvenues que l’on avait longtempsrefusé de recevoir, et qui croyaient se dédommager ainsi, tandis qu’elles ne faisaient au contraire que rappeler de vieux échecs.
Elle ajoutait que la plupart des grandes vedettes de la Mondanité d’aujourd’hui n’auraient pas osé prétendre à lire leur nom dans un compte rendu, il y a seulement quinze années.
Sur ce, le Timon femelle concluait par une évocation à la fois pathétique et comique, des ruines de la Société Parisienne,parcourue par sept femmes, qu’elle nommait (Mesdames P... B... C... M... M... de F... et de P...), lesquelles, armées de lanternes sourdes, cherchaient, non pas seulement, comme Diogène, un homme, mais un Duc.
Et comme il n’y en avait plus beaucoup, du moins d’authentiques, les sept lanternes se fixaient à la fois sur le même; et comme c’en était un vrai, qui se montrait bon garçon, les sept lanternes crépitaient de plaisir.
Et s’inspirant du titre d’un drame antique,Les Sept devant Théba, l’Étrangère appelait ces dames: les sept devant... (suivait le nom Ducal.)
Heureusement, depuis longtemps, on n’écoutait plus; Mademoiselle, dégrisée de ses considérations, revenait à soi et se retrouvait au bout de ses preuves à l’appui et au fond du parc.
Un arbre magnifique se dressait près d’elle. Des glands se détachaient des rameaux avec un bruit sec. Leur chute résonnait sur le sol comme des larmes dures pleurant un passé trop tôt révolu. La promeneuse solitaire leva les yeux vers les branches; elle eut un sourire attristé et ironique; sa bouche se tordit, comme si le secret du bien et du mal allait en sortir. D’un regard circulaire, elle sonda la solitude et la vérifia. Puis, prenant à témoin le Ciel et la Terre, elle brandit un journal qui se froissait dans sa main, et relatait le séjour d’Édouard VII à Biarritz. Alors, elle s’écria d’une voix sibylline: «Autrefois, les Rois rendaient la justice sous les chênes... et maintenant...ils dînent avec Madame Moore!...»