CHAPITRE XII

Au début de l'orage, une caravane de géomètres du gouvernement, pris au dépourvu en rase campagne, et n'ayant pas le temps de regagner leur campement, avait cherché refuge dans une espèce de hutte misérable au bord de la rivière Papillon.

La porte en était fermée:

—Voyons! qu'on frappe vivement là! dit quelqu'un de la troupe; et voyons un peu ce qu'il y a dans cette bicoque.

—Frapper! mais il y a un quart d'heure que je ne fais pas autre chose! répondit une voix. Personne ne répond; enfonçons la porte. Mais on n'y voit rien; mes allumettes ne brûlent pas, elles sont mouillées, je pense. Où donc est Flag? il a une boite dechimiques allemandes.

La porte enfoncée, Flag éclaira une petite allumette bougie dont la lueur fugitive rendit visibles des murs nus et des fenêtres sans volets.

—Cap'taine! s'écria une voix; encore un peu de feu! j'ai cru apercevoir dans un coin quelque chose qui ressemble à des provisions de bouche.

—Ah! Dieu le veuille! répondit Flag, car je suis plus affamé que deux loups.—Oui! ça doit se manger, ajouta-t-il en promenant à la découverte une nouvelle allumette; mais comment faire, en l'absence de toute lumière?

—Bah! répondit quelqu'un, je trouverai parfaitement, sans chandelle, le chemin de ma bouche.

—Hurrah! voici une lanterne! je l'ai aperçue aux dernières lueurs de votrechimique; encore une allumette, cap'taine Flag!

La lanterne allumée, on s'assit gravement par terre, et on procéda à l'examen des victuailles.

—Oh! oh! bœuf froid; venaison grillée; pain; fromage; bière. Voilà ce que j'appelle un splendideen-cas. Parole d'honneur! le gaillard qui niche dans ce claim n'est pas un sot! Qui, diable, est-ce que ça peut être?

—Ma foi! c'est un bon drille! je bois à sa santé.

—Un autre toast au Flag (drapeau) de notre société! Erin! la verte Erin pour toujours! comme dit l'orateur irlandais de Cincinnati.

—Mes garçons! dit Flag après quelques instants de réflexions, je vous remercie bien sincèrement et vous souhaite en retour de vivre heureux trois fois plus longtemps que Mathusalem; mais, au lieu duspeechque j'aurais pu vous débiter, je vais vous faire une communication intéressante.—Mon opinion est que nous avons eu la chance de tomber sur une cahutte de voleurs de chevaux; car le propriétaire de ce claim habite New-York et je suis certain qu'il n'est pas venu par ici cette année.

—Oh! oh! ça va bien, cap'taine. J'espère que nous allons les voir arriver pendant notre souper. C'est égal! ils feront une drôle de figure en s'apercevant que nous tirons si bon parti de leurs provisions.

—Oui, ce serait charmant si nous étions bien armés, et s'il y avait parmi ces rôdeurs certain individu de ma connaissance.

—De votre connaissance?... Excusez! cap'taine, vous avez de belles relations!

—Peuh! cela dépend... un de ces gredins a tué mon ami Doc. Je donnerais mille dollars pour mettre la main sur ce bandit.

—Mais alors, vous voulez parler de l'affaire dans laquelle Newcome est compromis?

—Précisément; Allen partage mon opinion; il considère cet homme comme innocent.

—Ah! Et pourquoi n'ayez-vous rien dit ni rien fait pour arriver au salut de l'un et à la punition de l'autre?

—Les preuves nous ont manqué jusqu'ici; mais nous ne laisserons pas échapper la première occasion qui se présentera.

La fureur de la tempête atteignit son apogée en ce moment, et rendit toute conversation impossible. Les jeunes aventuriers se dédommagèrent de leur silence forcé en dévorant à belles dents jusqu'aux dernières miettes des provisions. Ensuite ils s'étendirent côte à côte sur le sol poudreux de la cabane, et, à défaut de sommeil, ils goûtèrent un repos désiré.

Cependant, vers minuit, Flag, toujours en éveil, ranima la vigilance de ses compagnons qui commençaient à s'assoupir. Il venait de distinguer au travers des rafales un bruit de voix qui semblaient se rapprocher.

Comme toute clarté était éteinte au dedans comme au dehors, il était impossible de se renseigner autrement que par l'intermédiaire des oreilles. Les géomètres écoutèrent donc avec attention.

Évidemment trois individus s'approchaient: l'un d'eux faisait entendre des plaintes entremêlées de blasphèmes et de jurements horribles: les autres le consolaient de leur mieux, dans un langage tout aussi violemment coloré.

—Allons donc! Jim! damné animal! allume la lanterne, butor infernal! je vais encore tomber sur ces cailloux et me casser l'autre bras. Que toutes les malédictions de l'enfer écrasent ce chien de Squire! je le tuerai aussi bien que l'autre dès que l'occasion se présentera; il peut en être sûr.

—Entendez-vous! chuchotta Flag; c'est l'homme dont je vous parlais, amis; je vais risquer ma vie pour m'emparer de lui: vous m'aiderez, j'espère. Nous sommes quatre, ils ne sont que trois; qu'importe qu'ils soient armés, nous avons l'avantage du nombre. Attention! écoutez bien mes ordres et ne faites rien sans moi.

Un des nouveaux venus mit la main sur le loquet: l'instrument, qui était en bois et gonflé par la pluie, résista; la porte fut ébranlée mais ne s'ouvrit point.

D'ailleurs, elle avait de bonnes raisons pour rester fermée; Flag la retenait vigoureusement.

Après avoir vainement essayé d'ouvrir, Jim recula avec humeur et dit:

—Ah! mille tonnerres! cet infernal loquet est ensorcelé, je ne peux le faire mouvoir. Essaie un peu, toi, Joë.

—Attention! murmura Flag à ses camarades, Voilà l'homme!

Effectivement, Carnes mettait la main au loquet: Flag avait cessé de se cramponner à la porte, elle s'ouvrit donc assez facilement.

—Tu vois, animal indigne de vivre! dit Carnes à Jim; n'ayant qu'un bras, j'ai réussi où tu as échoué, exécrable butor! Allons! brute! gredin! idiot! prépare une allumette, je vais chercher la lanterne; puisque tu es si stupide, tu la...

Il ne put achever, une couverture s'abattit sur sa tête et l'enveloppa entièrement; des bras vigoureux le roulèrent par terre où il resta maintenu sans pouvoir faire un mouvement. Toute cette opération fut accomplie avec une célérité et dans un silence tels que les deux camarades de Carnes ne s'en aperçurent point: d'ailleurs la pluie les aveuglait, et le fracas de la tempête les assourdissait.

Au bout de quelques minutes d'attente, Jim s'écria impatiemment:

—Eh donc! Joë que fais-tu? on ne s'amuse pas ici!

—Je ne peux pas trouver la lanterne, répondit Flag en contrefaisant la voix de Carnes; cette damnée pluie a percé le toit, et tout inondé là-dedans. Arrivez vite pour m'éclairer avec des allumettes.

Les deux bandits franchirent à tâtons le seuil de la cabane, et furent reçus comme Joë, c'est-à-dire qu'en un clin d'œil ils furent étroitement enveloppés dans une couverture et soigneusement garrottés.

Un assez long silence suivit, pendant lequel, à défaut des yeux, les oreilles s'exerçaient avec la plus extrême vigilance.

—Est-ce vous Flag? demanda tout-à-coup Joë qui avait réussi à sortir sa tête de la couverture.

—Je connais votre voix, vous devez vous souvenir de la mienne, répliqua séchement le jeune géomètre.

—Oh! oui, je la reconnais: reprit l'autre en étouffant un gémissement. Mais pourquoi employez-vous une telle violence à mon égard? C'est un vil métier que de s'embusquer ainsi la nuit pour attaquer un homme inoffensif. J'ai eu tout à l'heure le bras cassé par une branche d'arbre qui a failli m'assommer; essayez, je vous prie, de me faire un pansement, car je souffre comme un damné.

—Je ne m'entends point en chirurgie, répliqua Flag; d'ailleurs on n'y voit pas.

—Il y a une lanterne ici dans quelque coin.

—Je le sais, mais la chandelle est brûlée. D'ailleurs, Ed, alors même que j'aurais de la lumière, je ne saurais vous être d'aucune utilité. Votre heure est venue; à chacun son tour, apprenez-le. Je ne suis pas haineux; mais quand la voix du sang crie vengeance, je ne puis me dispenser de l'entendre. Vous avez été un démon parmi nous; aujourd'hui votre punition commence.

Carnes ne répondit que par un sourd gémissement qui se termina en imprécation.

—Si vous prenez ainsi les choses, vous allez épouvanter vos camarades, lui dit Flag ironiquement.

—Que la foudre écrase ces poltrons! si j'avais eu mes deux bras, vous ne m'auriez pas pris vivant.

—Qu'est-ce qu'il dit donc là? interrompit Jim: je pense qu'il était bien et dûment pris, ce soir, quoiqu'il eût ses deux bras... et par une fille, encore! qui lui servait de garde-du-corps.

—Quelle fille? quelle aventure? demanda Flag curieusement.

—Eh! la jolie fille de Newcome, répondit Jim avec complaisance.

—Retiens ta langue, Jim! grommela Carnes.

—Je ne veux pas me taire. Si tu ne nous avais pas entraînés dans tes folies, nous ne serions pas pincés comme nous voilà.

Carnes murmura une réponse que personne ne pût comprendre. Flag demanda d'autres explications que le bandit s'empressa de lui fournir.

—C'était un bon tour, n'est-ce pas? ajouta-t-il en terminant son récit, d'enlever le chariot et les chevaux du bonhomme Wyman, là, à sa barbe, on peut le dire! Oui, ce sera peut-être le dernier, mais le meilleur tour de ma vie. Maintenant que nous n'en pouvons rien faire, j'aime autant vous dire où ils sont. Nous les avons cachés dans le petit bois qui est derrière la hutte de Newcome. Ma foi! les pauvres bêtes ont eu beau temps pour changer de couleur, si leur poil n'était pasbon teint.

Et le bandit s'arrêta pour rire à gorge déployée de sa plaisanterie.

La nuit s'écoula lentement au milieu de propos interrompus, d'exclamations et de blasphèmes lancés par Joë lorsque ses douleurs devenaient trop intolérables.

Au point du jour, les prisonniers, solidement liés ensemble, furent emmenés à Fairview et remis aux mains des autorités judiciaires, pour être traités suivant leurs mérites.

Décidément Joë n'avait pas de chance, suivant l'expression de Jim.

Mistress Wyman était dans la plus grande consternation. Depuis un grand jour et une nuit entière son mari n'avait pas reparu.—Alice n'avait pas reparu.—Allen n'avait pas reparu!

Ajoutons que, pendant l'orage, la bonne dame avait été dans des transes atroces; car elle craignait particulièrement le tonnerre, les éclairs, le vent, la pluie, et tout ce qui ressemblait à un orage. De telle façon, qu'aux premiers indices de tempête, elle s'était empressée de fermer à double tour, portes, volets et fenêtres, et de baisser tous les rideaux. La maison, alors, se trouvait à l'état de chambre obscure au grand complet; mais le résultat obtenu n'était guère en rapport avec cette laborieuse préparation: en effet, le plus petit éclair brillait d'une façon fulgurante dans cette ombre factice additionné des obscurités extérieures; chaque porte, serrée sur ses gonds, répondait comme une grosse caisse aux détonations de la foudre; en un mot, l'arrangement lugubre de toute la maison était fait pour tripler les frayeurs de la tremblante ménagère.

Par une coïncidence malheureuse, la fureur de l'ouragan se porta surtout au village de Fairview; les éclats du tonnerre s'y multipliaient avec le fracas d'une canonnade furieuse; le feu du ciel tomba même sur la maison du shériff et l'embrasa tout entière.

Au craquement affreux qui se produisit alors, mistress Wyman tomba la face dans un oreiller et y demeura à moitié morte de terreur, le nez dans la plume, les mains sur les oreilles, jusqu'à ce qu'un nouvel éclat faisant trembler tout son logement, l'obligeât à quitter cette position asphyxiante et à s'envelopper dans un grand rideau.

Réellement, la pauvre mistress Wyman passa une nuit bien malheureuse! Se coucher! dormir!... impossible d'y songer!—Encore si elle avait eu auprès d'elle, Alice, pour partager ses terreurs!... mais non! personne!—Alors l'imagination de la brave dame partit pour les régions fantastiques, et Dieu sait quelles hallucinations la tourmentèrent pendant qu'elle trottinait de long en large dans sa chambre.

... Silas était mort!... sans doute! ou, tué par la foudre, ou noyé par la pluie, ou poignardé par les bandits qui ne sortent qu'en de pareils moments!—Et Alice!... noyée, brûlée, massacrée, enlevée!... Mais... comment savoir?... peut-être Silas se serait enfui avec elle!... horreur! il serait devenu ravisseur et infidèle!... fuite dans les bois! duel avec Allen! Ka-Shaw, un poignard d'une main, le poison de l'autre! Mallet à cheval, armé de fusils! Indiens! Sauvages! voleurs! vampires! revenants! Newcome assassin! Edwards fusillé! visions! tombeaux! vallée de Josaphat! jugement dernier! trompette des Anges de la mort! bouleversements suprêmes! fin du monde!! Tous les fantômes, toutes les terreurs vinrent exécuter une danse macabre autour de la pauvre mistress Wyman, pendant que l'orage accompagnait ces rondes infernales de son orchestre foudroyant.

Elle suivait mentalement une procession de squelettes portant en guise de cierges leurs doigts allumés, lorsqu'on frappa à sa porte en l'appelant par son nom. Elle courut ouvrir la porte, persuadée que ce visiteur inattendu était, pour le moins, un des quatre anges de l'Apocalypse: c'était Allen! la réaction fut aussi prompte qu'heureuse.

—Bonjour mistress Wyman, lui dit-il d'un air riant! vous n'êtes pas matinale aujourd'hui? ah! j'y songe; l'orage vous aura empêchée de dormir?

—Oui; c'est que... précisément... j'ai été bien tourmentée. Je suis bien heureuse de vous voir M. Allen, car j'étais dans une inquiétude mortelle. Mon mari?... en avez-vous quelques nouvelles? Alice?... qu'est-elle devenue?... voici près de vingt-quatre heures que je n'ai vu personne.

—Rassurez-vous, ma bonne mistress Wyman; tout est pour le mieux. J'ai laissé votre mari en parfaite santé; il en est de même pour Alice, quoiqu'elle ait eu à supporter cet affreux orage qui l'a transpercée jusqu'aux os.

—Oh Seigneur! racontez-moi donc cela.

Allen lui fit un récit rapide de tous les événements accomplis dans cette nuit mémorable, et termina en la priant d'aller rejoindre miss Newcome avec des vêtements secs.

—Oh! la pauvrette! j'y cours! j'y vole!—Et Silas est-il revenu avec son wagon?

—Il court après lui, mistress Wyman; mais une autre voiture nous attend pour nous transporter au claim, et en ramener Alice.

Cinq minutes après la bonne dame s'embarquait avec une profusion d'habits et de linges, et Allen la conduisait au grand galop vers le claim.

Mistress Wyman trouva la jeune fille encore endormie, elle la réveilla en l'embrassant tendrement: Alice la reçut avec un joyeux sourire.

—Non! répondit-elle à ses questions inquiètes, je ne me ressens en aucune façon des fatigues d'hier; j'ai si bien dormi: j'ai fait un si beau rêve!

—Vous allez me dire cela en vous habillant.

—Bien volontiers. J'ai revu mon père, en dormant: il s'était réconcilié avec moi. Nous étions revenus vivre dans cette maison; mais tout y était brillant et confortable. Nous étions heureux. Mon père me recommandait la sagesse et l'obéissance: il a posé ses mains sur ma tête, par un mouvement plein de bonté, et m'a dit avec un sourire affectueux: «Sois toujours douce, bonne et sage, ma fille! sois toujours soumise!» Puis mon rêve a disparu: n'est-ce pas qu'il est beau?

—Oui, ma petite; répondit mistress Wyman en l'aidant à sa toilette; il y a de quoi réjouir vraiment! je pense que c'est un heureux présage. Ah! maintenant que vous avez fini, allons rejoindre M. Allen. Nous prendrons une goutte du bon café que j'ai apporté tout chaud; nous partirons ensuite.

—Allons! dit Alice avec un bond de joie.

Et, légère comme une gazelle, elle courut dans la pièce voisine où Allen était resté.

—Bonjour! bonjour! M. Allen, lui dit-elle avec une folâtrerie d'enfant; voyez-vous comme je suis courageuse? il ne me reste plus aucune mémoire de nos fatigues d'hier; plus rien! ah! c'est que j'ai si bien dormi! j'ai fait un si beau rêve! N'est-ce pas, maman Wyman.

—Oui, chère enfant, oui c'est bon signe, à mon avis. Figurez-vous, M. Allen, qu'elle a rêvé de son père; il avait l'air réconcilié avec elle. C'est ce qui la rend si heureuse. Moi, j'espère que ça deviendra une réalité.

Allen ne put dissimuler un subit tressaillement:

—Je le crois aussi... dit-il avec une hésitation chagrine; dans le royaume des Esprits, les âmes doivent penser autrement et mieux que sur cette terre.

—Que voulez-vous dire?... que signifie votre tristesse?... demandèrent les deux femmes en pâlissant.

—M. Newcome n'est plus de ce monde: répliqua Allen d'une voix grave.

—Ah! mon père! pauvre père! s'écria la jeune fille, étouffant ses sanglots. Parlez! M. Allen, poursuivit-elle en se raidissant contre la douleur; dites-moi tout...!

—Dieu lui a envoyé un messager de mort, dit le jeune homme; la foudre a frappé la maison du shériff, dans laquelle M. Newcome était prisonnier. Le shériff et sa famille n'ont pu qu'à grand'peine s'échapper du milieu des flammes, car, à l'instant même, tout l'édifice a été embrasé.—J'arrivais à ce moment; au milieu de la confusion et des bouleversements occasionnés par la tempête il a été impossible de savoir ce qui s'est passé: mon opinion est que le prisonnier a été frappé et comme anéanti par le fluide électrique. Le premier choc passé, j'ai fait tous mes efforts pour pénétrer dans la maison en flammes et sauver le prisonnier. L'incendie n'avait pas encore atteint la porte de la chambre, j'ai cherché à l'ébranler pour l'ouvrir, en appelant M. Newcome à mon aide: aucune réponse ne s'est fait entendre; il y avait dans cette pièce un silence de mort. A ce moment, les planchers se sont effondrés et la maison n'était plus qu'un monceau de ruines; tout espoir a disparu, le sinistre était accompli.

Alice ne pût prononcer un mot; elle ferma les yeux et se jeta dans les bras de mistress Wyman.

—Partons, dit l'excellente femme; quittons ce lieu de lugubre mémoire, j'ai hâte de voir l'orpheline sous un toit ami où nous lui remplacerons sa famille perdue.

Et elle l'emporta comme un enfant jusqu'à la voiture qui partit aussitôt, conduite par Allen.

Arrivés à la porte du constable, nos voyageurs aperçurent sur la place publique une foule tumultueuse: après avoir déposé les deux femmes dans la maison, Allen courut s'informer de l'aventure nouvelle, présagée par ce rassemblement.

Aux premiers pas qu'il fit dans les groupes quelqu'un l'appela; il se trouva en face de son ami Flag.

—Ah! ah! cria ce dernier avec animation, nous avons pincé votre homme, et deux autres avec!

—Quel homme...?

—Eh! parbleu! notre ex-camarade Ed, ou plutôt Joë Carnes. Je l'ai empoigné la nuit dernière d'une belle façon! Venez un peu le voir, pendant que je vous raconterai cette mémorable aventure.

Allen le suivit avec force compliments, et écouta curieusement le récit de Flag.

—Il m'a fallu dire aux géomètres de ma société que ce Carnes était l'assassin présumé du pauvre Doc, continua Flag après avoir terminé son histoire; sans cela ils n'auraient pas voulu m'aider à cette capture. Maintenant cela pourrait bien tourner à quelque désagrément: je soupçonne la foule d'avoir le projet delyncherces hommes séance tenante: on se propose de vous interpeller sur ce que vous pouvez savoir. Entendez donc, quel bruit ils font!

Allen fit le tour du chariot dans lequel étaient les prisonniers: ses yeux se croisèrent avec ceux de Carnes qui lui lança un regard audacieux tout plein de haine. Désirant éviter toute conversation avec ce bandit, le jeune homme prit place au milieu des groupes et se mit à répondre aux questions qui pleuvaient sur lui de toutes parts.

—Vous dites que cet homme a tué le docteur Edwards? demanda une sorte d'orateur qui pérorait depuis longtemps à perte d'haleine.

—C'est mon opinion, répondit Allen.

A ce moment s'éleva autour de lui un concert d'apostrophes et d'interrogations:

—Mais, vous avez été passablement dur pour Newcome!

—Comment ce garçon-là s'est-il trouvé parmi les meurtriers d'Edwards?

—Saviez-vous quelque chose contre Carnes lorsque vous vous êtes interposé entre Newcome et les Lynchers?

—Oui! oui! c'est un voleur de chevaux! il n'y a pas de coquins pareils! C'est du gibier de potence.

—Qu'Allen s'explique, et dès que la chose sera éclaircie, nous trouverons un arbre et une corde; ça évitera un dérangement à la justice. Il faut un exemple pour épouvanter toute cette canaille!

—Ah! écoutons donc toute l'histoire!

—Newcome est mort en prison; s'il est innocent il faut le venger!

—C'est ce que je me tue à dire: c'est bien le moins qu'on lui accorde ce dédommagement!

—Le plus sûr est toujours de pendre ces coquins-là: au moins ils ne reviennent plus!

—Ça n'empêche pas d'écouter l'accusation: il faut bien savoir pourquoi nous les pendrons.

—Bah! si Allen ne veut pas parler, nous les pendrons tout de même; il y a de quoi!

—Rien qu'à les voir on juge de ce qu'ils sont.

—A la corde! tous trois; à la corde! il n'y a rien de meilleur!

Puis, mille autres propos semblables se croisèrent, le tumulte augmenta, et les cris: «Un speech! un speech! Allen! des preuves! Allen en avant!» se firent entendre avec une telle force que le jeune homme se rendit aux désirs de la foule.

Il monta sur un tronc d'arbre renversé, et, de cette tribune improvisée, il raconta tout ce qu'il savait; en même temps il énonça tous ses soupçons.

Il ne fut que trop éloquent et persuasif, car avant qu'il eût fini son discours des cris forcenés l'interrompirent:

—Assez! assez! à la corde, le scélérat! il l'a bien mérité; à la corde!

—Non, mes amis! s'écria Allen; ce que vous faites là est illégal et injuste: si je l'avais pu prévoir, je ne vous aurais rien dit. Croyez-moi; remettons ces gens-là aux mains de la justice et du jury.

—Nous sommes un jury suffisant, nous!

—J'aperçois parmi vous, reprit Allen, plusieurs personnes qui, l'autre jour, voulaient pendre Newcome: ne sont-elles pas bien aises aujourd'hui de l'avoir épargné? Je dois le croire, car je veux bien supposer que vous ne faites pas vos délices du métier de bourreau. D'ailleurs, dans l'intérêt du malheureux Newcome, il faut qu'on instruise régulièrement le procès de ces accusés; par ce moyen, sera réhabilitée la mémoire d'un innocent.

—Mais il est impossible de trouver des charges plus fortes, fit une voix impatiente.

—Je vous demande pardon; il n'y a aucune certitude, car personneN'A VUcet homme commettre le crime!

—Je l'ai vu, moi! s'écria Jim, l'un des prisonniers.

Ces paroles produisirent un effet électrique; personne ne dit mot pendant près d'une minute.

Tout à coup le tumulte recommença plus fort qu'auparavant; on se porta vers le chariot pour voir et entendre ce nouveau témoin à charge: on lui ordonna de parler.

Le hardi coquin ne se fit pas prier, car il espérait ainsi améliorer sa propre cause, en détournant l'attention sur l'autre.

—A l'époque du coup de feu, dit-il, Carnes n'était pas encore le chef de notre bande, il venait d'y être admis récemment. Le jour du meurtre j'avais un rendez-vous avec lui pour préparer une affaire superbe: j'arrivai un peu avant l'heure, et je me couchai, pour me reposer, dans un bosquet où l'on ne pouvait m'apercevoir. Bientôt, je vis Carnes s'approcher en se glissant d'arbre en arbre; il guettait deux jeunes gens qui traversaient la clairière; quand ils ont été à bonne portée, il a fait feu, l'un d'eux est tombé. Joë a aussitôt rechargé son fusil et je l'ai rejoint, mais sans lui dire ce que j'avais vu... il en aurait su autant que moi... Nous nous sommes ensuite cachés dans un ravin jusqu'à ce que Newcome ait été pris; puis, nous sommes allés sur les bords de la Platte, afin de vendre des poneys raflés chez les Indiens Kansas.

Personne n'écouta ce récit avec plus d'attention que Flag et Allen, car il jetait une vive lumière sur leurs soupçons: ils trouvaient la pleine confirmation d'un fait resté jusque-là mystérieux.

—N'avez-vous pas vu Newcome? demanda-t-on.

—Oui, j'étais à moitié chemin entre lui et Carnes. Je regardais attentivement ce dernier, et, tout d'abord j'ai pensé qu'il en voulait à Newcome: ce vieux bonhomme cheminait lentement, son fusil sur l'épaule, secouant la tête d'un air mécontent, et grommelant des mots que je n'ai pu comprendre. Il tournait le dos aux jeunes gens lorsque Carnes a lâché son coup de feu: sur-le-champ Newcome a saisi son fusil pour se mettre en état de défense; à ce moment son arme est partie accidentellement, sans atteindre personne. Sans doute Carnes a eu connaissance de toutes les suites de cette affaire, car il m'a dit plus tard que Newcome avait été arrêté à la suite d'une querelle avec le docteur Edwards. Voilà tout ce que je sais.

—Cela est bien suffisant, observa Allen; mais pourquoi avez-vous souffert qu'un innocent fût arrêté et presque condamné?

—Ah, ma foi! ça ne me regardait pas, reprit froidement le bandit; chacun pour soi, le diable pour tous! D'ailleurs, je ne pouvais dénoncer mon camarade.

Les grognements de la foule recommencèrent avec plus de force que jamais; on eût dit les rugissements d'une Hydre à mille têtes. Quelques citoyens, amis de l'ordre et de la légalité, après de vains efforts pour apaiser cette effervescence, se retirèrent pour rentrer chez eux. Allen, aussi, voyant que les choses prenaient mauvaise tournure, et ne voulant pas être témoin des sanglantes opérations du Juge Lynch, se hâta de quitter le rassemblement et courut se barricader dans son bureau.

Livrée à ses instincts farouches, la foule organisa régulièrement son œuvre de mort; bientôt, au milieu des cris les plus désordonnés, retentirent ces exclamations impératives:

—Qu'on amène un barbier pour les raser!

—A-t-on apporté une corde?

—Oui! mais on craint qu'elle ne soit pas assez forte!

—Qu'on n'oublie pas les pioches pour creuser leurs fosses!

Le spectacle devint hideux et horrible; toutes ces têtes grimaçantes, échevelées, respirant la colère, composaient un pandemonium féroce: les uns frappaient l'un contre l'autre leurs poings serrés; les autres, pâles d'une ivresse furieuse, roulaient des yeux hagards et étincelants; d'autres, plus dangereux, ne disaient rien, mais travaillaient aux funèbres préparatifs avec une telle énergie qu'ils en étaient tout ruisselants de sueur.

Le lieu choisi pour l'exécution fut la place publique du village; on installa la potence juste en face des ruines de la maison du shériff; on planta le poteau auquel les patients devaient être liés lorsqu'on les fouetterait.

Le char contenant les trois criminels fut traîné à bras jusqu'au milieu de la place; là on les fit descendre, on les livra au barbier pour être rasés, et on les rangea en ligne, les pieds dans une flaque d'eau, sans miséricorde.

Les deux compagnons de Carnes faisaient assez bonne contenance, quoique leur mine fût piteuse: mais Joë paraissait fort abattu et tremblait de tous ses membres; lorsqu'il vit approcher le moment fatal, il ne put retenir ses pleurs, et se mit à sanglotter convulsivement.

Ces marques de faiblesse touchèrent quelques âmes sensibles, mais ce fut le très-petit nombre; la foula accabla le misérable de ses huées; les deux autres bandits, eux-mêmes, l'apostrophèrent avec mépris.

L'opération du barbier finie, on retira leurs vestes aux condamnés, pour les laisser en manches de chemise. Pour ôter la manche où était le bras cassé de Joë, il fallut couper l'étoffe et le vêtement se trouva ainsi fort détérioré.

—Il n'y a pas de mal! cria un des assistants; ce paletot ne lui servira plus!

Carnes se laissa tomber par terre et se répandit en lamentations désespérées.

—Lâche! lui dit Jim; je te fouetterai moi-même!

—Hurrah! bien parlé! cria la foule: ce garçon-là mérite un verre de gin.

—Oui, il faut qu'il se réchauffe un peu avant que son tour arrive!

—Gentlemen! répondit modestement Jim, je n'ai pas parlé ainsi par amour-propre; j'ai simplement dit ce que je pensais.

Carnes fut lié au poteau, le fouet fut remis à Jim, avec injonction de lui administrer quarante-neuf coups, frappés fort, à raison de deux par seconde.

Alors commença une scène épouvantable; cris de douleur, hurlements, blasphèmes, menaces, railleries féroces, grognements de la foule se succédèrent comme une pluie d'orage; ce fut une seconde édition de la tempête.

Carnes fut retiré du poteau, sanglant, évanoui, inerte: à sa place on mit son autre compagnon, Jim conservant ses fonctions temporaires de bourreau.

Le nouveau patient était un jeune homme d'assez bonne tournure, dont le visage décomposé attestait les profondes angoisses: néanmoins il gardait une contenance ferme.

Quelques voix opinèrent pour la clémence:

—Gentlemen, dit Jim qui se donnait de l'importance, les sentiments bienveillants que vous manifestez sont parfaitement justes et honorables. Voici un pauvre innocent,—et il caressa de son fouet les épaules du malheureux.—Voici un jeune homme inexpérimenté que Carnes est allé débaucher,... enlever à sa vieille mère, sur les bords les plus lointains du Missouri; je ne pourrais l'accuser d'une mauvaise action:... il ne mérite donc pas le dernier supplice. J'ose dire que vous ferez bonne justice en le renvoyant à ses affaires: il a réfléchi, je vous l'assure, et vous ne le rattraperez plus à se mêler de ce qui ne le regarde pas. Voilà mon opinion sur lui, elle est raisonnable, vous pouvez me croire.

Lorsque maître Jim eût fini son speech, l'assemblée entra en délibération; pendant sa durée, le patient adressait à la foule des regards suppliants qui auraient attendri des rochers, et qui cherchaient à lire sur tous ces visages exaltés une lueur d'espérance. Après quelques moments d'attente il ne se trouva personne qui eût le courage de commander la fustigation; il obtint la sympathie générale et fut mis en liberté avec injonction de disparaître au plus vite et de ne jamais remettre le pied sur le territoire de Nebraska.

Cet acte de clémence attendrit prodigieusement l'honnête Jim; il versa un pleur ou deux en regardant partir l'adolescent qui détalait de toute la vitesse de ses jambes. Peut-être cette sensibilité s'appliquait un peu à lui-même: néanmoins il tint bon et ne demanda pas grâce.

Du reste, l'équitable assemblée ne faillit point à ses principes en matière de justice distributive. Trente coups de fouet, généreusement appliqués, furent comptés sur les épaules de Jim. Disons à sa gloire qu'il les reçut avec une impassibilité digne d'une meilleure cause: quelques mauvaises langues prétendirent que son sang-froid tenait à une grande habitude de pareilles aventures.

Quoiqu'il en soit, on lui intima l'ordre de vider les lieux sans aucun retard, et on lui fit la promesse solennelle de le pendre s'il reparaissait dans le pays.

Tout en reprenant philosophiquement ses habits, il fit ses adieux à la foule; mais pour cela il s'était prudemment éloigné de quelques pas.

—Gentlemen, dit-il, je vous exprime ma reconnaissance, vous m'avez traité encore mieux que je ne le méritais; car j'ai volé dans ce pays-ci plus de chevaux que vous ne pourriez en élever en cinq ans. En signe d'amitié je vais vous apprendre où nous avons caché le bel alezan du squire Allen. Il est attaché à un arbre, dans le fourré, derrière le claim du moulin; j'imagine qu'il ne sera pas fâché de recevoir une mesure de grain.

Ce dernier avis donné, Jim fit un salut dans le genre noble, s'enfuit diligemment vers la rivière et s'y jeta à la nage.

La foule reporta alors son attention sur Carnes qui avait repris connaissance. Quelques motions furent hasardées, tendant à le remettre aux mains de la justice: mais le plus grand nombre rejeta cet adoucissement, et opina pour une exécution sommaire. Qu'était-il besoin de prendre tant de ménagements avec un coquin pareil? les voies les plus expéditives seraient les meilleures!

L'exaltation féroce de la multitude se ralluma; les propos pacifiques ne servirent qu'à l'attiser; on eût dit de l'huile sur le feu.

Pourtant, quelques citoyens honnêtes firent de vigoureuses représentations:

—C'est une honte! disait un médecin qui s'était introduit jusqu'au premier rang; oui, une honte de maltraiter ainsi une créature humaine en pareil état. Voyez ses blessures, son bras cassé! vous ne pendrez pas cet homme, si je puis l'empêcher.

—Eh! il mourra plus facilement! répondit une voix railleuse.

—Malheureux! êtes-vous donc des sauvages, ou des bêtes fauves? s'écria le médecin.

—Nous sommes desVengeurs! hurla la foule.

Un des assistants touché de pitié coupa la corde et s'en alla.

—Bien! vociféra l'assemblée, s'il ne peut être pendu on le noiera! La rivière n'est pas loin.

Au même instant, Carnes fut enlevé par vingt bras robustes et porté vers le fleuve. Lorsqu'on fut arrivé à moitié chemin, on le déposa à terre et on le força de marcher jusqu'au rivage. Là on le jeta dans un mauvais bateau que douze nageurs poussèrent jusqu'au milieu du fleuve: puis ils le renversèrent par une brusque secousse et mirent ainsi fin à l'agonie du misérable.

Dès que son corps inanimé eût disparu sous les vagues, la foule poussa un formidable hurrah qui fit frissonner les bois d'alentour. Un écho humain répondit à cette clameur; il venait du rivage Iowa: Jim envoyait, en guise d'oraison funèbre, une dernière insulte à son complice.

Mallet avait fait un voyage à Saint-Louis pour s'occuper d'affaires de commerce et aussi pour choisir la future pension d'Alice.

Il se considérait comme d'autant plus certain du succès de ses projets sur la jeune fille, que maintenant Newcome mort, lui, Mallet, restait seul maître et tuteur de l'intéressante pupille. En conséquence on avait recommencé de plus belle tous les préparatifs du trousseau; mistress Wyman était désormais dans les plus grandes occupations, elle ne rêvait que robes, lingerie, couture et broderies.

Plusieurs mois, écoulés paisiblement depuis les scènes violentes dont le récit précède, avaient successivement calmé les douleurs d'Alice et raffermi sa santé, en apportant à son âme un peu d'oubli, ce baume infaillible du temps.

Si sa gaité juvénile et étourdie n'était pas revenue tout entière, si une mélancolie légère avait laissé une teinte touchante sur son visage, l'orpheline avait néanmoins repris ses bons et joyeux sourires, ses fraîches couleurs; sa beauté était devenue accomplie, en même temps que son caractère avait acquis la maturité que donnent les épreuves.

Par une belle soirée d'octobre, elle prenait le frais au clair de lune, devant la porte de la maison. Depuis quelques instants, seule et silencieuse, elle suivait la pente de ses rêveries qui voltigeaient doucement du passé à l'avenir, effleurant dans leur course bien des êtres chers et disparus.

Un léger bruit, une ombre auprès d'elle, la firent tressaillir: elle leva les yeux et aperçut Allen.

—Bonjour, chère Alice, dit le jeune homme.

—C'est vous, M. Allen! je suis bien heureuse de vous voir. Il y a bien longtemps que vous n'aviez paru.

—Je n'étais point coupable d'oubli, chère! Il a fallu d'impérieuses nécessités pour me retenir ainsi éloigné de vous.

Allen poussa un soupir et se pencha vers elle:

—Votre résolution est toujours la même, Alice?

—Mon devoir est d'obéir aux désirs de mon père.

—Mais, maintenant qu'il a quitté cette terre, n'êtes-vous pas dégagée des liens de l'obéissance, surtout lorsqu'elle tend à causer votre malheur? êtes-vous sûre, d'ailleurs, qu'aujourd'hui il persisterait dans ses volontés? qu'il s'opposerait à notre union?

—Un sentiment secret me dit que j'agis suivant ses intentions, répondit la jeune fille en soupirant à son tour d'une façon qui démentait un peu ses paroles.

Allen se prit la tête dans les mains avec un mouvement de désespoir:

—Très-chère Alice, dit-il d'un ton exalté, je crois inutile de faire assaut de paroles avec vous, car votre persistance inexplicable dans une résolution qui nous afflige tous deux, me paraît être une sorte de monomanie inquiétante. J'en attribue la cause aux épreuves que vous avez subies, aux défaillances de votre organisation trop impressionnable. Mais je ne puis supporter en silence de vous voir ainsi sacrifiée à une fausse et maladive interprétation de vos devoirs: il n'est pas un homme de cœur, Alice, qui ne pensât et n'agît comme moi: permettez-moi de vous le dire, si la noblesse et la pureté angélique de vos pensées excite mon admiration, votre résignation aveugle, fatale, excite ma pitié et me désole! Pardonnez-moi, Alice, je n'ai pu me taire! Ce que je viens de dire vous a-t-il paru excessif?

—Non, M. Allen, répondit tristement Alice, vous ne m'avez ni surprise ni offensée. Je suis très-sensible à l'opinion d'autrui, et c'est là une de mes plus dures épreuves. Il ne me paraît pas étrange qu'on ne me comprenne pas.—Non, on ne me comprend pas.

—Vous croyez donc que je ne vous comprends pas, moi? demanda Allen avec une certaine émotion.

—Cher M. Allen il vous est impossible de savoir toutes les pensées d'une pauvre enfant comme moi: j'ai mes idées, mes opinions qui restent incomprises, ignorées par tout le monde, même par vous.

—Dites-moi donc, jeune lady, les motifs du refus que vous opposez à ce gentleman, interrompit une voix grave mais bienveillante.

Les deux amoureux eurent un tressaillement de surprise et de confusion, en apercevant Mallet et un autre gentleman qu'Allen reconnut sur-le-champ quoiqu'il ne l'eût vu qu'une fois.

—Pardonnez ma brusque arrivée, miss Newcome, continua le nouveau venu. Excusez-moi M. Allen—c'est votre nom, je crois;—mais je remplis, à cette heure, une mission qui ne souffre aucun retard. M. Mallet pourra vous expliquer plus au long ce dont il s'agit; quant à moi, je me bornerai à vous dire que je viens prendre en main la tutelle de cette jeune personne et le débarrasser de cette charge.

Ici M. Mallet ne put réprimer une grimace de dépit.

—Ma nièce veut-elle accepter la protection de son oncle? poursuivit l'étranger en prenant affectueusement la main de la jeune fille.

—Oh! oui, je le déclare! dit vivement mistress Wyman qui, au bruit de ces voix nouvelles, intervenait avec une lampe.

—Comment allez-vous, madame? lui demanda l'étranger. Vous ne m'avez pas oubliée ce que je vois, bien que je vous aie apparu, puis, que j'aie disparu d'une façon mystérieuse pour laquelle je vous offre toutes mes excuses. Mais, comme dit mademoiselle ma nièce, on a quelquefois des raisons que tout le monde ne connaît point, ha! ha!

—Veuillez vous asseoir, gentlemen, reprit mistress Wyman: j'ignore votre nom, sir; mais je suis ravie de vous voir, puisque vous êtes un ami d'Alice.

—Mon nom est Carleton, madame,—sir Deming Carleton dans mon pays,—Carleton tout court, aux États-Unis. Je vous remercie, je m'asseoirai volontiers.

—Bonsoir, dit Allen, du seuil de la porte.

—Non, je vous demande pardon, je ne suis point encore prêt à vous dire bonsoir, M. Allen, répliqua vivement sir Deming en se levant et retenant le jeune homme: Veuillez rester, sir, vous ne devez nullement craindre d'être de trop, en un lieu où votre présence est si désirable, ajouta-t-il en lançant un regard à Alice près de laquelle il plaça une chaise.—Maintenant M. Mallet, veuillez expliquer à cette jeune lady, la mission que nous venions remplir.

Mallet fit une grimace lamentable et regarda son interlocuteur d'un air éploré: mais ce dernier lui répondit par un coup d'œil impérieux et hautain auquel le trafiquant ne pût résister. Après donc s'être mouché humblement et avoir composé son visage en préparation à ce qu'il allait dire, il bégaya le petit discours suivant, ou plutôt le récita comme un écolier fait d'une leçon sous l'œil du maître:

—Ce gentleman, fit-il en s'adressant à Alice, malgré mes protestations et ma résistance, a réussi à me convaincre que ses droits à votre tutelle étaient mieux fondés que les miens. En tout cas, je le reconnais, ils ont une base légale, tandis que rien de semblable n'existe de mon côté. Indubitablement il est votre oncle maternel, et très-capable de vous procurer tout le bien-être que j'aurais été si heureux de vous fournir.

Ici le sieur Mallet crut devoir s'arrêter pour simuler une larme; il regarda timidement sir Deming et rencontra le même coup d'œil toujours sévère et disant d'une façon éloquente quoique muette: «Allez!... mais allez donc!»

Il continua avec un soupir grotesque:

—Toutefois, miss, je résigne mes pouvoirs et vous remets en ses mains: il pourra vous dire que j'avais préparé son esprit à trouver en vous ce qu'il y a de plus charmant et de plus aimable: je vous souhaite, chère miss Alice, tout le bonheur que vous méritez si bien!

Le speech terminé, Mallet donna jour à un nouveau soupir dont la signification complexe indiquait à la fois le soulagement d'avoir accompli une corvée, et le dépit d'essuyer une défaite qu'il proclamait lui-même.

—Malgré toutes les bontés de mon oncle pour moi, répondit simplement Alice, je n'oublierai point les vôtres, M. Mallet, et j'en garderai toute la reconnaissance qu'elles méritent... Croyez-le bien, vous n'avez pas eu affaire à une ingrate.

—Je sais que vous êtes aussi bonne que belle, miss! repartit galamment le Français.

Puis, se tournant vers sir Deming d'un air gêné et craintif:

—Excusez-moi, sir: ma mission est remplie, votre nièce est entre vos mains; il ne me reste plus qu'à prendre congé de vous. J'ai hâte de contremander les préparatifs d'un voyage que je devais faire demain sur la rivière.

—Nous serions très-aises de vous revoir ensuite, dit sir Deming avec une intonation indiquant qu'il ne pensait pas un mot de cette phrase.

—Mille grâces, Monsieur, riposta Mallet piqué au vif; je suis fort occupé et ne peux me déranger ainsi tous les jours. Bonne nuit.

Et il partit furieux.

Tout le monde se mit à rire; surtout les deux jeunes gens:

—Mon Dieu! merci! fit Allen avec une ferveur comique.

—De quoi remerciez-vous Dieu, monsieur Allen? demanda sir Deming avec un redoublement d'hilarité.

—De ce qu'il exauce le vœu le plus cher de mon cœur, en replaçant miss Alice sous une tutelle honorable et sûre.

Sir Deming se renversa sur sa chaise en riant toujours:

—J'entends, vous teniez énormément à la voir changer depropriétaire. Et,... continua le bon oncle en regardant curieusement la jeune fille,... miss Alice ne vous a pas encore fait connaître «ses motifs» peur refuser tout échange. Peut-être cette chère nièce est ambitieuse, et préférerait le vieux richard Français?

Alice devint rouge comme une cerise et baissa les yeux en silence. Mistress Wyman vint à son secours.

—Oh! que nenni, sir, elle n'avait pour lui aucune préférence, j'en réponds; ce n'était guère le chemin qu'elle aurait voulu prendre. Mais elle regardait l'obéissance aux ordres de son père comme une chose sacrée; elle a voulu s'y soumettre même après sa mort: Oui, sir, voilà la vérité.

—Chère et douce enfant! s'écria sir Deming en embrassant tendrement sa nièce, c'est bien! très-bien! ce que vous avez fait là. Votre sagesse et votre soumission vous ont gagné toute mon amitié,—car j'étais au courant de toutes vos petites affaires;—vous avez ainsi mérité de rentrer dans les bonnes grâces de votre famille et de partager le haut rang qu'elle occupe dans le monde.

Après quelques instants de silence le baronnet continua:

—Je vais vous dire, M. Allen, quels ont été les motifs, entièrement raisonnables et dignes d'éloges, pour lesquels cette jeune fille refusait de suivre vos conseils et de se rendre à vos instances, quoique ses propres désirs en fussent contrariés. Elle connaissait l'existence malheureuse de sa mère, et savait que toutes ses infortunes provenaient d'une première désobéissance aux vœux de ses parents. Sa mère (ma sœur) était la plus aimable et la plus charmante des femmes; mais un amour insensé la fit déchoir de sa haute position, en la poussant à une mésalliance secrète avec unjardinier! Une vie de misère et d'angoisses fut le fruit de cette faute qui désespéra sa famille et ses amis. Avant sa mort, elle donna à sa fille ses conseils suprêmes pour la mettre en garde contre les cruelles erreurs qui l'avaient perdue. De son lit de mort, ma sœur m'écrivit une longue lettre contenant sa douloureuse histoire, et me léguant le soin de l'orpheline. Depuis lors j'ai surveillé Alice inostensiblement; sa conduite sage et prudente m'a convaincu que si elle avait la beauté de sa mère elle, n'en avait pas les défauts. Oui, je suis content d'elle.—Dans mes bras! chère enfant; vous êtes ma fille d'adoption, et, comme je l'ai promis à votre pauvre mère, Dieu aidant, je vous rendrai heureuse comme vous le méritez!

Alice embrassa son oncle qui l'attirait à lui par un geste paternel: moins forte pour supporter le poids du bonheur qu'elle ne l'avait été pour soutenir celui de l'infortune, elle cacha sa tête dans les mains de cet excellent ami envoyé par la Providence, et pleura longuement en silence.

Lorsqu'elle fut remise de son émotion, le baronnet s'adressa à Allen:

—Sir, dit-il, je vais vous faire une question bien intéressante pour vous, si je m'en rapporte à votre visage. Je lis, sur votre figure bouleversée, une inquiétude bien vive; j'y lis même la cause de cette anxiété: vous voyez en moi un farouche ravisseur qui va enlever cette intéressante fleur de la prairie pour la transplanter au sein du monde civilisé? Répondez-moi!

—Sir Deming, balbutia Allen, mon cœur est tranquille, car je le sens, miss Alice est maintenant en mains sûres. Quant à son départ avec vous,—ici la voix du jeune homme s'altéra,—que pourrais-je vous dire?... Je lui souhaite, du meilleur de mon âme, dans le monde civilisé où elle ira vivre, oui, je lui souhaite des amitiés profondes, aussi loyales, aussi sincères que celles dequelques habitantsde ce désert.

Le baronnet se détourna pour dissimuler son émotion; il regarda Alice, puis Allen; tous deux étaient plus pâles que des statues de marbre; les mains d'Alice étaient devenues glacées.

—Allen! mon fils! s'écria-t-il tout-à-coup; Alice! ma fille! Quand célébrerons-nous votre mariage?

Tous deux restèrent muets; Allen rougit comme une jeune fille.

—Seigneur! murmura mistress Wyman stupéfaite.

—Bien! bien! très-bien! reprit le baronnet; si je vous avais annoncé une séparation éternelle, vous auriez bien su m'adresser des discours déchirants. J'émets un avis qui est parfaitement le vôtre, vous vous taisez! c'est tout naturel: Qui ne dit rien consent.

—Pardon, sir, dit Allen d'un ton grave; je ne voudrais pas placer miss dans une alternative embarrassante: le sentiment de mon infériorité m'impose le silence.

—Allons, bon! vous êtes donc bien subitement devenu un plébéien bien infime, vous qui, il y a une heure à peine, teniez de si beaux discours à ma nièce?

—Sir Deming, tout est changé depuis votre arrivée; les apparences d'égalité qui existaient entre nous ont disparu. Or, vous blâmez les mésalliances... puis-je penser autrement que vous?

—De mieux en mieux! vraiment! Entendez-vous, Alice, ce jeune républicain qui rejette toute alliance avec l'aristocratie anglaise! Je vous vois obligée de renoncer à tous vos avantages de position et de fortune pour redevenir digne de lui!

—Le ciel m'est témoin, reprit Allen, que tous mes vœux les plus chers, mon amour le plus pur et le plus sincère s'adressaient à miss Newcome: mais j'en saurai faire le sacrifice, en songeant que c'est pour son bonheur. Si j'étais riche et grand seigneur, le cas serait bien différent; mais, humble et pauvre comme je suis, je ne dois pas lui demander la charité d'une union semblable.

—Par Jupiter! jeune Yankee, j'aime votre esprit rude et droit! On y trouve un parfum de cette terre sauvage, mais pleine de trésors. Cependant, il faut en finir: Alice voulez-vous que j'essaie auprès de cet héroïque obstiné une nouvelle demande; ou bien vous considérez-vous comme bien et dûment refusée?

—Vous avez le droit de me donner à celui que vous aurez choisi, cher oncle, répondit Alice toute rougissante, mais qui, néanmoins, avait fort adroitement souligné le mot donner.

—O artifice du cœur féminin! s'écria le baronnet; qui, aussi bien qu'une femme, aurait réussi à trancher ainsi la difficulté? Vous donner!... faut-il vous donner? Pour punir ce républicain orgueilleux, j'aurais bien envie de n'en rien faire. Mais, d'autre part, si je vous emmène avec moi, je crains fort que vous ne soyiez pas une société fort gaie, pendant la traversée. Bah! je me décide! Tenez M. Allen, je vous en fait cadeau; refusez si vous osez! Je vous adresse en même temps mes félicitations. Mistress Wyman se joint à moi, j'en suis sûr.

—Oh! Dieu puissant et béni! s'écria la bonne femme, pendant qu'Allen recevait dans ses mains tremblantes celles de la jeune fille; ah Seigneur! si jamais j'ai désiré passionnément une chose, c'est bien celle-ci!

—Mistress Wyman, reprit le baronnet, il faut que ce mariage soit célébré cette semaine. Plus tard, je ne pourrais assister à la cérémonie.

En ce moment entra Wyman.

—Ah! voici mon complice! s'écria sir Deming en prenant amicalement la main du nouveau venu; il y a longtemps que nous préparions ensemble cette grande affaire; nous nous en sommes tirés, je l'espère, à notre honneur et à la satisfaction générale?

—De par tous les diables! Je veux dire, n'ayez pas peur! ce n'a pas été sans peine, répliqua l'honnête constable avec son gros rire; mais, voyez-vous, le proverbe dit vrai: «Tout est bien qui finit bien.»

Quatre ou cinq ans s'étaient écoulés depuis la joyeuse noce célébrés chez mistress Wyman.

Fairview était devenu une ville: le désert avait fui devant la civilisation; plus de claires sauvages; plus de désert; plus de prairies; lesTerres d'Oravaient produit leur opulente moisson.

Flag était devenu uncongressman, un des hauts personnages de Washington; il avait épousé une des plus belles et des plus riches héritières du comté.

Par une belle soirée d'automne il se promenait avec sa femme dans «Pensylvania Avenue»:

—Voilà un couple charmant, observa lady Flag à son mari, en lui indiquant deux jeunes promeneurs.

Flag jeta un regard dans la direction indiquée, et poussa une exclamation:

—Allen! mon vieux camarade! quelle joie de vous revoir.

—Flag! est-ce vous mon excellent ami?

Et les deux jeunes gens s'embrassèrent avec chaleur:

—Je vous présente ma femme, reprit Flag.

—Lady Alicia Allen, ma bien-aimée compagne, dit Allen en saluant et présentant sa femme.

—De quel continent arrivez-vous donc, mes charmants oiseaux de passage? demanda Flag après ces premiers échanges de politesses.

—Nous avons passé le printemps à Paris, l'été à Londres, et nous voilà!

—Sir, demanda Alice, vous qui êtes resté Américain fidèle, dites-moi, je vous prie, ce qu'est devenu le Claim Newcome?

—Je l'ai acheté, milady: c'est maintenant une belle et riche ferme, une des plus délicieuses résidences du haut Missouri.

—Et Wyman?... et sa digne femme?...

—Ils sont, je crois, dans une médiocrité voisine de la misère: ces braves gens s'étaient portés cautions pour un jeune homme qu'on leur avait recommandé, et qui les a ruinés en se ruinant aussi.

Alice dit vivement quelques mots à l'oreille de son mari:

—Le Claim Newcome est-il à vendre? demanda celui-ci.

—Voudriez-vous l'acheter...? En ce cas il est à votre disposition.

—Une vraie réponse d'Yankee! répliqua Allen en riant. Eh bien oui! j'en ai envie.

—Pour l'habiter?

—Peut-être... l'été prochain... Lady Allen voudrait y avoir une maison montée en forme de pied-à-terre, sous la direction des Wyman.

—Toujours bonne! dit Flag en regardant Alice.

Des larmes tremblaient aux longs cils de la douce et charmante jeune femme.

Après un court silence, Flag amena la conversation sur un autre terrain.

—Ah! que je vous dise une rencontre bizarre que j'ai faite il y a quelques mois dans le Kansas. Je traversais Leavenworth, lorsqu'au milieu d'un meeting méthodiste j'ai aperçu... devinez qui...?

—Je ne saurais...

—L'un des deux compagnons de Carnes! le plus jeune, qui apparemment s'est converti, et qui est entré en religion. Il est ministre je me suis arrêté quelques minutes pour l'écouter prêcher. Il parlait, ma foi! avec une éloquence persuasive. Tout à coup il s'est interrompu, fixant les yeux sur la foule, et s'est écrié: «—Jim! je vous reconnais! ne voulez-vous pas faire comme moi, vous repentir, et songer à votre salut?»—«Oui! oui! a répondu une voix que je reconnaîtrai toujours; je me suis repenti, mais je ne suis pas encore sauvé. J'ai grand besoin de vos prières.»—Là-dessus, le pauvre ministre s'est mis à genoux et a adressé au ciel les plus touchantes prières... en même temps, la congrégation réunie autour de lui s'est agenouillée et a prié de tout son cœur! N'était-ce pas un étrange spectacle...?

—C'est vrai, répondit Allen; mais je doute que les meilleures prières puissent sauver Jim.

—Ah! encore autre chose: savez-vous ce qu'est devenu Mallet...?

—Dites.

—On l'a trouvé, à demi rongé par les fourmis, au coin d'un bois, sur la Platte; il avait le corps traversé par une flèche Omaha.

—La tribu de Ka-shaw?

—Oui.

—Ah! il ne fait pas bon encourir unevendettaIndienne.

—Sir, demanda vivement Alice pour détourner la conversation, voulez-vous me faire un grand plaisir?

—Si je pouvais le deviner, milady, ce serait déjà fait! répliqua courtoisement Flag.

—Nous partirons demain pour Newcome-Claim, j'ai hâte d'y installer ma bonne mistress Wyman.

—Il sera fait comme vous le désirez, lady Alice; et, je vous le prédis, vos jours seront longs et heureux sur cetteTerre d'Or; car votre arrivée y est précédée d'une bonne action.

CHAPITRE PREMIERDeux solitairesCHAPITRE IIUne joyeuse veilléeCHAPITRE IIIUne tragédie dans les boisCHAPITRE IVL'informationCHAPITRE VUn revenantCHAPITRE VILe juge LynchCHAPITRE VIIUn anniversaire du bon vieux tempsCHAPITRE VIIITempêtes intérieuresCHAPITRE IXSacrificeCHAPITRE XÉclaircissements du mystèreCHAPITRE XIL'histoire d'une nuitCHAPITRE XIIUn repaire de banditsCHAPITRE XIIIJustice de Dieu; justice des hommesCHAPITRE XIVRéapparitionsÉPILOGUE


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