CHAPITRE XLILES OISEAUX DE MER.Voulez-vous aimer, vous aimez.Un lieu vous déplaît-il, vous allez dans un autre.(Deshoulières.)ILes Oiseaux sont fils de l’air, comme les Poissons fils de l’eau. Mais, parmi eux, une tribu considérable réclame ces deux éléments.Ceux-ci, ditsaquatiques, habitent en familles nombreuses au milieu de la mer et sur ses rives, sur les lacs et sur les fleuves.Les Oiseaux qui fréquentent, soit exclusivement, soit ordinairement, l’eau salée, sont appelésmarinsoupélagiens. Ils composent, suivant Charles Bonaparte, la quatorzième partie de tous les Oiseaux du globe[261].Les Oiseaux aquatiques offrent généralement des pattes avec les doigts réunis par des membranes, ce qui les a fait nommerPalmésouPalmipèdes. Cette structure existe chez presque toutes les espèces marines.Les pieds palmés forment comme deux petites rames légères, admirables pour naviguer.Ordinairement, les membranes unissent seulement les trois doigts antérieurs, celui de derrière restant libre; d’où il résulte une palette triangulaire à trois nervures (Canards,Pétrels). Mais, dans quelques espèces (Cormorans,Pélicans), les doigts de devant et le postérieur sont tous unis. Ils composent ainsi une rame beaucoup plus grande que celle des Palmipèdes proprement dits; laquelle n’est plus triangulaire, mais en forme de trapèze.PATTES D’OISEAUX PALMIPÈDES.Les rames des Oiseaux sont d’autant plus commodes, qu’il n’est pas besoin, comme pour les rames ordinaires, de les sortir de l’eau à chaque coup; il suffit que les doigts se rapprochent pour que la patte puisse, presque sans effort, être ramenée en avant. Là les doigts s’écartent de nouveau, la membrane s’étend, et la palette se reforme pour frapper le liquide une seconde fois.IILes Oiseaux marins pourraient être rangés géographiquement en quatre groupes:1oLesVoiliers(ouLongipennes), tels que lesAlbatrosetlesPétrels, qui fréquentent la haute mer. On les rencontre à des distances inouïes de toute terre; ils s’approchent rarement du rivage.2oLesMaritimes ordinaires, tels que lesMouetteset les Fous, qui s’avancent assez loin du rivage, mais qui reviennent, chaque soir, vers les îles ou vers la terre ferme.3oLesRiverains, tels que lesCanardset lesHarles, qui s’écartent très-peu des côtes, et semblent même préférer à la mer les étangs, les marais et les embouchures des cours d’eau.4oLesNageurs, tels que lesPingouinset lesManchots, qui se tiennent aussi à une faible distance du rivage. Ceux-ci sont privés de la faculté de voler, mais ils nagent et plongent d’une manière merveilleuse.IIINous ne connaissons pas d’Oiseaux qui représentent mieux la grande tribu des Palmipèdes que lesGoëlands.Parmi ceux-ci, on pourrait regarder comme type principal leGoëland argenté[262], si commun dans les mers du Nord.Ce bel Oiseau est de la taille d’une Corneille, mais il a des ailes plus longues et plus effilées. Son corps paraît bien pris, ni trop massif, ni trop élancé. Il porte un manteau uniforme, d’un cendré clair, légèrement bleuâtre. Les extrémités de ses ailes sont de velours noir, avec des pointes d’un blanc de neige. Sa tête présente des yeux d’un jaune pâle (ce qui ne les empêche pas d’être expressifs), et un bec robuste couleur d’ocre, avec une tache de corail à l’angle inférieur. Les pieds sont couleur de chair un peu grisâtre.GOËLAND A MANTEAU GRIS(Larus argentatusBrünnich).Ce Goëland est défiant et farouche, cependant on l’apprivoise avec facilité. Il tient la tête haute, un peu ramenée en arrière, et la gorge légèrement renflée, ce qui lui donne un air d’importance, moins caractérisé, toutefois, que celui des Canards. Tantôt il se couche doucement et paresseusement sur le sable, au soleil, les yeux demi-fermés ou fixéssur la mer, dans la situation d’une Poule sur ses œufs, ou bien les ailes à moitié ouvertes, écartées, pendantes, comme une Perdrix sur ses poussins; tantôt il se redresse sur un pied, cachant l’autre dans son duvet, et demeure des heures entières immobile, muet, méditatif, semblable à un Échassier à pattes courtes qui digère son repas.Quand le Goëland argenté marche, il a de l’assurance et de la dignité; mais il ne se dandine pas. Il court assez vite. Lorsqu’il nage, il fend l’eau avec lenteur. Il plonge rarement et péniblement: on voit qu’il n’a pas l’habitude d’aller chercher sa proie au fond de l’eau.Son vol est ferme et soutenu; il le dirige en ligne droite par des battements d’ailes énergiques et fréquents, avec des balancements légers et onduleux qui ajoutent à sa grâce sans rien ôter à sa rapidité.IVLes Oiseaux palmipèdes aiment en général les grands balancements de la mer et le fracas des tempêtes. Ils semblent plus rares dans les beaux temps ou plus difficiles à approcher. On dirait que l’agitation des vagues est nécessaire pour leur fournir plus aisément les Mollusques et les Poissons qui font leur nourriture, et que, dans les grandes perturbations de l’atmosphère, ils ont un plaisir instinctif particulier à lutter contre les ouragans et à se jouer des flots en courroux. (Lesson.)Les ailes blanches des Mouettes et des Hirondelles de mer, quand ces oiseaux se jouent au milieu d’une tourmente, produisent un admirable contraste avec les nuages noirs qui obscurcissent l’horizon.ALBATROS MOUTON(Diomedea exulansLinné).Les Oiseaux marins varient beaucoup pour la taille. Le plus grand est l’Albatros, surnomméMouton du CapouVaisseau de guerre, qui offre une envergure de 4 mètres environ. Le plus petit est l’Oiseau de tempête, qui atteint à peine la taille du Moineau. L’Albatros est le géant des Palmipèdes, l’Oiseau de tempête en est le nain.OISEAU DE TEMPÊTE(Thalassidroma pelagicaTemminck).Les Oiseaux grands voiliers ont un corps élancé, des aileseffilées et une longue queue. Ils sont organisés pour le vol de longue haleine. Mais les nageurs présentent un corps trapu, des ailes réduites à des moignons et une queue rudimentaire. Tous portent un plumage serré, garni de duvet et enduit d’une humeur huileuse qui le protége contre l’eau.VLes Palmipèdes se nourrissent de substances végétales, de Mollusques et de Poissons.Nos pêcheurs se réjouissent à la vue duStercoraire parasite[263]; il leur décèle les grandes colonnes de Harengs, qu’il accompagne ou qu’il poursuit.Les Goëlands et les Pétrels se précipitent sur les Cachalots et sur les Dauphins échoués, et leur arrachent des lambeaux de chair huileuse.Les Albatros, ces vautours de l’Océan, sentent une Baleine morte d’une distance vraiment considérable.Les Canards ont le bec garni sur les bords de cannelures parallèles, admirablement disposées pour permettre à l’oiseau, lorsqu’il barbote, de cribler les matières dont il veut faire son repas. Ce bec est aplati comme une pelle, avec une mandibule inférieure en forme de cuiller. Il semble frapper l’eau.TÊTE DE HARLE(Mergus serratorLinné).LesHarles, intrépides pêcheurs, cousins germains des Canards, présentent à la marge de leurs mandibules des dentelures très-pointues, à l’aide desquelles ils retiennent solidement les pauvres poissons. Ces dentelures sont dirigées d’avant en arrière, de manière que la proie ne peutpas s’échapper de la pince vivante qui la retient, mais peut être dirigée facilement vers le gosier.Les Goëlands ont l’extrémité du bec courbée en crochet. Ils frappent et harponnent avec cette arme toujours aiguisée les animaux marins les plus glissants. Ils s’élancent le plus souvent entre deux vagues avec la rapidité d’une flèche, et reparaissent au bout d’un instant, tenant au bec quelque animal.LesHirondelles de mer fuligineuses[264]ne plongent jamais la tête en bas et verticalement, comme les autres piscivores, mais passent au-dessus des animaux marins en décrivant une courbe et les enlevant avec dextérité. On les voit planer dans le sillage de quelque Marsouin, tandis que ce dernier poursuit sa proie, et à l’instant où, faisant jaillir les ondes, le Cétacé amène à la surface le fretin épouvanté, l’oiseau se précipite dans l’eau bouillonnante et emporte en passant un ou deux petits poissons. (Audubon.)LeBec-en-ciseauxpossède des mandibules comprimées et tranchantes, disposées comme les branches d’une paire de ciseaux. L’oiseau rase la surface de la mer, et coupe en deux la proie qu’il peut atteindre.TÊTE DE BEC-EN-CISEAUX(Rhynchops nigraLinné).LesPélicansoffrent au-dessous du bec un sac de peau singulièrement extensible. Ils le remplissent de poissons, qu’ils apportent à leurs petits.M. Nordmann raconte, dans saFaune de la mer Noire,que les Pélicans, très-nombreux dans l’Orient, font souvent des pêches en commun sur les lacs qui avoisinent cette mer.PELICAN BLANC(Pelecanus onocrotalusLinné).«C’est ordinairement, dit-il, dans les heures de la matinée ou le soir que ces oiseaux se réunissent dans ce but, procédant d’après un plan systématique qui est apparemment le résultat d’une espèce de convention. Après avoir choisi un endroit convenable, une baie où l’eau soit basse et le fond lisse, ils se placent tout autour, en formant un grand croissant ou un fer à cheval. La distance d’un oiseau à un autre semble être mesurée; elle équivaut à son envergure (3 à 4 mètres). En battant fréquemment la surface de l’eau avec leurs ailes déployées et en plongeant de temps en temps avec la moitié du corps, le cou tendu en avant, les Pélicans s’approchent lentement durivage, jusqu’à ce que les poissons réunis de la sorte se trouvent enfermés dans un espace étroit. Alors commence le repas commun.»Outre les quarante-neuf Pélicans dont la compagnie se composait ce jour-là , il s’était rassemblé sur les tas d’ulves, de conferves et de coquilles rejetées par les vagues et amoncelées sur le rivage, des centaines de Mouettes, d’Hirondelles de mer, de Choucas, qui se préparaient à happer les poissons chassés hors de l’eau et à partager entre eux les restes du repas. Enfin, plusieurs Grèbes, de la petite et de la moyenne espèce, nageant dans l’espace circonscrit par le demi-cercle, tant que cet espace fut encore assez grand, prirent, eux aussi, leur part du festin, en plongeant fréquemment après les poissons effrayés et étourdis.»Quand tous furent rassasiés, la compagnie entière se rassembla sur le rivage pour attendre le commencement de la digestion. Les Pélicans lustraient leur plumage, recourbaient le cou pour le laisser reposer sur le dos, et faisaient ainsi, à côté des petites et frêles Mouettes, l’effet de colosses informes. Leur troupe se composait d’oiseaux de différents âges; il y en avait de tout blancs, de bigarrés et de gris. De temps en temps quelqu’un de ces oiseaux vidait sa poche bien garnie, en étendait le contenu devant lui, et se plaisait à le contempler. Les poissons qui se débattaient encore avaient bientôt la tête écrasée d’un coup de bec.»LesCormoransont une gibecière du même genre que celle des Pélicans, mais beaucoup moins développée. Les Chinois élèvent ces animaux et les emploient comme pêcheurs. Ils leur passent au cou un anneau étroit pour les empêcher d’avaler les proies qu’ils ont saisies. Maisquand l’oiseau a travaillé quelque temps pour son maître, celui-ci enlève le collier, et permet au Cormoran de pêcher pour son propre compte.Certains Oiseaux de mer, qui ne possèdent ni bec tranchant, ni gibecière gutturale, et qui se nourrissent de coquillages operculés et solidement barricadés, ont l’instinct de les porter dans les hauteurs de l’atmosphère, et de les laisser tomber sur un rocher pour briser leur enveloppe.LesPétrels, qui ne mangent guère que des poissons, sont tellement huileux, que les habitants des îles Feroë tuent ces oiseaux, leur passent une mèche à travers le corps, l’allument, et se servent du Palmipède comme d’une lampe.Du reste, beaucoup d’Oiseaux piscivores sont chargés d’une graisse peu consistante, qu’ils doivent à leur genre de nourriture. A cause de cette circonstance, certains d’entre eux ont été nommésPingouins, mot dérivé du latinpinguis(gras, huileux).Sur les côtes de la Patagonie, où lesManchotssont abondants, on prend ces oiseaux, on les écorche, et l’on fait de l’huile avec leur peau. Cette enveloppe, doublée d’une couche de graisse plus ou moins forte, est soumise à l’action d’une presse, qui ne laisse d’autre résidu que le derme et le duvet. On retire un demi-litre d’huile de chaque animal. Il faut 2000 Manchots pour remplir un tonneau.Quand on saisit unFulmar[265], il vomit une huile couleur d’ambre, qui est regardée par les habitants de Saint-Kilda comme un bon remède dans plusieurs maladies extérieures,surtout dans le rhumatisme. On brûle aussi cette huile. La meilleure est produite par les vieux oiseaux.On surprend les Fulmars pendant la nuit. On leur presse le bec, et on leur fait rendre environ deux cuillerées d’huile. (L. Wraxall.)Ce sont les Oiseaux marins qui produisent cette matière précieuse appeléeguano, ou, pour mieux dire,huanu, si recherchée par les agriculteurs.Le guano[266]est un amas d’excréments déposés au sein de la mer, sur des rochers ou sur des îles. On a calculé qu’un Palmipède de taille moyenne en fournit à peu près 25 grammes par jour. Or, sur certains rochers, on trouve des couches de guano offrant jusqu’à 30 mètres d’épaisseur. Il a donc fallu des centaines d’années et des milliers d’oiseaux pour former ces dépôts. (Boussingault.)L’île de Cincha, près du Pérou, à 100 milles au sud de Calao, est un des endroits les plus riches en guano. Les couches supérieures de cette matière sont d’un brun grisâtre, et les couches intérieures couleur de rouille. La dureté du guano est d’autant plus grande, qu’il est situé plus profondément.Les Oiseaux producteurs du guano sont surtout leFou varié[267], leGoëland modeste[268], l’Anhinga[269], leBec-en-ciseaux,lePélican thagus, leCormoran de Gaimard[270], et leCormoran de Bougainville[271].VILa voix des Oiseaux marins n’est jamais douce et harmonieuse comme celle de plusieurs oiseaux terrestres. Elle est nasillarde et retentissante, et tient souvent du rauque ou du lugubre. Cependant les Goëlands et les Mouettes jettent des cris aigus qui dominent le bruit dela tempête. Certains Canards rendent une clangueur perçante comme celle du clairon.CANARD MACREUSE(Anas nigraLinné).Quelques Palmipèdes, dont la trachée est grande et recourbée, imitent plus exactement le son de la trompette.Il y a des Oiseaux pélagiens qui semblent pleurer comme de petits enfants, ou ricaner comme de vieilles femmes.Les Grecs avaient désigné lePélican[272]sous le nom d’Onocrotale(cri de l’âne), parce que cet oiseau semble braire.PINGOUIN COMMUN(Alca tordaLinné).LesPingouinsont un croassement tout aussi grave et tout aussi désagréable. Lesson dit que, dans l’île de Falkland, le soir, au coucher du soleil, tous les Pingouins poussaient ensemble, à gorge déployée, un immense cri, qui retentissait au loin comme les clameurs d’une armée en révolte.Un observateur très-original, habitant d’un port de mer, a étudié pendant huit ans la langue duPierre-garin[273].Il en a composé le dictionnaire, prenant pour modèle le travail de Dupont de Nemours sur la langue du Corbeau. Il a distingué cinquante mots exprimant chacun, suivant lui, une idée particulière:Ici... là ... en avant... en arrière... à droite... à gauche... plus vite... plus lentement... halte... garde à vous... nourriture... danger... Je t’aime... moi de même... méchant... marions-nous... quel bonheur... un nid... nos œufs... couvons... nos petits... Maman... papa... j’ai faim... Tais-toi...Voici le commencement de ce dictionnaire:Kia, kié, kii, kioi, kioui. Djia, djié, djii, djioi, djioui. Tsia, tsié, tsii, tsioi, tsioui....VIILes Oiseaux pélagiens ont souvent des pattes courtes, attachées plus ou moins en arrière; ils marchent avec mauvaise grâce et en se balançant; plusieurs semblent boiteux.Les Nageurs se tiennent redressés sur leurs pattes de derrière et presque verticaux. LesManchots, vus de loin sur la plage, semblent assis sur leur croupion: on dirait des enfants de chœur en camail (Pernetty). D’autres se traînent péniblement sur le sable, rampant presque à plat ventre. Ils se servent quelquefois de leurs ailerons en guise de pattes, ce qui les convertit momentanément en quadrupèdes.Quelques espèces aiment à s’arrêter sur les vagues. LePétrel damier, ainsi nommé à cause de son dos bigarré de blanc et de noir, se repose habituellement dans le sillage des navires, où le remous lui apporte de nombreux petits mollusques. Le nom dePétrel, qui signifiepetit Pierre,fait allusion au miracle de saint Pierre marchant sur les eaux.Les Palmipèdes savent nager avec autant d’élégance que de facilité.MANCHOT DE PATAGONIE(Aptenodytes patagonicaGmelin).Les Canards et les Harles se balancent avec grâce à la surface des eaux, et se jouent avec tranquillité au milieu des flots les plus rapides. Ces oiseaux ont le corps taillé comme la carène d’un navire; leurs pattes, comme on l’a vu plus haut, servent de rames, et leurs ailes demi-déployées représentent les voiles de ce petit vaisseau vivant.Les espèces privées de la faculté de voler sont les plus habiles dans l’art de nager et de plonger. Leurs ailes,plus ou moins courtes, fonctionnent comme des nageoires, de manière que l’oiseau possède quatre rames, deux en avant et deux en arrière, exactement comme un poisson.Suivant leurs besoins, ces oiseaux s’élèvent ou s’enfoncent dans le liquide. Ils voguent généralement la tête en l’air. Les Pingouins s’élancent par bonds, à la manière des Bonites.PÉTREL DAMIER(Procellaria capensisLatham).Mais le vol constitue la fonction principale des Oiseaux. L’atmosphère est pour eux ce que l’Océan est pour les Poissons. La natation et le vol, dit Lacépède, ne sont, pour ainsi dire, que le même acte exécuté dans des fluides différents. L’Oiseau nage dans l’atmosphère et le Poisson vole dans l’eau (Virey).Ce sont surtout les Longipennes et les Maritimes ordinaires qui excellent à voler.LesHirondelles de mer, agiles et vagabondes, légères comme le vent, savent planer, cingler, plonger dans l’air, selon la proie qui les attire, l’ennemi qui les poursuit ou la gaieté qui les emporte (Buffon). Rivales des Hirondellesdomestiques, elles parcourent comme elles les régions de l’atmosphère, et dans tous les sens, comme pour en jouir dans tous les détails. Toujours maîtresses de leur vol, elles semblent décrire au milieu des airs un dédale mobile et fugitif, dont les routes se croisent, s’entrelacent, se heurtent, se roulent, montent, descendent, se perdent et reparaissent pour se croiser et se rebrouiller de nouveau. (Montbeillard.)HIRONDELLE DE MER(Sterna hirundoLinné).LesFrégates[274]sont peut-être, de tous les oiseaux, ceux dont le vol est le plus puissant et le plus fier. Elles se tiennent dans les régions les plus élevées de l’atmosphère; elles se précipitent comme une flèche et se balancent comme une nacelle, tantôt résistant à la puissance du vent le plus violent, et tantôt se laissant emporter par la plus légère brise.Elles pêchent mal, mais elles remplacent la maladresse par l’audace. Elles suivent et persécutent les Mouettes qui ont pris quelque animal, leur font rendre gorge, et saisissentprestement la proie dans sa chute, avant qu’elle soit arrivée à l’eau.Audubon observa un jour une Frégate qui venait d’enlever un assez gros poisson à une Hirondelle de mer. L’oiseau emportait sa victime en travers du bec. Il la jeta en l’air, pour l’avaler la tête la première. Il la reprit comme elle tombait, mais par la queue. Il la lâcha une seconde fois, et la rattrapa encore par la queue. Le poids de la tête en était la cause. La Frégate recommença une troisième fois. Le poisson fut enfin reçu comme il fallait, la tête en bas, et avalé sur-le-champ.Les Albatros ou les Frégates qui ont saisi dans l’air un malheureux Poisson volant, regagnent aussitôt les hautes régions de l’atmosphère. Mais, souvent, plusieurs maraudeurs de leur espèce, qui les guettaient, les suivent au milieu des nuages, s’en approchent, les harcèlent. C’est à qui leur ravira leur proie. L’un d’eux s’en empare; un autre l’a déjà reprise, mais la bande entière est à ses trousses. L’infortuné poisson, ballotté de bec en bec, meurtri, mourant, finit par tomber et par disparaître sous les flots. Cruel désappointement pour tous ces ventres affamés! (Audubon.)LeStercoraire parasite, vrai forban de l’air, fait aussi la chasse aux espèces plus petites et plus faibles que lui, leur donne des coups de bec, les force à vomir une partie de leur repas, et se précipite sur cette proie dégoûtante.Le vol desPhaétons, ouPailles-en-queue, est calme, paisible et composé de battements d’ailes fréquents, parfois interrompus par des sortes de chutes ou des mouvements brusques. (Lesson.)Ces oiseaux défient la furie des orages; au milieu des tempêtes les plus horribles, ils conservent leur sang-froid.Tranquilles et contents, ils s’élèvent avec la lame, et redescendent avec elle dans l’abîme.Les Phaétons voyagent à plus de cinq cents lieues en mer, et peuvent regagner, chaque soir, les îles ou les récifs qui leur servent de refuge. Du reste, ils s’arrêtent à peine le temps nécessaire pour dormir. Ils semblent faits pour voler, voler, toujours voler.....STERCORAIRE PARASITE EN CHASSE.Les Oiseaux de mer sont en général pour les navigateurs les indices de la terre. Les vieux matelots interprètent leur apparition et se trompent rarement. Le Pétrel damier leurannonce le voisinage du cap de Bonne-Espérance; le Paille-en-queue leur apprend qu’ils sont sous les tropiques; les Frégates, les Mouettes et les Hirondelles de mer leur prédisent, par la direction et la hauteur de leur vol, le beau temps, l’agitation des flots ou l’arrivée de la tempête.PAILLE-EN-QUEUE PHAÉTON(Phaeton phœnicurusLatham).Le livre de la Nature est une source féconde d’instruction!
CHAPITRE XLILES OISEAUX DE MER.Voulez-vous aimer, vous aimez.Un lieu vous déplaît-il, vous allez dans un autre.(Deshoulières.)I
Voulez-vous aimer, vous aimez.Un lieu vous déplaît-il, vous allez dans un autre.(Deshoulières.)
Voulez-vous aimer, vous aimez.Un lieu vous déplaît-il, vous allez dans un autre.
(Deshoulières.)
I
Les Oiseaux sont fils de l’air, comme les Poissons fils de l’eau. Mais, parmi eux, une tribu considérable réclame ces deux éléments.
Ceux-ci, ditsaquatiques, habitent en familles nombreuses au milieu de la mer et sur ses rives, sur les lacs et sur les fleuves.
Les Oiseaux qui fréquentent, soit exclusivement, soit ordinairement, l’eau salée, sont appelésmarinsoupélagiens. Ils composent, suivant Charles Bonaparte, la quatorzième partie de tous les Oiseaux du globe[261].
Les Oiseaux aquatiques offrent généralement des pattes avec les doigts réunis par des membranes, ce qui les a fait nommerPalmésouPalmipèdes. Cette structure existe chez presque toutes les espèces marines.
Les pieds palmés forment comme deux petites rames légères, admirables pour naviguer.
Ordinairement, les membranes unissent seulement les trois doigts antérieurs, celui de derrière restant libre; d’où il résulte une palette triangulaire à trois nervures (Canards,Pétrels). Mais, dans quelques espèces (Cormorans,Pélicans), les doigts de devant et le postérieur sont tous unis. Ils composent ainsi une rame beaucoup plus grande que celle des Palmipèdes proprement dits; laquelle n’est plus triangulaire, mais en forme de trapèze.
PATTES D’OISEAUX PALMIPÈDES.
PATTES D’OISEAUX PALMIPÈDES.
PATTES D’OISEAUX PALMIPÈDES.
Les rames des Oiseaux sont d’autant plus commodes, qu’il n’est pas besoin, comme pour les rames ordinaires, de les sortir de l’eau à chaque coup; il suffit que les doigts se rapprochent pour que la patte puisse, presque sans effort, être ramenée en avant. Là les doigts s’écartent de nouveau, la membrane s’étend, et la palette se reforme pour frapper le liquide une seconde fois.
II
Les Oiseaux marins pourraient être rangés géographiquement en quatre groupes:
1oLesVoiliers(ouLongipennes), tels que lesAlbatrosetlesPétrels, qui fréquentent la haute mer. On les rencontre à des distances inouïes de toute terre; ils s’approchent rarement du rivage.
2oLesMaritimes ordinaires, tels que lesMouetteset les Fous, qui s’avancent assez loin du rivage, mais qui reviennent, chaque soir, vers les îles ou vers la terre ferme.
3oLesRiverains, tels que lesCanardset lesHarles, qui s’écartent très-peu des côtes, et semblent même préférer à la mer les étangs, les marais et les embouchures des cours d’eau.
4oLesNageurs, tels que lesPingouinset lesManchots, qui se tiennent aussi à une faible distance du rivage. Ceux-ci sont privés de la faculté de voler, mais ils nagent et plongent d’une manière merveilleuse.
III
Nous ne connaissons pas d’Oiseaux qui représentent mieux la grande tribu des Palmipèdes que lesGoëlands.
Parmi ceux-ci, on pourrait regarder comme type principal leGoëland argenté[262], si commun dans les mers du Nord.
Ce bel Oiseau est de la taille d’une Corneille, mais il a des ailes plus longues et plus effilées. Son corps paraît bien pris, ni trop massif, ni trop élancé. Il porte un manteau uniforme, d’un cendré clair, légèrement bleuâtre. Les extrémités de ses ailes sont de velours noir, avec des pointes d’un blanc de neige. Sa tête présente des yeux d’un jaune pâle (ce qui ne les empêche pas d’être expressifs), et un bec robuste couleur d’ocre, avec une tache de corail à l’angle inférieur. Les pieds sont couleur de chair un peu grisâtre.
GOËLAND A MANTEAU GRIS(Larus argentatusBrünnich).
GOËLAND A MANTEAU GRIS(Larus argentatusBrünnich).
GOËLAND A MANTEAU GRIS(Larus argentatusBrünnich).
Ce Goëland est défiant et farouche, cependant on l’apprivoise avec facilité. Il tient la tête haute, un peu ramenée en arrière, et la gorge légèrement renflée, ce qui lui donne un air d’importance, moins caractérisé, toutefois, que celui des Canards. Tantôt il se couche doucement et paresseusement sur le sable, au soleil, les yeux demi-fermés ou fixéssur la mer, dans la situation d’une Poule sur ses œufs, ou bien les ailes à moitié ouvertes, écartées, pendantes, comme une Perdrix sur ses poussins; tantôt il se redresse sur un pied, cachant l’autre dans son duvet, et demeure des heures entières immobile, muet, méditatif, semblable à un Échassier à pattes courtes qui digère son repas.
Quand le Goëland argenté marche, il a de l’assurance et de la dignité; mais il ne se dandine pas. Il court assez vite. Lorsqu’il nage, il fend l’eau avec lenteur. Il plonge rarement et péniblement: on voit qu’il n’a pas l’habitude d’aller chercher sa proie au fond de l’eau.
Son vol est ferme et soutenu; il le dirige en ligne droite par des battements d’ailes énergiques et fréquents, avec des balancements légers et onduleux qui ajoutent à sa grâce sans rien ôter à sa rapidité.
IV
Les Oiseaux palmipèdes aiment en général les grands balancements de la mer et le fracas des tempêtes. Ils semblent plus rares dans les beaux temps ou plus difficiles à approcher. On dirait que l’agitation des vagues est nécessaire pour leur fournir plus aisément les Mollusques et les Poissons qui font leur nourriture, et que, dans les grandes perturbations de l’atmosphère, ils ont un plaisir instinctif particulier à lutter contre les ouragans et à se jouer des flots en courroux. (Lesson.)
Les ailes blanches des Mouettes et des Hirondelles de mer, quand ces oiseaux se jouent au milieu d’une tourmente, produisent un admirable contraste avec les nuages noirs qui obscurcissent l’horizon.
ALBATROS MOUTON(Diomedea exulansLinné).
ALBATROS MOUTON(Diomedea exulansLinné).
ALBATROS MOUTON(Diomedea exulansLinné).
Les Oiseaux marins varient beaucoup pour la taille. Le plus grand est l’Albatros, surnomméMouton du CapouVaisseau de guerre, qui offre une envergure de 4 mètres environ. Le plus petit est l’Oiseau de tempête, qui atteint à peine la taille du Moineau. L’Albatros est le géant des Palmipèdes, l’Oiseau de tempête en est le nain.
OISEAU DE TEMPÊTE(Thalassidroma pelagicaTemminck).
OISEAU DE TEMPÊTE(Thalassidroma pelagicaTemminck).
OISEAU DE TEMPÊTE(Thalassidroma pelagicaTemminck).
Les Oiseaux grands voiliers ont un corps élancé, des aileseffilées et une longue queue. Ils sont organisés pour le vol de longue haleine. Mais les nageurs présentent un corps trapu, des ailes réduites à des moignons et une queue rudimentaire. Tous portent un plumage serré, garni de duvet et enduit d’une humeur huileuse qui le protége contre l’eau.
V
Les Palmipèdes se nourrissent de substances végétales, de Mollusques et de Poissons.
Nos pêcheurs se réjouissent à la vue duStercoraire parasite[263]; il leur décèle les grandes colonnes de Harengs, qu’il accompagne ou qu’il poursuit.
Les Goëlands et les Pétrels se précipitent sur les Cachalots et sur les Dauphins échoués, et leur arrachent des lambeaux de chair huileuse.
Les Albatros, ces vautours de l’Océan, sentent une Baleine morte d’une distance vraiment considérable.
Les Canards ont le bec garni sur les bords de cannelures parallèles, admirablement disposées pour permettre à l’oiseau, lorsqu’il barbote, de cribler les matières dont il veut faire son repas. Ce bec est aplati comme une pelle, avec une mandibule inférieure en forme de cuiller. Il semble frapper l’eau.
TÊTE DE HARLE(Mergus serratorLinné).
TÊTE DE HARLE(Mergus serratorLinné).
TÊTE DE HARLE(Mergus serratorLinné).
LesHarles, intrépides pêcheurs, cousins germains des Canards, présentent à la marge de leurs mandibules des dentelures très-pointues, à l’aide desquelles ils retiennent solidement les pauvres poissons. Ces dentelures sont dirigées d’avant en arrière, de manière que la proie ne peutpas s’échapper de la pince vivante qui la retient, mais peut être dirigée facilement vers le gosier.
Les Goëlands ont l’extrémité du bec courbée en crochet. Ils frappent et harponnent avec cette arme toujours aiguisée les animaux marins les plus glissants. Ils s’élancent le plus souvent entre deux vagues avec la rapidité d’une flèche, et reparaissent au bout d’un instant, tenant au bec quelque animal.
LesHirondelles de mer fuligineuses[264]ne plongent jamais la tête en bas et verticalement, comme les autres piscivores, mais passent au-dessus des animaux marins en décrivant une courbe et les enlevant avec dextérité. On les voit planer dans le sillage de quelque Marsouin, tandis que ce dernier poursuit sa proie, et à l’instant où, faisant jaillir les ondes, le Cétacé amène à la surface le fretin épouvanté, l’oiseau se précipite dans l’eau bouillonnante et emporte en passant un ou deux petits poissons. (Audubon.)
LeBec-en-ciseauxpossède des mandibules comprimées et tranchantes, disposées comme les branches d’une paire de ciseaux. L’oiseau rase la surface de la mer, et coupe en deux la proie qu’il peut atteindre.
TÊTE DE BEC-EN-CISEAUX(Rhynchops nigraLinné).
TÊTE DE BEC-EN-CISEAUX(Rhynchops nigraLinné).
TÊTE DE BEC-EN-CISEAUX(Rhynchops nigraLinné).
LesPélicansoffrent au-dessous du bec un sac de peau singulièrement extensible. Ils le remplissent de poissons, qu’ils apportent à leurs petits.
M. Nordmann raconte, dans saFaune de la mer Noire,que les Pélicans, très-nombreux dans l’Orient, font souvent des pêches en commun sur les lacs qui avoisinent cette mer.
PELICAN BLANC(Pelecanus onocrotalusLinné).
PELICAN BLANC(Pelecanus onocrotalusLinné).
PELICAN BLANC(Pelecanus onocrotalusLinné).
«C’est ordinairement, dit-il, dans les heures de la matinée ou le soir que ces oiseaux se réunissent dans ce but, procédant d’après un plan systématique qui est apparemment le résultat d’une espèce de convention. Après avoir choisi un endroit convenable, une baie où l’eau soit basse et le fond lisse, ils se placent tout autour, en formant un grand croissant ou un fer à cheval. La distance d’un oiseau à un autre semble être mesurée; elle équivaut à son envergure (3 à 4 mètres). En battant fréquemment la surface de l’eau avec leurs ailes déployées et en plongeant de temps en temps avec la moitié du corps, le cou tendu en avant, les Pélicans s’approchent lentement durivage, jusqu’à ce que les poissons réunis de la sorte se trouvent enfermés dans un espace étroit. Alors commence le repas commun.
»Outre les quarante-neuf Pélicans dont la compagnie se composait ce jour-là , il s’était rassemblé sur les tas d’ulves, de conferves et de coquilles rejetées par les vagues et amoncelées sur le rivage, des centaines de Mouettes, d’Hirondelles de mer, de Choucas, qui se préparaient à happer les poissons chassés hors de l’eau et à partager entre eux les restes du repas. Enfin, plusieurs Grèbes, de la petite et de la moyenne espèce, nageant dans l’espace circonscrit par le demi-cercle, tant que cet espace fut encore assez grand, prirent, eux aussi, leur part du festin, en plongeant fréquemment après les poissons effrayés et étourdis.
»Quand tous furent rassasiés, la compagnie entière se rassembla sur le rivage pour attendre le commencement de la digestion. Les Pélicans lustraient leur plumage, recourbaient le cou pour le laisser reposer sur le dos, et faisaient ainsi, à côté des petites et frêles Mouettes, l’effet de colosses informes. Leur troupe se composait d’oiseaux de différents âges; il y en avait de tout blancs, de bigarrés et de gris. De temps en temps quelqu’un de ces oiseaux vidait sa poche bien garnie, en étendait le contenu devant lui, et se plaisait à le contempler. Les poissons qui se débattaient encore avaient bientôt la tête écrasée d’un coup de bec.»
LesCormoransont une gibecière du même genre que celle des Pélicans, mais beaucoup moins développée. Les Chinois élèvent ces animaux et les emploient comme pêcheurs. Ils leur passent au cou un anneau étroit pour les empêcher d’avaler les proies qu’ils ont saisies. Maisquand l’oiseau a travaillé quelque temps pour son maître, celui-ci enlève le collier, et permet au Cormoran de pêcher pour son propre compte.
Certains Oiseaux de mer, qui ne possèdent ni bec tranchant, ni gibecière gutturale, et qui se nourrissent de coquillages operculés et solidement barricadés, ont l’instinct de les porter dans les hauteurs de l’atmosphère, et de les laisser tomber sur un rocher pour briser leur enveloppe.
LesPétrels, qui ne mangent guère que des poissons, sont tellement huileux, que les habitants des îles Feroë tuent ces oiseaux, leur passent une mèche à travers le corps, l’allument, et se servent du Palmipède comme d’une lampe.
Du reste, beaucoup d’Oiseaux piscivores sont chargés d’une graisse peu consistante, qu’ils doivent à leur genre de nourriture. A cause de cette circonstance, certains d’entre eux ont été nommésPingouins, mot dérivé du latinpinguis(gras, huileux).
Sur les côtes de la Patagonie, où lesManchotssont abondants, on prend ces oiseaux, on les écorche, et l’on fait de l’huile avec leur peau. Cette enveloppe, doublée d’une couche de graisse plus ou moins forte, est soumise à l’action d’une presse, qui ne laisse d’autre résidu que le derme et le duvet. On retire un demi-litre d’huile de chaque animal. Il faut 2000 Manchots pour remplir un tonneau.
Quand on saisit unFulmar[265], il vomit une huile couleur d’ambre, qui est regardée par les habitants de Saint-Kilda comme un bon remède dans plusieurs maladies extérieures,surtout dans le rhumatisme. On brûle aussi cette huile. La meilleure est produite par les vieux oiseaux.
On surprend les Fulmars pendant la nuit. On leur presse le bec, et on leur fait rendre environ deux cuillerées d’huile. (L. Wraxall.)
Ce sont les Oiseaux marins qui produisent cette matière précieuse appeléeguano, ou, pour mieux dire,huanu, si recherchée par les agriculteurs.
Le guano[266]est un amas d’excréments déposés au sein de la mer, sur des rochers ou sur des îles. On a calculé qu’un Palmipède de taille moyenne en fournit à peu près 25 grammes par jour. Or, sur certains rochers, on trouve des couches de guano offrant jusqu’à 30 mètres d’épaisseur. Il a donc fallu des centaines d’années et des milliers d’oiseaux pour former ces dépôts. (Boussingault.)
L’île de Cincha, près du Pérou, à 100 milles au sud de Calao, est un des endroits les plus riches en guano. Les couches supérieures de cette matière sont d’un brun grisâtre, et les couches intérieures couleur de rouille. La dureté du guano est d’autant plus grande, qu’il est situé plus profondément.
Les Oiseaux producteurs du guano sont surtout leFou varié[267], leGoëland modeste[268], l’Anhinga[269], leBec-en-ciseaux,lePélican thagus, leCormoran de Gaimard[270], et leCormoran de Bougainville[271].
VI
La voix des Oiseaux marins n’est jamais douce et harmonieuse comme celle de plusieurs oiseaux terrestres. Elle est nasillarde et retentissante, et tient souvent du rauque ou du lugubre. Cependant les Goëlands et les Mouettes jettent des cris aigus qui dominent le bruit dela tempête. Certains Canards rendent une clangueur perçante comme celle du clairon.
CANARD MACREUSE(Anas nigraLinné).
CANARD MACREUSE(Anas nigraLinné).
CANARD MACREUSE(Anas nigraLinné).
Quelques Palmipèdes, dont la trachée est grande et recourbée, imitent plus exactement le son de la trompette.
Il y a des Oiseaux pélagiens qui semblent pleurer comme de petits enfants, ou ricaner comme de vieilles femmes.
Les Grecs avaient désigné lePélican[272]sous le nom d’Onocrotale(cri de l’âne), parce que cet oiseau semble braire.
PINGOUIN COMMUN(Alca tordaLinné).
PINGOUIN COMMUN(Alca tordaLinné).
PINGOUIN COMMUN(Alca tordaLinné).
LesPingouinsont un croassement tout aussi grave et tout aussi désagréable. Lesson dit que, dans l’île de Falkland, le soir, au coucher du soleil, tous les Pingouins poussaient ensemble, à gorge déployée, un immense cri, qui retentissait au loin comme les clameurs d’une armée en révolte.
Un observateur très-original, habitant d’un port de mer, a étudié pendant huit ans la langue duPierre-garin[273].Il en a composé le dictionnaire, prenant pour modèle le travail de Dupont de Nemours sur la langue du Corbeau. Il a distingué cinquante mots exprimant chacun, suivant lui, une idée particulière:Ici... là ... en avant... en arrière... à droite... à gauche... plus vite... plus lentement... halte... garde à vous... nourriture... danger... Je t’aime... moi de même... méchant... marions-nous... quel bonheur... un nid... nos œufs... couvons... nos petits... Maman... papa... j’ai faim... Tais-toi...
Voici le commencement de ce dictionnaire:Kia, kié, kii, kioi, kioui. Djia, djié, djii, djioi, djioui. Tsia, tsié, tsii, tsioi, tsioui....
VII
Les Oiseaux pélagiens ont souvent des pattes courtes, attachées plus ou moins en arrière; ils marchent avec mauvaise grâce et en se balançant; plusieurs semblent boiteux.
Les Nageurs se tiennent redressés sur leurs pattes de derrière et presque verticaux. LesManchots, vus de loin sur la plage, semblent assis sur leur croupion: on dirait des enfants de chœur en camail (Pernetty). D’autres se traînent péniblement sur le sable, rampant presque à plat ventre. Ils se servent quelquefois de leurs ailerons en guise de pattes, ce qui les convertit momentanément en quadrupèdes.
Quelques espèces aiment à s’arrêter sur les vagues. LePétrel damier, ainsi nommé à cause de son dos bigarré de blanc et de noir, se repose habituellement dans le sillage des navires, où le remous lui apporte de nombreux petits mollusques. Le nom dePétrel, qui signifiepetit Pierre,fait allusion au miracle de saint Pierre marchant sur les eaux.
Les Palmipèdes savent nager avec autant d’élégance que de facilité.
MANCHOT DE PATAGONIE(Aptenodytes patagonicaGmelin).
MANCHOT DE PATAGONIE(Aptenodytes patagonicaGmelin).
MANCHOT DE PATAGONIE(Aptenodytes patagonicaGmelin).
Les Canards et les Harles se balancent avec grâce à la surface des eaux, et se jouent avec tranquillité au milieu des flots les plus rapides. Ces oiseaux ont le corps taillé comme la carène d’un navire; leurs pattes, comme on l’a vu plus haut, servent de rames, et leurs ailes demi-déployées représentent les voiles de ce petit vaisseau vivant.
Les espèces privées de la faculté de voler sont les plus habiles dans l’art de nager et de plonger. Leurs ailes,plus ou moins courtes, fonctionnent comme des nageoires, de manière que l’oiseau possède quatre rames, deux en avant et deux en arrière, exactement comme un poisson.
Suivant leurs besoins, ces oiseaux s’élèvent ou s’enfoncent dans le liquide. Ils voguent généralement la tête en l’air. Les Pingouins s’élancent par bonds, à la manière des Bonites.
PÉTREL DAMIER(Procellaria capensisLatham).
PÉTREL DAMIER(Procellaria capensisLatham).
PÉTREL DAMIER(Procellaria capensisLatham).
Mais le vol constitue la fonction principale des Oiseaux. L’atmosphère est pour eux ce que l’Océan est pour les Poissons. La natation et le vol, dit Lacépède, ne sont, pour ainsi dire, que le même acte exécuté dans des fluides différents. L’Oiseau nage dans l’atmosphère et le Poisson vole dans l’eau (Virey).
Ce sont surtout les Longipennes et les Maritimes ordinaires qui excellent à voler.
LesHirondelles de mer, agiles et vagabondes, légères comme le vent, savent planer, cingler, plonger dans l’air, selon la proie qui les attire, l’ennemi qui les poursuit ou la gaieté qui les emporte (Buffon). Rivales des Hirondellesdomestiques, elles parcourent comme elles les régions de l’atmosphère, et dans tous les sens, comme pour en jouir dans tous les détails. Toujours maîtresses de leur vol, elles semblent décrire au milieu des airs un dédale mobile et fugitif, dont les routes se croisent, s’entrelacent, se heurtent, se roulent, montent, descendent, se perdent et reparaissent pour se croiser et se rebrouiller de nouveau. (Montbeillard.)
HIRONDELLE DE MER(Sterna hirundoLinné).
HIRONDELLE DE MER(Sterna hirundoLinné).
HIRONDELLE DE MER(Sterna hirundoLinné).
LesFrégates[274]sont peut-être, de tous les oiseaux, ceux dont le vol est le plus puissant et le plus fier. Elles se tiennent dans les régions les plus élevées de l’atmosphère; elles se précipitent comme une flèche et se balancent comme une nacelle, tantôt résistant à la puissance du vent le plus violent, et tantôt se laissant emporter par la plus légère brise.
Elles pêchent mal, mais elles remplacent la maladresse par l’audace. Elles suivent et persécutent les Mouettes qui ont pris quelque animal, leur font rendre gorge, et saisissentprestement la proie dans sa chute, avant qu’elle soit arrivée à l’eau.
Audubon observa un jour une Frégate qui venait d’enlever un assez gros poisson à une Hirondelle de mer. L’oiseau emportait sa victime en travers du bec. Il la jeta en l’air, pour l’avaler la tête la première. Il la reprit comme elle tombait, mais par la queue. Il la lâcha une seconde fois, et la rattrapa encore par la queue. Le poids de la tête en était la cause. La Frégate recommença une troisième fois. Le poisson fut enfin reçu comme il fallait, la tête en bas, et avalé sur-le-champ.
Les Albatros ou les Frégates qui ont saisi dans l’air un malheureux Poisson volant, regagnent aussitôt les hautes régions de l’atmosphère. Mais, souvent, plusieurs maraudeurs de leur espèce, qui les guettaient, les suivent au milieu des nuages, s’en approchent, les harcèlent. C’est à qui leur ravira leur proie. L’un d’eux s’en empare; un autre l’a déjà reprise, mais la bande entière est à ses trousses. L’infortuné poisson, ballotté de bec en bec, meurtri, mourant, finit par tomber et par disparaître sous les flots. Cruel désappointement pour tous ces ventres affamés! (Audubon.)
LeStercoraire parasite, vrai forban de l’air, fait aussi la chasse aux espèces plus petites et plus faibles que lui, leur donne des coups de bec, les force à vomir une partie de leur repas, et se précipite sur cette proie dégoûtante.
Le vol desPhaétons, ouPailles-en-queue, est calme, paisible et composé de battements d’ailes fréquents, parfois interrompus par des sortes de chutes ou des mouvements brusques. (Lesson.)
Ces oiseaux défient la furie des orages; au milieu des tempêtes les plus horribles, ils conservent leur sang-froid.Tranquilles et contents, ils s’élèvent avec la lame, et redescendent avec elle dans l’abîme.
Les Phaétons voyagent à plus de cinq cents lieues en mer, et peuvent regagner, chaque soir, les îles ou les récifs qui leur servent de refuge. Du reste, ils s’arrêtent à peine le temps nécessaire pour dormir. Ils semblent faits pour voler, voler, toujours voler.....
STERCORAIRE PARASITE EN CHASSE.
STERCORAIRE PARASITE EN CHASSE.
STERCORAIRE PARASITE EN CHASSE.
Les Oiseaux de mer sont en général pour les navigateurs les indices de la terre. Les vieux matelots interprètent leur apparition et se trompent rarement. Le Pétrel damier leurannonce le voisinage du cap de Bonne-Espérance; le Paille-en-queue leur apprend qu’ils sont sous les tropiques; les Frégates, les Mouettes et les Hirondelles de mer leur prédisent, par la direction et la hauteur de leur vol, le beau temps, l’agitation des flots ou l’arrivée de la tempête.
PAILLE-EN-QUEUE PHAÉTON(Phaeton phœnicurusLatham).
PAILLE-EN-QUEUE PHAÉTON(Phaeton phœnicurusLatham).
PAILLE-EN-QUEUE PHAÉTON(Phaeton phœnicurusLatham).
Le livre de la Nature est une source féconde d’instruction!