Chapter 18

«Une victoire est toujours la bienvenue; mais quand elle est des plus grandes de son siècle, quand elle tient au commencement d'un règne, d'un emploi et d'une campagne, alors elle tient des rayons du soleil dont la simple lumière est toujours belle, mais de qui les effets se multiplient et par leur nombre et autant de fois qu'ils sont réfléchis par les divers miroirs qui les reçoivent. Elle est de soi-même très glorieuse comme très grande; elle est de bon augure pour le Roi sous les auspices duquel elle sert de première marche et de piédestal à ses trophées, et connue d'un hiéroglyphe à marquer les félicités que nous promet la régence de la meilleure et plus parfaite Reine que la France ait jamais eue; elle sert d'un pronostic assuré de ce qu'il faut attendre de l'heur, de la valeur et de la conduite d'un général qui commence ses exploits par où les autres voudroient finir les leurs, et elle nous donne telle espérance de bien terminer cette campagneque le grand échec qu'y ont reçu les ennemis leur fait craindre que de leur côté elle ne soit achevée.Le duc d'Enghien, général de l'armée du Roi en Flandre, sur la résolution par lui prise de se mettre en campagne et d'entrer dans le pays ennemi aussitôt que la commodité des fourrages le pourroit permettre, avoit le 9mede ce mois donné rendez-vous à toute sa cavalerie sur la rivière d'Oise et à son infanterie sur la rivière de Somme. Mais ayant su quelques jours auparavant par le retour des partis qu'il avoit envoyés prendre langue des ennemis, qu'ils marchoient avec de grandes forces du côté de Valenciennes, il changea ce premier rendez-vous en celui d'Ancre qu'il donna pour toute son armée, envoyant promptement ses ordres au marquis de Gèvres et au sieur d'Espenan, maréchaux de camp qui commandoient chacun un corps à part, de se tenir prêts pour le venir joindre au premier avis; et pour ne rien omettre, il ordonna en particulier audit sieur d'Espenan, comme au plus proche des ennemis, de jeter incessamment quelques troupes dans Guise et dans la Capelle que leur marche sembloit menacer. Lui cependant ayant commencé la sienne, eut avis, au partir d'Ancre, que le comte d'Isembourg avec un corps séparé, avoit le 12 de ce mois investi Rocroi, contre lequel les autres corps ennemis s'avançoient à grandes journées avec le reste de leurs forces par la frontière de France, où ils faisoient de grands désordres; ce qui l'obligea de commander le Srde Gassion, aussi maréchal de camp et maître de camp général de la cavalerie légère, servant près de lui, d'aller avec 1500 chevaux, suivre leur piste, épier leur contenance, prendre les avantages que l'occasion lui fourniroit pour secourir la place et couvrir le pays et le corps de Gèvres qui venoit de Reims pour le joindre.Le sieur de Gassion exécuta heureusement cet ordre le 16 de ce mois, et ayant défait les petits corps avancés des ennemis et poussé leurs gardes, donna de telle sorte jusque dans le front de leurs bandières (ainsi les Espagnols appellent la tête de leur armée), qu'il attira à soi toutes les forces du camp qui étoit devant Rocroi, et par ce moyen fit entrer dans la place assiégée un secours de cent fusiliers choisis du régiment du Roi, commandés par le sieur de St-Martin, premier capitaine de ce régiment, et par le sieur de Cimetière, lieutenant des gardes du dit sieur de Gassion, lesquels y arrivèrent si à propos qu'ayant fait une sortie ils reprirent une demi-lune et tous les dehors de Rocroi que les ennemis avoient déjà occupés, nonobstant la défense du sieur de Joffreville, gouverneur de la place, qui n'avoit dedans que 400 hommes, donnant par ce moyen temps au duc d'Enghien de s'avancer, et joindre, comme il fit, le corps de Gèvres et d'Espenan au village d'Origny et de Brunchamel[594], d'où il se rendit le 17 à quatrelieues de Rocroi, à savoir au village de Bossu, où le sieur de Gassion s'étant aussi rendu en même temps avec les 1500 chevaux commandés, sur son rapport de la contenance des ennemis et de la situation de leur camp, il fut résolu le 18 de se faire jour à vive force pour secourir la place, laquelle vraisemblablement ne pouvoit plus tenir que jusque au lendemain, les ennemis n'ayant pas seulement repris tous ses dehors, mais étant logés dans son fossé et l'attaquant par trois endroits.Cette ville est située à la tête des Ardennes, au milieu d'une bruyère, en un lieu élevé, fortifiée de cinq bastions non revêtus et de quelques demi-lunes fraisées; toutes lesquelles fortifications n'étant pas jugées bastantes pour se maintenir plus longtemps contre de si puissants ennemis, et défendue avec si peu de gens, et sa perte la rendant considérable par elle-même et plus encore par ses conséquences, telles que sa prise ouvre le chemin aux ennemis presque jusque aux portes de Paris, on ne pensa plus qu'à se hâter de la secourir.Pour cet effet, notre général, aidé de l'expérience du maréchal de L'Hôpital et de celle de ses maréchaux de camp et officiers, ayant envoyé reconnoître les lieux, on avoit remarqué deux défilés à une lieue du camp dans le bois de Fors, qui étoient les seuls endroits propres à l'exécution de ce dessein. Cinquante Croates furent commandés de pousser par delà l'un de ces défilés, qui fut jugé le plus commode pour le passage de notre armée, avec ordre de reconnoître s'il étoit gardé par les ennemis; et l'officier qui commandoit ces Croates ayant rapporté au duc d'Enghien que les ennemis paroissoient de l'autre côté du défilé, il ordonna en même temps au sieur de Gassion de s'avancer dans une plaine au delà de ce défilé avec la compagnie des gardes dudit Duc, tous les Croates, le régiment de fusiliers et celui de la cavalerie du Roi, de nettoyer toute cette plaine jusqu'au camp des ennemis, et de reconnoître si leur armée étoit retranchée, ou si elle marchoit pour nous combattre, quand nous serions à demi passés, ou pour s'opposer entièrement à notre passage.Le sieur de Gassion suivant cet ordre arriva dans la plaine à 1 heure de l'après-midi dudit jour, 18 de ce mois, poussa jusque dedans leur camp tout ce qu'il trouva d'ennemis, et s'étant rendu maître d'une hauteur fort proche dudit camp, découvrit qu'ils sortoient hors du front de leurs bandières pour se mettre en bataille. De quoi ayant été aussitôt donné avis au duc d'Enghien par le sieur de Chevers, maréchal général de la cavalerie, ce prince passa à l'instant le défilé, et lui commanda de faire suivre la cavalerie de l'aile droite de son avant-garde composée des régiments du Roi, de Gassion, de Lenoncourt, de Coaslin et de Sully. Le maréchal de L'Hôpital demeura avec les sieurs d'Espenan et de La Ferté-Senetère, pour faire diligemment passer le reste de l'armée.Pour favoriser ce passage le duc d'Enghien se trouva en bataille, sur les deux heures après midi de ce jour-là, avec ses troupes de cavalerieet celles qui avoient les premières passé le défilé commandées par le sieur de Gassion, auxquelles troupes il fit commencer l'escarmouche qui dura deux ou trois heures, pendant lesquelles le reste de notre armée passa, se mettant aussi en bataille à mesure qu'il arrivoit. Et pour ce qu'il n'y avoit pas assez de terrain pour y placer commodément toutes nos troupes, il fit pousser par les Croates, soutenus de deux petits corps de cuirassiers du régiment de Gassion, commandés par le sieur de Vassau, lieutenant du régiment, les ennemis qui occupoient une autre hauteur, sur laquelle notre aile droite s'étant étendue pour faire place à la gauche pressée d'un marais voisin, le canon des ennemis commença à tirer sur les quatre à cinq heures du soir, et le nôtre un quart d'heure après, avec telle furie qu'il nous fut tué ou blessé un grand nombre d'hommes, notre canon, ne demeurant pas aussi sans effet, emportant plusieurs des ennemis.La nuit ayant fait cesser les canonnades et empêché qu'on ne vînt aux mains, il fut mis en délibération si l'on donneroit la bataille sans attendre le lendemain, ou si à la faveur de la nuit on essaieroit de faire entrer quelques secours dans la place. Mais après plusieurs raisons apportées de part et d'autre, il fut enfin résolu par l'avis de tous les officiers généraux de différer la bataille jusqu'au point du jour du lendemain, et par conséquent de ne se point affoiblir par un secours qui ne se devoit pas tenter s'il n'étoit considérable[595].Il sembloit que les deux armées n'eussent tenu qu'un seul conseil de guerre, et que par une résolution commune elles y eussent arrêté une bataille générale pour le lendemain; car, encore qu'il n'y eût rien qui pût empêcher l'un ni l'autre des partis de s'attaquer durant la nuit, si est-ce que pendant icelle les deux armées demeurèrent campées en bataille à la portée du mousquet sans rien attenter l'une sur l'autre.Le duc d'Enghien, après avoir donné les ordres et posé les grandes gardes à la tête de son armée, passoit la nuit au feu des officiers et des soldats du régiment de Picardie[596]. Nonobstant la brièveté de laquelle lejour tardoit à tous à venir, lorsqu'un cavalier françois, qui servoit les ennemis, ayant quitté leur parti et se jetant dans le nôtre, le confirma au dessein formé le jour précédent de donner bataille. Car ce cavalier, ayant demandé à parler à notre général, après avoir obtenu pardon sous le bon plaisir du Roi, il l'assura que le général Beck devoit joindre l'armée ennemie le lendemain à sept heures du matin avec 1,000 chevaux et 3,000 hommes d'infanterie. Cet avis venu fort à propos, et la crainte du nouveau dommage dont nous menaçoit le canon des ennemis pointé si proche de nous, firent embrasser avec grande résolution celle qui avoit été prise le soir d'auparavant; suivant laquelle, dès le point du jour du mardi 19 de ce mois, le sieur de Gassion continuant de prendre soin de l'aile droite comme il avoit fait le jour précédent, le sieur de La Ferté-Senetère de la gauche, et le sieur d'Espenan de l'infanterie, le duc d'Enghien voulut particulièrement s'appliquer à l'aile droite et laissa le soin de la gauche au maréchal de L'Hôpital.La[597]disposition du champ de bataille étoit telle, que notre aile droite étoit bornée d'un bois et notre aile gauche d'un marais, y ayant plus de demi-lieue de distance entre les deux. La bataille fut commencée entre ce bois et ce marais, à un quart de lieue de Rocroi; mais après que les nôtres eurent poussé les premiers bataillons de l'ennemi, tout le reste de l'action se passa dans une plaine plus spacieuse à la vue dudit Rocroi.L'armée ennemie étoit composée de 25 à 26,000 hommes, à savoir 17,000 hommes de pied en 22 régiments sous la charge du comte d'Isembourg, et le reste en 105 cornettes de cavalerie commandées par le duc d'Albuquerque. De toutes lesquelles troupes le comte de Fontaines étoit maréchal de camp général, et don Francisco de Mello général pour le Roi d'Espagne. La nôtre étoit d'environ 20,000 hommes, à savoir: 14,000 hommes de pied et 6,000 chevaux. Notre infanterie étoit composée des régiments de Picardie, Piémont, la Marine, Rambure, de Persan, de Harcourt, Guiche, Aubeterre, la Prée, de huit compagnies royales, de Biscaras, de Gèvres, Langeron, du Vidame, de Vervin, du régiment des gardes Écossoises, de celui de Molondin, de Vateville et de Rolle, ces trois derniers Suisses. Notre cavalerie étoit composée des gens d'armes de la Reine, des Écossois, d'une brigade de la compagnie du prince de Condé, d'une autre du duc de Longueville, de celle d'Angoulême, de Guiche et de Vaubecourt; notre cavalerie légère consistoit au régiment Royal, en ceux de Gassion, de Guiche et d'Harcourt, de la Ferté-Senetère, de Lenoncourt, du baron de Sirot, de La Clavière, de Sully, de Roquelaure, de Méneville, de Heudicourt et de Marolles; ils étoient grossis des fusiliers du Roi, des gardes du duc d'Enghien, de la cavalerie étrangère de Syllar, de celle du régiment de Léchelle, de Beauveau, de Vamberg, de Chac et de Raab Croates.Le duc d'Enghien, avant d'aller à la charge, visita tous ses bataillons et escadrons, animant tous les officiers et soldats au combat en leur remontrant la justice de la cause qu'ils soutenoient, où il y alloit du service du Roi et de la dignité de sa couronne, en leur mettant devant les yeux l'honneur qu'ils alloient acquérir en s'opposant à un puissant ennemi, dont la victoire laissoit à sa merci tant de peuples qui s'attendoient à leur défense. Sa grâce animoit merveilleusement son discours, mais plus encore son exemple. Il s'étoit bien laissé armer par le corps; mais il ne voulut point d'autre habillement de tête que son chapeau ordinaire, garni de grandes plumes blanches, ce qui servit beaucoup à ramener dans le chaud de la mêlée plusieurs escadrons au combat qui ne l'eussent pas autrement reconnu, comme ils firent à son visage; aussi le mot du ralliement étoit celui d'Enghien.Les ordres donnés, nos deux ailes sur les trois heures du matin marchèrent en même temps contre l'armée des ennemis qui les attendoit de pied ferme. C'étoit bien matin, mais il ne falloit pas commencer si tard une si grande journée. Dans cette marche notre aile droite rencontra devant soi un petit rideau dans un fond proche d'un bois, où les ennemis avoient logé 1,000 mousquetaires, qui furent aussitôt taillés en pièces par les nôtres, lesquels poussèrent aussi toute la cavalerie ennemie qui lui étoit opposée de ce côté-là.A l'aile gauche de notre armée, le sieur de La Ferté-Senetère ayant chargé la droite des ennemis aussi avec toute la conduite et résolution imaginables, le combat s'y trouva tellement opiniâtre qu'il y fut blessé de deux coups de pistolet et de trois coups d'épée, son cheval tué, et lui emmené prisonnier, mais peu après recous, ce qui ne se put faire sans apporter quelque désordre à notre aile gauche, dans lequel les ennemis s'étant rendus maîtres de notre canon après qu'ils eurent tué le sieur de La Barre, lieutenant de l'artillerie qui y fit très bien son devoir, le maréchal de L'Hôpital rallia une partie de nos troupes de son aile, et à leur tête recommença la charge avec tant de vigueur qu'il regagna le canon que nous avions perdu, où lui-même faisant des mieux fut blessé d'un coup de mousquet dans le bras, la fortune envieuse de sa vertu tâchant en vain de lui arracher des mains le bâton que tant d'exploits lui ont fait mériter. Toutefois cet accident, qui le mit hors de combat, ayant encore ébranlé notre aile gauche, et les ennemis ayant repris notre canon et s'en étant servi contre nous, le baron de Sirot, maître de camp de cavalerie, qui commandoit le corps de réserve, rallia de nouveau toutes les troupes, arrêta avec grand cœur le corps des ennemis qu'il soutint jusqu'à ce que notre aile droite ayant chassé la cavalerie qui lui étoit opposée[598]et gagné le derrière de leur armée, vint attaquer l'infanterie espagnole après que toute l'infanteriewallonne, allemande et italienne eut été taillée en pièces.Il ne falloit pas qu'un si grand succès s'acquît avec peu de peine. La cavalerie espagnole fit bien quelque devoir, mais la résistance de leur infanterie n'est pas croyable. Elle fut si grande qu'elle obligea tout le corps de notre cavalerie à venir les uns après les autres, chacun cinq ou six fois, à la charge sur elle, sans qu'ils la pussent rompre; de quoi ils fussent malaisément venus à bout si l'on ne se fût avisé de les faire attaquer d'un autre côté en même temps par notre infanterie de l'aile droite, laquelle prenant l'espagnole en queue et en flanc, par où la prenoit aussi notre cavalerie, tandis qu'elle soutenoit toujours le feu en tête, elle fut enfin rompue entièrement par notre cavalerie de l'aile droite conduite par le sieur de Gassion qui fit en cette occasion des merveilles à son ordinaire.Ce ne fut plus désormais que tuerie; à quoi nos Suisses entre autres ne s'épargnoient pas pour venger la mort de leurs camarades, que la première furie des canons et des mousquetades avoit emportés avec plusieurs autres. De ce rang furent aussi le sieur d'Avise[599], cornette du régiment des gardes du duc d'Enghien tué d'une mousquetade au ventre, le sieur de Longchamp exempt desdites gardes, et 12 ou 15 de ses compagnons (car je suivrai l'ordre auquel on me mande qu'ils sont morts et non celui de leurs rangs); les sieurs de La Bise, sous-lieutenant de la compagnie des gens d'armes du prince de Condé, Dufour[600], lieutenant de la compagnie des gens d'armes du maréchal de Guiche, Lalac, capitaine de la marine, le baron d'Ervault[601], capitaine de cavalerie au régiment d'Harcourt, les sieurs de Montoise, capitaine au régiment de la Ferté, de Choisi, cornette de la compagnie du marquis, de Lenoncourt, de Vivans, capitaine au régiment de Sully, le comte d'Ayen[602], commandant le régiment de cavalerie du maréchal de Guiche, les sieurs Daltenove, lieutenant-colonel de Lechelle, de Clevant[603], capitaine dans Piémont, du Mesnil, Froyel, Bergues et Villiers, capitaines au régiment de Rambure, d'Arcombat, lieutenant-colonel au régiment de Biscaras, Du Breuil et Matharel, capitaines au régiment de Bourdonné, tués, celui-ci d'une volée de canon qui lui emporta la tête.Entre nos blessés, outre ceux ci-dessus, sont le sieur d'Ambleville Gadancourt, lieutenant de la compagnie des gens d'armes du duc d'Angoulême, le marquis de Persan, blessé à la cuisse combattant à la tête de son régiment, les sieurs de Froment, lieutenant de la compagnie du sieur de Gassion, de Saint-Martin, lieutenant au régiment du Roi, quieut la jambe emportée, de L'Escot, lieutenant des gardes du duc d'Enghien, blessé d'une mousquetade à la cheville du pied, aussi combattant à la tête de sa compagnie de gendarmes du prince de Condé; de Beaumont-Maussat, enseigne de la même compagnie; le chevalier des Essarts, volontaire, le sieur de La Hautière, capitaine de Bourdonné, celui-ci d'un coup d'épée dans la cuisse; les sieurs de Bois-Lapière, capitaine au régiment d'Harcourt, de Clainvilliers et de Reineville[604], capitaines au régiment du Roi aussi blessés, le premier de 10 coups et les autres de chacun 4 ou 5; le baron d'Equancourt, capitaine au régiment de La Ferté, et le sieur de La Roche son lieutenant; les lieutenants au régiment de Coaslin, de Beaufort, lieutenant de Vaudrimont, Darenne, capitaine au régiment de Sully, de La Mothe-Méressal, capitaine au régiment de La Guiche, d'Hédouville, capitaine au régiment de la Clavière, de Mongueux[605], capitaine au régiment de Marolles, et de Sens, capitaine au régiment de Sirot; les sieurs de Beauveau, colonel, blessé d'un coup de mousquet à la main, de Pedamous[606], capitaine au régiment de Picardie et commandant les enfants perdus dudit régiment, d'une mousqueterie à l'épaule; le marquis de La Trousse, mestre de camp de la Marine, le chevalier de La Trousse, son frère, le sieur du Mesnil, premier capitaine au régiment d'Harcourt, et les sieurs du Puy et de Selleri, capitaines de Biscaras, aussi blessés.Tous les nôtres se sont portés si allégrement et ont si courageusement combattu en cette occasion qu'ils en doivent tous remporter de la louange. Mais, outre ceux que leur mort et leurs blessures signalent assez sans autre recommandation, le sieur de Moucha[607], sous-lieutenant de la compagnie des gendarmes de la Reine, les sieurs de Menneville, et Marolles, mestre de camp de cavalerie; les colonels Vamberg et Raab, les sieurs de Montbas, Destournelles, Pontècoulant et Saint-Julien, capitaines au régiment du Roi; de Villette Ravenel, Dulong, La Garanne, La Vallière et Chaumarais, capitaines au régiment de Gassion; les sieurs de Lignières, Articoti, le chevalier de Bourlemont et La Borde, capitaines au régiment de Lenoncourt; L'Anglure et de La Bourlie, capitaines au régiment de Coaslin; Duplessis et le comte de Pangeas[608], capitaines au régiment de Sully; le comte de Grandpré, capitaine au régiment de Roquelaure; le vicomte du Bac[609],lieutenant-colonel au régiment de Gèvres; le lieutenant-colonel de Sillart, et le sieur de Cuizy, capitaine des fusiliers du Roi; le chevalier de Rivière et le sieur Campels, capitaine de La Marine, commandant les enfants perdus, et de La Bretonnière, capitaine au même régiment; le vidame d'Amiens combattant à la tête de son régiment; les sieurs de La Prée, mestre de camp d'infanterie; Maupertuis, lieutenant-colonel de Picardie, de Godaille et de Pradelle, majors de brigade; Saint-Agnan, du régiment de Rambure; La Barte, de La Marine, La Fressinette, lieutenant-colonel de Persan; le sieur Hessy, major du régiment de Molondin, y ont très bien fait leur devoir, comme aussi les sieurs d'Orthe, capitaine au régiment de Guiche, et de Romainville, le chevalier de Jonchères, Auberat, capitaines au régiment de La Ferté-Senetère, de Laubepin et le chevalier de Valin, capitaines d'Harcourt; le vicomte de Courtomer, capitaine de Maroles; le sieur de Fleury, capitaine de Heudicourt; le baron de Tenance, capitaine de Sirot, et le sieur d'Espalungues, aide de camp, s'y sont portés en gens de cœur.Le chevalier de La Vallière, qui arriva une heure devant la bataille, y a servi très dignement et parfaitement bien fait les fonctions de sa charge de maréchal de bataille[610]. Le sieur de Chevers, maréchal général des logis de la cavalerie, s est aussi très bien acquitté de la sienne, et ayant été commandé par le duc d'Enghien d'aller avec deux cents chevaux et autant de mousquetaires prendre langue des ennemis qu'on lui avoit rapporté s'être ralliés, il ramena encore deux pièces de canon qu'ils avoient abandonnées dans les bois du côté de Mariembourg.Le maréchal de L'Hôpital a glorieusement couronné par cette action la haute réputation qu'il s'est acquise dans tous ses grands emplois. Les sieurs d'Espenan, Gassion et La Ferté-Senetère, maréchaux de camp, et tous les officiers généraux y ont tant contribué, et si ponctuellement secondé les intentions du duc d'Enghien, que cette parfaite intelligence, qui a paru entre eux jusqu'à l'accomplissement d'un si grand œuvre, ne se trouve interrompue qu'au seul partage de la gloire que le chef donne toute à ses braves officiers et que les braves officiers donnent toute à leur chef.Aussi tous les officiers qui le joignirent après la victoire, la jugèrent d'autant plus heureuse que Dieu l'avoit conservé parmi les grands dangers où il s'étoit exposé, ce qui paroissoit en deux coups de mousquet qu'il avoit reçus dans sa cuirasse, un autre au côté de la jambe qui n'a fait que le meurtrir, outre deux autres mousquetades desquelles son cheval fut blessé.Le sieur de Tourville[611], premier gentilhomme de sa chambre, blessé d'un coup de pistolet au bras; le comte de Toulongeon, volontaire; lessieurs de La Moussaye, de Boisdauphin et de Chabot, aides de camp de son armée; le sieur de Salver, capitaine de ses gardes; Barbantane Francine, son écuyer, et le sieur Fay l'ayant accompagné partout, où ils firent aussi des mieux, le ramenèrent enfin de la chasse des ennemis au champ de bataille, qu'il trouva jonché de plus de six mille ennemis morts, et d'environ deux mille des nôtres; du milieu desquels ce prince élevé en la piété en fit voir des marques, rendant à genoux, et toute l'armée à son exemple, les grâces à Dieu du succès de cette bataille, comme il l'avoit commencée par la prière et l'absolution que son confesseur donna à toute l'armée.Entre les ennemis morts se sont trouvés plusieurs seigneurs de haute condition, comme le comte de Fontaine, de telle réputation dans les Pays-Bas que tout le monde sait; Dom Antonio de Velandia[612], les comtes de Villalva, le chevalier Visconti et le baron d'Ambise mestres de camp, sans comprendre ceux que les paysans irrités de leur mauvais ménage assommèrent en grand nombre dans les bois pendant leur fuite. Le comte d'Isembourg est blessé à mort. Ils y ont aussi perdu tout leur canon, qui consistoit en vingt pièces, toutes leurs munitions et bagage dont le butin a été tel, qu'un de nos colonels Croates assure que son régiment y a profité de plus de cent mille écus. On leur a encore gagné dix pontons; et on leur a fait plus de six mille prisonniers dont on a déjà dispersé plus de cinq mille dans les villes sur la rivière d'Oise et autres endroits; entre lesquels il y a deux cents officiers et parmi eux bon nombre de grande considération, tels que sont Dom Diégo de Strada, lieutenant général de l'artillerie; Dom Baltazar Marcadel, lieutenant de mestre de camp général; les comtes de Garcez, de Castelvis[613], mestres de camp espagnols; le comte de Ridberg, colonel allemand; les comtes de Beaumont et de La Tour, le premier, frère du prince de Chimay, et le jeune comte de Rœux, Dom Fernando de La Queva, Dom Alonzo de Torrez, Dom Emmanuel de Léon et plusieurs autres. Dom Francisco de Mello étoit du nombre des prisonniers, mais il fut recous avant la fin du combat; et en ayant été quitte pour son bâton de général qu'il abandonna et qui est à présent en bon augure entre les mains du duc d'Enghien, et s'enfuit à Mariembourg qui est à quatre lieues de Rocroi; où, après la revue de son armée qui ne se trouva que de deux mille hommes, il passa outre jusqu'à Philippeville.Mais ce qui marque mieux que tout leur grande défaite, ils y ont perdu cent soixante-dix drapeaux, quatorze cornettes et deux guidonsque ce prince victorieux a envoyés par le sieur de Chevers présenter aux pieds du Roi et de la plus grande Reine qui soit sur la terre, dont la piété les destine à la Reine des cieux et qui doivent en bref étoffer les voûtes de notre église métropolitaine.»

«Une victoire est toujours la bienvenue; mais quand elle est des plus grandes de son siècle, quand elle tient au commencement d'un règne, d'un emploi et d'une campagne, alors elle tient des rayons du soleil dont la simple lumière est toujours belle, mais de qui les effets se multiplient et par leur nombre et autant de fois qu'ils sont réfléchis par les divers miroirs qui les reçoivent. Elle est de soi-même très glorieuse comme très grande; elle est de bon augure pour le Roi sous les auspices duquel elle sert de première marche et de piédestal à ses trophées, et connue d'un hiéroglyphe à marquer les félicités que nous promet la régence de la meilleure et plus parfaite Reine que la France ait jamais eue; elle sert d'un pronostic assuré de ce qu'il faut attendre de l'heur, de la valeur et de la conduite d'un général qui commence ses exploits par où les autres voudroient finir les leurs, et elle nous donne telle espérance de bien terminer cette campagneque le grand échec qu'y ont reçu les ennemis leur fait craindre que de leur côté elle ne soit achevée.

Le duc d'Enghien, général de l'armée du Roi en Flandre, sur la résolution par lui prise de se mettre en campagne et d'entrer dans le pays ennemi aussitôt que la commodité des fourrages le pourroit permettre, avoit le 9mede ce mois donné rendez-vous à toute sa cavalerie sur la rivière d'Oise et à son infanterie sur la rivière de Somme. Mais ayant su quelques jours auparavant par le retour des partis qu'il avoit envoyés prendre langue des ennemis, qu'ils marchoient avec de grandes forces du côté de Valenciennes, il changea ce premier rendez-vous en celui d'Ancre qu'il donna pour toute son armée, envoyant promptement ses ordres au marquis de Gèvres et au sieur d'Espenan, maréchaux de camp qui commandoient chacun un corps à part, de se tenir prêts pour le venir joindre au premier avis; et pour ne rien omettre, il ordonna en particulier audit sieur d'Espenan, comme au plus proche des ennemis, de jeter incessamment quelques troupes dans Guise et dans la Capelle que leur marche sembloit menacer. Lui cependant ayant commencé la sienne, eut avis, au partir d'Ancre, que le comte d'Isembourg avec un corps séparé, avoit le 12 de ce mois investi Rocroi, contre lequel les autres corps ennemis s'avançoient à grandes journées avec le reste de leurs forces par la frontière de France, où ils faisoient de grands désordres; ce qui l'obligea de commander le Srde Gassion, aussi maréchal de camp et maître de camp général de la cavalerie légère, servant près de lui, d'aller avec 1500 chevaux, suivre leur piste, épier leur contenance, prendre les avantages que l'occasion lui fourniroit pour secourir la place et couvrir le pays et le corps de Gèvres qui venoit de Reims pour le joindre.

Le sieur de Gassion exécuta heureusement cet ordre le 16 de ce mois, et ayant défait les petits corps avancés des ennemis et poussé leurs gardes, donna de telle sorte jusque dans le front de leurs bandières (ainsi les Espagnols appellent la tête de leur armée), qu'il attira à soi toutes les forces du camp qui étoit devant Rocroi, et par ce moyen fit entrer dans la place assiégée un secours de cent fusiliers choisis du régiment du Roi, commandés par le sieur de St-Martin, premier capitaine de ce régiment, et par le sieur de Cimetière, lieutenant des gardes du dit sieur de Gassion, lesquels y arrivèrent si à propos qu'ayant fait une sortie ils reprirent une demi-lune et tous les dehors de Rocroi que les ennemis avoient déjà occupés, nonobstant la défense du sieur de Joffreville, gouverneur de la place, qui n'avoit dedans que 400 hommes, donnant par ce moyen temps au duc d'Enghien de s'avancer, et joindre, comme il fit, le corps de Gèvres et d'Espenan au village d'Origny et de Brunchamel[594], d'où il se rendit le 17 à quatrelieues de Rocroi, à savoir au village de Bossu, où le sieur de Gassion s'étant aussi rendu en même temps avec les 1500 chevaux commandés, sur son rapport de la contenance des ennemis et de la situation de leur camp, il fut résolu le 18 de se faire jour à vive force pour secourir la place, laquelle vraisemblablement ne pouvoit plus tenir que jusque au lendemain, les ennemis n'ayant pas seulement repris tous ses dehors, mais étant logés dans son fossé et l'attaquant par trois endroits.

Cette ville est située à la tête des Ardennes, au milieu d'une bruyère, en un lieu élevé, fortifiée de cinq bastions non revêtus et de quelques demi-lunes fraisées; toutes lesquelles fortifications n'étant pas jugées bastantes pour se maintenir plus longtemps contre de si puissants ennemis, et défendue avec si peu de gens, et sa perte la rendant considérable par elle-même et plus encore par ses conséquences, telles que sa prise ouvre le chemin aux ennemis presque jusque aux portes de Paris, on ne pensa plus qu'à se hâter de la secourir.

Pour cet effet, notre général, aidé de l'expérience du maréchal de L'Hôpital et de celle de ses maréchaux de camp et officiers, ayant envoyé reconnoître les lieux, on avoit remarqué deux défilés à une lieue du camp dans le bois de Fors, qui étoient les seuls endroits propres à l'exécution de ce dessein. Cinquante Croates furent commandés de pousser par delà l'un de ces défilés, qui fut jugé le plus commode pour le passage de notre armée, avec ordre de reconnoître s'il étoit gardé par les ennemis; et l'officier qui commandoit ces Croates ayant rapporté au duc d'Enghien que les ennemis paroissoient de l'autre côté du défilé, il ordonna en même temps au sieur de Gassion de s'avancer dans une plaine au delà de ce défilé avec la compagnie des gardes dudit Duc, tous les Croates, le régiment de fusiliers et celui de la cavalerie du Roi, de nettoyer toute cette plaine jusqu'au camp des ennemis, et de reconnoître si leur armée étoit retranchée, ou si elle marchoit pour nous combattre, quand nous serions à demi passés, ou pour s'opposer entièrement à notre passage.

Le sieur de Gassion suivant cet ordre arriva dans la plaine à 1 heure de l'après-midi dudit jour, 18 de ce mois, poussa jusque dedans leur camp tout ce qu'il trouva d'ennemis, et s'étant rendu maître d'une hauteur fort proche dudit camp, découvrit qu'ils sortoient hors du front de leurs bandières pour se mettre en bataille. De quoi ayant été aussitôt donné avis au duc d'Enghien par le sieur de Chevers, maréchal général de la cavalerie, ce prince passa à l'instant le défilé, et lui commanda de faire suivre la cavalerie de l'aile droite de son avant-garde composée des régiments du Roi, de Gassion, de Lenoncourt, de Coaslin et de Sully. Le maréchal de L'Hôpital demeura avec les sieurs d'Espenan et de La Ferté-Senetère, pour faire diligemment passer le reste de l'armée.

Pour favoriser ce passage le duc d'Enghien se trouva en bataille, sur les deux heures après midi de ce jour-là, avec ses troupes de cavalerieet celles qui avoient les premières passé le défilé commandées par le sieur de Gassion, auxquelles troupes il fit commencer l'escarmouche qui dura deux ou trois heures, pendant lesquelles le reste de notre armée passa, se mettant aussi en bataille à mesure qu'il arrivoit. Et pour ce qu'il n'y avoit pas assez de terrain pour y placer commodément toutes nos troupes, il fit pousser par les Croates, soutenus de deux petits corps de cuirassiers du régiment de Gassion, commandés par le sieur de Vassau, lieutenant du régiment, les ennemis qui occupoient une autre hauteur, sur laquelle notre aile droite s'étant étendue pour faire place à la gauche pressée d'un marais voisin, le canon des ennemis commença à tirer sur les quatre à cinq heures du soir, et le nôtre un quart d'heure après, avec telle furie qu'il nous fut tué ou blessé un grand nombre d'hommes, notre canon, ne demeurant pas aussi sans effet, emportant plusieurs des ennemis.

La nuit ayant fait cesser les canonnades et empêché qu'on ne vînt aux mains, il fut mis en délibération si l'on donneroit la bataille sans attendre le lendemain, ou si à la faveur de la nuit on essaieroit de faire entrer quelques secours dans la place. Mais après plusieurs raisons apportées de part et d'autre, il fut enfin résolu par l'avis de tous les officiers généraux de différer la bataille jusqu'au point du jour du lendemain, et par conséquent de ne se point affoiblir par un secours qui ne se devoit pas tenter s'il n'étoit considérable[595].

Il sembloit que les deux armées n'eussent tenu qu'un seul conseil de guerre, et que par une résolution commune elles y eussent arrêté une bataille générale pour le lendemain; car, encore qu'il n'y eût rien qui pût empêcher l'un ni l'autre des partis de s'attaquer durant la nuit, si est-ce que pendant icelle les deux armées demeurèrent campées en bataille à la portée du mousquet sans rien attenter l'une sur l'autre.

Le duc d'Enghien, après avoir donné les ordres et posé les grandes gardes à la tête de son armée, passoit la nuit au feu des officiers et des soldats du régiment de Picardie[596]. Nonobstant la brièveté de laquelle lejour tardoit à tous à venir, lorsqu'un cavalier françois, qui servoit les ennemis, ayant quitté leur parti et se jetant dans le nôtre, le confirma au dessein formé le jour précédent de donner bataille. Car ce cavalier, ayant demandé à parler à notre général, après avoir obtenu pardon sous le bon plaisir du Roi, il l'assura que le général Beck devoit joindre l'armée ennemie le lendemain à sept heures du matin avec 1,000 chevaux et 3,000 hommes d'infanterie. Cet avis venu fort à propos, et la crainte du nouveau dommage dont nous menaçoit le canon des ennemis pointé si proche de nous, firent embrasser avec grande résolution celle qui avoit été prise le soir d'auparavant; suivant laquelle, dès le point du jour du mardi 19 de ce mois, le sieur de Gassion continuant de prendre soin de l'aile droite comme il avoit fait le jour précédent, le sieur de La Ferté-Senetère de la gauche, et le sieur d'Espenan de l'infanterie, le duc d'Enghien voulut particulièrement s'appliquer à l'aile droite et laissa le soin de la gauche au maréchal de L'Hôpital.

La[597]disposition du champ de bataille étoit telle, que notre aile droite étoit bornée d'un bois et notre aile gauche d'un marais, y ayant plus de demi-lieue de distance entre les deux. La bataille fut commencée entre ce bois et ce marais, à un quart de lieue de Rocroi; mais après que les nôtres eurent poussé les premiers bataillons de l'ennemi, tout le reste de l'action se passa dans une plaine plus spacieuse à la vue dudit Rocroi.

L'armée ennemie étoit composée de 25 à 26,000 hommes, à savoir 17,000 hommes de pied en 22 régiments sous la charge du comte d'Isembourg, et le reste en 105 cornettes de cavalerie commandées par le duc d'Albuquerque. De toutes lesquelles troupes le comte de Fontaines étoit maréchal de camp général, et don Francisco de Mello général pour le Roi d'Espagne. La nôtre étoit d'environ 20,000 hommes, à savoir: 14,000 hommes de pied et 6,000 chevaux. Notre infanterie étoit composée des régiments de Picardie, Piémont, la Marine, Rambure, de Persan, de Harcourt, Guiche, Aubeterre, la Prée, de huit compagnies royales, de Biscaras, de Gèvres, Langeron, du Vidame, de Vervin, du régiment des gardes Écossoises, de celui de Molondin, de Vateville et de Rolle, ces trois derniers Suisses. Notre cavalerie étoit composée des gens d'armes de la Reine, des Écossois, d'une brigade de la compagnie du prince de Condé, d'une autre du duc de Longueville, de celle d'Angoulême, de Guiche et de Vaubecourt; notre cavalerie légère consistoit au régiment Royal, en ceux de Gassion, de Guiche et d'Harcourt, de la Ferté-Senetère, de Lenoncourt, du baron de Sirot, de La Clavière, de Sully, de Roquelaure, de Méneville, de Heudicourt et de Marolles; ils étoient grossis des fusiliers du Roi, des gardes du duc d'Enghien, de la cavalerie étrangère de Syllar, de celle du régiment de Léchelle, de Beauveau, de Vamberg, de Chac et de Raab Croates.

Le duc d'Enghien, avant d'aller à la charge, visita tous ses bataillons et escadrons, animant tous les officiers et soldats au combat en leur remontrant la justice de la cause qu'ils soutenoient, où il y alloit du service du Roi et de la dignité de sa couronne, en leur mettant devant les yeux l'honneur qu'ils alloient acquérir en s'opposant à un puissant ennemi, dont la victoire laissoit à sa merci tant de peuples qui s'attendoient à leur défense. Sa grâce animoit merveilleusement son discours, mais plus encore son exemple. Il s'étoit bien laissé armer par le corps; mais il ne voulut point d'autre habillement de tête que son chapeau ordinaire, garni de grandes plumes blanches, ce qui servit beaucoup à ramener dans le chaud de la mêlée plusieurs escadrons au combat qui ne l'eussent pas autrement reconnu, comme ils firent à son visage; aussi le mot du ralliement étoit celui d'Enghien.

Les ordres donnés, nos deux ailes sur les trois heures du matin marchèrent en même temps contre l'armée des ennemis qui les attendoit de pied ferme. C'étoit bien matin, mais il ne falloit pas commencer si tard une si grande journée. Dans cette marche notre aile droite rencontra devant soi un petit rideau dans un fond proche d'un bois, où les ennemis avoient logé 1,000 mousquetaires, qui furent aussitôt taillés en pièces par les nôtres, lesquels poussèrent aussi toute la cavalerie ennemie qui lui étoit opposée de ce côté-là.

A l'aile gauche de notre armée, le sieur de La Ferté-Senetère ayant chargé la droite des ennemis aussi avec toute la conduite et résolution imaginables, le combat s'y trouva tellement opiniâtre qu'il y fut blessé de deux coups de pistolet et de trois coups d'épée, son cheval tué, et lui emmené prisonnier, mais peu après recous, ce qui ne se put faire sans apporter quelque désordre à notre aile gauche, dans lequel les ennemis s'étant rendus maîtres de notre canon après qu'ils eurent tué le sieur de La Barre, lieutenant de l'artillerie qui y fit très bien son devoir, le maréchal de L'Hôpital rallia une partie de nos troupes de son aile, et à leur tête recommença la charge avec tant de vigueur qu'il regagna le canon que nous avions perdu, où lui-même faisant des mieux fut blessé d'un coup de mousquet dans le bras, la fortune envieuse de sa vertu tâchant en vain de lui arracher des mains le bâton que tant d'exploits lui ont fait mériter. Toutefois cet accident, qui le mit hors de combat, ayant encore ébranlé notre aile gauche, et les ennemis ayant repris notre canon et s'en étant servi contre nous, le baron de Sirot, maître de camp de cavalerie, qui commandoit le corps de réserve, rallia de nouveau toutes les troupes, arrêta avec grand cœur le corps des ennemis qu'il soutint jusqu'à ce que notre aile droite ayant chassé la cavalerie qui lui étoit opposée[598]et gagné le derrière de leur armée, vint attaquer l'infanterie espagnole après que toute l'infanteriewallonne, allemande et italienne eut été taillée en pièces.

Il ne falloit pas qu'un si grand succès s'acquît avec peu de peine. La cavalerie espagnole fit bien quelque devoir, mais la résistance de leur infanterie n'est pas croyable. Elle fut si grande qu'elle obligea tout le corps de notre cavalerie à venir les uns après les autres, chacun cinq ou six fois, à la charge sur elle, sans qu'ils la pussent rompre; de quoi ils fussent malaisément venus à bout si l'on ne se fût avisé de les faire attaquer d'un autre côté en même temps par notre infanterie de l'aile droite, laquelle prenant l'espagnole en queue et en flanc, par où la prenoit aussi notre cavalerie, tandis qu'elle soutenoit toujours le feu en tête, elle fut enfin rompue entièrement par notre cavalerie de l'aile droite conduite par le sieur de Gassion qui fit en cette occasion des merveilles à son ordinaire.

Ce ne fut plus désormais que tuerie; à quoi nos Suisses entre autres ne s'épargnoient pas pour venger la mort de leurs camarades, que la première furie des canons et des mousquetades avoit emportés avec plusieurs autres. De ce rang furent aussi le sieur d'Avise[599], cornette du régiment des gardes du duc d'Enghien tué d'une mousquetade au ventre, le sieur de Longchamp exempt desdites gardes, et 12 ou 15 de ses compagnons (car je suivrai l'ordre auquel on me mande qu'ils sont morts et non celui de leurs rangs); les sieurs de La Bise, sous-lieutenant de la compagnie des gens d'armes du prince de Condé, Dufour[600], lieutenant de la compagnie des gens d'armes du maréchal de Guiche, Lalac, capitaine de la marine, le baron d'Ervault[601], capitaine de cavalerie au régiment d'Harcourt, les sieurs de Montoise, capitaine au régiment de la Ferté, de Choisi, cornette de la compagnie du marquis, de Lenoncourt, de Vivans, capitaine au régiment de Sully, le comte d'Ayen[602], commandant le régiment de cavalerie du maréchal de Guiche, les sieurs Daltenove, lieutenant-colonel de Lechelle, de Clevant[603], capitaine dans Piémont, du Mesnil, Froyel, Bergues et Villiers, capitaines au régiment de Rambure, d'Arcombat, lieutenant-colonel au régiment de Biscaras, Du Breuil et Matharel, capitaines au régiment de Bourdonné, tués, celui-ci d'une volée de canon qui lui emporta la tête.

Entre nos blessés, outre ceux ci-dessus, sont le sieur d'Ambleville Gadancourt, lieutenant de la compagnie des gens d'armes du duc d'Angoulême, le marquis de Persan, blessé à la cuisse combattant à la tête de son régiment, les sieurs de Froment, lieutenant de la compagnie du sieur de Gassion, de Saint-Martin, lieutenant au régiment du Roi, quieut la jambe emportée, de L'Escot, lieutenant des gardes du duc d'Enghien, blessé d'une mousquetade à la cheville du pied, aussi combattant à la tête de sa compagnie de gendarmes du prince de Condé; de Beaumont-Maussat, enseigne de la même compagnie; le chevalier des Essarts, volontaire, le sieur de La Hautière, capitaine de Bourdonné, celui-ci d'un coup d'épée dans la cuisse; les sieurs de Bois-Lapière, capitaine au régiment d'Harcourt, de Clainvilliers et de Reineville[604], capitaines au régiment du Roi aussi blessés, le premier de 10 coups et les autres de chacun 4 ou 5; le baron d'Equancourt, capitaine au régiment de La Ferté, et le sieur de La Roche son lieutenant; les lieutenants au régiment de Coaslin, de Beaufort, lieutenant de Vaudrimont, Darenne, capitaine au régiment de Sully, de La Mothe-Méressal, capitaine au régiment de La Guiche, d'Hédouville, capitaine au régiment de la Clavière, de Mongueux[605], capitaine au régiment de Marolles, et de Sens, capitaine au régiment de Sirot; les sieurs de Beauveau, colonel, blessé d'un coup de mousquet à la main, de Pedamous[606], capitaine au régiment de Picardie et commandant les enfants perdus dudit régiment, d'une mousqueterie à l'épaule; le marquis de La Trousse, mestre de camp de la Marine, le chevalier de La Trousse, son frère, le sieur du Mesnil, premier capitaine au régiment d'Harcourt, et les sieurs du Puy et de Selleri, capitaines de Biscaras, aussi blessés.

Tous les nôtres se sont portés si allégrement et ont si courageusement combattu en cette occasion qu'ils en doivent tous remporter de la louange. Mais, outre ceux que leur mort et leurs blessures signalent assez sans autre recommandation, le sieur de Moucha[607], sous-lieutenant de la compagnie des gendarmes de la Reine, les sieurs de Menneville, et Marolles, mestre de camp de cavalerie; les colonels Vamberg et Raab, les sieurs de Montbas, Destournelles, Pontècoulant et Saint-Julien, capitaines au régiment du Roi; de Villette Ravenel, Dulong, La Garanne, La Vallière et Chaumarais, capitaines au régiment de Gassion; les sieurs de Lignières, Articoti, le chevalier de Bourlemont et La Borde, capitaines au régiment de Lenoncourt; L'Anglure et de La Bourlie, capitaines au régiment de Coaslin; Duplessis et le comte de Pangeas[608], capitaines au régiment de Sully; le comte de Grandpré, capitaine au régiment de Roquelaure; le vicomte du Bac[609],lieutenant-colonel au régiment de Gèvres; le lieutenant-colonel de Sillart, et le sieur de Cuizy, capitaine des fusiliers du Roi; le chevalier de Rivière et le sieur Campels, capitaine de La Marine, commandant les enfants perdus, et de La Bretonnière, capitaine au même régiment; le vidame d'Amiens combattant à la tête de son régiment; les sieurs de La Prée, mestre de camp d'infanterie; Maupertuis, lieutenant-colonel de Picardie, de Godaille et de Pradelle, majors de brigade; Saint-Agnan, du régiment de Rambure; La Barte, de La Marine, La Fressinette, lieutenant-colonel de Persan; le sieur Hessy, major du régiment de Molondin, y ont très bien fait leur devoir, comme aussi les sieurs d'Orthe, capitaine au régiment de Guiche, et de Romainville, le chevalier de Jonchères, Auberat, capitaines au régiment de La Ferté-Senetère, de Laubepin et le chevalier de Valin, capitaines d'Harcourt; le vicomte de Courtomer, capitaine de Maroles; le sieur de Fleury, capitaine de Heudicourt; le baron de Tenance, capitaine de Sirot, et le sieur d'Espalungues, aide de camp, s'y sont portés en gens de cœur.

Le chevalier de La Vallière, qui arriva une heure devant la bataille, y a servi très dignement et parfaitement bien fait les fonctions de sa charge de maréchal de bataille[610]. Le sieur de Chevers, maréchal général des logis de la cavalerie, s est aussi très bien acquitté de la sienne, et ayant été commandé par le duc d'Enghien d'aller avec deux cents chevaux et autant de mousquetaires prendre langue des ennemis qu'on lui avoit rapporté s'être ralliés, il ramena encore deux pièces de canon qu'ils avoient abandonnées dans les bois du côté de Mariembourg.

Le maréchal de L'Hôpital a glorieusement couronné par cette action la haute réputation qu'il s'est acquise dans tous ses grands emplois. Les sieurs d'Espenan, Gassion et La Ferté-Senetère, maréchaux de camp, et tous les officiers généraux y ont tant contribué, et si ponctuellement secondé les intentions du duc d'Enghien, que cette parfaite intelligence, qui a paru entre eux jusqu'à l'accomplissement d'un si grand œuvre, ne se trouve interrompue qu'au seul partage de la gloire que le chef donne toute à ses braves officiers et que les braves officiers donnent toute à leur chef.

Aussi tous les officiers qui le joignirent après la victoire, la jugèrent d'autant plus heureuse que Dieu l'avoit conservé parmi les grands dangers où il s'étoit exposé, ce qui paroissoit en deux coups de mousquet qu'il avoit reçus dans sa cuirasse, un autre au côté de la jambe qui n'a fait que le meurtrir, outre deux autres mousquetades desquelles son cheval fut blessé.

Le sieur de Tourville[611], premier gentilhomme de sa chambre, blessé d'un coup de pistolet au bras; le comte de Toulongeon, volontaire; lessieurs de La Moussaye, de Boisdauphin et de Chabot, aides de camp de son armée; le sieur de Salver, capitaine de ses gardes; Barbantane Francine, son écuyer, et le sieur Fay l'ayant accompagné partout, où ils firent aussi des mieux, le ramenèrent enfin de la chasse des ennemis au champ de bataille, qu'il trouva jonché de plus de six mille ennemis morts, et d'environ deux mille des nôtres; du milieu desquels ce prince élevé en la piété en fit voir des marques, rendant à genoux, et toute l'armée à son exemple, les grâces à Dieu du succès de cette bataille, comme il l'avoit commencée par la prière et l'absolution que son confesseur donna à toute l'armée.

Entre les ennemis morts se sont trouvés plusieurs seigneurs de haute condition, comme le comte de Fontaine, de telle réputation dans les Pays-Bas que tout le monde sait; Dom Antonio de Velandia[612], les comtes de Villalva, le chevalier Visconti et le baron d'Ambise mestres de camp, sans comprendre ceux que les paysans irrités de leur mauvais ménage assommèrent en grand nombre dans les bois pendant leur fuite. Le comte d'Isembourg est blessé à mort. Ils y ont aussi perdu tout leur canon, qui consistoit en vingt pièces, toutes leurs munitions et bagage dont le butin a été tel, qu'un de nos colonels Croates assure que son régiment y a profité de plus de cent mille écus. On leur a encore gagné dix pontons; et on leur a fait plus de six mille prisonniers dont on a déjà dispersé plus de cinq mille dans les villes sur la rivière d'Oise et autres endroits; entre lesquels il y a deux cents officiers et parmi eux bon nombre de grande considération, tels que sont Dom Diégo de Strada, lieutenant général de l'artillerie; Dom Baltazar Marcadel, lieutenant de mestre de camp général; les comtes de Garcez, de Castelvis[613], mestres de camp espagnols; le comte de Ridberg, colonel allemand; les comtes de Beaumont et de La Tour, le premier, frère du prince de Chimay, et le jeune comte de Rœux, Dom Fernando de La Queva, Dom Alonzo de Torrez, Dom Emmanuel de Léon et plusieurs autres. Dom Francisco de Mello étoit du nombre des prisonniers, mais il fut recous avant la fin du combat; et en ayant été quitte pour son bâton de général qu'il abandonna et qui est à présent en bon augure entre les mains du duc d'Enghien, et s'enfuit à Mariembourg qui est à quatre lieues de Rocroi; où, après la revue de son armée qui ne se trouva que de deux mille hommes, il passa outre jusqu'à Philippeville.

Mais ce qui marque mieux que tout leur grande défaite, ils y ont perdu cent soixante-dix drapeaux, quatorze cornettes et deux guidonsque ce prince victorieux a envoyés par le sieur de Chevers présenter aux pieds du Roi et de la plus grande Reine qui soit sur la terre, dont la piété les destine à la Reine des cieux et qui doivent en bref étoffer les voûtes de notre église métropolitaine.»

Quelques jours après, dans son no67, p. 448, laGazettecontenait ce supplément au précédent bulletin:

«La différence qu'il y a entre les avantages feints et imparfaits et les victoires entières, telle qu'a été celle du duc d'Enghien sur les Espagnols, consiste principalement en ce que les suppositions de ceux-là s'amoindrissent ou s'anéantissent avec le temps, au lieu que la naïveté de celles-ci tient des véritables beautés qui se trouvent d'autant plus belles qu'on les envisage de près. Outre les drapeaux, cornettes et guidons desquels vous avez ouï parler, la récompense donnée aux soldats par ce prince (qui n'a rien épargné pour la gloire des armes du Roi, non plus qu'au traitement et au soulagement des blessés) en a fait encore rencontrer cinquante ou soixante. Le nombre des morts, que nous avions cru de six mille, se trouve monter à sept ou huit mille. A quoi ont beaucoup contribué deux mille paysans assemblés sur les avenues par où les fuyards se sauvoient où ils en ont assommé grand nombre. Il se trouve aussi entre les ennemis prisonniers, outre les deux cents officiers que je vous ai marqués, cinq à six cents réformés; desquels prisonniers, nonobstant le soin qu'on y apporte, plusieurs meurent tous les jours. Avec ceux dont on vous a donné les noms, le comte de Montecuculli et le baron de Sanelton, fils du grand chancelier de Flandres, mestre de camp, sont encore de ce nombre. Entre les morts sont aussi, outre les précédents, Juan de li Ponti, mestre de camp, et le comte d'Isembourg mort de ses grandes blessures. Cette victoire, à la mode de toutes les grandes et signalées, est d'autant plus à estimer qu'elle a été acquise avec beaucoup de sang, même au commencement, où le régiment du Roi, commandé par le vicomte de Mombas, perça deux fois un bataillon de trois mille Espagnols naturels, qui se reformoit aussitôt, et où ce vicomte fut blessé, pris et recous par les nôtres, et le sieur de Vergnes, son cornette, blessé d'un coup de pique à la tête et d'un autre coup de pertuisane au bras. Le combat dura six heures. Aussi n'y eut-il aucun escadron ni bataillon de notre armée qui n'y trouvât de la besogne et n'y combattît, même plusieurs à diverses fois. Les régiments de Bourdonné et de Hotaft, omis dans la liste des autres, y firent aussi des mieux. Ce fut sur la rivière d'Autie et non sur celle de Somme que fut donné le premier rendez-vous à notre infanterie, et notre canon ne fut gagné qu'une fois par les ennemis. Les nôtres étoient en même temps aussi maîtres du leur, chacun des partis employant lespièces de son ennemi contre lui-même. La différence est que le nôtre fut regagné par nos officiers, mais celui des ennemis nous demeura avec les autres avantages que vous avez su voir beaucoup plus grands, tel simple soldat ayant eu pour sa part du butin deux mille pistoles. Pour laquelle victoire le duc d'Enghien fit le même jour chanter leTe Deumen cette ville de Rocroy qui a aussi grandement profité de cette victoire.»

«La différence qu'il y a entre les avantages feints et imparfaits et les victoires entières, telle qu'a été celle du duc d'Enghien sur les Espagnols, consiste principalement en ce que les suppositions de ceux-là s'amoindrissent ou s'anéantissent avec le temps, au lieu que la naïveté de celles-ci tient des véritables beautés qui se trouvent d'autant plus belles qu'on les envisage de près. Outre les drapeaux, cornettes et guidons desquels vous avez ouï parler, la récompense donnée aux soldats par ce prince (qui n'a rien épargné pour la gloire des armes du Roi, non plus qu'au traitement et au soulagement des blessés) en a fait encore rencontrer cinquante ou soixante. Le nombre des morts, que nous avions cru de six mille, se trouve monter à sept ou huit mille. A quoi ont beaucoup contribué deux mille paysans assemblés sur les avenues par où les fuyards se sauvoient où ils en ont assommé grand nombre. Il se trouve aussi entre les ennemis prisonniers, outre les deux cents officiers que je vous ai marqués, cinq à six cents réformés; desquels prisonniers, nonobstant le soin qu'on y apporte, plusieurs meurent tous les jours. Avec ceux dont on vous a donné les noms, le comte de Montecuculli et le baron de Sanelton, fils du grand chancelier de Flandres, mestre de camp, sont encore de ce nombre. Entre les morts sont aussi, outre les précédents, Juan de li Ponti, mestre de camp, et le comte d'Isembourg mort de ses grandes blessures. Cette victoire, à la mode de toutes les grandes et signalées, est d'autant plus à estimer qu'elle a été acquise avec beaucoup de sang, même au commencement, où le régiment du Roi, commandé par le vicomte de Mombas, perça deux fois un bataillon de trois mille Espagnols naturels, qui se reformoit aussitôt, et où ce vicomte fut blessé, pris et recous par les nôtres, et le sieur de Vergnes, son cornette, blessé d'un coup de pique à la tête et d'un autre coup de pertuisane au bras. Le combat dura six heures. Aussi n'y eut-il aucun escadron ni bataillon de notre armée qui n'y trouvât de la besogne et n'y combattît, même plusieurs à diverses fois. Les régiments de Bourdonné et de Hotaft, omis dans la liste des autres, y firent aussi des mieux. Ce fut sur la rivière d'Autie et non sur celle de Somme que fut donné le premier rendez-vous à notre infanterie, et notre canon ne fut gagné qu'une fois par les ennemis. Les nôtres étoient en même temps aussi maîtres du leur, chacun des partis employant lespièces de son ennemi contre lui-même. La différence est que le nôtre fut regagné par nos officiers, mais celui des ennemis nous demeura avec les autres avantages que vous avez su voir beaucoup plus grands, tel simple soldat ayant eu pour sa part du butin deux mille pistoles. Pour laquelle victoire le duc d'Enghien fit le même jour chanter leTe Deumen cette ville de Rocroy qui a aussi grandement profité de cette victoire.»

Même numéro, p. 451.

«Le 28 de ce mois, sur les trois à quatre heures après midi, fut chanté leTe Deumdans l'église de Notre-Dame de Paris pour remercier Dieu de la signalée victoire qu'il lui a plu donner aux armes du Roi sur ses ennemis en la bataille de Rocroy. Pour marque duquel remerciment, les drapeaux, cornettes et guidons gagnés sur eux en cette mémorable journée, y furent portés en triomphe par les Cent-Suisses de la garde du corps en cet ordre. Premièrement marchoient trois cents Suisses du régiment des gardes en armes; puis cinquante Suisses des cent de ladite garde du corps, portant la moitié des drapeaux, tel étant chargé de deux ou trois; puis vingt cavaliers portoient les cornettes et guidons. Après eux, les autres cinquante Suisses des cent de la garde portoient le reste desdits drapeaux. Ils étoient suivis d'autres deux cents Suisses du régiment des gardes en armes comme les premiers, et vinrent du Louvre où lesdits drapeaux avoient été présentés le jour précédent à Leurs Majestés, passant sur le pont Notre-Dame, ayant à leur tête les tambours et trompettes du Roi. Le peuple, qui fourmilloit dans toutes les rues sur leur passage, admiroit les grandes croix de Bourgogne qui traversoient ces étendards, la plupart rouges, mais en champs de diverses couleurs et ornés de plusieurs différentes devises... On disoit que les ennemis avoient bien prédit que la grande réputation qu'ils donnoient à leurs armes seroit inutile contre nous par cette devise:Fama volat frustrà; mais aussi accordoit-on volontiers à leur valeur le dernier effet de celle-ci:Vaincre ou mourir, la plupart ayant été trouvés morts dedans les mêmes rangs où ils avoient été posés. Ce qu'un de leurs prisonniers fit sentir généreusement à un de nos chefs, lorsque étant interrogé combien ils étoient, il lui répondit:Comptez les morts. Les canons de la ville, de la Bastille et de l'Arsenal servoient cependant de basse à la musique duTe Deum. Et dans l'Arsenal seul le sieur de Saint-Aoust, y commandant en l'absence du grand maître de l'artillerie, fit tirer par deux fois vingt-sept pièces de gros canon et plus de cent boîtes. Cette réjouissance fut continuée bien avant dans la nuit retardée par les feux allumés devant toutes les maisons de cette populeuse ville retentissante des cris deVive le Roi et la plus grande et plus aimable Reine de l'univers!»

«Le 28 de ce mois, sur les trois à quatre heures après midi, fut chanté leTe Deumdans l'église de Notre-Dame de Paris pour remercier Dieu de la signalée victoire qu'il lui a plu donner aux armes du Roi sur ses ennemis en la bataille de Rocroy. Pour marque duquel remerciment, les drapeaux, cornettes et guidons gagnés sur eux en cette mémorable journée, y furent portés en triomphe par les Cent-Suisses de la garde du corps en cet ordre. Premièrement marchoient trois cents Suisses du régiment des gardes en armes; puis cinquante Suisses des cent de ladite garde du corps, portant la moitié des drapeaux, tel étant chargé de deux ou trois; puis vingt cavaliers portoient les cornettes et guidons. Après eux, les autres cinquante Suisses des cent de la garde portoient le reste desdits drapeaux. Ils étoient suivis d'autres deux cents Suisses du régiment des gardes en armes comme les premiers, et vinrent du Louvre où lesdits drapeaux avoient été présentés le jour précédent à Leurs Majestés, passant sur le pont Notre-Dame, ayant à leur tête les tambours et trompettes du Roi. Le peuple, qui fourmilloit dans toutes les rues sur leur passage, admiroit les grandes croix de Bourgogne qui traversoient ces étendards, la plupart rouges, mais en champs de diverses couleurs et ornés de plusieurs différentes devises... On disoit que les ennemis avoient bien prédit que la grande réputation qu'ils donnoient à leurs armes seroit inutile contre nous par cette devise:Fama volat frustrà; mais aussi accordoit-on volontiers à leur valeur le dernier effet de celle-ci:Vaincre ou mourir, la plupart ayant été trouvés morts dedans les mêmes rangs où ils avoient été posés. Ce qu'un de leurs prisonniers fit sentir généreusement à un de nos chefs, lorsque étant interrogé combien ils étoient, il lui répondit:Comptez les morts. Les canons de la ville, de la Bastille et de l'Arsenal servoient cependant de basse à la musique duTe Deum. Et dans l'Arsenal seul le sieur de Saint-Aoust, y commandant en l'absence du grand maître de l'artillerie, fit tirer par deux fois vingt-sept pièces de gros canon et plus de cent boîtes. Cette réjouissance fut continuée bien avant dans la nuit retardée par les feux allumés devant toutes les maisons de cette populeuse ville retentissante des cris deVive le Roi et la plus grande et plus aimable Reine de l'univers!»

Dans nos recherches au dépôt de la guerre, et particulièrement au dépôt des fortifications, nous avons rencontré une copie manuscrite de la relation de la Gazette avec un plan du combat, et aussi avec cette note assez curieuse d'une main inconnue: «J'ai tiré cette copie qui est entre les mains des petits-enfants du sieur de Champagne qui étoit major à Rocroi lors du siége. Il fut anobli et sa postérité à cause de sa bravoure. Il n'a laissé que des filles. Elles ont chez elles le siége dans lequel fut tué le comte de Fontaines au milieu de son bataillon carré. Je m'y suis assis à Rocroi, le 16 may 1726.—J'ai fait copier ceci mot à mot. Je crois pourtant, attendu la fin, que cette relation a été imprimée.» L'auteur de cette note ne se trompait pas: la relation trouvée dans la famille du brave major de Champagne, la seule conservée dans les Archives du ministère de la guerre, est celle que le gouvernement français avait lui-même publiée quelques jours après l'affaire.

Les deux récits de Lenet et de la Gazette sont très précieux assurément; ils donnent les grandes faces de la bataille de Rocroi et ses principales parties. Lenet indique au moins la grande manœuvre de Condé, sans toutefois la mettre dans tout son jour, et sans en faire remarquer toute l'importance. Il dit: «Après que le prince eut absolument défait la cavalerie qui lui étoit opposée,il gagna le derrière du reste de leur armée, où il tailla en pièces toute l'infanterie italienne, wallonne et allemande: puis il passa comme un éclair à son aile gaucheoù il trouva Sirot combattant, etc.» La Gazette est encore moins précise: «Notre aile droite ayant chassé la cavalerie qui lui étoit opposée etgagné le derrière de leur armée, vint attaquer l'infanterie espagnole, après que toute l'infanterie wallonne, allemande et italienne eut été taillée en pièces.»

Nous n'avons à relever aucune erreur dans les deux relations précitées; elles ne disent rien que de vrai; maisil s'en faut qu'elles contiennent la vérité tout entière. Bien des circonstances très importantes y sont passées sous silence. On y loue tout le monde, on n'accuse personne. Nulle part on ne laisse même soupçonner que le maréchal de L'Hôpital et La Ferté-Seneterre s'étaient longtemps opposés à ce qu'on livrât la bataille, que l'impétuosité ou la jalousie de La Ferté pensèrent la faire perdre, que La Vallière, qui faisait fonction de maréchal de bataille, après la défaite de notre aile gauche, désespéra de la journée et voulut empêcher Sirot de faire son devoir. Pas un mot de tout cela dans Lenet, encore bien moins dans la Gazette; on y vante avec raison l'intrépidité de L'Hôpital et celle de La Ferté; on y fait même l'éloge de La Vallière; comme si la politique de Mazarin et la générosité de Condé n'eussent voulu apercevoir aucune tache dans un succès si brillant et si inespéré. Cependant de grandes fautes avaient été commises autour de Condé; il les avait promptement aperçues, plus promptement encore réparées, et après de justes éclats de colère il les avait oubliées dans la joie de la victoire. On comprend comment il se refusait à raconter ses batailles lorsqu'on voit qu'il n'eût pu dire la vérité sur Rocroi sans se relever beaucoup lui-même et sans accuser des militaires estimables, en possession d'une juste renommée. Mais Sirot, un des acteurs principaux de cette grande journée, n'ayant pas les scrupules de Condé, nous apprend bien des choses qui manquent absolument dans le récit de Lenet et dans celui du gouvernement. Sirot ne raconte pas toute la bataille, il ne dit que ce qu'il a vu et ce qui s'est passé là où il était. Il écrit ses mémoires et non pas ceux de Condé; c'est par cela même qu'ils sont d'autant plus dignes d'être consultés. Imprimés une seule fois, ils n'ont été reproduits ni dans la collection de Petitot ni dans celle de Michaud. Le brave Sirot maniait mieux l'épée que la plume; ses mémoires ne sont point écrits d'une façonagréable, mais ils sont vrais et très souvent neufs, et les pages que nous allons citer nous feront assister au conseil de guerre que tint Condé avant de livrer la bataille, à son début malheureux, aux tristes efforts de La Vallière pour empêcher la réserve de donner et pour l'employer seulement à couvrir la retraite, selon les règles vulgaires.

Mémoires et la vie de messire Claude de Letouf, chevalier,baron de Sirot, lieutenant général des camps et armées du Roi, etc. 2 vol. in-12, Paris, 1683, t. II, p. 36:

«Le duc d'Enghien assembla le conseil de guerre qui fut composé de la personne de ce prince, du maréchal de L'Hôpital, son lieutenant général; des sieurs d'Espenan, premier maréchal de camp de l'armée; de Gassion, de La Ferté-Senetère, de La Vallière, maréchal de bataille; de La Barre, qui commandoit l'artillerie, et de moi, qui étois premier mestre de camp de la cavalerie et qui la commandois. Le duc d'Enghien leur proposa s'il seroit plus avantageux de secourir Rocroy avec toute l'armée en hasardant une bataille, ou si l'on tâcheroit de la secourir en y jetant des hommes. Le maréchal de L'Hôpital, les sieurs d'Espenan, de La Ferté, de La Vallière et de La Barre, opinèrent à la secourir par un secours d'hommes que l'on tâcheroit d'y faire entrer; que cette manière seroit beaucoup plus sûre et moins périlleuse, vu l'état auquel étoient les affaires de France, Louis XIII étant mort il n'y avoit que trois jours, et que dans l'embarras où cette mort avoit mis les affaires, s'il arrivoit une disgrâce et qu'ils perdissent la bataille, on mettroit peut-être l'État en compromis; qu'il y avoit à apréhender qu'il n'y eût quelque parti de factieux qui éclatât, et que favorisant l'armée des ennemis ils embarrasseroient le conseil du Roi et fomenteroient les divisions. Mais le duc d'Enghien, le sieur de Gassion, le marquis de Persan qui étoit le premier mestre de camp de l'infanterie et qui la commandoit[614], et moi, fûmes d'un avis contraire. Nous avouâmes que ces messieurs avoient parlé fort prudemment et fort raisonnablement, mais qu'ils devoient aussi avouer que l'on ne pouvoit jeter des gens dans la place qu'avec grande difficulté; que le secours que l'on y enverroit seroit ou nombreux ou de peu de monde; si le parti étoit grand, les ennemis en auroient aussitôt avis; s'il étoit foible, il n'y donneroit pas grand secours; et étant bloquée de toutes parts les grands partis n'y pourroient entrer qu'avec beaucoupde pertes; car, si l'on tentoit de la secourir par deux ou trois côtés différents, on couroit fortune de perdre beaucoup d'infanterie et de cavalerie, ce qui affoibliroit extrêmement l'armée; que les ennemis n'ayant point fait encore de lignes de circonvallation, il y auroit assez de terrain aux environs de la place pour mettre l'armée du Roi en bataille; que l'on pourroit de là reconnoître la posture des ennemis, qu'on les obligeroit de réunir toutes leurs troupes ensemble, et que par le branle qu'ils feroient on connoîtroit s'ils en vouloient venir à une bataille; qu'en cela ils ne reconnoissoient aucun inconvénient; car s'ils étoient (les ennemis) battus, ils se retireroient en leur pays, et s'ils battoient l'armée du Roi, ils ne le pourroient faire sans recevoir un grand échec de leur côté, ce qui les mettroit hors d'état de faire aucune entreprise, parce que ce qui leur resteroit ne seroit pas capable de faire un grand effet dans la France, attendu la facilité qu'il y a de lever des troupes, et que ne défaisant pas entièrement notre armée, ce qui en resteroit s'étant joint au corps que le maréchal de La Melleraye devoit commander sur la frontière de Champagne et du Bassigny, ils feroient un corps de douze ou quinze mille hommes, si bien que les ennemis, quoique victorieux après un grand combat, ne pourroient faire de grands progrès en France et s'exposeroient s'ils y entroient à une déroute générale; que s'il arrivoit aussi que nous gagnassions la bataille, toutes les intelligences que les ennemis pourroient avoir en France étant rompues, toutes les menées qu'ils y faisoient se dissiperoient en un instant; que l'on ne pouvoit jamais avoir plus d'avantage sur les ennemis qu'en cette occasion, l'armée françoise étant forte et fraîche, ne faisant que sortir de ses garnisons, et que les François n'étoient jamais plus braves que quand ils n'avoient point encore souffert de nécessités, outre que si on étoit assez heureux de battre l'armée espagnole, la France demeureroit en repos cette année-là, et que l'on auroit le moyen et le temps de remédier à tous les désordres que la mort du Roi pouvoit causer, et dissiper toutes les ligues secrètes que les ennemis y pourroient avoir. Le maréchal de L'Hôpital et tous ceux qui étoient de son avis insistèrent. Mais le duc d'Enghien persistant aussi dans le sien et le trouvant bon, il fut d'avis que l'on donnât la bataille, et même il dit qu'il le vouloit.On résolut donc d'en venir en un combat général, en cas que les ennemis y voulussent entendre, et qu'ils ne levassent point le siége à l'arrivée de nos troupes. On disposa donc toutes choses pour la bataille, et on en fit la distribution. Le sieur de Gassion commanda l'aile droite; le sieur de La Ferté-Senetère l'aile gauche. Le duc d'Enghien, le maréchal de L'Hôpital, le sieur d'Espenan et le sieur de La Vallière étoient en la bataille[615], et moi j'eus le commandement du corps de réserve quiétoit composé de deux mille hommes de pied et de mille chevaux.Après que l'on eut résolu tous les ordres de la bataille et que chacun fut en possession de ce qu'il devoit faire, le duc d'Enghien partit le 13 de mai du lieu où il étoit, et envoya tous les bagages de l'armée à Aubanton et à Aubigny, qui ne sont éloignés l'un de l'autre que d'une lieue et demie, et il arriva à trois heures après midi à la vue de Rocroi. Il eut de la peine à le croire, car on l'avoit assuré que les ennemis venoient l'arrêter en un certain passage. Il est à remarquer que s'ils s'en fussent saisis, ils auroient bien empêché notre armée de passer; car ils auroient pu avec six mille hommes défendre ce poste, et avec le reste de leur armée prendre la place, laquelle se seroit sans doute rendue le soir que nous y arrivâmes. Aussitôt que le duc d'Enghien et nos officiers généraux furent sortis hors de ce passage, ils disposèrent leur armée en ordre de bataille, ainsi qu'ils étoient convenus, et marchèrent jusqu'à une certaine plaine qui étoit voisine du lieu où les ennemis étoient en bataille. Ils avoient laissé la place derrière eux à une portée de canon, et les deux armées ne se trouvèrent éloignées l'une de l'autre que de deux portées de mousquet, et elles y demeurèrent tout le jour; mais ce ne fut pas sans de grandes escarmouches, et le canon fit grand bruit de part et d'autre. Toutefois, celui des ennemis fit beaucoup plus de dommage à notre armée qu'ils n'en reçurent du nôtre; car, outre qu'il étoit mieux placé il étoit bien mieux servi, et leurs canonniers étoient plus experts et plus adroits que les nôtres, car il y eut ce jour-là plus de deux mille de nos soldats hors de combat ou de tués, tant d'infanterie que de cavalerie.La nuit fut plus favorable à notre armée que le jour: elle nous donna un peu de relâche, et nos officiers généraux redressèrent notre première ligne, et la remirent en son ordre; car le marquis de La Ferté avoit séparé l'aile gauche qu'il commandoit de plus de deux mille pas du corps de la bataille, ce qui pensa causer la perte du combat; et si les ennemis eussent chargé nos troupes ainsi qu'ils le devoient, ils les auroient battues; et ni le corps de bataille, ni moi avec le corps de réserve, nous ne les aurions pu secourir.Mais le 19 mai, à la pointe du jour, l'armée des ennemis se trouva en même disposition que la nôtre, et parut avoir dessein d'en venir à un combat général; si bien que nos soldats ayant couché en bataille sur leurs armes, ils n'eurent qu'à se lever, souffler leur mèche et la mettre sur le serpentin pour faire leurs décharges sur les ennemis; et comme leur dessein étoit semblable au nôtre, leurs troupes se trouvèrent aussi en même disposition. La bataille commença donc à quatre heures du matin, et le sieur de La Ferté fit encore la même faute qu'il avoit faite le jour précédent; car il sépara de la bataille l'aile gauche qu'il commandoit, laquelle étant chargée des ennemis fut rompue et mise en déroute; les troupes lâchèrent pied sans rendre aucun combat,et il n'y eut que quelques officiers et ce marquis qui fissent ferme, lesquels furent pris prisonniers des ennemis, et lui particulièrement qui fut blessé en deux endroits. Ainsi toute l'aile droite des ennemis tomba sur le corps de réserve que je commandois; mais je fus assez heureux de les soutenir, et même de les battre, et si rudement qu'ils jetèrent leurs armes par terre, et s'enfuirent jusqu'à leur corps de réserve, avec grande confusion, pendant laquelle je repris sept pièces de notre canon, dont ils s'étoient saisis. Mais voyant que leur corps de réserve ne branloit pas, je fis faire halte à mes troupes après les avoir remises en état de combattre. A peine avois-je arrêté ce petit corps que je commandois, que la cavalerie du corps de réserve des ennemis me chargea. Toutefois, voyant qu'elle n'étoit pas soutenue, et que j'avois renversé leur aile gauche, que Gassion et le duc d'Enghien avoient mis leur corps de bataille en désordre et en fuite, et que leur aile droite avoit plié, ils ne m'attaquoient qu'avec appréhension, et ils songeoient plus à fuir qu'à se défendre s'ils étoient chargés; si bien qu'après s'être défendus quelque temps, je les poussai si rudement qu'enfin je les contraignis de lâcher pied et d'abandonner leur infanterie, qui étoit composée de quatre mille cinq cents Espagnols naturels en quatre régiments, qui étoient les plus vieux qui fussent en Flandre; l'un étoit le régiment de Burgy, qui étoit le plus fort; celui du duc d'Albuquerque qui étoit général de la cavalerie dans l'armée des ennemis, et les deux autres étoient celui de Villade et de Villealbois[616]. Quoique cette infanterie se vît abandonnée, elle tint ferme, et voyant leur cavalerie qui fuyoit, je redressai mes escadrons et les mis en état de charger cette infanterie.Mais comme je partois pour y aller, le chevalier de La Vallière, maréchal de bataille, arriva, qui apporta un ordre aux troupes que j'avois ralliées de l'aile que commandoit le marquis de La Ferté-Seneterre, et leur dit que la bataille étoit perdue. Ces troupes étoient le régiment de Picardie, celui de Piémont, celui de la Marine, les Suisses de Molondin et le régiment de Persan. Ces troupes, qui avoient été fort maltraitées, obéirent volontiers au commandement que leur faisoit ce maréchal de bataille. Mais voyant qu'elles m'abandonnoient, j'allai à elles; je les priai de tenir ferme: mais m'apercevant que nonobstant mes remontrances elles se retiroient, je les blâmai de leur peu de cœur, et j'eus grande prise avec le chevalier de La Vallière; car je lui dis qu'il n'avoit rien à commander aux troupes que j'avois, et que je m'en ressentirois. Ces prières et ces menaces eurent tant d'effet sur l'esprit des officiers, que je les raffermis et ils me crurent. Mais comme je les menois à la charge, le même chevalier de La Vallière les arrêta une seconde fois, et il n'y eut plus que ce qui me restoit demon corps de réserve qui me suivit; savoir le régiment de Harcourt celui de Bretagne et celui des Royaux; et pour toute cavalerie je n'avois que mon régiment, qui avoit été fort maltraité, et ainsi fort foible à cause du grand choc qu'il avoit soutenu et des grandes charges qu'il avoit données, dont la plupart avoient été tués ou blessés et mis hors de combat. Je ne laissai pas néanmoins de charger les troupes espagnoles, mais je ne pus les enfoncer parce que mes gens étoient trop foibles. Je courus donc après ces régiments qui se retiroient, et qui étoient à plus de cent pas de moi. Je les traitai de lâches et de gens de peu de cœur et d'honneur, de se retirer sans voir les ennemis. Je leur dis que je le publierois par toute la France, que j'en ferois mes plaintes au Roi et au duc d'Enghien; qu'ils gagneroient la bataille s'ils vouloient demeurer, puisqu'il n'y avoit plus que ce bataillon qui faisoit ferme, et que, s'ils me croyoient et vouloient agir en gens de bien et d'honneur, les déferoient, qu'ils m'abandonnoient pour suivre un homme qui les perdroit d'honneur et de réputation pour jamais, qu'ils se ralliassent avec mes troupes et que je les assurois de les rendre victorieux. Les soldats écoutoient ces remontrances aussi bien que les officiers, et préférant l'honneur au commandement que le chevalier de La Vallière leur faisoit, ils crièrent tous: «A monsieur le baron de Sirot, à monsieur le baron de Sirot!» Ainsi venant à moi, je les menai rejoindre le reste de mes troupes qui m'attendoient. Mais comme je les mettois en ordre de bataille pour aller attaquer ces régiments espagnols, le duc d'Enghien arriva, à qui je dis le commandement que le chevalier de La Vallière me venoit faire de sa part, et aux troupes qui étoient avec lui. Ce prince, voyant qu'on le mettoit en jeu si mal à propos et en une affaire de si haute conséquence, il le désavoua, et dit que celui qui l'avoit dit avoit menti.Après ce désaveu, je le priai de vouloir se retirer un peu à quartier, ce qu'il fit, et ensuite voyant que ce bataillon espagnol commençoit à branler, je le chargeai si rudement, que ne pouvant soutenir l'effort de mes troupes, il fut rompu et défait, et il y demeura deux mille morts sur la place, et autant qui furent faits prisonniers, et entre autres deux de leurs colonels y furent tués, savoir les sieurs de Villebois et de Villades. Mais avant que ce bataillon fût rompu, le comte de Fontaines, qui étoit général de l'armée du roi d'Espagne, lequel étoit dans sa chaise à la tête de ce bataillon, parce qu'il ne pouvoit aller à cheval à cause d'une grande incommodité qu'il avoit de la pierre, y fut tué, et nos troupes se saisirent de son corps et on le porta dans l'église de Rocroi, et Dom Francisco de Melos, qui s'étoit retiré à Mariembourg, après la défaite de leur armée, l'envoyant redemander le jour même, le duc d'Enghien le lui fit rendre, après qu'il l'eut fait ensevelir et mettre dans une bière[617]; il donna son carrosse pour letransporter à Mariembourg, qui n'est qu'à sept lieues de Rocroi, et renvoya avec ce corps tous les aumôniers, jésuites et autres religieux de leur armée, que l'on avoit pris prisonniers[618].»

«Le duc d'Enghien assembla le conseil de guerre qui fut composé de la personne de ce prince, du maréchal de L'Hôpital, son lieutenant général; des sieurs d'Espenan, premier maréchal de camp de l'armée; de Gassion, de La Ferté-Senetère, de La Vallière, maréchal de bataille; de La Barre, qui commandoit l'artillerie, et de moi, qui étois premier mestre de camp de la cavalerie et qui la commandois. Le duc d'Enghien leur proposa s'il seroit plus avantageux de secourir Rocroy avec toute l'armée en hasardant une bataille, ou si l'on tâcheroit de la secourir en y jetant des hommes. Le maréchal de L'Hôpital, les sieurs d'Espenan, de La Ferté, de La Vallière et de La Barre, opinèrent à la secourir par un secours d'hommes que l'on tâcheroit d'y faire entrer; que cette manière seroit beaucoup plus sûre et moins périlleuse, vu l'état auquel étoient les affaires de France, Louis XIII étant mort il n'y avoit que trois jours, et que dans l'embarras où cette mort avoit mis les affaires, s'il arrivoit une disgrâce et qu'ils perdissent la bataille, on mettroit peut-être l'État en compromis; qu'il y avoit à apréhender qu'il n'y eût quelque parti de factieux qui éclatât, et que favorisant l'armée des ennemis ils embarrasseroient le conseil du Roi et fomenteroient les divisions. Mais le duc d'Enghien, le sieur de Gassion, le marquis de Persan qui étoit le premier mestre de camp de l'infanterie et qui la commandoit[614], et moi, fûmes d'un avis contraire. Nous avouâmes que ces messieurs avoient parlé fort prudemment et fort raisonnablement, mais qu'ils devoient aussi avouer que l'on ne pouvoit jeter des gens dans la place qu'avec grande difficulté; que le secours que l'on y enverroit seroit ou nombreux ou de peu de monde; si le parti étoit grand, les ennemis en auroient aussitôt avis; s'il étoit foible, il n'y donneroit pas grand secours; et étant bloquée de toutes parts les grands partis n'y pourroient entrer qu'avec beaucoupde pertes; car, si l'on tentoit de la secourir par deux ou trois côtés différents, on couroit fortune de perdre beaucoup d'infanterie et de cavalerie, ce qui affoibliroit extrêmement l'armée; que les ennemis n'ayant point fait encore de lignes de circonvallation, il y auroit assez de terrain aux environs de la place pour mettre l'armée du Roi en bataille; que l'on pourroit de là reconnoître la posture des ennemis, qu'on les obligeroit de réunir toutes leurs troupes ensemble, et que par le branle qu'ils feroient on connoîtroit s'ils en vouloient venir à une bataille; qu'en cela ils ne reconnoissoient aucun inconvénient; car s'ils étoient (les ennemis) battus, ils se retireroient en leur pays, et s'ils battoient l'armée du Roi, ils ne le pourroient faire sans recevoir un grand échec de leur côté, ce qui les mettroit hors d'état de faire aucune entreprise, parce que ce qui leur resteroit ne seroit pas capable de faire un grand effet dans la France, attendu la facilité qu'il y a de lever des troupes, et que ne défaisant pas entièrement notre armée, ce qui en resteroit s'étant joint au corps que le maréchal de La Melleraye devoit commander sur la frontière de Champagne et du Bassigny, ils feroient un corps de douze ou quinze mille hommes, si bien que les ennemis, quoique victorieux après un grand combat, ne pourroient faire de grands progrès en France et s'exposeroient s'ils y entroient à une déroute générale; que s'il arrivoit aussi que nous gagnassions la bataille, toutes les intelligences que les ennemis pourroient avoir en France étant rompues, toutes les menées qu'ils y faisoient se dissiperoient en un instant; que l'on ne pouvoit jamais avoir plus d'avantage sur les ennemis qu'en cette occasion, l'armée françoise étant forte et fraîche, ne faisant que sortir de ses garnisons, et que les François n'étoient jamais plus braves que quand ils n'avoient point encore souffert de nécessités, outre que si on étoit assez heureux de battre l'armée espagnole, la France demeureroit en repos cette année-là, et que l'on auroit le moyen et le temps de remédier à tous les désordres que la mort du Roi pouvoit causer, et dissiper toutes les ligues secrètes que les ennemis y pourroient avoir. Le maréchal de L'Hôpital et tous ceux qui étoient de son avis insistèrent. Mais le duc d'Enghien persistant aussi dans le sien et le trouvant bon, il fut d'avis que l'on donnât la bataille, et même il dit qu'il le vouloit.

On résolut donc d'en venir en un combat général, en cas que les ennemis y voulussent entendre, et qu'ils ne levassent point le siége à l'arrivée de nos troupes. On disposa donc toutes choses pour la bataille, et on en fit la distribution. Le sieur de Gassion commanda l'aile droite; le sieur de La Ferté-Senetère l'aile gauche. Le duc d'Enghien, le maréchal de L'Hôpital, le sieur d'Espenan et le sieur de La Vallière étoient en la bataille[615], et moi j'eus le commandement du corps de réserve quiétoit composé de deux mille hommes de pied et de mille chevaux.

Après que l'on eut résolu tous les ordres de la bataille et que chacun fut en possession de ce qu'il devoit faire, le duc d'Enghien partit le 13 de mai du lieu où il étoit, et envoya tous les bagages de l'armée à Aubanton et à Aubigny, qui ne sont éloignés l'un de l'autre que d'une lieue et demie, et il arriva à trois heures après midi à la vue de Rocroi. Il eut de la peine à le croire, car on l'avoit assuré que les ennemis venoient l'arrêter en un certain passage. Il est à remarquer que s'ils s'en fussent saisis, ils auroient bien empêché notre armée de passer; car ils auroient pu avec six mille hommes défendre ce poste, et avec le reste de leur armée prendre la place, laquelle se seroit sans doute rendue le soir que nous y arrivâmes. Aussitôt que le duc d'Enghien et nos officiers généraux furent sortis hors de ce passage, ils disposèrent leur armée en ordre de bataille, ainsi qu'ils étoient convenus, et marchèrent jusqu'à une certaine plaine qui étoit voisine du lieu où les ennemis étoient en bataille. Ils avoient laissé la place derrière eux à une portée de canon, et les deux armées ne se trouvèrent éloignées l'une de l'autre que de deux portées de mousquet, et elles y demeurèrent tout le jour; mais ce ne fut pas sans de grandes escarmouches, et le canon fit grand bruit de part et d'autre. Toutefois, celui des ennemis fit beaucoup plus de dommage à notre armée qu'ils n'en reçurent du nôtre; car, outre qu'il étoit mieux placé il étoit bien mieux servi, et leurs canonniers étoient plus experts et plus adroits que les nôtres, car il y eut ce jour-là plus de deux mille de nos soldats hors de combat ou de tués, tant d'infanterie que de cavalerie.

La nuit fut plus favorable à notre armée que le jour: elle nous donna un peu de relâche, et nos officiers généraux redressèrent notre première ligne, et la remirent en son ordre; car le marquis de La Ferté avoit séparé l'aile gauche qu'il commandoit de plus de deux mille pas du corps de la bataille, ce qui pensa causer la perte du combat; et si les ennemis eussent chargé nos troupes ainsi qu'ils le devoient, ils les auroient battues; et ni le corps de bataille, ni moi avec le corps de réserve, nous ne les aurions pu secourir.

Mais le 19 mai, à la pointe du jour, l'armée des ennemis se trouva en même disposition que la nôtre, et parut avoir dessein d'en venir à un combat général; si bien que nos soldats ayant couché en bataille sur leurs armes, ils n'eurent qu'à se lever, souffler leur mèche et la mettre sur le serpentin pour faire leurs décharges sur les ennemis; et comme leur dessein étoit semblable au nôtre, leurs troupes se trouvèrent aussi en même disposition. La bataille commença donc à quatre heures du matin, et le sieur de La Ferté fit encore la même faute qu'il avoit faite le jour précédent; car il sépara de la bataille l'aile gauche qu'il commandoit, laquelle étant chargée des ennemis fut rompue et mise en déroute; les troupes lâchèrent pied sans rendre aucun combat,et il n'y eut que quelques officiers et ce marquis qui fissent ferme, lesquels furent pris prisonniers des ennemis, et lui particulièrement qui fut blessé en deux endroits. Ainsi toute l'aile droite des ennemis tomba sur le corps de réserve que je commandois; mais je fus assez heureux de les soutenir, et même de les battre, et si rudement qu'ils jetèrent leurs armes par terre, et s'enfuirent jusqu'à leur corps de réserve, avec grande confusion, pendant laquelle je repris sept pièces de notre canon, dont ils s'étoient saisis. Mais voyant que leur corps de réserve ne branloit pas, je fis faire halte à mes troupes après les avoir remises en état de combattre. A peine avois-je arrêté ce petit corps que je commandois, que la cavalerie du corps de réserve des ennemis me chargea. Toutefois, voyant qu'elle n'étoit pas soutenue, et que j'avois renversé leur aile gauche, que Gassion et le duc d'Enghien avoient mis leur corps de bataille en désordre et en fuite, et que leur aile droite avoit plié, ils ne m'attaquoient qu'avec appréhension, et ils songeoient plus à fuir qu'à se défendre s'ils étoient chargés; si bien qu'après s'être défendus quelque temps, je les poussai si rudement qu'enfin je les contraignis de lâcher pied et d'abandonner leur infanterie, qui étoit composée de quatre mille cinq cents Espagnols naturels en quatre régiments, qui étoient les plus vieux qui fussent en Flandre; l'un étoit le régiment de Burgy, qui étoit le plus fort; celui du duc d'Albuquerque qui étoit général de la cavalerie dans l'armée des ennemis, et les deux autres étoient celui de Villade et de Villealbois[616]. Quoique cette infanterie se vît abandonnée, elle tint ferme, et voyant leur cavalerie qui fuyoit, je redressai mes escadrons et les mis en état de charger cette infanterie.

Mais comme je partois pour y aller, le chevalier de La Vallière, maréchal de bataille, arriva, qui apporta un ordre aux troupes que j'avois ralliées de l'aile que commandoit le marquis de La Ferté-Seneterre, et leur dit que la bataille étoit perdue. Ces troupes étoient le régiment de Picardie, celui de Piémont, celui de la Marine, les Suisses de Molondin et le régiment de Persan. Ces troupes, qui avoient été fort maltraitées, obéirent volontiers au commandement que leur faisoit ce maréchal de bataille. Mais voyant qu'elles m'abandonnoient, j'allai à elles; je les priai de tenir ferme: mais m'apercevant que nonobstant mes remontrances elles se retiroient, je les blâmai de leur peu de cœur, et j'eus grande prise avec le chevalier de La Vallière; car je lui dis qu'il n'avoit rien à commander aux troupes que j'avois, et que je m'en ressentirois. Ces prières et ces menaces eurent tant d'effet sur l'esprit des officiers, que je les raffermis et ils me crurent. Mais comme je les menois à la charge, le même chevalier de La Vallière les arrêta une seconde fois, et il n'y eut plus que ce qui me restoit demon corps de réserve qui me suivit; savoir le régiment de Harcourt celui de Bretagne et celui des Royaux; et pour toute cavalerie je n'avois que mon régiment, qui avoit été fort maltraité, et ainsi fort foible à cause du grand choc qu'il avoit soutenu et des grandes charges qu'il avoit données, dont la plupart avoient été tués ou blessés et mis hors de combat. Je ne laissai pas néanmoins de charger les troupes espagnoles, mais je ne pus les enfoncer parce que mes gens étoient trop foibles. Je courus donc après ces régiments qui se retiroient, et qui étoient à plus de cent pas de moi. Je les traitai de lâches et de gens de peu de cœur et d'honneur, de se retirer sans voir les ennemis. Je leur dis que je le publierois par toute la France, que j'en ferois mes plaintes au Roi et au duc d'Enghien; qu'ils gagneroient la bataille s'ils vouloient demeurer, puisqu'il n'y avoit plus que ce bataillon qui faisoit ferme, et que, s'ils me croyoient et vouloient agir en gens de bien et d'honneur, les déferoient, qu'ils m'abandonnoient pour suivre un homme qui les perdroit d'honneur et de réputation pour jamais, qu'ils se ralliassent avec mes troupes et que je les assurois de les rendre victorieux. Les soldats écoutoient ces remontrances aussi bien que les officiers, et préférant l'honneur au commandement que le chevalier de La Vallière leur faisoit, ils crièrent tous: «A monsieur le baron de Sirot, à monsieur le baron de Sirot!» Ainsi venant à moi, je les menai rejoindre le reste de mes troupes qui m'attendoient. Mais comme je les mettois en ordre de bataille pour aller attaquer ces régiments espagnols, le duc d'Enghien arriva, à qui je dis le commandement que le chevalier de La Vallière me venoit faire de sa part, et aux troupes qui étoient avec lui. Ce prince, voyant qu'on le mettoit en jeu si mal à propos et en une affaire de si haute conséquence, il le désavoua, et dit que celui qui l'avoit dit avoit menti.

Après ce désaveu, je le priai de vouloir se retirer un peu à quartier, ce qu'il fit, et ensuite voyant que ce bataillon espagnol commençoit à branler, je le chargeai si rudement, que ne pouvant soutenir l'effort de mes troupes, il fut rompu et défait, et il y demeura deux mille morts sur la place, et autant qui furent faits prisonniers, et entre autres deux de leurs colonels y furent tués, savoir les sieurs de Villebois et de Villades. Mais avant que ce bataillon fût rompu, le comte de Fontaines, qui étoit général de l'armée du roi d'Espagne, lequel étoit dans sa chaise à la tête de ce bataillon, parce qu'il ne pouvoit aller à cheval à cause d'une grande incommodité qu'il avoit de la pierre, y fut tué, et nos troupes se saisirent de son corps et on le porta dans l'église de Rocroi, et Dom Francisco de Melos, qui s'étoit retiré à Mariembourg, après la défaite de leur armée, l'envoyant redemander le jour même, le duc d'Enghien le lui fit rendre, après qu'il l'eut fait ensevelir et mettre dans une bière[617]; il donna son carrosse pour letransporter à Mariembourg, qui n'est qu'à sept lieues de Rocroi, et renvoya avec ce corps tous les aumôniers, jésuites et autres religieux de leur armée, que l'on avoit pris prisonniers[618].»

Il y avait auprès de Condé un jeune officier aussi intelligent qu'intrépide, ce La Moussaye que nous avons vu à Chantilly et à Liancourt le compagnon de ses divertissements, un de cesPetits-maîtres, comme on les appelait, qui ne le quittaient ni en paix ni en guerre. François Goyon de La Moussaye, baron de Nogent ou marquis de La Moussaye (car c'est là un petit problème historique qu'il ne faut ici ni agiter ni résoudre), tout jeune encore, était à Rocroi un des aides de camp de Condé, avec le chevalier de Boisdauphin, depuis le marquis de Laval, fils de Mmede Sablé, tué plus tard au siége de Dunkerque, et Chabot qui, par son mariage avec Marguerite de Rohan, devint le duc de Rohan-Chabot; il se tint constamment à ses côtés, soit pour transmettre partout ses ordres, soit pour le suivre dans les manœuvres les plus hasardeuses. Il fut blessé, ainsi que ses deux vaillants camarades; et c'est lui que Condé chargea après la victoire d'aller à Paris en porter la nouvelle, honneur qu'il n'accorda jamais que comme une récompense de grands services rendus. La Moussaye devait parfaitement connaître ses desseins et toute sa conduite. N'étant particulièrement attaché à aucune des divisions de l'armée, il put embrasser l'ensemble de la bataille d'un coup d'œil plus étendu que Sirot. LaRelationqu'ila laissée entre dans bien moins de détails en ce qui concerne la réserve, mais elle exprime admirablement tout le mouvement de la journée. Nous ne connaissons rien de plus complet sur Rocroi comme sur Fribourg. Cette Relation a paru assez longtemps après la mort de La Moussaye, et sans nom d'auteur, en 1673, du vivant même de Condé, et dédiée à son fils: «Relation des campagnes de Rocroi et de Fribourg, en l'année 1643 et 1644; dédiée à Son Altesse Sérénissime, monseigneur le duc d'Enghien, Paris, 1673, in-12.» CetteRelationa été réimprimée dans lesMémoires pour servir à l'histoire de M. le Prince, 1693, 2 volumes in-12; et plus tard Ramsay en a tiré ce qui se rapporte à la campagne de Fribourg, pour le placer à la suite des Mémoires de Turenne. Nul doute que cet écrit ne soit de la main d'un militaire et d'un confident de Condé. En se nommant à peine dans la bataille de Rocroi et dans les trois combats de Fribourg où il s'était tant distingué, La Moussaye s'est lui-même désigné. On s'accorde aussi à reconnaître que le mémoire de La Moussaye a été revu et corrigé par un homme de lettres peu célèbre, mais fort capable, Henri de Bessé, sieur de La Chapelle-Milon, inspecteur des beaux-arts sous M. de Villecerf. Tout le monde a loué le style de cette Relation. Bouhours la donne comme un modèle du genre, et Bussi, qui n'est pas louangeur, déclare n'avoir rien lu de mieux écrit[619]. N'osant pas reproduire cette Relation tout entière, nous en donnerons des extraits suffisants sur les points essentiels.

La Moussaye commence par dire une chose qu'un ami de Condé pouvait seul savoir et nous apprendre: que de bonne heure Condé prit la résolution de hasarder une bataille plutôt que de laisser Mélos s'emparer de Rocroi «dans les premiers jours de son commandement»; etqu'ayant reconnu que le maréchal de L'Hôpital répugnait à ce dessein, il se résigna


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