I.

Des deux conditions de la beauté parfaite, la force et la grâce[328], Mmede Montbazon possédait la première au suprême degré; mais cette qualité étant presque seule ou tout à fait dominante laissait quelque chose à désirer, c'est-à-dire précisément ce qui fait le charme de la beauté. Elle était grande et majestueuse, même à ce point que Tallemant, qui exagère toujours lorsqu'il ne ment pas, dit: «C'étoit un colosse[329].» Elle possédait tout le luxe des attraits de l'embonpoint. Sa gorge rappelait celle des statues antiques, avec un peu d'excès peut-être. Ce qui frappait le plus en sa figure était des yeux et des cheveux très noirs sur un fond d'une éblouissanteblancheur. Le défaut était un nez un peu fort, avec une bouche trop enfoncée qui donnait à son visage une apparence de dureté[330]. On voit que c'était juste l'opposé de Mmede Longueville. Celle-ci était grande et ne l'était pas trop. La richesse de sa taille n'ôtait rien à sa délicatesse. Un juste embonpoint laissait déjà paraître et retenait dans une mesure exquise la beauté des formes de la femme. Ses yeux étaient du bleu le plus doux; son abondante chevelure du plus beau blond cendré. Elle avait le plus grand air; et malgré cela son trait particulier était la grâce. Ajoutez la suprême différence des manières et du ton. Mmede Longueville était dans tout son maintien la dignité, la politesse, la modestie, la douceur même, avec une langueur et une nonchalance qui n'étaient pas son moindre charme. Sa parole était rare ainsi que son geste; les inflexions de sa voix étaient une musique parfaite. L'excès, où jamais elle ne tomba, eût été plutôt une sorte de mignardise. Tout en elle était esprit, sentiment, agrément. Mmede Montbazon, au contraire, avait la parole libre, le ton leste et dégagé, de la morgue et de la hauteur.

Ce n'en était pas moins une créature très attrayante,quand elle voulait l'être, et elle eut un grand nombre d'adorateurs, et d'adorateurs heureux, depuis Gaston, duc d'Orléans, et le comte de Soissons, tué à la Marfée, jusqu'à Rancé, le jeune éditeur d'Anacréon et le futur fondateur de la Trappe. M. de Longueville avait été quelque temps l'amant en titre, et il lui faisait des avantages considérables. Quand il épousa Mllede Bourbon, Mmela Princesse exigea, sans être il est vrai bien fidèlement obéie, qu'il rompît tout commerce avec son ancienne maîtresse. De là dans cette âme intéressée une irritation que redoubla la vanité blessée, lorsqu'elle vit cette jeune femme avec son grand nom, un esprit merveilleux, un agrément indéfinissable, s'avancer dans le monde de la galanterie, entraîner sans le moindre effort tous les cœurs après elle, et lui enlever ou partager du moins cet empire de la beauté dont elle était si fière, et qui lui était si précieux. D'un autre côté, ainsi que nous l'avons dit, le duc de Beaufort n'avait pu autrefois se défendre pour Mmede Longueville d'une admiration passionnée qui avait été très froidement reçue[331]. Il en avait eu du dépit, et cette blessure saignait encore, même après qu'il eut porté ses hommages à Mmede Montbazon. Celle-ci, comme on le pense bien, aigrit ses ressentiments. Enfin le duc de Guise, récemment arrivé à Paris, s'était mis à la fois dans le parti des Importants et au service de Mmede Montbazon, qui l'accueillit fort bien, en même temps qu'elle s'efforçait de garder ou de rappeler M. de Longueville, et qu'elle régnait sur Beaufort, dont le rôle auprès d'elle était un peu celui decavalier servant. On le voit, Mmede Montbazon disposait, par Beaufort et par Guise, de la maison de Vendôme et de la maison de Lorraine, et elle employa tout ce crédit au profit de sa haine contre Mmede Longueville. Elle brûlait de lui nuire; elle en trouva l'occasion.

Un soir[332]que, dans son salon de la rue de Béthisy ou de la rue Barbette[333], elle avait chez elle une nombreuse compagnie, on ramassa deux lettres qui n'avaient pas de signature, mais qui étaient d'une écriture de femme et d'un style peu équivoque. On se mit à les lire, on en fit mille plaisanteries, on en rechercha l'auteur. Mmede Montbazon prétendit qu'elles étaient tombées de la poche de Maurice de Coligny, qui venait de sortir, et qu'elles étaient de la main de Mmede Longueville. Le mot d'ordre une fois donné, tous les échos du parti des Importants le répétèrent, et cette aventure devint l'entretien de la cour. Voici quelles étaient les deux lettres trouvées chez Mmede Montbazon; une frivole curiosité nous les a très fidèlement conservées[334]:

«J'aurois beaucoup plus de regret du changement de votre conduite si je croyois moins mériter la continuationde votre affection. Je vous avoue que, tant que je l'ai crue véritable et violente, la mienne vous a donné tous les avantages que vous pouviez souhaiter. Maintenant n'espérez pas autre chose de moi que l'estime que je dois à votre discrétion. J'ai trop de gloire pour partager la passion que vous m'avez si souvent jurée, et je ne veux plus vous donner d'autre punition de votre négligence à me voir que celle de vous en priver tout à fait. Je vous prie de ne plus venir chez moi, parce que je n'ai plus le pouvoir de vous le commander.»

«De quoi vous avisez-vous après un si long silence? Ne savez-vous pas bien que la même gloire qui m'a rendue sensible à votre affection passée me défend de souffrir les fausses apparences de sa continuation? Vous dites que mes soupçons et mes inégalités vous rendent la plus malheureuse personne du monde; je vous assure que je n'en crois rien, bien que je ne puisse nier que vous ne m'ayez parfaitement aimée, comme vous devez avouer que mon estime vous a dignement récompensé. En cela, nous nous sommes rendu justice, et je ne veux pas avoir dans la suite moins de bonté, si votre conduite répond à mes intentions. Vous les trouveriez moins déraisonnables si vous aviez plus de passion, et les difficultés de me voir ne feroient que l'augmenter au lieu de la diminuer. Je souffre pour trop aimer et vouspour n'aimer pas assez. Si je vous dois croire, changeons d'humeur; je trouverai du repos à faire mon devoir, et vous devez y manquer pour vous mettre en liberté. Je n'aperçois pas que j'oublie la façon dont vous avez passé avec moi l'hiver, et que je vous parle aussi franchement que j'ai fait autrefois. J'espère que vous en userez aussi bien, et que je n'aurai point de regret d'être vaincue dans la résolution que j'avois faite de n'y plus retourner. Je garderai le logis trois ou quatre jours de suite, et l'on ne m'y verra que le soir: vous en savez la raison.»

Ces lettres n'étaient pas controuvées. Elles avaient été réellement écrites par Mmede Fouquerolles au beau et élégant marquis de Maulevrier, qui avait eu la sottise de les perdre dans le salon de Mmede Montbazon. Maulevrier, tremblant d'être reconnu et d'avoir compromis Mmede Fouquerolles, courut chez un des chefs du parti des Importants, La Rochefoucauld, qui était son ami, lui confia son secret, et le supplia de s'entremettre pour assoupir cette affaire. La Rochefoucauld fit comprendre à Mmede Montbazon qu'il était de son intérêt de faire ici la généreuse, car on reconnaîtrait bien aisément l'erreur ou la fraude, dès qu'on en viendrait à confronter l'écriture de ces lettres avec celle de Mmede Longueville; qu'il lui fallait donc prévenir un éclat qui retomberait sur elle. Mmede Montbazon remit les lettres originales à La Rochefoucauld, qui les fit voir à M. le Prince, à Mmela Princesse, à Mmede Rambouillet et à Mmede Sablé, particulières amies de Mmede Longueville, et, la vérité bien établie, les brûla en présence de la Reine, délivrant Maulevrier et Mmede Fouquerolles del'inquiétude mortelle où ils avaient été pendant quelque temps[335].

Peut-être eût-il été sage de s'en tenir là. C'était l'avis un peu intéressé du faible et prudent M. de Longueville, qui voulait ménager Mmede Montbazon, et ne croyait pas que l'honneur de sa femme eût beaucoup à gagner à un plus grand éclat. Mmede Longueville n'était pas non plus fort animée; mais Mmela Princesse, avec son humeur altière et dans le premier enivrement des succès de son fils, exigea une réparation égale à l'offense, et déclara hautement que, si la Reine et le gouvernement ne prenaient pas en main l'honneur de sa maison, elle et tous les siens se retireraient de la cour: elle s'indignait à la seule idée qu'on pût mettre un moment sa fille en balance avec la petite-fille d'un cuisinier, disait-elle, voulant parler de La Varenne, père de la comtesse de Vertu, qui avait été maître d'hôtel de Henri IV. En vain tout le parti des Importants, Beaufort et Guise à leur tête, s'agitèrent et menacèrent: Mazarin était trop habile pour se mettre sur les bras deux ennemis à la fois, et pour se brouiller avec les Condé sans espoir d'acquérir ou de désarmer les Lorrains et les Vendôme. Il tourna aisément la Reine du côté de Mme la Princesse[336]. Mmede Longueville était allée passer les premiers moments de cette désagréable aventure à La Barre, auprès de ses chères amies MllesDu Vigean. La Reine elle-même alla l'y voir, et lui promit sa protection. On décida que la duchesse de Montbazonse rendrait chez Mmela Princesse, à l'hôtel de Condé, et lui ferait une réparation publique. Mmede Motteville raconte avec beaucoup d'agrément tout ce qu'il fallut de diplomatie pour ménager et régler ce que dirait Mmede Montbazon et ce que répondrait Mmela Princesse. «La Reine étoit dans son grand cabinet, et Mmela Princesse étoit avec elle, qui, tout émue et toute terrible, faisoit de cette affaire un crime de lèse-majesté. Mmede Chevreuse, engagée par mille raisons dans la querelle de sa belle-mère, étoit avec le cardinal Mazarin pour composer la harangue qu'elle devoit faire. Sur chaque mot, il y avoit un pourparler d'une heure. Le Cardinal, faisant l'affairé, alloit d'un côté et d'autre pour accommoder leur différend, comme si cette paix eût été nécessaire au bonheur de la France et au sien en particulier. Il fut arrêté que la criminelle iroit chez Mmela Princesse le lendemain, où elle devoit dire que le discours qui s'étoit fait de la lettre étoit une chose fausse, inventée par de méchants esprits, et qu'en son particulier elle n'y avoit jamais pensé, connoissant trop bien la vertu de Mmede Longueville et le respect qu'elle lui devoit. Cette harangue fut écrite dans un petit billet qui fut attaché à son éventail, pour la dire mot à mot à Mmela Princesse. Elle le fit de la manière du monde la plus fière et la plus haute, faisant une mine qui sembloit dire: «Je me moque de ce que je dis.»

Mademoiselle[337]et d'Ormesson[338]nous ont conservé les deux discours prononcés: «Madame[339], je viens ici pourvous protester que je suis innocente de la méchanceté dont on m'a voulu accuser, n'y ayant point de personne d'honneur qui puisse dire une calomnie pareille; et si j'avois fait une faute de cette nature, j'aurois subi les peines que la Reine m'auroit imposées et ne me serois jamais montrée devant le monde, et vous en aurois demandé pardon, vous suppliant de croire que je ne manquerai jamais au respect que je vous dois et à l'opinion que j'ai du mérite et de la vertu de Mmede Longueville.» Mmela Princesse répondit: «Je reçois très volontiers l'assurance que vous me donnez n'avoir nullement part à la méchanceté que l'on a publiée, déférant tout au commandement que la Reine m'en a fait.»

On trouve dans d'Ormesson quelques détails qui ajoutent au piquant de cette scène de comédie. Elle eut lieu le 8 août. Le cardinal Mazarin y assistait, comme témoin de la part de la Reine. Mmede Montbazon ayant commencé son discours sans dire Madame, Mmela Princesse s'en plaignit, et l'autre dut recommencer avec l'addition respectueuse. Évidemment un pareil accommodement ne finissait rien[340].

Outre la satisfaction qu'elle venait de recevoir, Mmela Princesse avait demandé et obtenu la permission de ne se point trouver en même lieu que la duchesse de Montbazon. A quelque temps de là, Mmede Chevreuse invita la Reine à une collation dans le jardin de Renard. Ce jardin était le rendez-vous de la belle société. Il était au bout des Tuileries, avant la porte de la Conférence qui conduisait au Cours-la-Reine, c'est-à-dire à l'angle gauche de la place Louis XV[341], sur le terrain occupé depuis par deux de ces tristes fossés inventés par leXVIIIesiècle et obstinément conservés comme pour gâter à plaisir cette magnifique place qu'il serait si aisé de rendre la plus belle de l'Europe. L'été, en revenant du Cours, qui était la promenade du grand monde, et où les beautés du jour faisaient assaut de toilette et d'éclat[342], on venait se reposer au jardin de Renard, y prendre des rafraîchissements, et entendre des sérénades à la manière espagnole. La Reine se plaisait fort à s'y promener dans les belles soirées d'été. Elle voulut que Mmela Princesse y vînt avec elle partager la collation que lui offrait Mmede Chevreuse, l'assurant bien que Mmede Montbazon n'y serait pas: mais celle-ci y était, et elle prétendit même faire les honneurs de la collation comme belle-mère de celle qui la donnait. Mmela Princesse feignit de vouloir se retirer pour ne pas troubler la fête; la Reine ne pouvait pas ne la point retenir, puisqu'elle était venue sur sa parole. Elle fit donc prier Mmede Montbazon de faire semblant de se trouver mal et de s'en aller pour la tirer d'embarras. La hautaine duchesse ne consentit pasà fuir devant son ennemie, et elle demeura. La Reine offensée refusa la collation et quitta la promenade avec Mmela Princesse. Quelques jours après, une lettre du Roi enjoignait à Mmede Montbazon de sortir de Paris[343].

Cette disgrâce déclarée irrita les Importants. Ils se crurent humiliés et affaiblis, et il n'y eut pas de violences et d'extrémités qu'ils ne rêvèrent. Le duc de Beaufort, frappé à la fois dans son crédit et dans ses amours, jeta les hauts cris; les pensées de vengeance qui depuis quelque temps s'agitaient à l'hôtel de Vendôme, se fixèrent; il y eut un complot formé et arrêté pour se défaire de Mazarin, avec diverses tentatives d'exécution[344]. Dans ces conjonctures, le Cardinal se montra à la hauteur de Richelieu. Quoiqu'il demandât surtout ses succès à la patience, à l'habileté et à l'intrigue, il avait aussi de la résolution et du courage, et il sut prendre son parti. Il était déjà assez bien avec la Reine, et il commençait àlui paraître nécessaire ou du moins fort utile. Il lui représenta ce qu'elle devait à l'État et à l'autorité royale menacée; qu'il fallait préférer l'intérêt de son fils et de sa couronne à des amitiés bonnes peut-être en d'autres temps, mais qui étaient devenues dangereuses; il mit sous ses yeux les preuves certaines de la conspiration ourdie contre sa personne, et la supplia de choisir entre ses ennemis et lui. Anne d'Autriche n'hésita point, et la ruine des Importants fut décidée. Le 2 septembre, on arrêta le duc de Beaufort au Louvre même, et on le conduisit à Vincennes. On ôta le commandement des Suisses à La Châtre, ami de Beaufort. L'évêque de Beauvais, qui avait eu un moment la confiance de la Reine et s'était mis en tête de succéder à Richelieu, fut renvoyé à son église; le duc de Vendôme, ainsi que le duc de Mercœur, son fils aîné, relégués à Anet, Mmede Chevreuse d'abord à Dampierre puis en Anjou, et Châteauneuf dans son gouvernement de Touraine[345]. Ces mesures, exécutées à propos, dissipèrent le parti des Importants. Les discordes intestines qui menaçaient le nouveau règne durent attendre des jours plus favorables. Mazarin, bientôt sans rival auprès de la Reine, continua au dedans et surtout au dehors le système de son devancier, et la royauté, ainsi que la France, comptèrent une suite de belles années, grâce à l'union des princes du sang avec la couronne, aux ménagements habiles du premier ministre, à son génie politique secondé par le génie militaire du duc d'Enghien.

Celui-ci était revenu à Paris à la fin de la campagne,après avoir gagné une grande bataille, pris une place forte très importante, fait passer le Rhin à l'armée française, et reporté la guerre en Allemagne. La Reine l'avait reçu comme le libérateur de la France. Mazarin, qui tenait plus à la réalité qu'à l'apparence du pouvoir, lui fit dire que toute son ambition était d'être son chapelain et son homme d'affaires auprès de la Reine. De loin, le duc d'Enghien avait applaudi à tout ce qu'on avait fait, et il revenait brûlant encore pour MlleDu Vigean, et furieux qu'on eût osé insulter sa sœur. Il adorait sa sœur, et il aimait Coligny. Il connaissait et il avait favorisé sa passion. Engagé lui-même dans un amour aussi ardent que chaste, il savait que sa sœur pouvait bien n'avoir pas été insensible aux empressements de Maurice, mais il se révoltait à la pensée qu'on lui attribuât les lettres d'une Mmede Fouquerolles, et il le prit sur un ton qui arrêta les plus insolents.

Parmi les amis du duc de Beaufort et de Mmede Montbazon était au premier rang le duc de Guise. On l'avait ménagé ainsi que toute sa famille à cause de Monsieur, Gaston, duc d'Orléans, qui avait épousé en secondes noces une princesse de Lorraine, la belle Marguerite[346]. Le duc de Guise était tel que nous l'avons dépeint. Il avait déjà fait plus d'une folie, mais il n'avait pas encore honteusement échoué dans toutes ses entreprises; son incapacité n'était pas déclarée; il avait le prestige de son nom, de la jeunesse, de la beauté[347], et d'une bravoureportée jusqu'à la témérité. Serviteur avoué de Mmede Montbazon, il avait épousé sa querelle, sans être entré néanmoins dans les violences de Beaufort, et il était resté debout en face des Condé victorieux.

Coligny avait eu la sagesse de se tenir à l'écart pendant l'orage, de peur de compromettre encore davantage Mmede Longueville en se portant ouvertement son défenseur; mais quelques mois s'étant écoulés, il crut pouvoir se montrer, et, comme le dit l'ouvrage inédit sur la régence que nous avons plusieurs fois cité[348], «la prison du duc de Beaufort lui ôtant les moyens de tirer avec lui l'épée, il s'adressa au duc de Guise.» La Rochefoucauld s'exprime ainsi[349]: «Le duc d'Enghien, ne pouvant témoigner au duc de Beaufort, qui étoit en prison, le ressentiment qu'il avoit de ce qui s'étoit passé entre Mmede Longueville et Mmede Montbazon, laissa à Coligny la liberté de se battre avec le duc de Guise, qui avoit été mêlé dans cette affaire.» Le duc d'Enghien connut donc et approuva ce que fit Coligny. Pour Mmede Longueville, il est absurde de supposer qu'elle voulut être vengée et poussa Coligny, car tout le monde lui attribue une conduite fort modérée en opposition avec celle de Mmela Princesse. Loin d'envenimer la querelle, elle était d'avis de l'étouffer, et Mmede Motteville réfuteelle-même le bruit qu'elle rapporte en disant: «La jalousie qu'elle avoit contre la duchesse de Montbazon, étant proportionnée à son amour pour son mari, ne l'emportoit pas si loin qu'elle ne trouvât plus à propos de dissimuler cet outrage.»

La Rochefoucauld nous donne un renseignement qui explique ce qui va suivre: Coligny relevait d'une longue maladie; il était faible encore, et il n'était pas très adroit à l'escrime[350]. C'est dans cet état qu'il s'attaqua au duc de Guise, qui, comme tous les héros de parade, était d'une rare habileté dans ce genre d'exercices.

Disons quelques mots des seconds qu'ils se choisirent; ils en valent la peine à tous égards. Les seconds étaient alors des témoins qui se battaient. Coligny prit pour second, et pour faire l'appel, comme on disait alors, Godefroi, comte d'Estrades, gentilhomme gascon, d'une bravoure éprouvée. D'Estrades avait commencé à servir en Hollande sous Maurice de Nassau. Il s'était distingué dans plusieurs semblables rencontres. Un jour, à ce que raconte Tallemant[351], se battant contre un matamore qui se mit sur le bord d'un petit fossé et dit à d'Estrades: «Je ne passerai pas ce fossé. Et moi, dit d'Estrades en faisant une raie derrière soi avec son épée, je ne passerai pas cette raie.» Ils se battent: d'Estrades le tue. En 1643, il était déjà très compté à la cour et dans les affaires; il fut employé tour à tour et avec un égal succès à la guerre et dans la diplomatie, et devint maréchal de France en 1675[352]. Le second du duc de Guiseétait son écuyer, le marquis de Bridieu, gentilhomme Limousin, brave officier, très attaché à la maison de Lorraine, qui, en 1650, défendit admirablement Guise contre l'armée espagnole et contre Turenne, et pour cette belle défense, où il y eut vingt-quatre jours de tranchée ouverte, fut fait lieutenant général[353].

On convint que l'affaire aurait lieu à la Place Royale[354],théâtre accoutumé de ces sortes de combats qu'ils avaient teint cent fois du meilleur sang. C'est aussi à la Place Royale qu'habitaient les plus grandes dames, la fleur de la galanterie, Marguerite de Rohan, Mmede Guymené, Mmede Chaulnes, Mmede Saint-Géran, MmedeSablé, la comtesse de Maure et tant d'autres, sous les yeux desquelles ces légers et vaillants gentilshommes se plaisaient à croiser le fer. Beaucoup d'entre eux y laissèrent la vie. Dans le premier quart duXVIIesiècle, le duel était une mode à la fois utile et désastreuse,qui entretenait les mœurs guerrières de la noblesse, mais qui la moissonnait presque à l'égal de la guerre, et pour les causes les plus frivoles. Tirer l'épée pour une bagatelle était devenu l'accompagnement obligé des belles manières; et comme la galanterie avait ses élégants, le duel avait ses raffinés. En quelques années, neuf cents gentilshommes périrent dans des combats particuliers[355]. Pour arrêter ce fléau, Richelieu fit rendre au Roi l'édit terrible qui punissait la mort par la mort et envoyait les provocateurs de la Place Royale à la place de Grève. Richelieu fut inflexible, et l'exemple de Montmorency Bouteville, décapité avec son second, le comte Deschapelles, pour avoir provoqué Beuvron et s'être battu avec lui à la Place Royale en plein midi, imprima une terreur salutaire et rendit assez rares les infractions à l'édit. Coligny brava tout[356]; ilfit appeler Guise, et, au jour marqué, les deux nobles adversaires, assistés de leurs seconds, d'Estrades et Bridieu, se rencontrèrent à la Place Royale.

Nous pouvons donner les moindres détails du combat, grâce aux mémoires contemporains, grâce surtout aux divers manuscrits dont nous avons déjà fait usage.

Le 12 décembre 1643[357], d'Estrades alla le matin appeler le duc de Guise de la part de Coligny. Le rendez-vous fut pris pour le jour même, à la Place Royale, à trois heures[358]. Les deux adversaires ne firent rien paraître de toute la matinée, et à trois heures ils étaient au rendez-vous. On prête[359]au duc de Guise un mot qui répand sur cette scène une grandeur inattendue, fait comparaître à la Place Royale et met aux prises une dernière fois les deux plus illustres combattants des guerres de la Ligue dans la personne de leurs descendants. En mettant l'épée à la main, Guise dit à Coligny: «Nous allons décider les anciennes querelles de nos deux maisons, et on verra quelle différence il faut mettreentre le sang de Guise et celui de Coligny.» Coligny porta à son adversaire une longue estocade; mais, faible comme il était, le pied de derrière lui manqua, et il tomba sur le genou. Guise alors passa sur lui et mit le pied sur son épée[360]. Il aurait dit à Coligny[361]: «Je ne veux pas vous tuer, mais vous traiter comme vous méritez, pour vous être adressé à un prince de ma naissance, sans vous en avoir donné sujet»; et il le frappa du plat de son épée[362]. Coligny, indigné, ramasse ses forces, se rejette en arrière, dégage son épée et recommence la lutte[363]. Dans ce second acte de l'affaire, Guise fut blessé légèrement à l'épaule[364]et Coligny à la main. Enfin Guise, passant de nouveau sur Coligny, se saisit de son épée, dont il eut la main un peu coupée, et en la lui enlevant lui porta un grand coup dans le bras qui le mit hors de combat. Pendant ce temps, d'Estrades et Bridieu s'étaient blessés grièvement[365].

Telle fut l'issue de ce duel, le dernier des duels célèbres de la Place Royale[366]. Il fit très peu d'honneur à Coligny[367], et presque tout le monde prit parti pour leduc de Guise. La Reine témoigna[368]un très vif mécontentement de la violation de l'édit. Monsieur, poussé par sa femme et par les Lorrains, se plaignit hautement[369]. M. le Prince et Mmela Princesse furent bien obligés de se déclarer contre Coligny doublement coupable et parce qu'il était le provocateur et parce qu'il avait été malheureux. La preuve que Coligny était d'intelligence avec le duc d'Enghien, c'est que celui-ci ne l'abandonna pas, qu'il le reçut blessé dans sa maison de Paris, puis à Saint-Maur, et qu'il ne cessa de l'entourer de sa protection et de ses soins[370], en dépit deM. le Prince. Quand l'affaire fut déférée au Parlement, conformément à l'édit de Richelieu, et que les deux adversaires furent appelés à comparaître, le duc de Guise annonça l'intention de se rendre au palais avec un cortége de princes et de grands seigneurs; de son côté le duc d'Enghien menaça d'y accompagner aussi son ami. Mais les poursuites commencées s'arrêtèrent[371]devant l'état déplorable où l'on sut qu'était tombé Coligny. L'infortuné languit quelques mois, et mourut à la finde mai 1644[372]des suites de ses blessures, et de désespoir d'avoir si mal soutenu la cause de sa propre maison et celle de Mmede Longueville.

Cette affaire, avec ses dramatiques circonstances et son dénoûment tragique, eut un immense et douloureux retentissement dans Paris et dans la France entière. Elle ranima un moment les divisions des partis, et suspendit les divertissements et les fêtes de l'hiverde 1644[373]; elle n'occupa pas seulement les familles intéressées et la cour, elle frappa vivement toute la haute société, et demeura quelque temps l'entretien des salons. On pense bien qu'en se répandant elle se grossit de proche en proche d'incidents imaginaires. D'abord on supposa que Mmede Longueville aimait Coligny. Il le fallait pour le plus grand intérêt du récit. De là cette autre invention, qu'elle-même avait armé le bras de Coligny, et que d'Estrades, chargé d'appeler le duc de Guise, ayant dit à Coligny que le duc pourrait bien désavouer les propos injurieux qu'on lui prêtait et qu'ainsi l'honneur serait satisfait, Coligny lui aurait répondu: «Il n'est pas question de cela; je me suis engagé à Mmede Longueville de me battre contre lui à la Place Royale, je n'y puis manquer[374].» On ne pouvait s'arrêter en si beau chemin, et Mmede Longueville n'aurait pas été la sœur du vainqueur de Rocroy, une héroïne digne de soutenir la comparaison avec celles d'Espagne, qui voyaient mourir leurs amants à leurs pieds dans les tournois, si elle n'eût assisté au combat de Guise et de Coligny. On assura donc que le 12 décembre elle était dans un hôtel de la Place Royale, chez la duchesse de Rohan, et que là, cachée à une fenêtre, derrière un rideau, elle avait vu la funeste rencontre.

Alors, comme aujourd'hui, c'était la poésie, c'est-à-dire la chanson, qui mettait le sceau à la popularité d'un événement. Quand l'événement était malheureux, la chanson était une complainte burlesquement pathétique et toujours un peu railleuse. Telle est celle-ci, quicourut toutes les ruelles, et fut réellement chantée, car nous la trouvons dans leRecueil des chansons notéesde l'Arsenal[375]:

Essuyez vos beaux yeux,Madame de Longueville;Essuyez vos beaux yeux,Coligny se porte mieux.S'il a demandé la vie,Ne l'en blâmez nullement;Car c'est pour être votre amantQu'il veut vivre éternellement.

Essuyez vos beaux yeux,Madame de Longueville;Essuyez vos beaux yeux,Coligny se porte mieux.S'il a demandé la vie,Ne l'en blâmez nullement;Car c'est pour être votre amantQu'il veut vivre éternellement.

Essuyez vos beaux yeux,Madame de Longueville;Essuyez vos beaux yeux,Coligny se porte mieux.S'il a demandé la vie,Ne l'en blâmez nullement;Car c'est pour être votre amantQu'il veut vivre éternellement.

Essuyez vos beaux yeux,

Madame de Longueville;

Essuyez vos beaux yeux,

Coligny se porte mieux.

S'il a demandé la vie,

Ne l'en blâmez nullement;

Car c'est pour être votre amant

Qu'il veut vivre éternellement.

Après la chanson le roman; Mmede Longueville eut aussi le sien. Un bel esprit du temps, dont le nom nous est inconnu, composa en cette occasion une nouvelle, où, sous des noms supposés, et mêlant le faux au vrai, il raconte la touchante aventure qui occupait alors tout Paris. Nous avons découvert cette nouvelle inédite du milieu duXVIIesiècle à la Bibliothèque de l'Arsenal et à la Bibliothèque nationale[376]. Elle a pour titre:Histoire d'Agésilan et d'Isménie, c'est-à-dire histoire de Coligny et de Mmede Longueville. Elle a l'avantage d'être fort courte. Nous n'osons pourtant la donner tout entière, et nous nous bornerons à faire connaître rapidement ce petit monument de la célébrité naissante de Mmede Longueville.

Bien entendu, Isménie aime le plus tendrement du monde Agésilan, et elle l'aimait avant d'avoir été mariée à Amilcar, le duc de Longueville, par l'ordre de son père et de sa mère, Anténor et Simiane, M. le Prince et Mmela Princesse. Isménie a pour ennemie Roxane, Mmede Montbazon, jalouse de sa beauté; et ici viennent deux portraits d'Isménie et de Roxane, qui sont d'une exactitude tout à fait historique: «Roxane étoit piquée des louanges qu'on donnoit à Isménie de sa beauté, qui véritablement étoit des plus grandes. Ses cheveux d'un blond cendré, ses yeux bleus, la blancheur de son teint et sa taille étoient incomparables; son esprit doux, insinuant, parlant agréablement sur toutes sortes de sujets, lui donnoit l'approbation de tout le monde. Roxane, qui a une beauté et une humeur différente, n'avoit pas des approbateurs sur sa grâce en si grand nombre qu'Isménie, bien que sur la beauté les esprits fussent partagés. Ses cheveux étoient bruns sur un teint blanc et uni; ses yeux noirs et bien fendus, d'où il sortoit un feu à pénétrer jusque dans les cœurs les plus insensibles; sa mine haute et fière la faisoit plutôt craindre qu'aimer; son esprit étoit cruel, plein de violence. Il ne falloit point se partager avec elle.»

Voici une conversation des deux amants moins longue que celles del'Astréeet duGrand Cyrus, mais qui a leur agréable fadeur, leur sentimentale mélancolie: «Pensive à son malheur, Isménie se promenoit le long d'un ruisseau qui arrose le bois de Mirabelle (Chantilly). Elle vit tout d'un coup sortir un homme de l'épaisseur du bois, et pâle et défait se jeter à ses genoux. Elle connut d'abord que c'étoit Agésilan qui lui dit: Quoi! ma princesse,m'abandonnerez-vous après tant de promesses de votre fermeté? En refusant le parti qu'on vous offre, ne ferez-vous pas connoître à tout le monde que ma princesse a autant de fidélité que de beauté, et que sa parole est inébranlable quand elle l'a donnée? S'il vous reste encore quelque souvenir du malheureux Agésilan et des tendresses que vous aviez pour lui, donnez-lui un mois avant que d'accomplir ce mariage. Le terme est court pour une si grande disgrâce qui me coûtera la vie.—Agésilan, dit Isménie, Dieu sait, si mes sentiments étoient suivis, si je serois jamais à d'autre qu'à vous! J'ai fait pour cela plus que le devoir ne m'obligeoit: j'ai résisté longtemps aux ordres d'Anténor et de Simiane. J'ai passé des jours et des nuits en pleurs de la perte que je faisois de mon cher Agésilan. Tout ce que je puis faire pour lui est de lui conserver toujours mon estime et mon amitié. Elle l'embrassa pour la dernière fois, et se retira dans le château sans attendre sa réponse.»

Agésilan désespéré va rejoindre l'armée commandée par le frère d'Isménie, Marcomir, le duc d'Enghien, et nous assistons à un récit de la bataille de Rocroy en général assez exact, à deux défauts près. L'auteur n'a pas l'air d'avoir connu la manœuvre hardie et savante qui décida la victoire, et que nous avons essayé de décrire. On se doute bien aussi qu'il donne à Coligny dans cette grande journée un rôle qu'il n'a pas eu. Dans la nouvelle, Agésilan prend la place de Gassion et commande l'aile droite; le maréchal de L'Hôpital, qui commandait la gauche, est remplacé par Gassion, qui est mis sous le nom d'Hilla ou Hillarius, «vieux mestre de camp, à présent maréchal, soldat de fortune, mais quiavoit passé par toutes les charges, ayant beaucoup de cœur et de fermeté.» Marcomir avait confié l'aile droite à Agésilan «comme étant assuré de sa fidélité et de son grand cœur.» Agésilan cherche la mort, et, selon les règles du roman, il ne trouve que la gloire, il est vrai, avec beaucoup de blessures qui expliqueront plus tard sa langueur et sa faiblesse. Entre autres exploits, il a une rencontre particulière avec Alaric, roi des Goths. Marcomir, de son côté, fait des actions extraordinaires et tue de sa main le chef de l'armée ennemie. Comme Agésilan-Coligny a pris la place de Gassion, ainsi d'Estrades, ami de Coligny, est substitué, sous le nom de Théodate, au brave Sirot, qui commandait la réserve et contribua tant au succès de la bataille.

La nouvelle peint fidèlement la conduite d'Enghien-Marcomir après la victoire. «Après avoir rendu grâces à Dieu d'une si grande victoire, Marcomir retourna dans son camp. Il fut légèrement blessé, eut deux chevaux tués sous lui, et fit dans cette action tout ce qu'un bon général et un grand capitaine peut faire: il eut grand soin des blessés et il les visitoit tous les jours.» Il ne pouvait manquer de prendre un soin particulier d'Agésilan, son parent, et de Théodate; il les ramena avec lui à Lutétie, où ils reçurent toutes les louanges que leurs belles actions méritaient.

Dans la nouvelle, comme dans quelques mémoires, c'est Roxane, Mmede Montbazon, qui invente et contrefait les deux fameuses lettres pour déshonorer et perdre Isménie. Elle exige de son amant Florizel, le duc de Guise, qu'il soutienne que ces lettres sont véritables; et, ne pouvant obtenir de sa loyauté une pareille indignité,elle lui demande au moins de s'en exprimer avec doute. Florizel a la faiblesse d'y consentir; ses paroles sont promptement exagérées et envenimées, et de toutes parts le bruit s'accrédite que Florizel défend très haut la vérité de ces lettres et se déclare prêt à la soutenir à Agésilan lui-même, «en quelle manière il le voudroit.» Indignation de la reine Amalasonte, Anne d'Autriche, contre Isménie qu'elle croit coupable; grande colère d'Anténor et de Simiane, M. le Prince et Mmela Princesse, contre leur fille, et désespoir de celle-ci, car les deux lettres imaginées par Roxane sont bien autrement fortes que celles que Mmede Fouquerolles avait écrites à Maulevrier, et qui furent attribuées à Mmede Longueville. Première lettre: «Je ne puis vous souffrir plus longtemps dans la tristesse où vous êtes. Votre constance m'a entièrement gagnée. Trouvez-vous ce soir dans l'allée des Sycomores, proche des bains de Diane. Je vous dirai ce que je veux faire pour vous.» Autre lettre: «Je crois que vous êtes content de moi, cher Agélisan; mais si la promenade des Sycomores vous a plu, celle où je vous ordonne de venir ne vous plaira pas moins. Venez seul, à dix heures du soir, par la porte du jardin; vous trouverez Lydie, qui vous conduira où je serai. Adieu.»

Ces deux rendez-vous sont assez bien imaginés pour expliquer l'irritation d'Isménie, et comment elle pousse elle-même Agésilan à la venger, et lui ménage un second habile dans Théodate. Le duel avait été résolu «dans un conseil chez Isménie, où Marcomir et Agésilan étoient.» Les préparatifs de la rencontre et les détails sont moins saisissants et moins romanesquesdans le roman que dans l'histoire. La scène y est fidèlement racontée, mais fort abrégée en ce qui regarde les deux principaux adversaires; l'intervention du duc d'Enghien est plus marquée.

«La partie fut liée à deux heures de l'après-midi, à la place des Nymphes (Place Royale). Florizel y viendroit avec un second, un page et un laquais; Agésilan et Théodate en feroient de même; les deux carrosses se rencontreroient devant le logis de Caliste (la duchesse de Rohan), et les cochers se battroient à coups de fouet pour prétexter que c'étoit une rencontre. Les choses furent exécutées ainsi qu'elles avoient été projetées, et les balcons et les fenêtres des maisons étoient remplis de dames. Chrysante et Théodate (Bridieu et d'Estrades) furent les premiers qui mirent l'épée à la main. Chrysante est un gentilhomme de mérite, brave et un des plus forts hommes du monde. Il est gouverneur d'une place considérable sur la frontière des Belges. Théodate lui donna d'abord un coup d'épée dans le corps; il en reçut un en même temps dans le bras. Chrysante, se sentant incommodé par la perte du sang, voulut se servir de ses forces et venir aux prises avec Théodate; il l'embrassa avec les deux bras, et le pressa avec tant de violence que, nonobstant sa grande blessure, il eût étouffé Théodate, si celui-ci n'eût fait un effort pour se tirer de ses mains. Il fut si grand qu'ils tombèrent tous deux à terre, sans avantage, et furent séparés dans cet instant par des personnes de qualité qui arrivèrent sur le lieu. Cependant Florizel et Agésilan étoient tous deux aux mains. Théodate croyoit être assez à temps pour les séparer, lorsqu'il vit le pauvre Agésilan par terre,désarmé. Florizel le quitte pour venir au-devant de Théodate, pour l'embrasser et lui demander son amitié; il lui dit: Je suis fâché du mauvais état où vous trouverez Agésilan. Il m'a querellé de gaieté de cœur; je vous proteste avec vérité que jamais je ne l'ai offensé. Théodate répondit assez succinctement à ce compliment, étant pressé de se rendre auprès d'Agésilan, qu'il trouva sans connoissance par le mécontentement que ce désavantage lui causa, lequel le conduisit jusques au cercueil. Dans cet instant, Marcomir et plusieurs princes et seigneurs de la cour arrivèrent dans la place des Nymphes. Marcomir fit mettre Agésilan et Théodate dans un de ses carrosses, et leur donna un appartement dans son hôtel, pour la sûreté de leurs personnes.»

«Il n'y avoit que peu de jours que le sénat de Lutétie avoit vérifié le décret contre les duels, qui condamnoit à mort tous ceux qui se battoient. Amalasonte, voulant que l'édit fût exécuté suivant sa teneur, fit décréter prise de corps contre Agésilan et Théodate comme agresseurs, et les poursuites furent moins rigoureuses contre Florizel et Chrysante. Marcomir s'en plaignit hautement, et l'appréhension qu'Amalasonte eut que cela produisît une guerre civile, toute la cour ayant pris parti de part et d'autre, fit qu'elle commanda que l'affaire passeroit pour une rencontre fortuite et que le Roi feroit expédier des lettres de grâce; ce qui fut exécuté, et les parties furent d'accord.»

Ici le roman reprend ses droits, et, ramenant Mmede Longueville auprès du lit de Coligny mourant, met dans la bouche de l'un et de l'autre des discours de ce pathétique facile qui ne manque jamais son effet sur lecommun des lecteurs, moins sensibles à l'art véritable qu'à ce qu'il y a de touchant dans ces situations.

«Les blessures qu'Agésilan avoit reçues empiroient tous les jours. Les chirurgiens les jugeoient mortelles. Théodate ne garda pas le lit de la sienne. Il étoit continuellement près d'Agésilan, lequel, sentant diminuer ses forces, dit à Théodate: J'ai une prière à vous faire, qui est d'obliger Isménie de me venir voir pour la dernière fois, et que vous soyez seul témoin de ce que j'ai à lui dire. Les médecins et les chirurgiens assurèrent Théodate qu'Agésilan ne pouvoit pas passer la journée, ce qui l'obligea de se hâter d'aller trouver Isménie et la disposer de venir dire le dernier adieu à Agésilan, ce qu'elle fit avec une douleur extrême. D'abord qu'Agésilan la vit, la couleur lui revint au visage, et l'émotion qu'il eut en voyant ce qu'il aimoit chèrement lui donna la force de dire: Madame, depuis que je vous ai perdue, je n'ai rien tant désiré que de mourir pour votre service. Dieu a exaucé mes prières. Je ne pouvois être heureux ne vous possédant pas. Ma passion étoit trop forte pour rester content dans le monde. J'ai à vous rendre grâces de la bonté que vous avez d'agréer que je vous dise que je meurs à vous, et fort content de ne plus troubler votre repos. Et, lui tendant la main: Adieu, ma chère Isménie, et il rendit l'esprit dans cet instant. Après le dernier adieu qu'Agésilan fit à Isménie, qui fut aussi le dernier soupir de sa vie, Isménie demeura immobile quelque temps. Puis tout d'un coup elle se jette sur le corps d'Agésilan, l'embrasse, lui prend les mains, les arrose de ses larmes, et, commençant d'avoir la voix libre, elle dit: Faut-il que je surviveau plus fidèle et sincère amant qui ait jamais été au monde? Est-ce là, mon cher Agésilan, la récompense que tu devois attendre de l'ingrate Isménie? Tu n'as aimé qu'elle, et dans le même temps qu'elle t'a quitté, ton désespoir t'a fait chercher la mort dans les batailles où ton grand cœur, ta réputation et tes grandes actions ont été immortelles; et après cela tu viens mourir devant mes yeux et me dis que tu n'as jamais eu de joie depuis m'avoir perdue, et que tu meurs content puisque tu ne me peux posséder!.... Reçois, cher et fidèle ami, ces larmes, et le regret immortel de ta perte qui me percera le cœur mille fois par jour. Reçois cette amende honorable que je te fais de toutes mes rigueurs et de tous les déplaisirs que je t'ai causés. Ah! misérable que je suis! que deviendrai-je? où irai-je? Non, il faut mourir de regret et d'amour. Je ne te quitterai plus, je veux demeurer auprès de toi. Et, l'embrassant, elle baisoit ses yeux et son visage avec des transports de tendresse capables de faire fendre le cœur à tout le monde.»

Mais rappelons-le en finissant, tous ces tendres sentiments sont de poétiques inventions de l'auteur de la nouvelle. Pour rendre Mmede Longueville plus touchante, on l'a représentée partageant la passion qu'elle inspirait; mais rien prouve qu'elle eût en effet de l'amour pour Coligny. Elle l'aimait comme un des compagnons de son enfance, comme un des camarades de son frère, comme un gentilhomme presque de son rang dont elle n'avait aucune raison de repousser les hommages, et qui lui plaisait par une tendresse persévérante et dévouée. Elle lui permettait de soupirer pour elle et de se déclarer son chevalier àla manière espagnole, selon les principes de Mmede Sablé et des précieuses de l'hôtel de Rambouillet, qui ne défendaient pas aux hommes de les servir et de les adorer, pourvu que ce fût de la façon la plus respectueuse. Telles étaient les mœurs de cette époque. Un gentilhomme ne passait pas pour honnête homme s'il n'avait pas une maîtresse, c'est-à-dire une dame à laquelle il adressait de particuliers hommages et dont il portait les couleurs dans les fêtes de la paix et sur les champs de bataille. Il n'y avait pas une beauté, si vertueuse qu'elle fût, qui n'eût des amants, c'est-à-dire des soupirants en tout bien et en tout honneur. La duchesse d'Aiguillon, présentant son jeune neveu, le duc de Richelieu, à MlleDu Vigean l'aînée, la priait d'en faire un honnête homme, et pour cela elle exhortait le plus sérieusement du monde le jeune duc à devenir amoureux de la belle dame[377]. Mmede Longueville souffrait ainsi les empressements de Coligny. Sa coquetterie en était flattée, sa vertu ni même sa réputation n'en étaient effleurées. Elle était entourée des meilleurs exemples. La jeune Du Vigean, sa plus chère amie, résistait au vainqueur de Rocroy; Mllede Brienne était tout entière à son mari, M. de Ganache; Julie de Rambouillet ne se pressait pas de se rendre à la longue passion de Montausier, et Isabelle de Montmorency elle-même ne faisait encore que prêter l'oreille aux doux propos de d'Andelot. Retz affirme seul que Coligny était aimé, et il dit le tenir de Condé lui-même; mais qui ne connaît la légèreté de Retz? qui voudrait s'en rapporter à sontémoignage quand il est seul, et sur des choses où il n'a pas été personnellement mêlé? En 1643, Retz n'avait guère le secret que de ses propres intrigues, et il redit les propos des salons des Importants. Mmede Motteville si bien informée, qui plus tard ne dissimulera pas la chute de Mmede Longueville, peut être crue lorsqu'elle affirme qu'en 1643[378]«elle étoit encore dans une grande réputation de vertu et de sagesse», et que tout son tort était «de ne pas haïr l'adoration et la louange.» Enfin nous avons un témoignage décisif, celui de La Rochefoucauld. Il était à la fois l'ami de Maulevrier et de Coligny; il savait donc le fin de toute cette affaire. Or, lui qui un jour se tournera contre Mmede Longueville, révélera ses faiblesses et grossira ses fautes, déclare que, jusqu'à une certaine époque à laquelle nous ne sommes pas encore parvenus, tous ceux qui essayèrent de plaire à la sœur de Condé letentèrent inutilement[379]. Elle était trop jeune encore et trop près des habitudes de sa pure et pieuse adolescence; elle n'avait pas encore atteint l'âge fatal aux intentions les plus vertueuses: son heure n'était pas venue. Elle vint plus tard, quand Mmede Longueville eut plus connu le monde et la vie, et respiré plus longtemps l'air de son siècle, quand son frère avait oublié la chaste grandeur de ses premières amours, quand l'amie qui la pouvait soutenir, la belle et noble MlleDu Vigean, n'était plus à côté d'elle, quand son mari était éloigné, quand enfin, lasse de combattre et plus que jamais éprise du bel esprit etdes apparences héroïques, elle rencontra un personnage jeune encore et assez beau, d'une bravoure brillante, qui passait pour le modèle du dévouement chevaleresque, qui sut habilement intéresser son amour-propre dans ses projets d'ambition et la séduire par l'appât de la gloire. La Rochefoucauld fut le premier qui toucha sérieusement l'âme de Mmede Longueville; il le dit, et nous l'en croyons. Avant lui, Mmede Longueville en était encore à la noble et gracieuse galanterie qu'elle voyait partout en honneur, qu'elle entendait célébrer à l'hôtel de Rambouillet comme à l'hôtel de Condé, dans les grands vers de Corneille comme dans les petits vers de Voiture. Elle se complaisait à faire sentir le pouvoir de ses charmes. Mille adorateurs s'empressaient autour d'elle. Coligny était peut-être un peu plus près de son cœur, il n'y était pas entré. Mais on ne badine pas impunément avec l'amour. Un jour il coûtera bien des larmes à Mmede Longueville. Ici sa victime fut l'aîné des Châtillon, qui périt à la fleur de l'âge, de la main de l'aîné des Guise, essayant de venger celle qu'il aimait. Cette aventure, bientôt répandue par tous les échos des salons, par la chanson et par le roman, jeta d'abord un sombre éclat sur la destinée de Mmede Longueville, et lui composa de bonne heure une renommée à la fois aristocratique et populaire qui la préparait merveilleusement à jouer un grand rôle dans cette autre tragi-comédie, héroïque et galante, qu'on appelle la Fronde.

MADAME DE LONGUEVILLE A PARIS EN 1644, 1645 ET 1646.—ELLE SE REND A MÜNSTER EN 1646.—RETOUR EN FRANCE EN 1647.—SON JEUNE FRÈRE, LE PRINCE DE CONTI.—LA ROCHEFOUCAULD.—ORIGINE DE LA LIAISON DE LA ROCHEFOUCAULD ET DE MADAME DE LONGUEVILLE.—SITUATION DE LA FRANCE ET DE LA MAISON DE CONDÉ AVANT LA FRONDE. CAMPAGNES DE CONDÉ.—CONFÉRENCES DE MÜNSTER ET TRAITÉ DE WESTPHALIE.—NAISSANCE DE LA FRONDE. SES CAUSES. SON CARACTÈRE. SES FUNESTES RÉSULTATS.

Nous avons traversé les années les plus vraiment belles de la jeunesse de Mmede Longueville, celles où l'éclat de ses succès ne coûte rien encore à la vertu. Le temps approche où elle va succomber aux mœurs de son siècle et aux besoins longtemps combattus de son cœur. L'amour qu'elle répandait autour d'elle, elle va le ressentir à son tour, et s'engager dans une liaison fatale qui lui fera oublier tous ses devoirs à la fois, et tournera ses plus brillantes qualités contre elle-même, contre sa famille et contre la France.

Disons ce que nous savons de Mmede Longueville depuis le moment où nous l'avons quittée jusqu'en l'année 1648.

Nuls documents authentiques, imprimés ou manuscrits, ne nous autorisent à supposer qu'avant la fin de l'année 1647 Mmede Longueville ait jamais franchi les bornes de la galanterie à la mode. Elle était grosse en1643, pendant l'aventure des lettres et la triste querelle qui en fut la suite, et elle accoucha, le 4 février 1644, d'une fille qui reçut le nom de sa mère et de son frère, Charlotte Louise, Mllede Dunois, morte le 30 avril 1645[380]. Un an après, le 12 janvier 1646, elle eut un fils, Jean Louis Charles d'Orléans, comte de Dunois, destiné à succéder aux titres et aux charges de son père. En 1647, à son retour de Münster, elle mit au monde uneseconde fille, Marie Gabrielle, enlevée en 1650. Un peu plus tard, un dernier fils lui naquit au milieu de la première Fronde.

Mmede Longueville avait vingt-cinq ans en 1644, après le duel de Coligny et de Guise. Chaque année ne faisait qu'ajouter à ses charmes. Elle prenait de plus en plus les mœurs du jour. La coquetterie et le bel esprit étaient toute son occupation. La gloire de son frère rejaillissait sur elle, et elle y répondait et y ajoutait même par ses propres succès à la cour et dans les salons. Tout ce qu'il y avait en elle d'instincts de grandeur et d'ambition se rapportait à ce frère, à sa carrière, à sa fortune. Elle songeait par-dessus tout à lui faire des amis et des partisans. La hauteur innée de sa race, son indépendance naturelle et la légèreté de son âge lui donnaient un air d'opposition et lui inspiraient des propos qui faisaient ombrage au premier ministre. Mazarin, forcé de compter avec la maison de Condé, et résigné à la satisfaire à tout prix, la redoutait[381]encore plus que toutes les autres maisons princières, en raison même de la capacité reconnue de son chef et de l'ascendant que lui donnait la gloire toujours croissante du duc d'Enghien. Déjà même vers la fin de 1644, dans cette jeune beauté tout occupée, ce semble, de bagatelles, sa merveilleuse sagacité lui faisait pressentir sa plus dangereuse ennemie. Il en trace à cette époque un portrait sévère où il s'attache à marquer tous ses défauts sans relever ses qualités. Il reconnaît, et ce témoignage est précieux à recueillir, que sa coquetterie est innocente, mais il l'accuse avecraison d'être ambitieuse, non pas pour elle, mais pour son frère, et de lui inspirer des pensées de domination auxquelles il n'était déjà que trop enclin. Mais donnons ici tout entier ce portrait curieux et en quelque sorte prophétique:

«Mmede Longueville[382]a tout pouvoir sur son frère. Elle fait vanité de dédaigner la cour, de haïr la faveur et de mépriser tout ce qui n'est pas à ses pieds. Elle voudrait voir son frère dominer et disposer de toutes les grâces. Elle sait fort bien dissimuler; elle reçoit toutes les déférences et toutes les faveurs comme lui étant dues. D'ordinaire elle est très froide avec tout le monde; et si elle aime la galanterie, ce n'est pas du tout qu'elle songe à mal, mais pour faire des serviteurs et des amis à son frère. Elle lui insinue des pensées ambitieuses auxquelles il n'est déjà que trop porté naturellement. Elle ne fait pas état de sa mère parce qu'elle la croit attachée à la cour. Ainsi que son frère, elle considère comme des dettes toutes les grâces qu'on accorde à sa personne, à sa maison, à ses parents, à ses amis; elle croit qu'on voudrait bien les leur refuser, mais qu'on ne l'ose, de peur de les mécontenter. Elle a un grand commerceavec la marquise de Sablé et la duchesse de Lesdiguières. Dans la maison de Mmede Sablé viennent continuellement d'Andilly, la princesse de Guymené, Enghien, sa sœur, Nemours, et beaucoup d'autres, et on y parle de tout le monde fort librement: il faut y avoir quelqu'un qui avertisse de ce qui s'y passera.»

Dans l'année 1645, une nouvelle grossesse n'ayant pas permis à Mmede Longueville de suivre son mari à Münster où il avait été envoyé ambassadeur et ministre plénipotentiaire, elle était restée à Paris, et après ses couches, elle ne s'était pas fort pressée d'aller passer l'hiver de 1646 sous le ciel de la Westphalie. Imaginez-vous, en effet, cet enfant gâté de l'hôtel de Rambouillet quittant Corneille et Voiture, toutes les élégances et les raffinements de la vie, pour s'en aller à Münster parmi des diplomates étrangers parlant allemand ou latin. C'était pour elle un double exil, car sa patrie n'était pas seulement la France, c'était Paris, c'était la cour, c'était l'hôtel de Condé, Chantilly, la Place Royale, la rue Saint-Thomas-du-Louvre. Elle différa donc le plus qu'elle put[383]. Cependant, l'hiver écoulé, il fallut bienobéir, et se mettre en route avec sa belle-fille, Mllede Longueville, qui avait déjà un peu plus de vingt ans.

Pour garder quelque chose de la France et de Paris, la belle ambassadrice emmena avec elle plusieurs gens d'esprit et hommes de lettres, entre autres Courtin, alors conseiller au parlement de Normandie, depuis résident près des couronnes du Nord, Claude Joly, oncle de Guy Joly, l'auteur des Mémoires, chanoine de Notre-Dame, tout aussi frondeur que son neveu, qui toute sa vie demeura attaché aux Condé et aux Longueville, et s'est fait connaître par divers ouvrages pleins de savoir et de mérite[384]; ainsi que l'académicien Esprit[385], un des habitués de l'hôtel de Rambouillet, qui venait de se brouiller avec le chancelier Séguier pour avoir favorisé le mariage de sa fille, la marquise de Coislin, avec le fils de Mmede Sablé, le beau et brave marquis de Laval, tué quelque temps après au siége de Dunkerque.

Un peu avant son départ pour Münster, Esprit avaitprésenté à Mmede Longueville un des anciens poëtes favoris de Richelieu, Bois-Robert, qui était resté ébloui du nouvel éclat de celle qu'il avait vue autrefois et admirée toute jeune dans les fêtes de Ruel. Voici dans quels termes[386]Bois-Robert raconte à Esprit sa visite et lui dépeint Mmede Longueville. Les vers sont médiocres, mais il faut nous les passer, car ils tiennent la place d'une infinité d'autres vers, qu'à la rigueur nous pourrions citer de cette même époque et qui sont plus mauvais encore[387]:


Back to IndexNext