Chapter 21

M…

Je ne te vois qu’à demy, parce que je t’aime trop ; et tu pense me voir trop, parce que tu ne m’aime qu’à demy. Viens chez moy tout à l’heure, si tu veux convaincre de mensonge l’apprehension que j’ay de ne te voir jamais. Il y a déjà un jour que nous ne nous sommes veus : Un jour, bons Dieux ! Ha ! je ne le veux pas croire, ou bien il faut me resoudre à mourir. Penses-tu donc m’avoir laissé dans le cœur ton image assez achevée, pour se reposer sur elle de tout ce qu’elle me doit promettre de ta part ? Il est vray qu’elle y est, et tres-veritable encore qu’elle y est peinte fort bien : Mais je n’oserois la presenter à mes yeux, parce que je m’imagine qu’il la faudroit tirer de mon cœur, et je ne sçay si je l’y pourrois remettre sans toy. Je voy bien maintenant que je ne suis pas un Soleil comme tu m’as souvent appellée ; car les Cadrans ne s’accordent pas au compte que je fais des heures, j’en compte plus de mille depuis ta cruelle absence de chez nous. Cependant tu ne regarde l’Horloge que pour y apprendre l’heure de ton disner ; sans te soucier si celle que tu souhaites ne sera point peut-estre ma derniere ; ou quand tu viendras faire de belles excuses, si tu me trouveras en vie pour les écouter.

Achevé d’imprimerà Lavalle mardi 28 février 1905sur les presses deL. BARNÉOUD et CiepourPLESSIS, libraireà Paris

LES « LETTRESD’AMOUR »SE TROUVENT CHEZPLESSIS, LIBRAIRE23, RUE DE CHATEAUDUN,PARIS


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