XVIII

AAce nom fatal, quoique si tendrement prononcé, une frayeur mortelle me saisit; l'étonnement, la stupeur accablent mon âme: je la croirais anéantie si la voix sourde du remords ne criait pas au fond de mon cœur. Cependant, la révolte de mes sens subsiste d'autantplus impérieusement qu'elle ne peut être réprimée par la raison. Elle me livre sans défense à mon ennemi: il en abuse et me rend aisément sa conquête.

Il ne me donne pas le temps de revenir à moi, de réfléchir sur la faute dont il est beaucoup plus l'auteur que le complice. «Nos affaires sont arrangées, me dit-il, sans altérer sensiblement ce ton de voix auquel il m'avait habitué. Tu es venu me chercher: je t'ai suivi, servi, favorisé; enfin, j'ai fait ce que tu as voulu. Je désirais ta possession, et il fallait, pour que j'y parvinsse, que tu me fisses un libre abandon de toi-même. Sans doute, je dois à quelques artifices la première complaisance; quant à la seconde, je m'étais nommé: tu savais à qui tu te livrais, et ne saurais te prévaloir de ton ignorance. Désormais notre lien, Alvare, est indissoluble; mais pour cimenter notre société, il est important de nous mieux connaître. Comme je te sais déjà presque par cœur, pour rendre nos avantages réciproques, je dois me montrer à toi tel que je suis.»

On ne me donne pas le temps de réfléchir sur cette harangue singulière: un coup de sifflet très-aigu part à côté de moi. A l'instant l'obscurité qui m'environne se dissipe: la corniche qui surmonte lelambris de la chambre s'est toute chargée de gros limaçons: leurs cornes, qu'ils font mouvoir vivement et en manière de bascule, sont devenues des jets de lumière phosphorique, dont l'éclat et l'effet redoublent par l'agitation et l'allongement.

Presque ébloui par cette illumination subite, je jette les yeux à côté de moi; au lieu d'une figure ravissante,que vois-je? O ciel! c'est l'effroyable tête de chameau. Elle articule d'une voix de tonnerre ce ténébreuxChe vuoiqui m'avait tant épouvanté dans la grotte, part d'un éclat de rire humain plus effrayant encore, tire une langue démesurée...

Je me précipite; je me cache sous le lit, les yeux fermés, la face contre terre. Je sentais battre mon cœur avec une force terrible: j'éprouvais un suffoquement comme si j'allais perdre la respiration.

Je ne puis évaluer le temps que je comptais avoir passé dans cette inexprimable situation, quand je me sens tirer par le bras; mon épouvante s'accroît: forcé néanmoins d'ouvrir les yeux, une lumière frappante les aveugle.

Ce n'était point celle des escargots, il n'y en avait plus sur les corniches; mais le soleil me donnait d'aplomb sur le visage. On me tire encore par le bras: on redouble; je reconnais Marcos.

«Eh! seigneur cavalier, me dit-il, à quelle heure comptez-vous donc partir? Si vous voulez arriver à Maravillas aujourd'hui, vous n'avez pas de temps à perdre, il est près de midi.»

Je ne répondais pas: il m'examine: «Comment! vous êtes resté tout habillé sur votre lit: vous y avez donc passé quatorze heures sans vous éveiller? Ilfallait que vous eussiez un grand besoin de repos. Madame votre épouse s'en est doutée: c'est sans doute dans la crainte de vous gêner qu'elle a été passer la nuit avec une de mes tantes; mais elle a été plus diligente que vous; par ses ordres, dès le matin tout a été mis en état dans votre voiture, et vous pouvez y monter. Quant à madame, vous ne la trouverez pas ici: nous lui avons donné une bonne mule; elle a voulu profiter de la fraîcheur du matin;elle vous précède, et doit vous attendre dans le premier village que vous rencontrerez sur votre route.»

Marcos sort. Machinalement je me frotte les yeux, et passe les mains sur ma tête pour y trouver ce filet dont mes cheveux devaient être enveloppés...

Elle est nue, en désordre, ma cadenette est comme elle était la veille: la rosette y tient. Dormirais-je? me dis-je alors. Ai-je dormi? serais-je assez heureux pour que tout n'eût été qu'un songe? Je lui ai vu éteindre la lumière... Elle l'a éteinte... La voilà...

Marcos rentre. «Si vous voulez prendre un repas, seigneur cavalier, il est préparé. Votre voiture est attelée.»

Je descends du lit; à peine puis-je me soutenir, mes jarrets plient sous moi. Je consens à prendre quelque nourriture, mais cela me devient impossible. Alors, voulant remercier le fermier et l'indemniser de la dépense que je lui ai occasionnée, il refuse.

«Madame, me répondit-il, nous a satisfaits et plus que noblement; vous et moi, seigneur cavalier, avons deux braves femmes.» A ce propos, sans rien répondre, je monte dans ma chaise: elle chemine.

Je ne peindrai point la confusion de mes pensées: elle était telle, que l'idée du danger dans lequel je devais trouver ma mère ne s'y retraçait que faiblement. Les yeux hébétés, la bouche béante, j'étais moins un homme qu'un automate.

Mon conducteur me réveille. «Seigneur cavalier, nous devons trouver madame dans ce village-ci.»

Je ne lui réponds rien. Nous traversions une espèce de bourgade; à chaque maison il s'informe si l'on n'a pas vu passer une jeune dame en tel et tel équipage. On lui répond qu'elle ne s'est point arrêtée. Il se retourne, comme voulant lire sur mon visage mon inquiétude à ce sujet. Et, s'il n'en savait pas plus que moi, je devais lui paraître bien troublé.

Nous sommes hors du village, et je commence à me flatter que l'objet actuel de mes frayeurs s'est éloigné au moins pour quelque temps. Ah! si je puis arriver, tomber aux genoux de doña Mencia, me dis-je à moi-même, si je puis me mettre sous la sauvegarde de ma respectable mère, fantômes, monstres qui vous êtes acharnés sur moi, oserez-vous violer cet asile? J'y retrouverai avec les sentiments de la nature les principes salutaires dont je m'étais écarté, je m'en ferai un rempart contre vous.

Mais si les chagrins occasionnés par mes désordres m'ont privé de cet ange tutélaire... Ah! je ne veux vivre que pour la venger sur moi-même. Je m'ensevelirai dans un cloître... Eh! qui m'y délivrera des chimères engendrées dans mon cerveau? Prenons l'état ecclésiastique.Sexe charmant, il faut que je renonce à vous: une larve infernale s'est revêtue de toutes les grâces dont j'étais idolâtre; ce que je verrais en vous de plus touchant me rappellerait...

AAUmilieu de ces réflexions, dans lesquelles mon attention est concentrée, la voiture est entrée dans la grande cour du château. J'entends une voix: «C'est Alvare! c'est mon fils!» J'élève la vue et reconnais ma mère sur le balcon de son appartement.

Rien n'égale alors la douceur, la vivacité du sentiment que j'éprouve. Mon âme semble renaître: mes forces se raniment toutes à la fois. Je me précipite,je vole dans les bras qui m'attendent. Je me prosterne. Ah! m'écriai-je les yeux baignés de pleurs, la voix entrecoupée de sanglots, ma mère! ma mère! je ne suis donc pas votre assassin? Me reconnaîtrez-vous pour votre fils? Ah! ma mère, vous m'embrassez...

La passion qui me transporte, la véhémence de mon action ont tellement altéré mes traits et le son de ma voix, que doña Mencia en conçoit de l'inquiétude. Elle me relève avec bonté, m'embrasse de nouveau, me force à m'asseoir. Je voulais parler: cela m'était impossible; je me jetais sur ses mains en les baignant de larmes, en les couvrant des caresses les plus emportées.

Doña Mencia me considère d'un air d'étonnement: elle suppose qu'il doit m'être arrivé quelque chose d'extraordinaire; elle appréhende même quelque dérangement dans ma raison. Tandis que son inquiétude, sa curiosité, sa bonté, sa tendresse, se peignent dans ses complaisances et dans ses regards, sa prévoyance a fait rassembler sous ma main ce qui peut soulager les besoins d'un voyageur fatigué par une route longue et pénible.

Les domestiques s'empressent à me servir. Je mouille mes lèvres par complaisance: mes regards distraits cherchent mon frère; alarmé de ne le pas voir: «Madame, dis-je, où est l'estimable don Juan?

—Il sera bien aise de savoir que vous êtes ici, puisqu'il vous avait écrit de vous y rendre; mais comme ses lettres, datées de Madrid, ne peuvent être parties que depuis quelques jours, nous ne vous attendions pas sitôt. Vous êtes colonel du régiment qu'il avait, et le roi vient de le nommer à une vice-royauté dans les Indes.

—Ciel! m'écriai-je, tout serait-il faux dans le songe affreux que je viens de faire? Mais il est impossible...

—De quel songe parlez-vous, Alvare?...

—Du plus long, du plus étonnant, du plus effrayantque l'on puisse faire. Alors, surmontant l'orgueil et la honte, je lui fais le détail de ce qui m'était arrivé depuis mon entrée dans la grotte de Portici, jusqu'au moment heureux où j'avais pu embrasser ses genoux.»

Cette femme respectable m'écoute avec une attention, une patience, une bonté extraordinaires. Comme je connaissais l'étendue de ma faute, elle vit qu'il était inutile de me l'exagérer.

«Mon cher fils, vous avez couru après les mensonges, et, dès le moment même vous en avez été environné. Jugez-en par la nouvelle de mon indisposition et du courroux de votre frère aîné. Berthe, à qui vous avez cru parler, est depuis quelque temps détenue au lit par une infirmité. Je ne songeai jamais à vous envoyer deux cents sequins au delà de votre pension. J'aurais craint, ou d'entretenir vos désordres, ou de vous y plonger par une libéralité mal entendue. L'honnête écuyer Pimientos est mort depuis huit mois. Et sur dix-huit cents clochers que possède peut-être M. le duc de Medina-Sidonia dans toutes les Espagnes, il n'a pas un pouce de terre à l'endroit que vous désignez: je le connais parfaitement, et vous aurez rêvé cette ferme et tous ses habitants.

—Ah! madame, repris-je, le muletier qui m'amène a vu cela comme moi. Il a dansé à la noce.»

Ma mère ordonne qu'on fasse venir le muletier, mais il avait dételé en arrivant, sans demander son salaire.

Cette fuite précipitée, qui ne laissait point de traces, jeta ma mère en quelques soupçons. «Nugnès, dit-elle à un page qui traversait l'appartement, allez dire au vénérable don Quebracuernos que mon fils Alvare et moi l'attendons ici.

C'est, poursuivit-elle, un docteur de Salamanque; il a ma confiance et la mérite: vous pouvez lui donner la vôtre. Il y a dans la fin de votre rêve une particularité qui m'embarrasse; don Quebracuernos connaît les termes, et définira ces choses beaucoup mieux que moi.»

Le vénérable docteur ne se fit pas attendre; il imposait, même avant de parler, par la gravité de son maintien. Ma mère me fit recommencer devant lui l'aveu sincère de mon étourderie et des suites qu'elle avait eues. Il m'écoutait avec une attention mêlée d'étonnement et sans m'interrompre. Lorsque j'eus achevé, après s'être un peu recueilli, il prit la parole en ces termes:

«Certainement, seigneur Alvare, vous venez d'échapperau plus grand péril auquel un homme puisse être exposé par sa faute. Vous avez provoqué l'esprit malin, et lui avez fourni, par une suite d'imprudences, tous les déguisements dont il avait besoin pour parvenir à vous tromper et à vous perdre. Votre aventure est bien extraordinaire; je n'ai rien lu de semblable dans laDémonomaniede Bodin, ni dans leMonde enchantéde Bekker. Et il faut convenir que depuis que ces grands hommes ont écrit, notre ennemi s'est prodigieusement raffiné sur la manière de former ses attaques, en profitant des ruses que les hommes du siècle emploient réciproquement pour se corrompre. Il copie la nature fidèlement et avec choix; il emploie la ressource des talents aimables, donne des fêtes bien entendues, fait parler aux passions leur plus séduisant langage; il imite même jusqu'à un certain point la vertu. Cela m'ouvre les yeux sur beaucoup de choses qui se passent; je vois d'ici bien des grottes plus dangereuses que celle de Portici, et une multitude d'obsédés qui malheureusement ne se doutent pas de l'être. A votre égard, en prenant des précautions sages pour le présent et pour l'avenir, je vous crois entièrement délivré. Votre ennemi s'est retiré, cela n'est pas équivoque. Il vous a séduit, il est vrai,mais il n'a pu parvenir à vous corrompre; vos intentions, vos remords vous ont préservé à l'aide des secours extraordinaires que vous avez reçus; ainsi son prétendu triomphe et votre défaite n'ont été pour vous et pour lui qu'uneillusiondont le repentir achèvera de vous laver. Quant à lui, une retraite forcée a été son partage; mais admirez comme il a su la couvrir, et laisser en partant le trouble dans votre esprit et des intelligences dans votre cœur pour pouvoir renouveler l'attaque, si vous lui en fournissez l'occasion. Après vous avoir ébloui autant que vous avez voulu l'être, contraint de se montrer à vous dans toute sa difformité, il obéit en esclave qui prémédite la révolte; il ne veut vous laisser aucune idée raisonnable et distincte, mêlant le grotesque au terrible, le puéril de ses escargots lumineux à la découverte effrayante deson horrible tête, enfin le mensonge à la vérité, le repos à la veille; de manière que votre esprit confus ne distingue rien, et que vous puissiez croire que la vision qui vous a frappé était moins l'effet de sa malice, qu'un rêve occasionné par les vapeurs de votre cerveau: mais il a soigneusement isolé l'idée de ce fantôme agréable dont il s'est longtemps servi pour vous égarer; il la rapprochera si vous le lui rendez possible. Je ne crois pas cependant que la barrière du cloître, ou de notre état, soit celle que vous deviez lui opposer. Votre vocation n'est point assez décidée; les gens instruits par leur expérience sont nécessaires dans le monde. Croyez-moi, formez des liens légitimes avec une personne du sexe; que votre respectable mère préside à votre choix: et dût celle que vous tiendrez de sa main avoir des grâces et des talents célestes, vous ne serez jamais tenté de la prendre pour le Diable.

Lorsque la première édition duDiable amoureuxparut, les lecteurs en trouvèrent le dénoûment trop brusque. Le plus grand nombre eût désiré que le héros tombât dans un piége couvert d'assez de fleurs pour qu'elles pussent lui sauver le désagrément de la chute. Enfin, l'imagination leur semblait avoir abandonné l'auteur, parvenu aux trois quarts de sa petite carrière; alors la vanité, qui ne veut rien perdre, suggéra à celui-ci, pour se venger du reproche de stérilité et justifier son propre goût, deréciter aux personnes de sa connaissance le roman en entier tel qu'il l'avait conçu dans le premier feu. Alvare y devenait la dupe de son ennemi, et l'ouvrage alors, divisé en deux parties, se terminait dans la première par cette fâcheuse catastrophe, dont la seconde partie développait les suites; d'obsédé qu'il était, Alvare, devenu possédé, n'était plus qu'un instrument entre les mains du Diable, dont celui-ci se servait pour mettre le désordre partout. Le canevas de cette seconde partie, en donnant beaucoup d'essor à l'imagination, ouvrait la carrière la plus étendue à la critique, au sarcasme, à la licence.

Sur ce récit, les avis se partagèrent; les uns prétendirent qu'on devait conduire Alvare jusqu'à la chute inclusivement, et s'arrêter là; les autres, qu'on ne devait pas en retrancher les conséquences.

On a cherché à concilier les idées des critiques dans cette nouvelle édition. Alvare y est dupe jusqu'à un certain point, mais sans être victime; son adversaire, pour le tromper, est réduit à se montrer honnête et presque prude, ce qui détruit les effets de son propre système, et rend son succès incomplet. Enfin, il arrive à sa victime ce qui pourrait arriver à un galant homme séduit par les plus honnêtes apparences; il aurait sans doute fait de certaines pertes,mais il sauverait l'honneur, si les circonstances de son aventure étaient connues.

On pressentira aisément les raisons qui ont fait supprimer la deuxième partie de l'ouvrage: si elle était susceptible d'une certaine espèce de comique aisé, piquant quoique forcé, elle présentait des idées noires, et il n'en faut pas offrir de cette espèce à une nation de qui l'on peut dire que, si le rire est un caractère distinctif de l'homme comme animal, c'est chez elle qu'il est le plus agréablement marqué. Elle n'a pas moins de grâces dans l'attendrissement; mais soit qu'on l'amuse ou qu'on l'intéresse, il faut ménager son beau naturel, et lui épargner les convulsions.

Le petit ouvrage que l'on donne aujourd'hui réimprimé et augmenté, quoique peu important, a eu dans le principe des motifs raisonnables, et son origine est assez noble pour qu'on ne doive en parler ici qu'avec les plus grands ménagements. Il fut inspiré par la lecture du passage d'un auteur infiniment respectable, dans lequel il est parlé des ruses que peut employer le Démon quand il veut plaire et séduire. On les a rassemblées autant qu'on a pu le faire, dans une allégorie où les principes sont aux prises avec les passions: l'âme est le champ de bataille;la curiosité engage l'action, l'allégorie est double, et les lecteurs s'en apercevront aisément.

On ne poursuivra pas l'explication plus loin: on se souvient qu'à vingt-cinq ans, en parcourant l'édition complète des œuvres du Tasse, on tomba sur un volume qui ne contenait que l'éclaircissement des allégories renfermées dans laJérusalem délivrée. On se garda bien de l'ouvrir. On était amoureux passionné d'Armide, d'Herminie, de Clorinde; on perdait des chimères trop agréables si ces princesses étaient réduites à n'être que de simples emblèmes.

Nous donnons ici le premier dénoûment, que l'auteur a changé, selon le compte qu'il en rend dans l'épilogue qui est à la fin de la nouvelle.

Après ces mots: «d'un gentilhomme enfin», il y avait:

Elle voulut insister, j'étais devenu inflexible. M'imputant le malheur des miens, j'eusse exposé ma tête à tous les risques, et eussé-je pu redouter des châtiments, j'étais déterminé à les affronter, à les souffrir, plutôt que de demeurer en proie aux remords qui déchiraient mon cœur.

C'était dans cette disposition que je m'avançais vers les murs qui m'avaient vu naître, et que je devais trouver bientôt remplis du deuil que j'y avais causé. Les mulets, quoique forts, ne marchaient pas assez vite au gré de mon impatience: «Fouette donc, malheureux, fouette!» disais-je au muletier. Il fouette; et, en effet, les mulets hâtent le pas.

Je découvrais déjà, mais d'assez loin, le sommet des tours du château; pour animer encore davantage les animaux qui me tirent, je les aiguillonne avec la pointe de mon épée; ils ruent, ils prennent le mors aux dents. Bientôt on ne les voit plus courir, ils volent. Le postillon, démonté, est jeté dans une ornière; les rênes, retombées en avant, ne peuvent plus être saisies par moi; je crie, je m'emporte; on s'effraye, on s'écarte, on fuit sur mon passage; enfin, je traverse comme un orage le village de Maravillas, et suis emporté à six lieues au delà, sans que rien mette obstacle à la force invincible qui entraîne ma voiture. Je me fusse précipité mille fois, si la rapidité du mouvement m'en eût laissé les moyens.

P. 291.Un nuage noir, dont le sommet représentait une sorte de chameau, s'élevait en l'air.(Fac-similede la gravure de la première édition.—Voir la note p.101.)

P. 291.Un nuage noir, dont le sommet représentait une sorte de chameau, s'élevait en l'air.(Fac-similede la gravure de la première édition.—Voir la note p.101.)

P. 291.

Un nuage noir, dont le sommet représentait une sorte de chameau, s'élevait en l'air.

(Fac-similede la gravure de la première édition.—Voir la note p.101.)

Las d'efforts, de tentatives de toute espèce, je me rassois. Je regarde Biondetta. Elle me semble plus tranquille qu'elle ne devait l'être, elle que j'avais vue susceptible de crainte pour de bien moindres raisons. Un trait de lumière m'éclaire: «Les événements m'instruisent, m'écriai-je,je suis obsédé.» Alors je la prends par un bouton de son habit de campagne: «Esprit malin, prononçai-je avec force,si tu n'es ici que pour m'écarter de mon devoir et m'entraîner dans le précipice d'où je t'ai témérairement tiré, rentres-y pour toujours.» A peine eus-je prononcé ces mots, elle disparut; et les mulets qui m'avaient emporté étant de même nature qu'elle, l'avaient suivie.

La calèche fait un mouvement extraordinaire; il m'enlève du siége, et je me vois au point d'en sortir. Je lève les yeux au ciel; un nuage noir s'élevait en l'air, le sommet représentait une énorme tête de chameau. Le vent, qui emportait cette vision avec la violence d'un ouragan, l'eut bientôt dissipée. En portant mes regards autour de moi, je vis que les mulets étaient évanouis, et que ma calèche, penchée vers la terre, portait sur ses brancards.

Je me trouvai seul dans une petite plaine aride écartée des chemins ordinaires. Mon premier mouvement fut de me prosterner pour rendre grâces de ma délivrance.

J'aperçois un hameau; j'y vais, j'y trouve des secours pour me faire conduire où je devais aller, mais sans demander de nouvelles, sans me faire reconnaître. J'étais absorbé dans ma douleur, et accablé de remords qui ne s'étaient jamais fait sentir aussi vivement.

J'arrive au château. J'osais à peine lever les yeux, ni les arrêter sur aucun objet. J'entends une voix: «C'est Alvare! c'est mon fils!» J'élève la vue, et reconnais ma mère...Au milieu de ces réflexions, etc.

Nous avons rapporté dans la Notice les paroles attribuées à Cazotte comme ayant été prononcées à l'occasion de son jugement,d'après le compte rendu rédigé par M. Bastien, l'éditeur de ses œuvres. Les termes de la phrase semblent impliquer qu'il reconnaissait la justesse de sa condamnation, soit en général, soit au point de vue de l'état de choses révolutionnaire. M. Scévole Cazotte, fils de l'illustre victime, nous a écrit pour protester contre cette rédaction, ainsi qu'il l'a fait à l'époque de la publication de M. Bastien. Les paroles de Cazotte furent au contraire empreintes du sentiment de son innocence et de l'horreur que lui inspirait le tribunal qui s'était attribué le droit de le juger. Nous croyons devoir citer un passage de la lettre de M. Scévole Cazotte qui fait honneur à la fermeté de ses convictions:

«Et moi aussi, je fus alors condamné, mais non saisi et exécuté, et M. de Nerval ne peut me refuser la conscience des sentiments qui, du cœur de mon père, avaient pénétré dans le mien. Eh bien, je lui rappellerai les paroles de l'Écossais Monrose (Mountross) à ses juges, lorsqu'on lui prononça la sentence qui le condamnait à la mort et à ce que son corps fût divisé en quatre quartiers, pour être exposé dans les quatre principales villes de l'Écosse:

Je regrette, répondit-il, qu'il ne puisse pas fournir assez de matière pour l'exposition dans toutes les grandes villes du monde, comme monument de ma fidélité à mon roi et aux lois séculaires de mon pays!

Et j'affirme à M. de Nerval que les sentiments de mon père et les miens étaient beaucoup plus près de ces paroles que de celles qui ont été citées par M. Bastien...

Ce 25 juillet 1845.

J. Scévole Cazotte.»

Corrections.La première ligne indique l'original, la seconde la correction:p.79:ils selèvent à mon approcheilsse lèventà mon approchep.214:uu déshabillé d'amazone:undéshabillé d'amazone:p.218:Je m'arracbe d'auprès de vousJem'arrached'auprès de vous

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