XXXVIIIBerthe se vit infliger un pensum. Mademoiselle saisit un journal qui se trouvait là et contenait cette phrase: «Ne voit-on pas fréquemment deux grands peintres, un Besnard ou un Jacques Blanche, exécuter, sans esprit de concurrence, le portrait d’une même personnalité? La valeur respective des œuvres s’accroît encore d’un savoureux parallèle.»Ce passage, Miss le fit copier cent fois par l’enfant.Quand la chose fut connue, elle étonna. Discrètement, Demelly en demanda la raison à l’Institutrice, qui répondit:«La petite necomprendpas encore. Plus tard, elle me saura gré de la forte et délicate leçon que je lui donne aujourd’hui. Puisse celle-ci lui inspirer, pour toute sa vie, la sage crainte desrapprochements sans proportionset des comparaisons inégales!»Que répondre à cela?Elle dit encore, à cette occasion: «Un peintre qui, chargé de peindre un portrait, place à côté de son modèle une lampe éteinte, prouve du même coup, hélas! qu’il a cette lampe dans l’esprit et dans le cœur.»Un article parut, à propos d’un ballet Slave qui faisait florès à Paris. Le signataire de ce «papier» s’exprimait ainsi: «Nous autres peintres, chargeons nos palettes!»—On sentait que la vessie allait donner dur. Mademoiselle se demanda si Besnard aurait écrit: «Nousautres peintres...» et si Rodin se serait écrié: «Nous autres sculpteurs!» Elle en douta, et fut d’avis qu’une telle expression semblait plutôt venir d’une personne désireuse de se prouver à soi, en même temps que de persuader aux masses, qu’elle était biendu bateau. C’était donc indiquer, n’est-ce pas? que tous les spectateurs ne se rangeaient point à cet avis et, par suite, diminuer son propre prestige.A peine a-t-elle lu ces mots, que la Comtesse René de Béarn sent fléchir sa foi dans le blaireau d’Auteuil, et que le Duc de Guiche, qui n’en avait jamais douté, soudain mordu d’inquiétude, se met à loucher dans la direction de Monsieur Flameng, et se demande avec terreur si lavérité esthétiquene serait pas là.Un autre journal annonça une matinéeau profit de «La Manécanterie des Petits Chanteurs à la Croix de Bois». La séance devait avoir lieu dans la Salle Byzantine de la Comtesse René au Gros-Caillou.L’événement inspira encore à l’Irlandaise des réflexions dont plusieurs étaient saugrenues. Elle dit que la recette ne serait pas forte et que, par suite, il était aisé d’épargner aux objets d’art quene pouvait manquer(?) de contenir cette salle, l’approche d’un public souvent désordonné. Certes, il y avait de l’abnégation, de la part d’une collectionneuse, à laisser envahir son musée par des spectateurs à dix francs. La charité est toujours estimable; mais on peut la concilier avec le légitime goût de ne pas voir troubler, dans leur saint repos, les personnages de la «Cène». Une dame qui paie cinq cent mille francs un Boucher,de Taraval, peut, sans se gêner, témoigner de son zèle pour «La Manécanterie des Petits Chanteurs à la Croix de Bois» et épargner, au Dieu du Bouveret, des regards payants.Mademoiselle pria donc Demelly d’évaluer ce que pouvait déterminer d’élans magnanimes, dans le Tout-Paris, l’œuvre à la désignation peu simple, et décida de prélever la somme, sur ses propres appointements, afin de l’envoyer au Siège de la Société, pour que la byzantine paix ne fût pas troublée.On l’en empêcha.
XXXVIIIBerthe se vit infliger un pensum. Mademoiselle saisit un journal qui se trouvait là et contenait cette phrase: «Ne voit-on pas fréquemment deux grands peintres, un Besnard ou un Jacques Blanche, exécuter, sans esprit de concurrence, le portrait d’une même personnalité? La valeur respective des œuvres s’accroît encore d’un savoureux parallèle.»Ce passage, Miss le fit copier cent fois par l’enfant.Quand la chose fut connue, elle étonna. Discrètement, Demelly en demanda la raison à l’Institutrice, qui répondit:«La petite necomprendpas encore. Plus tard, elle me saura gré de la forte et délicate leçon que je lui donne aujourd’hui. Puisse celle-ci lui inspirer, pour toute sa vie, la sage crainte desrapprochements sans proportionset des comparaisons inégales!»Que répondre à cela?Elle dit encore, à cette occasion: «Un peintre qui, chargé de peindre un portrait, place à côté de son modèle une lampe éteinte, prouve du même coup, hélas! qu’il a cette lampe dans l’esprit et dans le cœur.»Un article parut, à propos d’un ballet Slave qui faisait florès à Paris. Le signataire de ce «papier» s’exprimait ainsi: «Nous autres peintres, chargeons nos palettes!»—On sentait que la vessie allait donner dur. Mademoiselle se demanda si Besnard aurait écrit: «Nousautres peintres...» et si Rodin se serait écrié: «Nous autres sculpteurs!» Elle en douta, et fut d’avis qu’une telle expression semblait plutôt venir d’une personne désireuse de se prouver à soi, en même temps que de persuader aux masses, qu’elle était biendu bateau. C’était donc indiquer, n’est-ce pas? que tous les spectateurs ne se rangeaient point à cet avis et, par suite, diminuer son propre prestige.A peine a-t-elle lu ces mots, que la Comtesse René de Béarn sent fléchir sa foi dans le blaireau d’Auteuil, et que le Duc de Guiche, qui n’en avait jamais douté, soudain mordu d’inquiétude, se met à loucher dans la direction de Monsieur Flameng, et se demande avec terreur si lavérité esthétiquene serait pas là.Un autre journal annonça une matinéeau profit de «La Manécanterie des Petits Chanteurs à la Croix de Bois». La séance devait avoir lieu dans la Salle Byzantine de la Comtesse René au Gros-Caillou.L’événement inspira encore à l’Irlandaise des réflexions dont plusieurs étaient saugrenues. Elle dit que la recette ne serait pas forte et que, par suite, il était aisé d’épargner aux objets d’art quene pouvait manquer(?) de contenir cette salle, l’approche d’un public souvent désordonné. Certes, il y avait de l’abnégation, de la part d’une collectionneuse, à laisser envahir son musée par des spectateurs à dix francs. La charité est toujours estimable; mais on peut la concilier avec le légitime goût de ne pas voir troubler, dans leur saint repos, les personnages de la «Cène». Une dame qui paie cinq cent mille francs un Boucher,de Taraval, peut, sans se gêner, témoigner de son zèle pour «La Manécanterie des Petits Chanteurs à la Croix de Bois» et épargner, au Dieu du Bouveret, des regards payants.Mademoiselle pria donc Demelly d’évaluer ce que pouvait déterminer d’élans magnanimes, dans le Tout-Paris, l’œuvre à la désignation peu simple, et décida de prélever la somme, sur ses propres appointements, afin de l’envoyer au Siège de la Société, pour que la byzantine paix ne fût pas troublée.On l’en empêcha.
Berthe se vit infliger un pensum. Mademoiselle saisit un journal qui se trouvait là et contenait cette phrase: «Ne voit-on pas fréquemment deux grands peintres, un Besnard ou un Jacques Blanche, exécuter, sans esprit de concurrence, le portrait d’une même personnalité? La valeur respective des œuvres s’accroît encore d’un savoureux parallèle.»
Ce passage, Miss le fit copier cent fois par l’enfant.
Quand la chose fut connue, elle étonna. Discrètement, Demelly en demanda la raison à l’Institutrice, qui répondit:«La petite necomprendpas encore. Plus tard, elle me saura gré de la forte et délicate leçon que je lui donne aujourd’hui. Puisse celle-ci lui inspirer, pour toute sa vie, la sage crainte desrapprochements sans proportionset des comparaisons inégales!»
Que répondre à cela?
Elle dit encore, à cette occasion: «Un peintre qui, chargé de peindre un portrait, place à côté de son modèle une lampe éteinte, prouve du même coup, hélas! qu’il a cette lampe dans l’esprit et dans le cœur.»
Un article parut, à propos d’un ballet Slave qui faisait florès à Paris. Le signataire de ce «papier» s’exprimait ainsi: «Nous autres peintres, chargeons nos palettes!»—On sentait que la vessie allait donner dur. Mademoiselle se demanda si Besnard aurait écrit: «Nousautres peintres...» et si Rodin se serait écrié: «Nous autres sculpteurs!» Elle en douta, et fut d’avis qu’une telle expression semblait plutôt venir d’une personne désireuse de se prouver à soi, en même temps que de persuader aux masses, qu’elle était biendu bateau. C’était donc indiquer, n’est-ce pas? que tous les spectateurs ne se rangeaient point à cet avis et, par suite, diminuer son propre prestige.
A peine a-t-elle lu ces mots, que la Comtesse René de Béarn sent fléchir sa foi dans le blaireau d’Auteuil, et que le Duc de Guiche, qui n’en avait jamais douté, soudain mordu d’inquiétude, se met à loucher dans la direction de Monsieur Flameng, et se demande avec terreur si lavérité esthétiquene serait pas là.
Un autre journal annonça une matinéeau profit de «La Manécanterie des Petits Chanteurs à la Croix de Bois». La séance devait avoir lieu dans la Salle Byzantine de la Comtesse René au Gros-Caillou.
L’événement inspira encore à l’Irlandaise des réflexions dont plusieurs étaient saugrenues. Elle dit que la recette ne serait pas forte et que, par suite, il était aisé d’épargner aux objets d’art quene pouvait manquer(?) de contenir cette salle, l’approche d’un public souvent désordonné. Certes, il y avait de l’abnégation, de la part d’une collectionneuse, à laisser envahir son musée par des spectateurs à dix francs. La charité est toujours estimable; mais on peut la concilier avec le légitime goût de ne pas voir troubler, dans leur saint repos, les personnages de la «Cène». Une dame qui paie cinq cent mille francs un Boucher,de Taraval, peut, sans se gêner, témoigner de son zèle pour «La Manécanterie des Petits Chanteurs à la Croix de Bois» et épargner, au Dieu du Bouveret, des regards payants.
Mademoiselle pria donc Demelly d’évaluer ce que pouvait déterminer d’élans magnanimes, dans le Tout-Paris, l’œuvre à la désignation peu simple, et décida de prélever la somme, sur ses propres appointements, afin de l’envoyer au Siège de la Société, pour que la byzantine paix ne fût pas troublée.
On l’en empêcha.