Madame
Le mal que ie souffre pour vous, n’est point la mort assurement, et toutefois ie me meurs depuis que ie vous ay veuë. Ie brule, je tremble, mon poux est déréglé, c’est donc la fiéure : hélas ! ce ne l’est point ; car on la définit une disproporcion querelleuse des qualitez de l’animal ; et c’est la parfaite harmonie de nos temperamens, qui m’a rendu malade. Quand ie vous aperceus, il me sembla trouuer ce beau, a la recherche de qui la nature pousse tous les hommes : quand vous parlâtes, ie m’ecriay, voilà ce que i’ay voulu dire tant de fois ; mon cœur souffloit dans mes entrailles, frapoit contre les murs de sa prison, et maudissoit le Ciel, qui lui donnant l’enuie et les moiens de reconnoître sa moitié, lui refusoit le pouuoir de la joindre après l’auoir trouuée. Cependant, il s’est dépité de telle sorte (ce petit souuerain) de n’être pas absolu dans son empire, qu’il me refuse ses fonccions : il ne prend rien de mon foie, qui ne soit combustible ; il aréte le mouuement de mes poulmons, de peur d’en estre rafraîchi ; partout, il enuoie du feu, et si ie dure encore trois iours en cet état, on verra peut-être mon corps s’alumer au milieu des rues : ie suis déjà si sec, que la moindre étincelle qui me touchera, c’est fait de moy. Preuenez cet accident,Madame, venez à lui, puisqu’il ne peut aler à vous : helas ! c’est un téméraire, c’est un Sanson, qui ne se soucira pas de mourir étouffé sous les ruines de son palais, pourueu qu’il acable en tombant ceux qui l’empéchent de vous embrasser. Songez, que la nature vous aiant faite capable de me blesser, vous a lié une jambe, de peur que vous ne puissiez emporter en fuiant le remède que vous me deuez ; et ces blessures ne sont point imaginaires, car enseignez moy, ie vous prie, un endroit de votre corps ou ie puisse atacher ma veuë, dont il ne soit sorti une fleche inuisible qui ma frapé ? Y à t-il sur vous un àtome, qui ne soit coupable de ma mort ? Autant de fois que ie le trouue beau, vous me semblez un agreable herisson, qui ne souffrez iamais qu’on se detache d’une épine que pour faire tomber sur d’autres ; votre front me flate, vos yeux me prométent ; votre bouche me rit, mais il suruient à la trauerse ma mauuaise fortune qui me d’éfend d’espérer. Opprimez, pour l’amour de moy, cette barbare ; ne souffrez pas qu’une aueugle malicieuse triomphe de votre bonté ; votre visage me dit oui ; cette cruelle me dit non. Vous feroit elle mentir, la maraude ? Elle ne sçauroit, ou bien vous le voudrez. Ha ! qu’elle seroit brauée, et que ie serois heureux, si ce bien qu’une personne disgraciée de la nature ne sçauroit esperer que du caprice de cette fole, ie le receuois de votre propre main ; car j’aimerois bien mieux vous étre obligé, qu’a mon ennemie. Ie suis cependant, entre les deux, ocupé à regarder, tantôt vous, tantôt elle, et ie demande en pleurant qui me fera meilleur visage. Ie l’espère de vous ; et qui m’en demanderoit la raison, ie ne sçay, sinon que vous étes belle : Ie l’atens d’elle ; a cause qu’elle ne se peut reconcilier auec moy, sinon par un plaisir dont la grandeur soit proportionnée à la grandeur des déplaisirs qu’elle m’à fais. O ! Dieux, que notre bien est mal assuré, lorsqu’il est entre les mains d’une jeune fille et de la fortune ; mais si l’un et l’autre négligent de me guerir, i’auray recours au médecin de tous les grans maux ; c’est la mort ; oui, ie mourray : possible qu’alors mon desastre vous atendrira ; que vous résisterez plus douloureusement aux trais de la mort que de l’amour ; et qu’un iour, quand on demandera qui i’étois, vous aiouterez aux larmes que l’humanité forcera vos yeux de donner un petit souleuement d’estomach aux manes d’une personne qui uous à tant aimé. Ha ! si ce bonheur acompagne mes cendres, que les pierres de mon tombeau seront legéres dessus elles ; qu’elles attendront bien paisiblement le dernier iour du monde ; qu’elles se leueront de bon cœur, pour aller au tribunal rendre compte de ma vie. I’iray toutefois ; ie me plaindray de votre barbarie ; ie demanderay a Dieu qu’il m’en fasse îustice. Il vous condamnera de brûler sous la Terre, car i’ai brûlé dessus. Prevenez par la cependant,Madame, un si rigoureux arrest : brûlons d’amour, céte flame est si douce ; personne n’en est iamais mort ; l’aimez vous mieux estre par la main d’un autre que par moy, qui n’ay garde de vous faire du mal, puisque ie suis
Votre Seruiteur D. C.