Rayons dorés, tièdes zéphyrs...
Rayons dorés, tièdes zéphyrs...
Rayons dorés, tièdes zéphyrs...
fredonnait-il en descendant notre rue déserte. Ainsi “Elle” ignorerait, en l’entendant venir, que Laroche,fermier des Lamberts, refusait impudemment de payer son fermage, et qu’un prête-nom du même Laroche avançait à mon père,—sept pour cent d’intérêts pour six mois—une somme indispensable...
“Par quel charme, dis-moi, m’as-tu donc enchanté?Quand je te vois, je crois que c’est par ton sourire...”
“Par quel charme, dis-moi, m’as-tu donc enchanté?Quand je te vois, je crois que c’est par ton sourire...”
“Par quel charme, dis-moi, m’as-tu donc enchanté?Quand je te vois, je crois que c’est par ton sourire...”
Qui donc eût pu croire que ce baryton, agile encore sur sa béquille et sa canne, pousse devant lui sa romance comme une blanche haleine d’hiver, afin qu’elle détourne de lui l’attention?
Il chante: “Elle” oubliera peut-être aujourd’hui de lui demander s’il a pu emprunter cent louis sur sa pension d’officier amputé? Quand il chante, Sido l’écoute malgré elle, et ne l’interrompt pas...
“Les rendez-vous de noble compagnieSe donnent tous dans ce charmant-ant séjour,Et doucement on y passe la vie(bis)En célébrant le champagne et l’amour! (ter)”
“Les rendez-vous de noble compagnieSe donnent tous dans ce charmant-ant séjour,Et doucement on y passe la vie(bis)En célébrant le champagne et l’amour! (ter)”
“Les rendez-vous de noble compagnieSe donnent tous dans ce charmant-ant séjour,Et doucement on y passe la vie(bis)En célébrant le champagne et l’amour! (ter)”
S’il jette trop haut, aux murs de la rue de l’Hospice, legrupetto, le point d’orgue final, et quelquescocottesde fantaisie, ma mère apparaîtra sur le seuil, scandalisée, riante:
—Oh! Colette!... Dans la rue!...
... et moyennant peut-être deux ou trois grivoiseries, du genre ordinaire, décochées à une jeune voisine, “Sido” froncera son sourcil clairsemé de Joconde, et chassera d’elle le douloureux refrain qui ne franchit pas ses lèvres: “Il va falloir vendre la Forge... vendre la Forge... Mon Dieu, vendre la Forge aussi, après les Mées, les Choslins, les Lamberts...”
Gai? Et pourquoi eût-il été, sincèrement, gai? Il avait besoin de vivre au sein d’une chaude approbation, après avoir eu besoin, dans sa jeunesse, de mourir publiquement et avec gloire. Réduit à son village et à sa famille, envahi et borné par son grand amour, il livra le plus vrai de lui-même à des étrangers, à des amis lointains. Un de ses compagnons d’armes, le colonel Godchot, vit encore, et garde des lettres, redit des mots du capitaine Colette... Etrange silence d’un homme qui parlait volontiers: il ne contait pas ses faits d’armes. C’est le capitaine Fournès, et le soldat Lefèvre, tous deux du 1ᵉʳ zouaves, qui ont transmis au colonel Godchot des “mots” de mon père. Dix-huit cent cinquante-neuf... Guerre d’Italie... Mon père, à 29 ans, tombe, la cuisse gauche arrachée, devant Melegnano. Fournès et Lefèvre s’élancent, le rapportent: “Où voulez-vous qu’on vous mette, mon capitaine?”
—Au milieu de la place, sous le drapeau!
Il n’a conté, à aucun des siens, cette parole, cette heure où il espéra mourir parmi le tonnerre et l’amour des hommes. Il ne nous a jamais dit, à nous, comment il gisait à côté de “son vieux Maréchal” (Mac-Mahon). Il ne m’a jamais parlé, à moi, de la seule longue et grave maladie qui m’ait atteinte. Mais voici que des lettres de lui (je l’apprends vingt ans après sa mort) sont pleines de mon nom, du mal de la “petite”...
Trop tard, trop tard... C’est le mot des négligents, des enfants et des ingrats. Non que je me sente plus coupable qu’une autre “enfant”, au contraire. Mais n’aurais-je pas dû forcer, quand il était vivant, sa dignité goguenarde, sa frivolité de commande? Ne valions-nous pas, lui et moi, l’effort réciproque de nous mieux connaître?
Il était poète, et citadin. La campagne, où ma mère semblait se sustenter de toute sève, et reprendre vie chaque fois qu’en se baissant elle en touchait la terre, éteignait mon père, qui s’y comporta en exilé.
Elle nous sembla parfois scandaleuse, la sociabilité qui l’appelait vers la politique des villages, les conseils municipaux, la candidature au conseil général, vers les assemblées, les comités régionaux où l’humaine rumeur répond à la voix humaine. Injustes, nous lui en voulions vaguement de ne pas assez nous ressembler, à nous qui nous dilations d’aise loin des hommes.
Je m’avise à présent qu’il cherchait à nous plaire, lorsqu’il organisait des “parties de campagne”, comme font les habitants des villes. La vieille victoria bleue emportait famille, victuailles et chiens jusqu’aux bords d’un étang, Moutiers, Chassaing, ou la jolie flaque forestière de la Guillemette qui nous appartenait. Mon père manifestait le “sens du dimanche”, le besoin urbain de fêter un jour entre les sept jours, au point qu’il se munissait de cannes à pêche, et de sièges pliants.
Au bord de l’étang, il essayait une humeur joviale qui n’était pas son humeur joviale de la semaine; il débouchait plaisamment la bouteille de vin, s’accordait une heure de pêche à la ligne, lisait, dormait un moment, et nous nous ennuyions, nous autres, sylvains aux pieds légers, entraînés à battre le pays sans voiture, et regrettant, devant le poulet froid, nos en-cas de pain frais, d’ailet de fromage. La libre forêt, l’étang, le ciel double exaltaient mon père, mais à la manière d’un noble décor. Plus il évoquait
... le bleu Titarèse, et le golfe d’argent...
... le bleu Titarèse, et le golfe d’argent...
... le bleu Titarèse, et le golfe d’argent...
plus nous devenions taciturnes—je parle des deux garçons et de moi—nous qui n’accordions déjà plus d’autre aveu, à notre culte bocager, que le silence.
Assise au bord de l’étang, entre son mari et ses enfants sauvages, seule ma mère semblait recueillir mélancoliquement le bonheur de compter, gisants contre elle, sur l’herbe fine et jonceuse rougie de bruyère, ses bien-aimés... Loin du coup de sonnette importun, loin de l’anxieux fournisseur impayé, loin des voix cauteleuses, un cirque parfait de bouleaux et de chênes enfermait—j’excepte l’infidèle fille aînée—son œuvre et son tourment. Courant en risées sur les cimes des arbres, le vent franchissait la brèche ronde, touchait rarement l’eau. Les dômes des mousserons rosés crevaient le léger terreau, gris d’argent, qui nourrit les bruyères, et ma mère parlait de ce qu’elle et moi nous aimions le mieux.
Elle contait les sangliers des anciens hivers, les loups encore présents dans la Puysaie et la Forterre, le loup d’été, maigre, qui suivit, cinq heures durant, la victoria. “Si j’avais su quoi lui donner à manger... Il aurait bien mangé du pain...” A toutes les côtes, il s’asseyait pour laisser à la voiture son avance d’une cinquantaine de mètres. De le sentir, la jument était furieuse, un peu plus c’est elle qui l’eût attaqué...
—Tu n’avais pas peur?
—Peur? Non. Ce pauvre grand loup gris, sec, affamé, sous un soleil de plomb... D’ailleurs j’étais avec mon premier mari. C’est lui aussi, mon premier mari, qui enchassant a vu le renard noyer ses puces. Une touffe d’herbes entre les dents, le renard est entré le derrière le premier, peu à peu, peu à peu, dans l’eau, jusqu’au museau...
Paroles innocentes, enseignements maternels que donnent aussi, à leurs petits, l’hirondelle, la mère lièvre, la chatte... Récits délicieux, dont mon père ne retenait qu’un mot: “mon premier mari...”, et il appuyait sur “Sido” ce regard bleu gris dans lequel personne n’a jamais pu lire... Que lui importaient, d’ailleurs, le renard, le muguet, la baie mûre, l’insecte? Il les aimait dans des livres, nous disait leurs noms scientifiques, et dehors les croisait sans les reconnaître... Il louait, sous le nom de “rose”, toute corolle épanouie, il prononçait l’o bref, à la provençale, en pinçant, entre le pouce et l’index, une “roz” invisible...
Le soir tombait enfin sur notre dimanche-aux-champs. De cinq, nous n’étions, souvent, plus que trois: mon père, ma mère et moi. Le rempart circulaire des bois assombris avait résorbé les deux longs garçons osseux, mes frères.
—Nous les rattraperons sur la route, en revenant, disait mon père.
Mais ma mère secouait la tête: ses garçons ne rentraient que par des sentes de traverse, des prés marécageux et bleus; coupant par les sablières, les ronciers, ils sautaient le mur au fond du jardin... Elle se résignait à les trouver chez nous, à la maison, un peu saignants, un peu loqueteux; elle reprenait sur l’herbe les reliefs du repas, quelques champignons frais cueillis, le nid de mésange vide, la cartilagineuse éponge cloisonnée, œuvre d’une colonie de guêpes, le bouquet sauvage, des cailloux empreints d’ammonites fossiles, le grand chapeau de “lapetite”, et mon père, encore agile, remontait, d’un saut d’échassier, dans la victoria.
C’est ma mère qui caressait la jument noire, qui offrait à ses dents jaunies des pousses tendres, et qui essuyait les pattes du chien pataugeur. Je n’ai jamais vu mon père toucher un cheval. Nulle curiosité ne l’a attiré vers un chat, penché sur un chien. Jamais un chien ne lui a obéi...
—Allons, monte! ordonnait à Moffino la belle voix du capitaine.
Mais le chien, contre le marchepied de la voiture, battait de la queue froidement, et regardait ma mère...
—Monte, animal! Qu’est-ce que tu attends? répétait mon père.
“J’attendsl’ordre”, semblait répondre le chien.
—Eh! saute! lui criais-je.
Il ne se le faisait pas dire deux fois.
—C’est très curieux, constatait ma mère.
—Ça prouve seulement la bêtise de ce chien, répliquait mon père.
Mais nous n’en croyions rien, “nous autres”, et mon père, au fond, se sentait secrètement humilié.
Les genêts jaunes, bottelés, faisaient queue de paon derrière nous dans la capote de la vieille voiture. Mon père, en approchant du village, reprenait son fredon défensif, et nous avions sans doute l’air très heureux, car l’air heureux était notre suprême et mutuelle politesse... Soir commençant, fumées courantes sur le ciel, fiévreuse première étoile, est-ce que tout, autour de nous, n’était pas aussi grave et aussi tremblant que nous-mêmes? Un homme, banni des éléments qui l’avaient jadis porté, rêvait amèrement...
Amèrement,—maintenant j’en suis sûre. Il faut du temps à l’absent pour prendre sa vraie forme en nous.Il meurt,—il mûrit, il se fixe. “C’est donc toi? Enfin... Je ne t’avais pas compris.” Il n’est jamais trop tard, puisque j’ai pénétré ce que ma jeunesse me cachait autrefois: mon brillant, mon allègre père nourrissait la tristesse profonde des amputés. Nous n’avions presque pas conscience qu’il lui manquât, coupée en haut de la cuisse, une jambe. Qu’eussions-nous dit à le voir soudain marcher comme tout le monde?
Ma mère elle-même ne l’avait connu qu’étayé de béquilles, preste, et rayonnant d’insolence amoureuse. Mais elle ignorait, faits d’armes exceptés, l’homme qui datait d’avant elle, le Saint-Cyrien beau danseur, le lieutenant solide comme un “bois-debout”—ainsi l’on nomme, dans mon pays natal, l’antique billot, la rouelle de chêne au grain serré que n’entame pas le hachoir. Elle ignorait quand elle le suivait des yeux, que ce mutilé avait autrefois pu courir à la rencontre de tous les risques. Amèrement, le plus ailé de lui-même s’élançait encore, lorsqu’assis, et sa chanson suave aux lèvres, il restait aux côtés de “Sido”.
L’amour, et rien d’autre... Il n’avait gardé qu’elle. Autour d’eux, le village, les champs, les bois,—le désert... Il pensait qu’au loin ses amis, ses camarades continuaient. D’un voyage à Paris, il revint l’œil voilé, parce que Davout d’Auerstaedt, grand chancelier de la Légion d’Honneur, lui avait enlevé son ruban rouge pour le remplacer par une rosette.
—Tu ne pouvais pas me la demander, vieux?
—Je n’avais pas demandé le ruban non plus, répondit légèrement mon père.
Mais il nous conta la scène d’une voix enrouée. Où situer la source de son émotion? Il portait cette rosette, généreusement épanouie, à sa boutonnière. Le bustedroit, le bras posé sur la barre de sa béquille, il paradait, dans notre vieille voiture, dès l’entrée du village, pour les premiers passants de la Gerbaude. Rêvait-il aux divisionnaires qui marchaient sans étais et défilaient sur des chevaux, Février, Désandré—Fournès qui l’avait sauvé et le nommait encore, délicatement, “mon capitaine”... Un mirage de Sociétés savantes, peut-être de politique, de tribunes, de chatoyante algèbre... Un mirage de joies d’homme...
—Tu es si humain! lui disait parfois ma mère, avec un accent d’indéfinissable suspicion.
Elle ajoutait, pour ne le point trop blesser:
—Oui, tu comprends, tu étends la main pour savoir s’il pleut.
Il était grivois en anecdotes. La présence de ma mère arrêtait sur ses lèvres l’histoire toulonnaise, ou africaine. Elle, vive en paroles, se modérait chastement devant lui. Mais, distraite, entraînée par un rythme familier, elle se surprenait à fredonner des “sonneries” dont les textes furent transmis, sans altération, des armées impériales aux armées républicaines.
—Ne nous gênons plus, disait mon père derrière leTempsdéployé.
—Oh... suffoquait ma mère. Pourvu que la petite n’ait pas entendu!
—Pour la petite, repartait mon père, ça n’a pas d’importance...
Et il attachait sur sa créature choisie l’extraordinaire regard gris bleu, plein de bravade, qui ne versait ses secrets à personne, mais qui avouait parfois: “J’ai des secrets.”
J’essaie, seule, d’imiter ce regard de mon père. Il m’arrive d’y réussir assez bien, surtout quand je m’en sers pour me mesurer avec un tourment caché. Tant est efficace le secours de l’insulte à ce qui vous domine le mieux, et grand le plaisir de fronder un maître: “Je mourrai peut-être de toi, mais crois bien que j’y mettrai le plus de temps possible...”
“La petite, ça n’a pas d’importance...” Quelle candeur, voyez, et comme il butait contre son amour, son seul amour! Je lui plaisais cependant, par des traits où il se fût reconnu, mais il me distinguait mal. Il perdait, peu à peu, le don d’observer, la faculté de comparer. Je n’avais pas plus de treize ans quand je remarquai que mon père cessait de voir, au sens terrestre du mot, sa “Sido” elle-même...
—Encore une robe neuve? s’étonnait-il. Peste, Madame!
Interloquée, “Sido” le reprenait sans gaîté:
—Neuve? Colette, voyons!... Où as-tu les yeux?
Elle pinçait entre deux doigts une soie élimée, une “visite” perlée de jais...
—Trois ans, Colette, tu m’entends? Elle a trois ans!... Et ce n’est pas fini! ajoutait-elle avec une hâte fière. Teinte en bleu marine...
Mais il ne l’écoutait plus. Il l’avait déjà jalousement rejointe, dans quelque lieu élu où elle portait chignon à boucles anglaises et corsage ruché de tulle, ouvert en cœur. En vieillissant, il ne tolérait même plus qu’elle eût mauvaise mine, qu’elle fût malade. Il lui jetait des “Allons! allons!” comme à un cheval qu’il avait seul le droit de surmener. Et elle allait...
Je ne les ai jamais surpris à s’embrasser avec abandon. D’où leur venait tant de pudeur? De “Sido”, assurément. Mon père n’y eût pas mis tant de façons... Attentif à tout ce qui venait d’elle, il écoutait son pas vif, l’arrêtait au passage:
—Paye! lui ordonnait-il en désignant sa pommette nue au-dessus de sa barbe. Ou on ne passe pas.
Elle “payait”, au vol, d’un baiser vif comme une piqûre, et s’enfuyait, irritée, si mes frères ou moi l’avions vue “payer”.
Une seule fois, en été, un jour que ma mère enlevait de la table le plateau du café, je vis la tête, la lèvre grisonnantes de mon père, au lieu de réclamer le péage familier, penchées sur la main de ma mère avec une dévotion fougueuse, hors de l'âge, et telle que “Sido”, muette, autant que moi empourprée, s’en alla sans un mot. J’étais petite encore, assez vilaine, occupée comme on l’est à treize ans de toutes choses dont l’ignorance pèse, dont la découverte humilie. Il me fut bon de connaître, et de me remettre en mémoire, par moments, cette complète image de l’amour: une tête d’homme, déjà vieux, abîmée dans un baiser sur une petite main de ménagère, gracieuse et ridée.
Il trembla, longtemps, de la voir mourir avant lui. C’est une pensée commune aux amants, aux époux bien épris, un souhait sauvage qui bannit toute idée de pitié. “Sido”, avant la mort de mon père, me parlait de lui, aisément soulevée au-dessus de nous:
—Il ne faut pas que je meure avant lui. Il ne le faut absolument pas! Vois-tu que je me laisse mourir, et qu’il se tue, et qu’il se manque? Je le connais..., disait-elle d’un air de jeune fille.
Elle rêvait un peu, les yeux sur la petite rue de Châtillon-Coligny, ou sur le carré de jardin prisonnier.
—Moi, je risque moins, tu comprends. Je ne suisqu’une femme. Passé un certain âge, une femme ne meurt presque jamais volontairement. Et puis je vous ai, en outre. Lui, il ne vous a pas.
Car elle savait tout, et jusqu’aux préférences indicibles. Dans la grappe pendue à ses flancs, à ses bras, mon père pesait comme nous, et ne nous soutenait guère.
Elle fut malade, et il s’assit fréquemment près du lit. “A quelle heure, quel jour seras-tu guérie? Gare, si tu ne guéris pas! J’aurai bientôt fait de ne plus vivre!” Elle ne supportait pas cette pensée d’homme, sa menace, son exigence sans merci. Pour lui échapper, elle tournait de côté et d’autre sa tête sur l’oreiller, comme elle fit plus tard pour secouer les derniers liens.
—Mon Dieu, Colette, tu me tiens chaud, se plaignait-elle. Tu remplis toute la chambre. Un homme est toujours déplacé au chevet d’une femme. Va dehors! Va voir s’il y a des oranges pour moi chez l’épicier... Va demander à M. Rosimond de me prêter laRevue des Deux-Mondes... Mais marche doucement, le temps est orageux, tu reviendrais en moiteur!...
Il obéissait, l’aisselle remontée sur sa béquille.
—Tu vois? disait ma mère derrière lui. Tu vois cet air de vêtement vide qu’il prend quand je suis malade?
Sous la fenêtre, en s’en allant, il éclaircissait sa voix pour qu’elle l’entendît:
“Je pense à toi, je te vois, je t’adore,A tout instant, à toute heure, en tout lieu,Je pense à toi quand je revois l’aurore,Je pense à toi quand je ferme les yeux.”
“Je pense à toi, je te vois, je t’adore,A tout instant, à toute heure, en tout lieu,Je pense à toi quand je revois l’aurore,Je pense à toi quand je ferme les yeux.”
“Je pense à toi, je te vois, je t’adore,A tout instant, à toute heure, en tout lieu,Je pense à toi quand je revois l’aurore,Je pense à toi quand je ferme les yeux.”
—Tu l’entends? Tu l’entends?... disait-elle fiévreusement.
Mais sa malice supérieure rajeunissait soudain tout son visage; et elle se penchait hors de son lit:
—Ton père? Tu veux savoir ce que c’est que ton père? Ton père, c’est le roi des maîtres-chanteurs!
Elle guérit,—elle guérissait toujours. Mais quand on lui enleva un sein, et quatre ans après, l’autre sein, mon père conçut d’elle une méfiance terrible, quoiqu’elle guérît encore, chaque fois. Pour une arête de poisson qui, restée au gosier de ma mère, l’obligeait à tousser violemment, les joues congestionnées et les yeux pleins de larmes, mon père, d’un coup de poing assené sur la table, dispersa en éclats son assiette, et cria furieusement:
—Ça va finir?
Elle ne s’y trompa point et l’apaisa avec une délicatesse miséricordieuse, des mots plaisants, de voltigeants regards. J’emploie toujours ces mots: “voltigeant regard”, quand il s’agit d’elle. L’hésitation, le besoin d’un tendre aveu, le devoir de mentir l’obligeaient à battre des paupières, tandis qu’allaient, venaient précipitamment ses prunelles grises. Ce trouble, cette fuite vaine des prunelles poursuivies par un regard d’homme bleu gris comme le plomb fraîchement coupé, c’est tout ce qui me fut révélé de la passion qui lia, pour leur vie entière, “Sido” et le Capitaine.
Il y a dix ans, je sonnais, amenée par un ami, à la porte de Mme B..., qui a, professionnellement, commerce avec les “esprits”. Elle nomme ainsi ce qui demeure, errant autour de nous, des défunts, particulièrement de ceux qui nous tinrent de près par le sang, et par l’amour. N’attendez pas que je professe une foi quelconque, ni même que je fréquente de passion les privilégiés qui lisent couramment l’invisible. Il s’agit d’une curiosité, toujours la même, qui me conduit indifféremment à visiter tour à tour Mme B..., la “femme-à-la-bougie”, le chien-qui-compte, un rosier à fruits, comestibles, le docteur qui ajoute du sang humain à mon sang humain, que sais-je encore? Si cette curiosité me quitte, qu’on m’ensevelisse, je n’existe plus. Une de mes dernières indiscrétions s’adressa au grand hyménoptère d’acier bleu qui abonde, en Provence, pendant la floraison des “soleils”, en juillet-août. Tourmentée d’ignorer le nom de ce guerrier bardé, je m’interrogeais: “A-t-il ou non un dard? Est-il seulement un samouraï magnifique et sans sabre?” Je suis bien soulagée d'être tirée d’incertitude. Une curieuse petite déformation, sur l’os d’une phalangine, atteste que le guerrier bleu est armé à merveille, et prompt à dégainer.
Chez Mme B..., j’eus l’agréable nouveauté d’un appartement moderne, traversé de soleil. Sur la fenêtre chantaient des oiseaux en cage, dans la pièce voisine des enfants riaient. Une aimable et ronde femme à cheveuxblancs m’affirma qu’elle n’avait besoin ni de clair-obscur, ni d’aucun maléfique décor. Elle ne réclama qu’un instant de méditation, et ma main serrée dans les siennes.
—Vous voulez me poser des questions? me demanda-t-elle.
Je m’avisai alors que j’étais sans avidité, sans passion pour un au-delà quelconque, sans souhaits immodérés, et je ne trouvai rien à dire, sinon le mot le plus banal:
—Alors, vous voyez les morts? Comment sont-ils?
—Comme les vivants, répondit Mme B..., avec rondeur. Ainsi, derrière vous...
Derrière moi, c’était la fenêtre ensoleillée, et la cage des serins verts.
—... derrière vous est assis l’ “esprit” d’un homme âgé. Il porte une barbe non taillée, étalée, presque blanche. Les cheveux assez longs, gris, rejetés en arrière. Des sourcils... oh! par exemple, des sourcils... tout broussailleux... et là-dessous des yeux oh! mais, des yeux!... Petits, mais d’un éclat qui n’est pas soutenable... Voyez-vous qui ça peut être?
—Oui. Très bien.
—En tout cas, c’est un esprit bien placé.
—?...
—Bien placé dans le monde des esprits. Il s’occupe beaucoup de vous... Vous ne le croyez pas?
—J’en doute un peu...
—Si. Il s’occupe beaucoup de vousà présent.
—Pourquoi à présent?
—Parce que vous représentez ce qu’il aurait tant voulu être sur la terre. Vous êtes justement ce qu’il a souhaité d'être. Lui, il n’a pas pu.
Je ne mentionnerai pas ici les autres “portraits” que me fit Mme B... Ils valaient tous, à mes yeux, parquelque détail dont la vigueur et le secret m’enchantèrent comme une sorcellerie anodine et inexplicable. D’un “esprit” où je fus bien obligée de reconnaître, trait pour trait, mon demi-frère, l’aîné, elle dit, apitoyée: “Je n’ai jamais vu un mort aussi triste!”
—Mais, lui dis-je, vaguement jalouse, ne voyez-vous pas une femme âgée qui pourrait être ma mère?
Le bon regard de Mme B... errait autour de moi:
—Non, ma foi, répondit-elle enfin...
Elle ajouta, vive, et comme pour me consoler:
—Peut-être qu’elle se repose? Ça arrive... Vous êtes seule d’enfant? (sic).
—J’ai encore un frère.
—Là!... s’exclama bonnement Mme B... Sans doute qu’elle est occupée avec lui... Un esprit ne peut pas être partout à la fois, vous savez...
Non, je ne le savais pas. J’appris dans la même visite que le commerce des défunts s’accommode de lumière terrestre, de familière gaîté. “Ils sont comme les vivants”, affirme, paisible dans sa foi, Mme B... Pourquoi non? Comme les vivants, sauf qu’ils sont morts. Morts,—et voilà tout. Aussi s’étonnait-elle de voir en mon frère aîné un mort “aussi triste”. Ainsi l’ai-je vu—ainsi le voyait-elle à travers mon perméable mystère, sans doute—très triste en vérité, et comme roué de coups par son pénible et dernier passage, encore soucieux et fourbu...
Quant à mon père... “Vous êtes justement ce qu’il a souhaité d'être, et de son vivant il n’a pas pu.” Là, j’ai de quoi rêver, de quoi m’émouvoir. Sur un des plus hauts rayons de la bibliothèque, je revois encore une série de tomes cartonnés, à dos de toile noire. Les plats de papier jaspé, bien collés, et la rigidité du cartonnage attestaient l’adresse manuelle de mon père. Mais lestitres, manuscrits, en lettres gothiques, ne me tentaient point, d’autant que les étiquettes à filets noirs ne révélaient aucun auteur. Je cite de mémoire:Mes campagnes,Les enseignements de 70,La Géodésie des géodésies,L’Algèbre élégante,Le maréchal de Mac-Mahon vu par un de ses compagnons d’armes,Du village à la Chambre,Chansons de zouave(vers)... J’en oublie.
Quand mon père mourut, la bibliothèque devint chambre à coucher, les livres quittèrent leurs rayons.
—Viens donc voir, appela un jour mon frère, l’aîné.
Il transportait lui-même, classait, ouvrait les livres, taciturne, en quête d’une odeur de papier piqué, d’une de ces moisissures embaumées d’où se lève l’enfance révolue, d’un pétale de tulipe sec, encore jaspé comme l’agate arborescente...
—Viens donc voir...
La douzaine de tomes cartonnés nous remettait son secret, accessible, longtemps dédaigné. Deux cents, trois cents, cent cinquante pages par volume; beau papier vergé crémeux ou “écolier” épais, rogné avec soin, des centaines et des centaines de pages blanches... Une œuvre imaginaire, le mirage d’une carrière d’écrivain.
Il y en avait tant, de ces pages respectées par la timidité ou la nonchalance, que nous n’en vîmes jamais la fin. Mon frère y écrivit ses ordonnances, ma mère couvrit de blanc ses pots de confitures, ses petites-filles griffonneuses arrachèrent des feuillets, mais nous n’épuisâmes pas les cahiers vergés, l’œuvre inconnue. Ma mère s’y employait pourtant avec une sorte de fièvre destructive: “Comment, il y en a encore? Il m’en faut pour les côtelettes en papillotes... Il m’en faut pour tapisser mes petits tiroirs...” Ce n’était pas dérision, mais cuisant regret et besoin douloureux d’anéantir la preuve d’une impuissance...
J’y puisai à mon tour, dans cet héritage immatériel, au temps de mes débuts. Est-ce là que je pris le goût fastueux d’écrire sur des feuilles lisses, de belle pâte, et de ne les point ménager? J’osai couvrir de ma grosse écriture ronde la cursive invisible, dont une seule personne au monde apercevait le lumineux filigrane qui jusqu’à la gloire prolongeait la seule page amoureusement achevée, et signée, la page de la dédicace:
A ma chère âme,son mari fidèle:Jules-Joseph Colette.
A ma chère âme,son mari fidèle:Jules-Joseph Colette.
A ma chère âme,son mari fidèle:Jules-Joseph Colette.
—Des sauvages... Des sauvages... disait-elle. Que faire avec de tels sauvages?
Elle secouait la tête. Il y avait, dans son découragement, une part de choix, un désistement raisonné, peut-être aussi la conscience de sa responsabilité. Elle contemplait ses deux garçons, les demi-frères, et les trouvait beaux. L’aîné surtout, le châtain aux yeux pers, dix-sept ans, une bouche empourprée qui ne souriait qu’à nous et à quelques jolies filles. Mais le brun, à treize ans, n’était pas mal non plus, sous ses cheveux mal taillés qui descendaient jusqu’à ses yeux bleu-de-plomb, pareils à ceux de notre père...
Deux sauvages aux pieds légers, osseux, sans chair superflue, frugaux comme leurs parents, et qui préféraient aux viandes le pain bis, le fromage dur, la salade, l’œuf frais, la tarte aux poireaux ou à la citrouille. Sobres et vertueux,—de vrais sauvages...
—Que faire d’eux? soupirait ma mère.
Ils étaient si doux que nul ne les pouvait atteindre ni diviser.
L’aîné commandait, le second mêlait, à son zèle, une fantaisie qui l’isolait du monde. Mais l’aîné savait qu’il allait commencer ses études de médecine, tandis que le second espérait sourdement que rien ne commencerait jamais pour lui, sauf le jour suivant, sauf l’heure d’échapper à une contrainte civilisée, sauf la liberté totale de rêver et de se taire... Il l’espère encore.
Jouaient-ils? Rarement. Ils jouaient, si par jeu l’on entend que d’un radieux univers villageois ils ne voulaient que la fleur, le meilleur, le plus désert, le non-foulé, tout ce qui rajeunit et recommence à l’écart de l’homme. On ne les vit jamais déguisés en Robinsons, ni en conquérants, ni interprétant des saynètes improvisées. Le cadet, incorporé une fois à une troupe de garçons entichés de tragédie, n’y accepta qu’un rôle muet: le rôle du “fils idiot”.
C’est aux récits de ma mère qu’il me faut remonter, quand il me prend, comme à tous ceux qui vieillissent, la hâte, le prurit de posséder les secrets d’un être à jamais dissous. Lire le “chiffre” de sa turbulente jeunesse, heure par heure perdue en elle-même et d’elle-même renaissant; marquer, je ne sais quelle grâce m’aidant, marquer du doigt le promontoire d’où il se laissa tomber dans la plate mer des hommes, épeler le nom de ses astres contraires...
J’ai dit adieu au mort, à l’aîné sans rivaux; mais je recours aux récits maternels, et aux souvenirs de ma petite enfance, si je veux savoir comment se forma le sexagénaire à moustache grise qui se glisse chez moi, la nuit tombée, ouvre ma montre, et regarde palpiter l’aiguille trotteuse,—prélève, sur une enveloppe froissée, un timbre-poste étranger,—aspire, comme si le souffle lui avait tout le jour manqué, une longue bouffée de musique duColumbia, et disparaît sans avoir dit un mot...
Il provient, cet homme blanchissant, d’un petit garçon de six ans, qui suivait les musiciens mendiants quand ils traversaient notre village. Il suivit un clarinettiste borgne jusqu’à Saints—quatre kilomètres—et quand il revint, ma mère faisait sonder les puits du pays. Il écouta avec bonté les reproches et les plaintes, car il se fâchait rarement.Quand il en eut fini avec les alarmes maternelles, il alla au piano, et joua fidèlement tous les airs du clarinettiste, qu’il enrichit de petites harmonies simples, fort correctes.
Ainsi faisait-il des airs du manège forain, à la Quasimodo, et de toutes les musiques, qu’il captait comme des messages volants.
—Il faudra, disait ma mère, qu’il travaille le mécanisme et l’harmonie. Il est encore plus doué que l’aîné. Il deviendrait un artiste... Qui sait?
Elle croyait encore, quand il avait six ans, qu’elle pouvait quelque chose pour lui,—ou contre lui. Un petit garçon si inoffensif!... Sauf son aptitude à disparaître, que pouvait-elle lui reprocher? Bref de taille, vif, très bien équilibré, il cessait miraculeusement d'être présent. Où le joindre? Les aires préférées des petits garçons ordinaires ne l’avaient pas même vu passer, ni la patinoire, ni la Place du Grand-Jeu damée par les pieds d’enfants. Mais plutôt dans la vieille glacière du château, souterrain tronqué qui datait de quatre siècles, ou dans la boîte de l’horloge de ville, place du Marché, ou bien enchaîné aux pas de l’accordeur de pianos qui venait une fois l’an du chef-lieu et donnait ses soins aux quatre “instruments” de notre village. “Quel instrument avez-vous?” “Madame Vallée va échanger son instrument...” “L’instrument de Mlle Philippon est bien fatigué!”
J’avoue qu’en ma mémoire le mot “instrument” appelle encore, à l’exclusion de toutes les autres images, celle d’un édifice d’acajou conservé dans l’ombre des salons provinciaux et brandissant, comme un autel, des bras de bronze et des cires vertes...
Oui, un petit garçon si inoffensif, qui n’exigeait rien, sauf, un soir...
—Je voudrais deux sous de pruneaux et deux sous de noisettes, dit-il.
—Les épiceries sont fermées, répondit ma mère. Dors, tu en auras demain.
—Je voudrais deux sous de pruneaux et deux sous de noisettes, redemanda, le lendemain soir, le doux petit garçon.
—Et pourquoi ne les as-tu pas achetés dans la journée? se récria ma mère impatientée. Va te coucher!
Cinq soirs, dix soirs ramenèrent la même taquinerie, et ma mère montra bien qu’elle était une mère singulière. Car elle ne fessa pas l’obstiné, qui espérait peut-être qu’on le fesserait, ou qui escomptait seulement une explosion maternelle, les cris des nerfs à bout, les malédictions, un nocturne tumulte qui retarderait le coucher...
Un soir après d’autres soirs, il prépara sa figure quotidienne d’enfant buté, le son modéré de sa voix:
—Maman?...
—Oui, dit maman.
—Maman, je voudrais...
—Les voici, dit-elle.
Elle se leva, aveignit dans l’insondable placard, près de la cheminée, deux sacs grands comme des nouveau-nés, les posa à terre de chaque côté de son petit garçon, et ajouta:
—Quand il n’y en aura plus, tu en achèteras d’autres.
Il la regardait d’en bas, offensé et pâle sous ses cheveux noirs.
—C’est pour toi, prends, insista ma mère.
Il perdit le premier son sang-froid et éclata en larmes.
—Mais... mais... je ne les aime pas! sanglotait-il.
“Sido” se pencha, aussi attentive qu’au-dessus d’unœuf fêlé par l’éclosion imminente, au-dessus d’une rose inconnue, d’un messager de l’autre hémisphère:
—Tu ne les aimes pas? Qu’est-ce que tu voulais donc?
Il fut imprudent, et avoua:
—Je voulais les demander.
Lorsqu’elle partait chaque trimestre pour Auxerre à deux heures du matin, dans la victoria, ma mère cédait presque toujours aux instances de son enfant le plus jeune. Le privilège de naître la dernière me conserva longtemps ce grade d’enfant-le-plus-jeune, et ma place dans le fond de la victoria. Mais avant moi il y eut pendant une dizaine d’années ce petit garçon évasif et agile. Au chef-lieu, il se perdait, car il déjouait toute surveillance. Il se perdit ici et là, dans la cathédrale, dans la tour de l’horloge, et notamment dans une grande épicerie, durant qu’on emballait le pain de sucre drapé d’un biais de papier indigo, les cinq kilos de chocolat, la vanille, la canelle, la noix-muscade, le rhum pour les grogs, le poivre noir et le savon blanc. Ma mère fit un cri de renarde:
—Ha!... Où est-il?
—Qui, madame Colette?
—Mon petit garçon! L’a-t-on vu sortir?
Personne ne l’avait vu sortir, et déjà ma mère, à défaut de puits, interrogeait les cuves d’huile et les tonneaux de saumure.
On ne le chercha pas trop longtemps, cette fois. Il était au plafond. Tout en haut d’un des piliers de fonte tors, qu’il étreignait des cuisses et des pieds comme un grimpeur des cocotiers, il manœuvrait et écoutait les rouages d’un gros cartel à face plate de chat-huant, vissé sur la maîtresse-poutre.
Quand des parents ordinaires font souche d’enfants exceptionnels, il y a de grandes chances que les parents éblouis les poussent, fût-ce à grands coups de pied dans le derrière, vers des destinées qu’ils nomment meilleures. Ma mère, qui tenait pour naturel, voire obligatoire, d’enfanter des miracles, professait aussi que “l’on tombe toujours du côté où l’on penche”, et affirmait, pour se rassurer elle-même:
—Achille sera médecin. Mais Léo ne pourra pas échapper à la musique. Quant à la petite...
Elle levait les sourcils, interrogeait le nuage et me remettait à plus tard.
Exception bizarre, il n’était jamais question de l’avenir de ma sœur aînée, déjà majeure, mais étrangère à nous, étrangère à tous, volontairement isolée au sein de sa propre famille.
—Juliette est une autre espèce de sauvage, soupirait ma mère. Mais à celle-là personne ne comprend rien, même moi...
Elle se trompa, nous la trompâmes plus d’une fois. Elle ne se décourageait pas et nous coiffait d’une nouvelle auréole. Mais elle n’accepta jamais que son second fils échappât, comme elle disait, à la musique, car je lis dans mainte lettre qui date de la fin de sa vie: “Sais-tu si Léo a un peu de temps pour travailler son piano? Il ne doit pas négliger un don qui est extraordinaire; je ne me lasserai pas d’insister là-dessus...” A l’époque où ma mère m’écrivait ces lettres, mon frère était âgé de quarante-quatre ans.
Il a, quoi qu’elle en eût, échappé à la musique, puis aux études de pharmacie, puis successivement à tout,—à tout ce qui n’est pas son passé de sylphe. A mes yeux, il n’a pas changé: c’est un sylphe de soixante-trois ans. Comme un sylphe, il n’est attaché qu’au lieu natal,à quelque champignon tutélaire, à une feuille recroquevillée en manière de toit. On sait que les sylphes vivent de peu, et méprisent les grossiers vêtements des hommes: le mien erre parfois sans cravate, et long-chevelu. De dos, il figure assez bien un pardessus vide, ensorcelé et vagabond.
Sa modeste besogne de scribe, il l’a élue entre toutes, pour ce qu’elle retient, assise, à une table, sa seule et fallacieuse apparence d’homme. Tout le reste de lui, libre, chante, entend des orchestres, compose, et revole à la rencontre du petit garçon de six ans qui ouvrait toutes les montres, hantait les horloges municipales, collectionnait les épitaphes, foulait sans fatigue les mousses élastiques et jouait du piano de naissance... Il le retrouve aisément, revêt le petit corps agile et léger qu’il n’a jamais quitté longtemps, et il parcourt un domaine mental où tout est à la guise et à la mesure d’un enfant qui dure victorieusement depuis soixante années.
Il n’est pas—quel dommage!...—d’enfant invulnérable. Celui-ci, pour vouloir confronter son rêve exact avec une réalité infidèle, m’en revient déchiré, parfois...
Certain crépuscule ruisselant, à grandes draperies d’eau et d’ombre sous chaque arcade du Palais-Royal, me l’amena. Je ne l’avais pas vu depuis des mois. Il s’assit, mouillé, à mon feu, prit distraitement sa singulière subsistance—des bonbons fondants, des gâteaux très sucrés, du sirop—ouvrit ma montre, puis mon réveil, les écouta longuement, et ne dit rien.
Je ne regardais qu’à la dérobée, dans sa longue figure, sa moustache quasi blanche, l’œil bleu de mon père, le nez, grossi, de “Sido”—traits survivants, assemblés par des plans d’os, des muscles inconnus et sans origine lisible... Une longue figure douce, éclairée par le feu,douce et désemparée... Mais les us et coutumes de l’enfance,—réserve, discrétion, liberté,—sont encore si vigoureux entre nous que je ne posai à mon frère aucune question.
Quand il eut assez séché les ailes tristes, alourdies de pluie, qu’il appelle son manteau, il fuma, l’œil cligné, et frotta ses mains sèches, rouges d’ignorer en toute saison l’eau chaude et les gants, et parla.
—Dis donc?
—Oui...
—J’ai étélà-bas, tu sais?
—Non? Quand ça?
—J’en arrive.
—Ah!... dis-je avec admiration. Tu es allé à Saint-Sauveur? Comment?
Il me fit un petit œil fat.
—C’est Charles Faroux qui m’a emmené en auto.
—Mon vieux!... C’est joli, en cette saison?
—Pas mal, dit-il brièvement.
Il enfla les narines, redevint sombre et se tut. Je me remis à écrire.
—Dis donc?
—Oui...
—Là-bas, j’ai été aux Roches, tu sais?
Un chemin montueux de sable jaune se dressa dans ma mémoire comme un serpent le long d’une vitre...
—Oh!... comment est-ce? Et le bois, en haut? Et le petit pavillon? Les digitales... les bruyères...
Mon frère siffla.
—Fini. Coupé. Plus rien. Rasé. On voit la terre. On voit...
Il faucha l’air du tranchant de la main, et rit des épaules, en regardant le feu. Je respectai ce rire, et ne l’imitai pas.Mais le vieux sylphe, frémissant et lésé, ne pouvait plus se taire. Il profita du clair-obscur, du feu rougeoyant.
—Ce n’est pas tout, chuchota-t-il. Je suis allé aussi à la Cour du Pâté...
Nom naïf d’une chaude terrasse, au flanc du château ruiné, arceaux de rosiers maigris par l'âge, ombre, odeur de lierre fleuri versées par la tour sarrazine, battants revêches et rougeâtres de la grille qui ferme la Cour du Pâté, accourez...
—Et alors, vieux, et alors?
Mon frère se ramassa sur lui-même.
—Une minute, commanda-t-il. Commençons par le commencement. J’arrive au château. Il est toujours asile de vieillards, puisque Victor Gandrille l’a voulu. Bon. Je n’ai rien à objecter. J’entre dans le parc, par l’entrée du bas, celle qui est près de Mme Billette...
—Comment, Mme Billette? Mais elle doit être morte depuis quarante ans au moins!
—Peut-être, dit mon frère avec insouciance. Oui... C’est donc ça qu’on m’a dit un autre nom... un nom impossible... S'ilscroient que je vais retenir des noms que je ne connais pas!... Enfin j’entre par l’entrée du bas, je monte l’allée des tilleuls... Tiens, les chiens n’ont pas aboyé quand j’ai poussé la porte... fit-il avec irritation.
—Ecoute, vieux, ça ne pourrait pas être les mêmes chiens... Songe donc...
—Bon, bon... Détail sans importance... Je te passe sous silence les pommes de terre qu'ilsont plantées à la place des cœurs-de-jeannette et des pavots... Je passe même, poursuivit-il d’une voix intolérante, sur les fils de fer des pelouses, un quadrillage de fils de fer... on se demande ce qu’on voit... il paraît que c’est pour les vaches... Les vaches!...
Il berça un de ses genoux entre ses deux mains nouées, et sifflota d’un air artiste qui lui allait comme un chapeau haut de forme.
—C’est tout, vieux?
—Minute! répéta-t-il férocement. Je monte donc vers le canal,—si j’ose, dit-il avec une recherche incisive, appeler canal cette mare infecte, cette soupe de moustiques et de bouse... Passons. Je m’en vais donc à la Cour du Pâté, et...
—Et?...
Il tourna vers moi, sans me voir, un sourire vindicatif.
—J’avoue que je n’ai d’abord pas aimé particulièrement qu'ilsfassent de la première cour,—devant la grille, derrière les écuries aux chevaux—une espèce de préau à sécher la lessive... Oui, j’avoue!... Mais je n’y ai pas trop fait attention, parce que j’attendais le “moment de la grille”.
—Quel moment de la grille?
Il claqua des doigts, impatienté.
—Voyons... Tu vois le loquet de la grille?
Comme si j’allais le saisir,—de fer noir, poli et fondu—je le vis en effet...
—Bon. Depuis toujours, quand on le tourne comme ça,—il mimait—et qu’on laisse aller la grille, alors elle s’ouvre par son propre poids, et en tournant elle dit...
—“I-î-îan...” chantâmes-nous d’une seule voix, sur quatre notes.
—Oui, dit mon frère en faisant danser fébrilement son genou gauche. J’ai tourné... J’ai laissé aller la grille... J’ai écouté... Tu sais ce qu'ilsont fait?
—Non...
—Ilsont huilé la grille, dit-il froidement.
Il partit presque aussitôt. Il n’avait pas autre chose àme dire. Il recroisa les membranes humides de son grand vêtement, et s’en alla, dépossédé de quatre notes, son oreille musicienne tendue en vain, désormais, vers la plus délicate offrande, composée par un huis ancien, un grain de sable, une trace de rouille, et dédiée au seul enfant sauvage qui en fût digne.
—Où en es-tu avec Mérimée?
—Il me doit dix sous.
—Tiens!... s’étonnait l’aîné.
—Oui, repartait le cadet, mais moi je redois trois francs.
—Sur qui?
—Sur un Victor Hugo.
—Quel volume?
—Chansons des rues et des bois, et je ne sais quoi d’autre... Ah! le chameau!
—Et encore, triomphait l’aîné, tu as dû lire ça à la va-vite! Verse les trois francs!
—Où veux-tu que je les prenne? Je n’ai pas le sou.
—Demande à maman.
—Oh...
—Demande à papa. Dis-lui que c’est pour acheter des cigarettes et que tu les lui demandes en cachette de maman, il te les donnera.
—Mais s’il ne me les donne pas?
—Alors, à l’amende. Cinq sous pour le retard!
Les deux sauvages, qui lisaient comme autrefois lisaient les adolescents de quatorze et de dix-sept ans, c’est-à-dire avec excès, avec égarement, le jour, la nuit, au sommet des arbres, dans les fenils, avaient frappé d’interdit le mot “mignonne”, qu’ils prononçaient “minionne”, avec une affreuse grimace tordue, suivie d’une imitation de nausée. Recensé dans chaque livre nouveau, chaque«mignonne», voué à l’exécration, créditait de deux sous une cagnotte. En revanche, un livre “vierge” rapportait dix sous à son lecteur. Le contrat jouait depuis deux mois, et l’argent, s’il en restait au bout du semestre, paierait des bombances, des filets à papillons, une nasse à goujons...
Mon jeune âge—huit ans—m’écartait de la combinaison. Au dire des deux frères, il y avait trop peu de temps que je ne grattais plus pour les manger, au long des chandelles, les “coulures” en forme de longues larmes, et les deux garçons m’appelaient encore “enfant de Cosaque”. Pourtant je savais dire “minionne” en tordant la bouche, et m’efforcer ensuite de vomir, et j’apprenais à coter des romanciers selon les nouveaux statuts.
—Dickens rend beaucoup, disait un sauvage.
—Dickens ne devrait pas compter, rechignait l’autre, c’est une traduction. Le traducteur nous empile.
—Alors Edgar Poe non plus ne compte pas?
—Heu... Le bon sens commanderait d’exclure aussi les livres d’Histoire, qui “payent” dix sous à coup sûr. La Révolution n’est pas “mignonne”—beûh!—Charlotte Corday n’est pas “mignonne”—beûh!—Mérimée devrait être exclu, en tant qu’auteur de laChronique de Charles IX.
—Alors qu’est-ce que tu fais duCollier de la Reine?
—Il joue. C’est du roman pur.
—Et les Balzac sur Catherine de Médicis?
—Tu parles comme un enfant. Ils jouent.
—Ah! non, mon vieux, permets!...
—Mon vieux, je fais appel à ta bonne foi... Tais-toi. On marche dans la rue.
Ils ne se disputaient jamais. Allongés sur le faîte du mur, ils y cuisaient au soleil d’après-midi, discutaientavec feu et sans injures, et me concédaient une portion de la dalle faîtière, doucement inclinée. De là nous dominions la rue des Vignes, venelle déserte qui menait aux jardins potagers éparpillés dans le vallon du Saint-Jean. Mes frères se taisaient subtilement au plus lointain bruit de pas, épousaient le mur en s’aplatissant et tendaient le menton au-dessus de l’ennemi originel,—leur semblable...
—Ce n’est rien, c’est Chebrier qui va à son jardin, avertit le cadet.
Ils oublièrent un moment leur débat, et laissèrent passer sur eux l’heure encore chaude, la lumière oblique. D’autres pas, nets et vifs, sonnèrent sur les silex bossus. Un corsage lilas, un buisson de cheveux crêpelés, d’un rose de cuivre, éclairèrent le haut de la rue.
—Hou! la rousse! souffla le cadet. Hou! la carotte!
Il n’avait que quatorze ans, et voulait du mal aux “filles”, qui l’éblouissaient d’une lumière trop crue.
—C’est Flore Chebrier qui rejoint son père, dit mon frère aîné quand l’or et le lilas s’éteignirent en bas de la rue. Elle a joliment changé.
Son cadet, couché sur le ventre, posa son menton sur ses bras croisés. Il clignait par mépris et gonflait sa bouche, qu’il avait ronde et renflée comme les petits Eoles des vieilles cartes marines...
—C’est une carotte! C’est une rouge! Au feu! au feu! cria-t-il avec une grossièreté d’écolier jaloux.
L’aîné haussa les épaules.
—Tu ne t’y connais guère en blondes, dit-il. Moi, je la trouve très—mais très, très mignonne...
Un gros rire de garçonnet, enroué de mue, salua le mot maudit que caressait la voix rêveuse de l’aîné, le séducteur aux yeux pers. J’entendis une bousculade sur le mur, les clous des souliers raclant la pierre, une chutemolle de corps liés sur la terre accueillante et sarclée, au pied des abricotiers. Mais ils se délièrent aussitôt avec une hâte sage.
Ils ne s’étaient jamais battus, ni insultés. Je crois qu’ils savaient déjà que ce bouquet de cheveux roux, ce corsage lilas, merveilles accessibles, ne devaient pas compter parmi leurs enjeux indivis, leurs délectations baroques et pudiques. D’un pas bien accordé, ils s’en retournèrent vers les “étaloirs” de liège où séchaient les machaons, vers la construction d’un jet d’eau, vers un «système» d’alambic à distiller la menthe des marais, instrument capricieux qui enlevait au produit distillé le parfum de la menthe, mais lui laissait intacte l’odeur du marécage...
Leur farouche humeur n’était pas toujours innocente. L'âge qu’on dit ingrat, qui étire douloureusement les corps enfantins, exige des holocaustes. Il fallait à mes frères une victime. Ils élurent un camarade de collège, que les vacances ramenaient dans le canton voisin. Mathieu M... n’avait point de défauts, ni de grands mérites. Sociable, bien vêtu, un peu blondasse, sa seule vue échauffait mes frères d’une perversité comparable à celle des femmes enceintes. Aussi s’attachait-il avec passion aux deux sauvages fiers, chaussés de toile, coiffés de jonc, et qui méprisaient ses cravates. L’aîné n’avait que rigueurs pour ce “fils de tabellion” et le cadet, par imitation et renchérissement, effilochait son mouchoir, retroussait son pantalon déjà trop court, pour accueillir Mathieu M..., ganté, qui descendait de son tricycle.
—J’ai apporté la partition desNoces de Jeannette, criait de loin l’affectueuse victime, et l’édition allemande desSymphoniesde Beethoven à quatre mains!
Sombre, l’aîné, le barbare au frais visage, toisait l’intrus, banal enfant des hommes que rien n’obscurcissait, qui ne portait en lui ni vu de solitude ni intolérance, qui se troublait sous son regard et mendiait:
—Tu veux faire un peu de quatre mains avec moi?
—Avec toi, non;—sans toi, oui.
—Je tournerai les pages, alors...
L’un soumis, l’autre inexplicablement malveillant et chargé d’orage, ils souffraient d’incompatibilité, maisMathieu M..., patient comme une épouse rudoyée, ne se lassait pas de revenir.
Un jour, les sauvages prirent le large dès le déjeuner, ne rentrèrent que le soir. Ils semblaient las, excités, et ils se jetèrent tout fumants sur les deux vieux canapés de reps vert.
—D’où venez-vous dans cet état? demanda notre mère.
—De loin, répondit avec douceur l’aîné.
—Mathieu est venu, il a paru surpris de ne pas te trouver.
—C’est un garçon qui s’étonne d’un rien...
Quand ils furent seuls avec moi, mes deux frères parlèrent. Je ne comptais guère, et d’ailleurs ils m’avaient élevée à ne point trahir. Je sus que cachés dans un bois qui surplombe la route de St-F... ils n’avaient pas, au passage de Mathieu, révélé leur présence. Je m’intéressai assez peu à des détails qu’ils ressassaient:
—Quand j’ai entendu le grelot de son tricycle... commençait le cadet.
—Je l’ai entendu de plus loin que toi, va...
—Pas sûr! Tu te souviens du moment où il s’est arrêté juste sous notre nez, pour s’essuyer?
Ils dialoguaient presque bas, couchés, les yeux au plafond. L’aîné s’agita:
—Oui... Cet animal, il regardait à gauche et à droite comme s’il nous flairait...
—Ça, mon vieux, c’est fort, hein? C’est curieux? C’est nous qui l’avons arrêté en le regardant, hein? Il avait l’air tout gêné, tout chose...
Les yeux de l’aîné noircissaient.
—Ça se peut... Il avait sa cravate écossaise... Cette cravate-là, j’ai toujours pensé qu’elle serait cause d’un malheur...
Je m’élançai entre eux, avide d’émotions:
—Et alors? Et alors? Quel malheur?
Ils me jetèrent tous deux le plus froid regard:
—D’où est-ce qu’elle sort, celle-là? Qu’est-ce qu’elle veut avec son malheur?
—Mais c’est toi qui viens de dire...
Ils se redressèrent, s’assirent, ricanèrent de connivence:
—Il n’est rien arrivé, dit enfin l’aîné. Qu’est-ce que tu veux qu’il arrive? On a laissé passer Mathieu, et on a bien rigolé.
—C’est tout? fis-je, déçue...
Le cadet se leva d’un bond, il dansait sur place et ne se possédait plus:
—Oui, c’est tout! Tu ne peux pas comprendre! On était là, couchés, on l’avait au ras du menton! Lui, sa cravate, sa raie de côté, ses manchettes, son nez qui reluisait! Ah! bon Dieu, c’était épatant!
Il se pencha sur son aîné, le frôla du nez animalement:
—C’était facile de le tuer, hein?
Rigide, les yeux fermés, l’aîné ne répondit pas.
—Et vous ne l’avez pas tué? m’étonnai-je.
Ma surprise les arracha sans doute au bois obscur où ils avaient, invisibles, tremblé d’affût et de plaisir homicide, car ils éclatèrent de rire et redevinrent puérils à mes dépens:
—Non, dit l’aîné, nous ne l’avons pas tué. Je ne sais pas pourquoi, d’ailleurs...
Ragaillardi, il entonna ses improvisations préférées, filles difformes du rythme et du verbe, conçues aux heures où son esprit d’étudiant, rebutant le travail, s’accrochait sans le savoir au relief des mots qu’il détergeait de leur sens. Ma petite voix lui fit écho—je suis seule, maintenant, à affirmer, sur un air de polka, qu’