HISTOIRE D’UNE IDÉE

Peut-être m’est-il permis de rappeler les étapes de la campagne que nous fîmes, mon frère et moi, il y a vingt ans, en faveur du divorce. Elle débuta en 1899 par une série d’articles féministes dans l’Écho de Paris, ouvert alors aux idées les plus larges et riche des plus belles collaborations littéraires. Nous y posions nettement la question du divorce élargi, tant par le consentement mutuel que par la volonté d’un seul.

En décembre 1900 nous allumions le premier brûlot par une « lettre ouverte » aux sénateurs et aux députés, que publia leFigaro. La même année parut dans laPresseune enquête qui réunissait les noms les plus divers des lettres et de la politique, enquête qui s’élargit l’an d’après dans laRevuede M. Jean Finot, après publication de notre étude :Mariage et Divorce. Au divorce par consentement mutuel se ralliaient : MM. Raymond Poincaré, Abel Hermant, Marcel Prévost, Auguste Dorchain, Louis Barthou, René Viviani, MeHenri Coulon, les députés Beauquier, Gerville-Réache, Périllier ; au divorce par la volonté d’un seul, avec des réserves parfois et des conditions de garantie : Jules Case, Lucien Descaves, Édouard Estaunié, J.-Joseph Renaud, Georges Lecomte, Pierre Louys, MeLouis Leduc, le président Magnaud, Jeanne Marni, Alfred Naquet, Georges de Porto-Riche, Henri de Régnier, Georges Renard, Jules Renard, J.-H. Rosny, le président Seré de Rivières, Camille de Sainte-Croix, Marcelle Tinayre, Gustave Toudouze, Octave Uzanne, Émile Zola, Masson-Forestier, Henry Bérenger, Urbain Gohier, Bradamante (de la Fronde), les députés Morinaud, Gustave Rivet, le sénateur Delpech.

En 1902, paraissait notre romanLes Deux Vies, accompagné d’une pétition au Parlement reproduite dans tous les journaux et que M. Gustave Rivet voulut bien déposer sur le bureau de la Chambre. Renvoyée sur son rapport à la Commission de Législation, elle y fut proprement enterrée, ainsi que devaient l’être un projet de loi du Président Magnaud et un autre, de Me Henri Coulon. A la Chambre le groupe de la Libre-pensée, sous la Présidence de M. Lafferre, nous conviait à exposer nos idées, auxquelles la presse entière, par des discussions passionnées, prêtait un retentissant éclat.

En 1902 également paraissait notre brochure l’Élargissement du Divorce. Nous y formulions, avec la collaboration discrète du très haut et libéral magistrat qu’est M. Léon Bulot, un projet de loi soustrayant aux Tribunaux la juridiction des divorces et la confiant, non à l’assemblée de famille qui siégea de 1792 à 1803, mais à un tribunal arbitral de trois personnes.

Ce projet, sur l’adoption duquel nous ne nous faisions aucune illusion, avait un avantage : les arbitres devaient se borner à enregistrer les déclarations de volonté espacées et réitérées des deux ou de l’un des époux ; du coup demeuraient supprimés les dossiers boueux, les procédures compliquées, les plaidoiries diffamatoires. Il laissait, en cas de causes déterminées, les arbitres juges du bien-fondé des griefs ; ces arbitres devaient être mariés ou l’avoir été.

Une solution encore plus simple, au moins pour le consentement mutuel et la volonté d’un seul, consisterait en de simples déclarations avec délais fixes, dans les bureaux des mairies. L’État-civil déclare les mariages, pourquoi ne proclamerait-il pas leur dissolution ?

Faute de mieux, et tant que les Tribunaux apprécieront les causes de divorce, le moins qu’on puisse exiger d’eux, c’est la rapidité et le huis clos.

En 1903, un livre de G. Fonsegrive tentait contre nos idées une réfutation courtoise. En 1904 le très beau roman de Paul Bourget,Le Divorce, remettait en pleine lumière des arguments diamétralement opposés aux nôtres.Femina, dans un de ses numéros, publiant à cette occasion une lettre de Paul Bourget et une de nous, ouvrait auprès des lectrices après cette lutte courtoise une enquête où, selon les conclusions de M. Jacques de Nouvion, notre loyal adversaire, avec 1557 voix contre 1505 à notre actif, obtenait « une majorité relative et nous une minorité de faveur ».

En 1905, notre pièceLe Cœur et la Loi, tirée desDeux Vieset très discutée à l’Odéon, puis le grand succès en 1908, au Vaudeville, deUn Divorcede Paul Bourget et André Cury, opposaient pour la seconde fois, entre le grand écrivain et nous, la bonne foi de nos plaidoyers adverses. Ce fut, avec notre livre :Quelques Idées, et notre campagne dans lePetit Bleuet laDépêche de Toulouse, comme le bouquet de ce feu d’artifice d’idées brûlantes.

Une accalmie suivit.

Est-ce à dire que la question du divorce soit résolue ? Elle en est loin. Une idée de justice et de liberté ne s’arrête pas avant d’avoir atteint son logique et suprême aboutissement.

Attendons !


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