CHINOISERIES DU DIVORCE

Cette histoire-là, c’est du Courteline, du bon, du très bon Courteline ! Ça a la simplicité d’une fable et l’infaillible rigueur d’un théorème. C’est moral et c’est absurde. C’est du comique éternel.

Il y avait une fois, — oh ! pas avant le déluge, avant-hier, simplement, — un brave homme désireux d’obtenir son divorce. Il était… (le mot est dans Molière). Il l’était, non imaginaire, mais réel. Sa douce moitié convolait en d’illicites noces et de frauduleux rendez-vous avec un amant enthousiaste, dans un de ces appartements garnis de façon modeste, mais suffisante, qui abritent le vice aimable.

Il voulait donc la pincer, au figuré s’entend, la pincer en flagrant-délit.

Rien de plus simple, pensez-vous. Erreur, erreur grave. Rien de plus compliqué, rien de plus difficile au contraire.

Vous n’ignorez pas que la loi n’intervient qu’à certaines heures, dites légales. Si bien qu’il suffit de remonter exactement sa montre et de s’assurer qu’elle ne retarde pas, pour ne se faire jamais prendre en contravention.

D’ailleurs, même pour une constatation en règle, le commissaire ne se laisse pas déranger si facilement. L’affirmation de l’intéressé ne lui suffit pas. Il faut qu’on lui présente des papiers paraphés : être… ce que vous savez, n’est ni une preuve ni une excuse. Il importe que le parquet, saisi de la plainte, ait mis en quelque sorte la Loi au service du mari, actionne valablement le commissaire.

Or, notre homme, — c’est le mari que je veux dire, — n’avait pu encore, pour un motif ou un autre, faire constater son infortune : soit que les coupables ne se vissent qu’aux heures où le respect de la liberté individuelle empêche le commissaire d’opérer, soit que cet honorable fonctionnaire ne voulût pas ceindre son écharpe sans mandat, soit qu’il se fût dérangé une fois pour rien, soit que le nez du mari ne lui revînt pas, soit pour toute autre raison.

Et cependant l’adultère se consommait toujours, il se consommait avec frénésie, avec insolence, avec défi.

Une nuit, le mari, las de surveiller la rue et la maison du crime, voyant poindre l’aube blême et songeant que l’alouette matinale allait réveiller Roméo et sa bien-aimée et les séparer jusqu’au prochain rendez-vous, le mari, à la fois exaspéré et ravi, se précipita chez le commissaire de police.

« Cette fois, je les tiens, pensait-il avec rage et délices ! Oui, mais si je dis au commissaire la simple, la nue, oh ! probablement très nue vérité, il m’enverra promener, comme les autres fois. Il me faut donc user d’artifice et l’amener, sans qu’il s’en doute, à verbaliser congrûment ».

Sur ce, arrivé au commissariat, il fit un tapage du diable. Le commissaire dormait : tant pis, qu’on le réveillât ! — Mais !… Il n’y avait pas de mais ! Il voulait voir le commissaire, et sur l’heure ! Affaire urgente, question d’État !

On réveille le commissaire, et quand ce magistrat, les yeux bouffis de sommeil, consent à l’écouter, l’astucieux mari dévide l’histoire ingénieuse qui suit :

— Ah ! monsieur le Commissaire ! Comme en a raison de dire que l’amour perdit Troie ! Il m’a perdu, moi qui vous parle, moi et mon portefeuille, avec quinze cents francs dedans ! L’amour, était-ce l’amour ?… Au moins le désir, le libertin désir ; car, un père de l’Église l’a dit, vous ne l’ignorez pas, la chair est faible. Une femme passe, on la suit. Ça vous mène loin ; au plus prochain hôtel meublé. Et là, l’entôlage ! Entôlé, monsieur le Commissaire : mon portefeuille, mes beaux billets bleus !… Vous avouerez que c’est cher, trop cher pour une minute d’égarement. Mais venez, venez vite ! La voleuse, comme la pie, est encore au nid ! Venez l’arrêter et me rendre mon portefeuille avec mes quinze cents francs !… »

Il en dit tant, et avec une émotion si pathétique que le commissaire, — on ne saurait trop admirer son zèle et son sentiment du devoir, — l’accompagna immédiatement : le temps de prendre son écharpe et son chapeau.

On arrive : — Toc ! Toc ! Ouvrez, au nom de la loi !

Chuchotements derrière la cloison, bruit d’une chaise qui tombe, et le Commissaire aperçoit, blottie entre les draps d’un lit large pour deux, une femme, d’ailleurs agréable et, debout, fort penaud, un monsieur en chemise.

Un ricanement de triomphe. C’est le mari, se redressant de toute sa taille, qui, la voix mordante, déclare :

— Et maintenant, monsieur le Commissaire, j’ai l’honneur de vous présenter ma femme, qui me trompe, — vous n’en douterez pas, — et Monsieur qui est son amant. Verbalisez, Monsieur, verbalisez, s’il vous plaît !

Que vouliez-vous que fît le Commissaire ? La chambre, les complices, les oreillers, le lit, tout parlait, tout criait le flagrant délit. Il verbalisa.

Satanique, le mari se frottait les mains : Il aurait son divorce, il l’avait déjà, il le tenait.

Le Commissaire avait rédigé son procès-verbal. Il le fit signer à Madame, à Monsieur, et à l’autre. Puis se retournant vers le mari.

— C’est parfait. Seulement, comme vous vous êtes fichu de moi, comme vous avez extorqué mon intervention sous un motif fallacieux, — ce qui est attentatoire au respect de la justice et ridiculise mon caractère officiel, — je vais vous poursuivre pour outrages à la magistrature.

Tableau !

Et l’admirable est que le Commissaire est dans son droit. Le mari aussi. Et les amants pourraient plaider qu’ils y étaient également : ils le plaideront, soyez-en sûr. Le mari sera sans doute débouté, sous prétexte qu’il a fait constater l’adultère par fraude en dehors de l’heure légale. Et il sera, c’est vraisemblable, condamné, pour avoir indûment dérangé le Commissaire.

Alors, il devait rester cocu (tant pis, le mot est dans Molière !) toute sa vie ?…

Oui.

N’est-ce pas que cette histoire est drôle ? Drôle et amère. On voit qu’elle est vraie.


Back to IndexNext