Chapter 6

Madame,

Bien loin d’auoir perdu le cœur en vous voiant, comme préchent les passionnez du siècle, ie me trouue depuis ce jour la beaucoup plus honneste homme. Mais comment aussi l’aurois-ie perdu, que, comme s’il eut aprehendé de n’estre pas assez d’un pour tous vos coups, ie le sentis palpiter à cét abord en tous mes artères : et c’étoit ce petit ialoux qui se reproduisoit indiuisiblement en chàque atome de ma chair, à fin qu’ocupant tout seul mon corps tout entier, rien que lui ne participât à l’honneur d’estre blessé de vous. Ie ne diray point non plus comme le vulgaire, de mesme que si vous étiez un basilic, que ce furent vos yeux qui me firent mourir : comme toutes vos armes ne sortirent pas de notre veuë, toutes vos armes n’entrerent pas par la mienne. Quand votre bouche me charmoit, c’étoit mon oreille qui m’en aportoit le poison. Quand i’étois excité par l’aimable douceur de votre peau bien unie, c’étoit sur la déposicion de mes mains que ie me condamnois au feu. Votre beauté mesme ne faisoit pas grand effort contre moy, parce que votre visage qui fut iadis son trône, étoit alors son cimetiere ; et tant de petits trous, qu’on y discerne, me sembloient estre les fosses, où la vérole auoit mis vos atrais en sepulture. Cependant la franchise pour qui Rome autrefois a risqué l’Empire du monde, cette diuine liberté, vous me l’auez rauie, et rien de ce qui chez l’ame se glisse par le sens, n’en à fait la conqueste : votre esprit seul méritoit cette gloire ; sa viuacité, sa douceur, son courage, valoient bien que ie me donnasse à de si beaux fers. Ie ne croy pas pourtant que vous soiez un ange, car vous estes palpable ; ie n’ay garde aussi de penser que vous soiez comme moy puisque vous estes insensible ; cela me fait imaginer que vous estes quelque chose au milieu du raisonnable et de l’inteligible. I’aurois dit mesme que vous tenez de la nature humaine et diuine, si de tous les atribus qui sont necessaires à la perfeccion du premier estre, et qui vous sont essenciels, celui de misericordieuse ne vous manquoit. Oui ! Si l’on peut imaginer en une diuinité quelque défaut, ie vous acuse de celui là : ce iour mesme que vous me blessâtes, vous me promîtes l’apareil dans trois autres ; outre que c’eut esté donner remede trop tard à un mal qui gaigne le cœur, encore n’y vîntes vous pas. Mais vous fîtes bien ! car on doit se tenir caché quand on a tué un homme. Sortez toutefois sans rien craindre ; sortez, c’est une loy pour le vulgaire qui ne vous regarde point. Il serait fort nouueau qu’on recherchât un tiran de la mort de son esclaue. Vous vous étonnez possible que moy mesme i’escrime. Ie le fais pourtant sans miracle ; mais aussi l’homme à deux trépas à souffrir sur la terre, celui d’amour, et celui de nature. Ie puis donc croire que quand ie commancé de vous aimer, ie commancé de mourir ; puisque la mort est definiée la separacion de l’esprit et du corps ; et que ie perdis l’esprit au moment que ie vous aimé. Mais quand auec la peine d’amour i’auray encore subi celle ou la condicion d’animal nous astrint (quoy que ie ne sens plus les douleurs de la première), ie ne laisseray pas de m’en souuenir éternellement la bas, et si on diffère de qualitez en l’autre monde, comm’en celui ci, vous serez touiours ma souueraine, et moy (fusse entre les flammes qui deuoreront ma substance), ie seray toujours

Votre Seruiteur très ardant.


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