VConclusion.

«1oparce que les espèces de ces animaux sont beaucoup plus nombreuses que celles des animaux vertébrés;2oparce qu'étant plus nombreuses, elles sont nécessairement plus variées;3oparce que les variations de leur organisation sont beaucoup plus grandes, plus tranchées et plus singulières;4oparce que leur étude est beaucoup plus propre à nous faire apercevoir l'origine même de l'organisation, ainsi que la cause de sa composition et de ses développements»[96].

«1oparce que les espèces de ces animaux sont beaucoup plus nombreuses que celles des animaux vertébrés;

2oparce qu'étant plus nombreuses, elles sont nécessairement plus variées;

3oparce que les variations de leur organisation sont beaucoup plus grandes, plus tranchées et plus singulières;

4oparce que leur étude est beaucoup plus propre à nous faire apercevoir l'origine même de l'organisation, ainsi que la cause de sa composition et de ses développements»[96].

Néanmoins, ce qui paraissait évident pour les yeux de Lamarck, familiarisés avec la contemplation de riches collections de matériaux conformes à ses conceptions, ne l'était pas, au même degré, pour les lecteurs de la partie philosophique de ses livres qui présente surtout le fruit de ses méditations générales sur les causes génératrices des nuances, souvent imperceptibles, qui distinguent certaines espèces d'animaux les unes des autres.

De là, l'opposition rencontrée par les théories de Lamarck, lors de leur apparition. La légitimité primitive de cette apparition ne saurait être contestée, puisqu'elle a trouvé des organes tels que Cuvier et Auguste Comte.

En raison de la nature de son esprit et de ses études, Cuvier ne pouvait être convaincu que par des preuves anatomiques et nous venons de voir que ces dernières faisaient ordinairement défaut, dans les œuvres philosophiques de Lamarck.

Quant à Comte, préoccupé de maintenir strictement toutes les sciences sur le roc des faits démontrables et de chasser de leur domaine toutes les hypothèses invérifiables, il ne pouvait, pour des raisons analogues, adopter que partiellement la doctrine de Lamarck.

Il admit comme incontestables les deux principes fondamentaux de Lamarck:

«1ol'aptitude essentielle d'un organisme quelconque et surtout d'un organisme animal, à se modifier conformément aux circonstances extérieures où il est placé et qui sollicitent l'exercice prédominant de tel organe spécial, correspondant à telle faculté devenue plus nécessaire;«2ola tendance, non moins certaine, à fixer dans les races, par la seule transmission héréditaire, les modifications d'abord directes et individuelles, de manière à les augmenter graduellement, à chaque génération nouvelle, si l'action du milieu ambiant persévère identiquement»[97].

«1ol'aptitude essentielle d'un organisme quelconque et surtout d'un organisme animal, à se modifier conformément aux circonstances extérieures où il est placé et qui sollicitent l'exercice prédominant de tel organe spécial, correspondant à telle faculté devenue plus nécessaire;

«2ola tendance, non moins certaine, à fixer dans les races, par la seule transmission héréditaire, les modifications d'abord directes et individuelles, de manière à les augmenter graduellement, à chaque génération nouvelle, si l'action du milieu ambiant persévère identiquement»[97].

Il considéra que Lamarck avait rendu un service éminent au progrès général de la saine philosophie biologique en posant le problème de la modificabilité: «Un tel ordre de recherches, dit-il, quoique fort négligé, constitue, sans doute, l'un des plus beaux sujets que l'état présent de cette philosophie puisse offrir à l'activité de toutes les hautes intelligences. Il devrait, ce me semble, inspirer d'autant plus d'intérêt, que les lois générales de ce genre de phénomènes seraient, par leur nature, immédiatement applicables à la vraie théorie du perfectionnement systématique des espèces vivantes, y compris même l'espèce humaine»[98].

Mais, «malgré l'imposante autorité de Lamarck»[99], il resta convaincu que «l'aptitude incontestable de tout organisme à se modifier, d'après la constitution spéciale du milieu correspondant, était circonscrite dans d'étroites limites»[100]et que non seulement les familles et lesgenres, mais les espèces elles-mêmes «demeurent essentiellement fixes, à travers toutes les variations extérieures compatibles avec leur existence»[101].

Les raisons déterminantes d'Auguste Comte furent celles qu'invoquait Cuvier dans le célèbreDiscours sur les révolutions du globe, dont il trouvait l'argumentation lumineuse; elles se réduisent à la permanence des espèces les plus anciennement observées, constatées par la comparaison des momies de crocodiles, d'oiseaux et de carnassiers de l'ancienne Égypte, avec les espèces vivantes et la résistance des espèces actuelles aux plus grandes forces modificatrices[102].

Pendant longtemps, ces deux puissants champions de la fixité des espèces rallièrent, à leur manière de voir, l'un comme savant, l'autre comme philosophe, un très grand nombre de bons esprits qui, suivant l'usage, exagérèrent même la résistance de leurs maîtres, en opposant imprudemment leur opinion à des faits qu'ils n'avaient pas connus.

Cependant, ce furent Cuvier et Auguste Comte qui fournirent les armes les mieux trempées pour défendre la doctrine de Lamarck et pour l'arracher, victorieuse, à la mêlée des controverses: le premier, en créant la paléontologie; le second, en systématisant la méthode scientifique, en astreignant l'esprit positif à toujours subordonner l'imagination à l'observation et à faire toujours l'hypothèse la plus simple en rapport avec les renseignements obtenus, en démontrant que, dans tous les domaines, le progrès n'est jamais que le développement de l'ordre, en introduisant enfin, avec Turgot et Condorcet, l'idée d'évolution dans l'étude de la succession des phénomènes historiques.

Sous cette double impulsion, les conditions du problème, posé par Lamarck, se sont modifiées, d'autant plus profondément que ce problème fut simultanément ou successivement éclairé par les observations: de Gœthe sur la théorie vertébrale du crâne, les métamorphoses des plantes et l'assimilation des fleurs des végétaux à leurs feuilles; d'Étienne Geoffroy Saint-Hilaire, sur l'unité de plan de composition, sur l'embryologie et sur les organes rudimentaires; des savants divers auxquels Darwin rend personnellement hommage, dans la notice historique placée au frontispice de son livre surL'Origine des Espèces; de Darwin enfin, sur la variation des espèces à l'état domestique et à l'état de nature, sur la concurrence vitale et la sélection naturelle.

Depuis les travaux de ce dernier auteur et les innombrables recherches concordantes qu'ils ont suscitées, la stabilité des espèces a réellement cessé d'être l'hypothèse la plus conforme à l'ensemble des observations recueillies, et la grande construction de Lamarck, dont l'audacieuse architecture semblait d'abord si frêle et si menacée, apparaît, aujourd'hui, comme un monument scientifique d'une rare solidité; car elle est étayée par les faits paléontologiques, par l'embryologie et par l'anatomie comparée.

Confirmation des théories de Lamarck par les faits paléontologiques.

En premier lieu, la paléontologie, dans l'état de développement qu'elle a maintenant atteint, démontre, comme Lamarck l'avait pressenti, que les espèces organisées ont fait leur apparition sur la terre, successivement, dans un ordre de complication croissante.

Évidemment, la paléontologie ne nous renseigne pas sur les origines mêmes de la vie, sur notre globe. Le terraincristallophyllien, dont la formation sédimentairen'est plus contestée et qui provient des premiers dépôts vaseux, sablonneux et calcaires, effectués au sein des Océans, ne renferme aucune trace d'êtres organisés, tandis que les fossiles, qu'on trouve dans les terrains postérieurs qui lui sont immédiatement contigus, révèlent une faune, déjà riche et variée, dont l'organisation est souvent très éloignée de celle des êtres primitifs.

Toutefois, cette anomalie n'est pas surprenante. Sous la pression colossale et toujours croissante des autres terrains, auxquels ils servent de support, les terrains Archéens se sont graduellement affaissés et de plus en plus rapprochés de la partie de la croûte terrestre qui conserve une très haute température; au voisinage de ce foyer, ils se sont transformés, métamorphosés en roches cristallines, très semblables aux roches d'origine ignée, et tous les fossiles qu'ils pouvaient contenir ont été, de la sorte, anéantis.

Mais lorsque, quittant cet étage stérilisé, on s'élève, par degrés, jusqu'à la superficie actuelle de la terre, au travers des couches de plusieurs kilomètres d'épaisseur qui se sont, tour à tour, superposées à lui, dans la longue suite des âges, on assiste, pour ainsi dire, à l'épanouissement successif de tout ce qui devait constituer, à la fin, la multitude contemporaine du monde vivant, végétal et animal.

C'est ainsi que le terrain Cambrien renferme des représentants de la plupart des groupes d'Invertébrés. On y trouve des Foraminifères, des Spongiaires, des Polypiers, des Échinodermes, des traces de Vers, des Mollusques, même des Crustacés, voisins du genre d'animaux que représentent aujourd'hui les Limules et auxquels on a donné le nom significatif de Paradoxides; mais aucun Vertébré n'a été découvert, jusqu'ici, dans les archives paléontologiques des temps Cambriens.

Ce dernier grand embranchement du règne animaldébute, seulement, dans le terrain Silurien, consécutif au Cambrien, sous la forme de Poissons cartilagineux et cuirassés, dont certains types présentent quelques analogies avec les Crustacés de l'époque antérieure.

Cette classe d'animaux se multiplie et commence à se différencier, durant les temps où le terrain Dévonien se dépose; mais, alors, elle reste toujours seule pour représenter les Vertébrés et les êtres qui la forment sont bien différents des Poissons d'aujourd'hui; leur colonne vertébrale n'est pas ossifiée; elle est molle, comme dans l'embryon des Vertébrés actuels, et leur corps est extérieurement recouvert de fortes écailles émaillées; ces Poissons sont notocordaux et ganoïdes.

A l'époque permo-carbonifère, au contraire, les Poissons offrent des caractères qui révèlent leur tendance à se rapprocher des poissons actuels, et les Reptiles apparaissent; mais ces reptiles sont ganocéphales; leurs vertèbres, incomplètement ossifiées, sont composées de plusieurs pièces et ils appartiennent surtout à une classe intermédiaire entre les Reptiles véritables et les Poissons; ce sont des Amphibiens, qui constituent la souche primitive des Batraciens.

D'autre part, à la même époque, les Insectes, qui ne font leur apparition que dans le Dévonien, ont atteint de grandes dimensions et le développement d'une végétation luxuriante est attesté par une flore gigantesque bien que tous ses éléments appartiennent, exclusivement, au groupe des Cryptogames vasculaires.

Pendant l'ère secondaire, qui succède à l'ère primaire, dont nous venons de traverser les principales époques, aucune classe nouvelle d'Invertébrés n'a pris naissance; mais l'essor des Vertébrés s'est effectué, d'une manière prodigieuse.

Les Poissons, libérés de l'armure des ganoïdes qui disparurent progressivement, doués d'une colonne vertébraleparfaitement ossifiée et recouverts d'écailles souples, sont devenus les êtres, agiles et variés, que nous connaissons.

Les Reptiles ont conquis l'empire des mers, de la terre et des airs, avec leurs légions de formes adaptées à chacun de ces trois milieux; quelques-uns, parmi les reptiles terrestres, en particulier, avaient des dimensions phénoménales, qu'on ne peut réellement se figurer, si l'on n'a pas contemplé les squelettes mêmes de quelquesIchtyosaures, duMosasaurus, de l'Iguanodonet duDiplodocus.

En outre, une classe nouvelle de Vertébrés, la classe des Oiseaux, a surgi vers le milieu des temps secondaires. Cette classe était alors manifestement apparentée à celle des Reptiles, puisque l'Archéoptéryx, qui en est le premier type, a les mâchoires garnies de dents coniques, une longue queue vertébrée et pennée, les ailes terminées par des doigts séparés, pourvus de griffes, et que l'Hesperorniset l'Ichtyornis, contemporains de la fin des temps secondaires, ont encore, quoique beaucoup plus rapprochés de nos oiseaux actuels, les mandibules armées de dents.

Enfin, vers la même époque, des petits êtres rares et chétifs, présentant les caractères des Monotrèmes, puis ceux des Marsupiaux, annoncèrent la formation de la dernière classe des Vertébrés, celle des Mammifères.

D'ailleurs, la physionomie de la flore terrestre s'est aussi modifiée et complétée, durant l'ère secondaire. D'abord les plantes Gymnospermes sont venues s'ajouter aux végétaux vasculaires, dans le temps où se déposaient les couches du Trias; puis les Monocotylédones apparurent, au début des temps Jurassiques; enfin, pendant la période Crétacée, les plantes Dicotylédones angiospermes et à feuilles caduques, se répandirent et leur présence prouve que l'alternance des saisons se substituadès lors à l'antérieure uniformité de la température tropicale.

Lorsque l'ère tertiaire s'ouvre, tous les grands groupes de plantes sont donc formés; les familles qui les composent ont, seulement, une répartition géographique différente de celle d'aujourd'hui. Les palmiers, les lauriers, les pandanées sont mélangés aux peupliers, aux hêtres et aux châtaigniers, dans le nord de la planète, et la flore de la Baltique est identique à celle de la Méditerranée; mais la température moyenne s'abaisse insensiblement et les hivers se font sentir, tandis que les graminées et les diverses familles des plantes phanérogames, apétales, polypétales et gamopétales, prennent un développement considérable et se diversifient.

Ce qui distingue surtout la paléontologie de l'ère tertiaire de celle de la précédente, c'est la disparition des grands Sauriens qui caractérisaient celle-ci et l'apparition des Mammifères placentaires qui deviennent, à leur tour, les maîtres de la surface planétaire.

Au commencement, pendant l'époque Éocène, ils ne sont représentés que par des bêtes massives et stupides, de l'ordre des Pachydermes; mais, au temps du Miocène, les Ruminants forment des troupeaux; les Proboscidiens majestueux se répandent; les Carnassiers se perfectionnent; l'ordre des Primates surgit avec les singes, avec les premiers anthropoïdes, et, finalement, avec le Pithécanthrope, dont les restes ont été retrouvés dans le terrain pliocène de Java; de telle sorte qu'à la fin de l'ère tertiaire, l'apogée du monde animal est atteint; tous les genres actuels de Mammifères existent et la terre est peuplée des diverses sortes d'animaux qui l'habitent aujourd'hui.

En effet, les genres, seuls, se diversifient, pendant l'ère quaternaire, où se constituent, puis disparaissent, dans les régions septentrionales, le Mammouth, le Rhinocérosvelu, l'Aurochs, l'Hyène, l'Ours et le Lion des cavernes, et pendant laquelle la scène changeante du monde, dont les décors et les personnages principaux se sont tant de fois renouvelés, est enfin occupée par l'homme, primitivement représenté par les races de Néanderthal et de Spy, très voisines du Pithécanthrope, auxquelles succèdent les races de Cro-Magnon et des Eysies, que les plus dédaigneux de nos contemporains ne peuvent renier comme des ancêtres authentiques.

Il résulte donc, bien manifestement, de l'étude des documents paléontologiques que l'apparition et la complication des êtres organisés, végétaux et animaux, se sont opérées graduellement. L'échelle paléontologique, végétale et animale, concorde exactement avec les échelles didactiques que les naturalistes avaient auparavant dressées, pour résumer leurs classifications et dans lesquelles on passe des êtres les plus simples aux plus complexes, quand on les parcourt de la base au sommet:

Par conséquent, c'est à juste titre qu'on divise la paléontologie en quatre époques principales:

L'époquepaléozoïque, ou des animaux anciens, correspondant à l'ère primaire;

L'époquemésozoïque, ou des animaux intermédiaires, synchronique avec l'ère secondaire;

L'époquecaïnozoïque, ou des animaux nouveaux, qui n'est autre que l'ère tertiaire;

Et l'époqueanthropozoïque, contemporaine de l'homme.

Mais ces renseignements indiscutables ne sont pas les seules lumières que la paléontologie nous fournisse sur le passé des êtres organisés; elle nous dévoile, en outre, l'immense durée du temps que représente leur histoire, durée que d'aucuns, comme Haeckel, évaluent, d'aprèsl'épaisseur des terrains sédimentaires, à cent millions d'années, répartis de la manière suivantes[103]:

Enfin, la paléontologie nous autorise à supposer qu'il existe, entre les êtres les plus récents et les plus anciens, une liaison continue et que ceux-ci dérivent de ceux-là.

Car, à de très rares exceptions près, ces êtres ont varié perpétuellement, et bien que leurs variations se soient, généralement, produites avec une extrême lenteur, leurs diverses espèces connues sont, dès maintenant, innombrables; de plus, les découvertes les multiplient sans cesse, et nous ne pouvons nous flatter de les posséder toutes.

Pour nier la filiation qui existe entre ces légions d'espèces, il faudrait admettre qu'elles ont été successivement créées, dans leur intégrité respective. C'est ce que Cuvier a plus ou moins nettement formulé, lorsque, grâce à lui, la paléontologie prenait naissance; il supposait alors que trois créations successives, séparées les unes des autres par des catastrophes, suffisaient pour rendre compte des changements de spectacle que la nature vivante a présentés.

En 1849, d'Orbigny portait déjà leur nombre à vingt-sept. Mais, dans l'état nouveau de nos connaissances, il faudrait invoquer plusieurs centaines de ces créations et le problème de l'origine des espèces ne serait pas davantage résolu, parce que ses créations incessantes n'expliqueraient nullement:

pourquoi des types de transition existent entre des classes déterminées; pourquoi, par exemple, les Poissons notocordaux sont antérieurs aux Poissons osseux, les Batraciens aux Reptiles, les Oiseaux, à caractères reptiliens, aux Oiseaux véritables, les Mammifères didelphes aux Mammifères placentaires;pourquoi, dans l'histoire de chaque classe, on trouve, d'abord, des formes confuses, synthétiques, et pourquoi les formes différenciées, parmi lesquelles les plus spéciales sont les plus récentes, n'apparaissent que postérieurement et successivement;pourquoi des types intermédiaires existent dans tous les gisements;pourquoi les plus anciens êtres humains ont des caractères d'anthropoïdes;pourquoi des analogies subsistent, entre des espèces éteintes, sans représentants actuels, et des espèces encore vivantes;enfin, pourquoi la loi, générale et rigoureuse, qui gouverne aujourd'hui les origines de la vie,omne vivum ex vivo, et par suite de laquelle tout être vivant provient d'un autre être vivant, semblable à lui, n'aurait exercé son empire que par intermittence.

pourquoi des types de transition existent entre des classes déterminées; pourquoi, par exemple, les Poissons notocordaux sont antérieurs aux Poissons osseux, les Batraciens aux Reptiles, les Oiseaux, à caractères reptiliens, aux Oiseaux véritables, les Mammifères didelphes aux Mammifères placentaires;

pourquoi, dans l'histoire de chaque classe, on trouve, d'abord, des formes confuses, synthétiques, et pourquoi les formes différenciées, parmi lesquelles les plus spéciales sont les plus récentes, n'apparaissent que postérieurement et successivement;

pourquoi des types intermédiaires existent dans tous les gisements;

pourquoi les plus anciens êtres humains ont des caractères d'anthropoïdes;

pourquoi des analogies subsistent, entre des espèces éteintes, sans représentants actuels, et des espèces encore vivantes;

enfin, pourquoi la loi, générale et rigoureuse, qui gouverne aujourd'hui les origines de la vie,omne vivum ex vivo, et par suite de laquelle tout être vivant provient d'un autre être vivant, semblable à lui, n'aurait exercé son empire que par intermittence.

Concluons donc avec Edmond Perrier:

«Deux faits incontestables, et d'ailleurs incontestés, dominent toute la discussion, et il n'est permis à personne de les oublier:«1oLes formes végétales et animales d'une période géologique ne sont nullement identiques à celles de la période suivante, bien qu'aucun cataclysme ne sépare ces périodes les unes des autres;«2oToute forme vivante est issue d'une forme vivante antérieure, à laquelle elle ressemble d'ordinaire presque exactement, bien qu'elle en puisse différer dans une certaine mesure.«Les faits constatés, sans qu'on puisse citer une dérogation quelconque à cette règle, sans que rien puisse autoriser à croire qu'à un moment quelconque de la durée des temps paléontologiques une exception se soit produite, les faits constatés s'opposent à ce que l'on puisse admettre un seul instant, sans faire une hypothèse gratuite, que la chaîne des générations ait été interrompue, que les formes de végétaux et d'animaux de la période actuelle ne dérivent pas, en conséquence, de ceux des périodes antérieures; or, comme ces animaux ne se ressemblent pas, la variabilité des espèces est par cela même scientifiquement démontrée, sans que rien puisse être opposé à cette conclusion, à moins que l'on n'entre dans le domaine des hypothèses.«Il y a plus. Quand on suit attentivement la série des formes analogues, qui se succèdent pendant la durée de longues périodes paléontologiques, et jusqu'à la période actuelle, on constate que les différences qui existent entre ces formes ne dépassent nullement les limites de celles qu'on observe aujourd'hui entre les races d'une même espèce.«C'est, en particulier, ce qui résulte invinciblement des belles recherches de M. Albert Gaudry et de M. Filhel, sur les mammifères tertiaires.Les faits constatésn'autorisent donc pas à admettre dans la science une autre doctrine que celle du transformisme, que celle de Lamarck»[104].

«Deux faits incontestables, et d'ailleurs incontestés, dominent toute la discussion, et il n'est permis à personne de les oublier:

«1oLes formes végétales et animales d'une période géologique ne sont nullement identiques à celles de la période suivante, bien qu'aucun cataclysme ne sépare ces périodes les unes des autres;

«2oToute forme vivante est issue d'une forme vivante antérieure, à laquelle elle ressemble d'ordinaire presque exactement, bien qu'elle en puisse différer dans une certaine mesure.

«Les faits constatés, sans qu'on puisse citer une dérogation quelconque à cette règle, sans que rien puisse autoriser à croire qu'à un moment quelconque de la durée des temps paléontologiques une exception se soit produite, les faits constatés s'opposent à ce que l'on puisse admettre un seul instant, sans faire une hypothèse gratuite, que la chaîne des générations ait été interrompue, que les formes de végétaux et d'animaux de la période actuelle ne dérivent pas, en conséquence, de ceux des périodes antérieures; or, comme ces animaux ne se ressemblent pas, la variabilité des espèces est par cela même scientifiquement démontrée, sans que rien puisse être opposé à cette conclusion, à moins que l'on n'entre dans le domaine des hypothèses.

«Il y a plus. Quand on suit attentivement la série des formes analogues, qui se succèdent pendant la durée de longues périodes paléontologiques, et jusqu'à la période actuelle, on constate que les différences qui existent entre ces formes ne dépassent nullement les limites de celles qu'on observe aujourd'hui entre les races d'une même espèce.

«C'est, en particulier, ce qui résulte invinciblement des belles recherches de M. Albert Gaudry et de M. Filhel, sur les mammifères tertiaires.Les faits constatésn'autorisent donc pas à admettre dans la science une autre doctrine que celle du transformisme, que celle de Lamarck»[104].

A vrai dire, ces notions scientifiques doivent, désormais, faire partie des connaissances élémentaires de tout homme éclairé; elles sont indispensables pour apprécier sainement la nature humaine; et, comme le dit Haeckel, pour familiariser l'esprit avec l'infini de la durée, demême que la contemplation du ciel étoilé le familiarise avec l'infini de l'espace. On ne saurait donc trop féliciter le gouvernement de la République française d'avoir reconnu leur valeur éducative générale, en introduisant leur enseignement, dans les programmes de l'instruction secondaire, sous forme de conférences de Paléontologie.

Confirmation des théories de Lamarck par l'embryologie.

Les théories de Lamarck, concernant l'évolution des êtres organisés, n'ont pas été seulement confirmées par les faits paléontologiques: elles trouvent encore un point d'appui solide, dans les faits embryologiques.

Rapprochant ces deux ordres de faits et frappés par le parallélisme existant entre le développement embryologique et le développement paléontologique, quelques savants se sont même crus autorisés à conclure que, dans chaque espèce, l'évolution embryonnaire de l'individu n'est que la répétition rapide et raccourcie de l'évolution paléontologique de tout le rameau dont son espèce est la terminaison.

C'est d'après ces données qu'Haeckel a formulé ce qu'il a nomméla loi fondamentale biogénétique.

«L'ontologie, dit-il, ou l'histoire du développement de l'individu, est simplement une récapitulation courte, rapide, conforme aux lois de l'hérédité et de l'adaptation, de laphylogénie, c'est-à-dire de l'évolution paléontologique de toute la tribu organique ouphylumà laquelle appartient l'individu considéré».

Faisant application de cette loi générale au cas particulier de l'homme, Haeckel a soutenu que les diverses phases de son évolution intra-utérine correspondent àvingt-deux stades paléontologiques, consécutifs, qu'il s'est efforcé de préciser.

Les documents paléontologiques n'ont pas, jusqu'ici, fourni toutes les preuves rigoureuses qu'une théorie aussi formelle exigerait; mais il est indéniable que chaque individu, dans son évolution propre, repasse, graduellement, par les principaux degrés de la série animale, placés au-dessous de celui qu'il doit atteindre.

Les Invertébrés et les Vertébrés ne se distinguent pas, les uns des autres, durant la première phase de l'évolution intra-ovulaire, et l'embryon des Vertébrés, selon les remarques d'Haeckel, se présente: d'abord, sous la forme d'une simple cellule; puis, comme un amas cellulaire, provenant de la segmentation de la cellule primitive; ensuite, comme un sac, à ouverture unique, essentiellement constitué par un feuillet externe, ou épidermique, et un feuillet interne ou intestinal, invaginé; plus tard, comme un tube à deux ouvertures, semblable aux Vers; enfin, comme un de ces Vertébrés acrâniens, dont l'Amphioxus, qui n'a qu'un squelette rudimentaire, constitué par une corde dorsale, est le dernier représentant vivant.

A ce moment, nul ne peut dire, avec certitude, si cet embryon de vertébré deviendra poisson, reptile, oiseau ou mammifère, et le créateur de l'embryologie, de Baer, traduisait la perplexité dans laquelle les savants se trouvent, à cet égard, en disant que s'il omettait d'«étiqueter» les bocaux, dans lesquels il renfermait les très jeunes embryons de Vertébrés qu'il recevait, il ne pouvait ensuite distinguer la classe à laquelle chacun d'eux appartenait.

«Les embryons de l'homme, du chien, de la tortue, et l'embryon du poulet, au quatrième jour de l'incubation, diffèrent si peu l'un de l'autre, qu'on ne saurait les distinguer: c'est seulement au bout de six ou huit semaines, pour les trois premiers, au bout de sept jours, pour ledernier, que les traits distinctifs apparaissent et s'accentuent, à mesure que l'animal se développe»[105].

Cette succession d'états transitoires, images fugitives de constitutions demeurées permanentes pour les êtres inférieurs des temps paléontologiques ou présents, ne s'observe pas seulement dans la morphologie et l'organisation générale de l'embryon des Invertébrés supérieurs et des Vertébrés; la formation de chacun des organes de cet embryon, qui évoluent tous, aussi, tandis qu'il se développe, est subordonnée à la même loi naturelle.

Par exemple, chez l'homme, le tube digestif ne présente d'abord aucune démarcation; l'estomac et le gros intestin ne se différencient du canal intestinal qu'ultérieurement. Les cavités buccale et nasale sont confondues. Le foie débute par des tubes cylindriques qui rappellent le foie des insectes.

Les reins sont primitivement réduits à un uretère; puis cet organe rudimentaire se complique de tubes rectilignes, pourvus d'un glomérule, comme chez les Poissons cyclostomes et le rein se divise en lobes, comme chez les Reptiles et les Oiseaux. Ce sont ces lobes qui se fusionnent pour former le rein humain.

L'appareil respiratoire prend naissance, sous forme de bourgeons de la cavité pharyngienne, comme celui des Poissons; puis il consiste, momentanément, en poches peu ramifiées, analogues aux poumons des Reptiles.

Les organes sexuels n'ont, originellement, qu'une forme indifférente, et, même après avoir évolué nettement vers leur destination définitive, les organes mâles restent longtemps inclus dans l'abdomen, comme ceux des Oiseaux, tandis que l'utérus du sexe féminin traverse une phase d'utérus à cornes, qui l'assimile aux oviductes des animaux ovipares.

Le cœur n'est, d'abord, qu'unpunctum saliensqui rappelle l'appareil circulatoire des Vers; puis il présente les deux dilations qui persistent chez les Mollusques; enfin, avec le trou de Botal, il reste, jusqu'à la naissance et à la respiration aérienne, à l'état de cœur à trois cavités; il reproduit ainsi le cœur des Reptiles, auxquels nous assimilent encore les arcs aortiques qui entrent primitivement dans la composition de notre appareil circulatoire périphérique.

Les mêmes analogies, avec les animaux inférieurs, se produisent, passagèrement, durant l'évolution embryonnaire, dans les appareils de la vie de relation.

Le système nerveux est, au début, réduit à la moelle épinière, formée par l'adossement de cordons distincts, comme chez les Invertébrés, et la moelle rachidienne descend très bas, dans la gouttière qui la renferme, comme chez les Poissons et les Oiseaux. L'encéphale apparaît sous la forme des vésicules cérébrales qui restent stationnaires dans les Poissons. Le cerveau, lorsqu'il commence à se spécialiser, est dépourvu de circonvolutions; celles-ci ne se dessinent que vers le milieu de la vie embryonnaire.

Enfin, l'apparition du système osseux est postérieure aux autres; elle débute par une corde dorsale et la formation des vertèbres crâniennes, de même que celle des corps vertébraux, d'abord cartilagineux, est inaugurée par une dissociation des diverses parties de ces os, qui reproduit l'état squelettique des Vertébrés primaires.

Loin de contredire l'évolution paléontologique, l'embryologie tend donc à corroborer sa doctrine; elle met en relief de nombreux traits de ressemblance entre les êtres supérieurs et récents et les êtres les plus inférieurs et les plus anciens, et, comme ces traits ne peuvent provenir que de l'hérédité, l'embryologie fortifie l'hypothèse de la filiation de tous les êtres organisés.

Confirmation des théories de Lamarck par l'anatomie comparée.

D'ailleurs, ce n'est pas seulement au début de leur vie que les animaux Invertébrés et Vertébrés passent par l'état cellulaire, réduction de l'organisation biologique à sa plus simple expression; à vrai dire, ils ne sont jamais qu'une agrégation d'éléments anatomiques, microscopiques.

«Tout être vivant, quelque peu compliqué, n'est qu'une accumulation d'éléments dont chacun est exactement comparable, pour sa constitution, ses propriétés physiologiques, et souvent même les détails de sa forme, aux êtres vivants les plus simples que nous connaissons. Ces êtres vivants les plus simples forment la grande division des Protozoaires. Nous pouvons donc dire brièvement aujourd'hui ce que Lamarck ne pouvait deviner: Tout être vivant, d'organisation tant soit peu compliquée, n'est qu'une association de protozoaires»[106].

Or, les protozoaires sont des êtres aquatiques; il en est de même de tous les éléments anatomiques des animaux supérieurs, qui sont soumis à la loi de constance du milieu des Océans primitifs, découverte par Quinton, soit que les animaux qu'ils constituent séjournent dans le milieu marin, soit qu'ils vivent dans l'eau douce ou dans l'air.

Ainsi se trouve confirmée la vue de Lamarck, relative à l'origine Océanique de la vie.

D'autre part, l'anatomie comparée a découvert, et découvre tous les jours, des liens nombreux qui rattachent les espèces, actuellement existantes, à des espèces éteintes, et qui rattachent celles-ci, les unes aux autres, au travers de l'immensité des temps géologiques. Grâceà elle, des enchaînements sont maintenant établis entre des animaux d'espèces différentes, de genre différents, de familles différentes, d'ordres différents[107], et des séries de formes qui se prolongent pendant plusieurs époques ont pu être reconstituées dans quelques ordres d'Invertébrés et de la classe des Mammifères, des Reptiles et des Poissons[108].

A défaut de ces formes, l'anatomie comparée peut invoquerles organes rudimentaires, ou plus exactement atrophiés, correspondant, dans certaines catégories d'animaux, à des organes qui sont très fonctionnels chez d'autres.

Ces organes se remarquent dans tous les groupes du règne animal, chez les Spongiaires, les Échinodermes, les Mollusques, les Arthropodes, les Insectes, les Poissons, les Reptiles, les Oiseaux, les Cétacés, les Ruminants, les Solipèdes, les Carnassiers et l'Homme; ils attestent un même type d'organisation dans les groupes auxquels appartiennent les animaux qui les présentent et ils sont absolument inexplicables, sans le secours de la théorie de la modificabilité[109].

A plus forte raison en est-il ainsi desanomalies régressivesqui se traduisent par la réapparition fortuite, chez un individu, d'organes ou de rudiments d'organes, disparus dans les types normaux de son espèce, mais ayant fait partie de l'organisation d'espèces antérieures. Tels sont: les germes de dents dans la mâchoire de quelques jeunes oiseaux; les stylets, ou doigts latéraux, que possèdent certains chevaux; et, chez l'homme: la cloisoninterstomacale qui sépare quelquefois le grand cul-de-sac du petit cul-de-sac de l'estomac; la mobilité du pavillon auriculaire; un appendice caudal; et lestermalis brutorum, dont j'ai, personnellement, pu voir, en 1879, un spécimen, sur un sujet, au laboratoire de la Société d'Anthropologie de Paris, lorsque je suivais les cours si remarquables du professeur Broca, sur l'anatomie comparée de l'homme et des animaux supérieurs.

En résumé, la philosophie paléontologique, la philosophie anatomique, convergent vers un même but: la démonstration de l'évolution des êtres organisés.

En présence de la multiplicité de ces faits concordants, cette hypothèse s'impose. Quelles que soient les difficultés, les lacunes et les énigmes que sa vérification présente encore, c'est la plus conforme à l'ensemble des renseignements obtenus; il est de plus en plus irrationnel de la repousser. Tous les savants, dignes de ce nom, l'ont adoptée et ses adversaires ont perdu toute autorité. Ce n'est certainement pas dans les rangs des véritables philosophes positivistes que ces adversaires trouveront leur dernier refuge.

Tentatives d'explication de la modificabilité. Supériorité des raisons invoquées par Lamarck.

Le fait et le principe de la modificabilité des espèces étant mis hors de contestation, la science se trouve en face d'un nouveau problème.

Quelles sont les causes déterminantes de ce phénomène?

Cet autre aspect de la question n'a pas échappé à la perspicacité de Lamarck; il l'a, le premier, scientifiquement envisagé.

Considérant l'organisme comme actif dans son évolution, il émit l'hypothèse que les changements de milieuet de circonstances provoquent de nouveaux besoins physiologiques, de nouvelles habitudes, et que, par suite des efforts continus que ces changements suscitent, les organes subissent des modifications que l'hérédité fixe, de telle manière que, progressivement, l'organisme se transforme pour s'adapter aux nouvelles conditions d'existence qui lui sont imposées.

J'ai, plus haut, exposé sa thèse, à ce sujet; je me borne, en conséquence, à la rappeler ici.

«Ce ne sont pas les organes, dit-il, c'est-à-dire la nature et la forme des parties du corps d'un animal qui ont donné lieu à ses habitudes et à ses facultés particulières; mais ce sont, au contraire, ses habitudes, sa manière de vivre et les circonstances dans lesquelles se sont rencontrés les individus dont il provient, qui ont, avec le temps, constitué la forme de son corps, le nombre et l'état de ses organes, enfin les facultés dont il jouit»[110].

Isidore Geoffroy Saint-Hilaire considérait, au contraire, l'organisme comme passivement soumis à l'action du milieu ambiant.

Darwin enfin a soutenu que la lutte perpétuelle, pour l'existence et pour la reproduction, à laquelle les animaux se livrent, a pour résultats une sélection qui aboutit à la survivance des mieux organisés et à la conservation des formes qui sont le plus en harmonie avec les conditions du milieu.

Mais les influences, signalées par Darwin, si réelles qu'elles soient, ne s'exercent que dans des limites très circonscrites; elles contribuent à l'intelligence des variétés qui se produisent dans des espèces déjà formées; elles ne rendent pas compte de l'origine des formes nouvelles. «La survivance du plus apte, comme dit Cope, n'est pas l'origine du plus apte».

D'autre part, les raisons de Darwin n'expliquent pas davantage l'extinction de certaines espèces, merveilleusement douées au point de vue de la concurrence vitale, et, de plus, très disséminées. Or, la paléontologie nous apprend qu'à diverses époques géologiques, et dans des classes très différentes, des espèces de ce genre ont précisément disparu brusquement, et cédé la place à des espèces chétives: tel est le cas des Trilobites, à la fin des temps Primaires; des Ammonites et des Dinosauriens, à la fin des temps Secondaires; des Mammifères colossaux de la fin de l'époque Tertiaire et du début du Quaternaire.

Il semble donc que la concurrence vitale n'a jamais eu qu'une efficacité modificatrice secondaire et restreinte.

L'influence des milieux est, au contraire, générale et permanente, et la nature, l'industrie humaine nous rendent, chaque jour, témoins des effets que leurs variations produisent sur les plantes et sur les animaux.

Les plantes d'une même espèce sont très différentes, selon qu'elles vivent dans un sol humide ou sec, dans les régions tempérées ou équatoriales, dans les plaines ou sur les altitudes. Il en est de même des animaux.

La vie s'éteint sous les pôles; elle jaillit de toutes parts, avec une irrésistible intensité, sous les tropiques.

Or, nous sommes assurés que les milieux ont maintes fois changé, dans le cours des âges géologiques.

La composition et la température de l'atmosphère, celles des Océans se sont modifiées.

La terre fut, d'abord, tout entière recouverte par les eaux et le climat tropical était universel, puisqu'on retrouve, sous les pôles, des fossiles appartenant à des espèces qui ne vivent plus que dans des régions chaudes.

En outre, il n'y a que des restes fossiles d'animaux aquatiques dans les terrains Cambrien, Silurien et Devonien.

La flore et la faune continentales n'apparaissent qu'à l'époque Permo-carbonifère, où les végétaux commencent à purger l'atmosphère saturée d'acide carbonique et d'humidité.

La période secondaire est caractérisée par une stabilité relative, révélée par l'absence de roches volcaniques; mais il n'en est pas de même de l'époque tertiaire où, plus particulièrement, l'émersion des grandes chaînes de montagnes, des îles et des continents, a créé des bassins maritimes et des compartiments terrestres divers, dans lesquels les êtres vivants ont été soumis à des régimes spéciaux.

C'est pendant cette dernière époque encore que les saisons se sont diversifiées et que les graminées ont couvert le sol de prairies luxuriantes et de steppes immenses. Cette circonstance sans doute a favorisé le développement des Mammifères herbivores, qui a lui-même précédé celui des Carnassiers de la même classe.

Enfin l'ère glaciaire, pendant les temps Quaternaires, fut contemporaine de grands Mammifères, parfaitement adaptés à sa nature, et qui ne lui ont pas survécu.

Pour toutes ces raisons, les naturalistes inclinent à considérer, comme prépondérantes, les raisons invoquées par Lamarck pour justifier la mutabilité des espèces.

Néanmoins, il convient de maintenir une distinction entre le fait même de l'évolution des êtres organisés et l'explication de ce fait.

Le fait repose sur une multiplicité d'observations convergentes qui, toutes, fortifient la doctrine de la modificabilité. Les causes génératrices de ce fait restent obscures et problématiques jusqu'ici; mais cette situation ne peut nullement ébranler l'autorité que les faits eux-mêmes ont acquise.

En résumé:

Lamarck a conçu la biologie générale et créé sa dénomination;

Il a produit d'énormes travaux d'histoire naturelle, en botanique et en zoologie;

Il a, le premier, introduit l'ordre dans la multitude, jusque-là chaotique, des Invertébrés;

Il a jeté les bases de la théorie des classifications;

Il a, le premier, entrepris, d'une manière vraiment scientifique, la construction de la série animale;

Il est le promoteur de la physiologie générale; il a fortement consolidé ce principe philosophique «qu'il n'y a pas de fonction sans organe»; il a généralisé la loi de l'exercice et du perfectionnement; il a mis en relief l'importance universelle des lois de l'hérédité;

Enfin, il est le fondateur de la théorie des milieux, de la théorie de la modificabilité, et, le premier, il a tenté d'arracher aux ténèbres du passé le secret des origines et de l'évolution des êtres vivants.

Sous ce dernier aspect, l'œuvre de Lamarck défie maintenant tous les assauts de la critique.

Edmond Perrier, qui a repris, une à une, toutes les propositions essentielles que cette œuvre renferme, et consciencieusement cherché ce que la science moderne doit penser d'elles, a montré que, le plus souvent, «la théorie positive n'a fait que mettre des faits observés à la place où Lamarck avait mis des suppositions; elle s'est bornée à remplacer, dans l'édifice demeuré debout,une pierre altérée par une autre, d'apparence plus solide»[111].

«Rien de semblable n'avait jamais été tenté, dit le même savant. Personne, soit par respect des textes hébraïques, soit par un sentiment exagéré de l'impuissance de l'homme, n'avait osé demander à la seule science l'explication de la vie, l'explication de la naissance des êtres vivants, celle de leurs transformations, affirmées pour la première fois, avec cette énergie, par un homme vraiment familier avec toutes les productions naturelles; on peut dire qu'au temps où vivait Lamarck, avec les faits dont il disposait, il était difficile d'aller au-delà du terme qu'il atteignit du premier coup. Sa théorie avait d'ailleurs une portée bien plus grande que celles qui ont été proposées depuis et notamment que la fameuse théorie de Darwin. Lamarck, en effet, ne laisse derrière lui aucunpostulatum; il essaye d'abord d'expliquer l'origine des êtres vivants que d'autres supposeront tout créés, avec des formes seulement différentes de celles qui florissent aujourd'hui; il recherche ensuite comment les formes simples, spontanément engendrées, se sont graduellement compliquées, perfectionnées, adaptées aux circonstances dans lesquelles elles vivent, de manière à constituer ces formes qui se transmettent longtemps, sans altération sensible, et qu'on nomme lesespèces. Ces espèces, pour lui, ne sont que des abstractions; l'hérédité suffit pour expliquer leur permanence, et Lamarck, cherchant surtout à relier les espèces actuelles aux espèces fossiles, n'a pas trop à se préoccuper des hiatus qui existent actuellement entre elles»[112].

En outre, les conceptions de Lamarck sont douées d'une inépuisable fécondité; toutes les études de philosophiebiologique et même sociologique, sont maintenant inspirées par elles.

Bref, Lamarck joue, en biologie, le rôle qu'ont joué Descartes en philosophie générale, Newton en mathématiques et en mécanique céleste, Lavoisier en chimie, Auguste Comte en sociologie; il a dévoilé de nouveaux horizons aux yeux de l'Humanité; il a livré de nouveaux domaines à ses investigations; il mérite d'être glorifié comme l'un des rénovateurs de la pensée et des méthodes scientifiques.


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