Si l’on se demande maintenant par quoi s’est traduit, depuis vingt ans, au point de vue législatif, toute l’agitation causée dans les milieux juridiques, féministes ou mondains, dans les journaux, dans le roman, au théâtre, par la campagne en faveur du divorce, non seulement il faut reconnaître que les résultats sont minces et lents, mais encore qu’ils n’ont été obtenus que contre des résistances surprenantes, où républicains et monarchistes contractaient l’alliance la plus disparate.
Récapitulons :
La loi du complice a passé : elle permet à ceux dont le conjoint a divorcé pour grief d’adultère de réparer le tort fait à leur nouveau compagnon de vie, et de légitimer cette seconde union. C’est un pas de fait vers la justice.
Mais, pour être complète, cette loi, que nous devons devant la Chambre à l’initiative courageuse de M. Louis Barthou soutenu par M. Raymond Poincaré, et devant le Sénat au plaidoyer chaleureux de M. Lintilhac, cette loi devait comporter la légitimation dans tous les cas des enfants adultérins. Il était par trop inique que ceux-ci, innocents toujours et toujours irresponsables, n’ayant pas demandé à naître, restassent des sacrifiés et des hors la loi, alors que leurs parents rentraient tête haute dans la vie régulière.
La seconde victoire, arrachée après combat à l’inertie du Sénat, a été la transformation de droit, au bout de trois ans, de la séparation de corps en divorce à la requête de l’une des parties. Il fallut pour en arriver là, une véritable bataille : il sembla, tant les débats prirent d’ampleur, que le divorce fut de nouveau remis en cause ; et l’on put mesurer, à l’esprit de réaction qui se dessinait chez des républicains eux-mêmes, à quelles objections se heurteraient le projet de loi du divorce par consentement mutuel et celui pour cause d’absence prolongée ou de folle avérée et durable, extrême limite en ce moment des réformes en train.
Voilà où nous en sommes : loin, on le voit, des espoirs de milliers d’êtres qui souffrent, se débattent, appellent une ère de libération.
Si on n’a pas facilité beaucoup la sortie du mariage, débouclé les cadenas et tiré les verrous, on n’a pas davantage débarrassé suffisamment l’entrée du mariage. Il reste asservi à des formalités encombrantes et dispendieuses qui découragent le peuple.
Peut-être le parti républicain et spécialement le parti socialiste comprendra-t-il toute l’importance de la question du divorce, et à quel point elle soutient et défend les droits de l’État laïque contre la séculaire domination de l’Église.
En tout cas, le large mouvement d’opinions, la crue montante à laquelle, modestes ouvriers, nous avons mon frère et moi contribué pour notre faible part, ne s’arrêtera pas de sitôt et n’avortera pas, stagnant et enlisé. Il y a trop de souffrances, trop de misères en attente et qui poussent et se soulèvent flot sur flot.
Ce n’est pas en vain que les penseurs, les écrivains, les féministes ardentes, les sociologues se sont jetés dans cette mêlée contre les forces pesantes du dogmatisme, la lourde barrière du passé… Ce n’est pas en vain qu’on a vu naître des œuvres hardies comme celles de Léon Richer :Le Divorce; d’Hugues Le Roux :Le bilan du Divorce; de Camille Mauclair : l’Amour Physique ;de Léon Blum :du Mariage, entre les vibrants plaidoyers de Naquet, l’Union libre; de Paul Adam :la Morale de l’Amour; de Paul Abram : l’Évolution du mariage, et de bien d’autres encore. Ce n’est pas en vain qu’on aura vu s’organiser des forces éclairées comme le Comité de la réforme du Mariage, sous les auspices de Me Henri Coulon et de René de Chavagnes. Ce n’est pas en vain que la question du divorce a sollicité les juristes et empli les thèses des nouveaux docteurs en droit, s’est imposée aux réunions publiques, aux conférences, a rempli les journaux, agité la scène, fait palpiter le livre.
Le divorce intégral, qu’on le veuille ou non, fait partie du programme des libertés de demain. Il rend à l’individu sa valeur humaine et à la Société, au lieu de foyers d’infection, des cellules nouvelles en pleine énergie. Il est un des plus puissants facteurs de l’émancipation morale de la femme et de l’enfant.
Donnons-lui, en l’élargissant, en le complétant, sa valeur assainissante, sa vertu rédemptrice.