L’ADULTÈRE ET LE MEURTRE

C’est encore M. Paul Meunier qui proposa avant la guerre l’abrogation de la deuxième partie de l’article 324 du Code Pénal, de cet abominable article rouge, éclaboussé du sang d’innombrables victimes : l’article séculaire qui consacre, dans leur sauvagerie ancestrale, les droits abusifs de l’homme sur « sa chose » ; l’excuse du meurtre commis par lui sur sa femme ainsi que sur le complice, s’il les surprend en flagrant délit dans la maison conjugale.

Dans la permanence jusqu’à nos jours d’un semblable texte de loi, il est impossible de ne pas voir la double empreinte de la morale chrétienne et de l’antique barbarie familiale. Rien n’excuse le meurtre d’un être, sinon la légitime défense. Et quel rapport y a-t-il entre la souffrance d’amour-propre ou la douleur jalouse infligée par la femme, et le coup de révolver ou de couteau qui remplace aujourd’hui la framée franque ou la hache de pierre de l’homme des cavernes ?

L’article 324 étiquette un long martyrologe de malheureuses non vengées ; car on sait avec quelle indulgence révoltante les Jurys, si durs envers les attentats qui touchent à la propriété, absolvent les crimes dits passionnels, sans doute parce que très souvent ils n’ont même pas l’excuse de la passion. Étrange amour, en effet, que celui qui assouvit dans le sang sa férocité possessive, à peine explicable par un aveuglement de taureau chez des brutes impulsives ou alcooliques ! Étrange amour que celui qui, trop souvent, ne traduit chez le bourreau que souci lâche de l’opinion, terreur du ridicule ; car là est le secret de tant de cocus sinistres qui se croient moins grotesques en se faisant terribles. Et combien d’autres obéissent à des idées toutes faites, niaiseries féroces inspirées par des phrases de mélo ou de roman, d’adages familiaux, de bribes d’histoire et de légende ! Combien invoquent, comme ne manque pas de le faire, avec de larges effets de manche, leur avocat, les grands mots d’honneur, respect de la famille, pureté du foyer… etc !

En vérité, tuer une femme pour un délit que la loi n’estime pas à plus de vingt-cinq francs d’amende, offre un contraste dont l’insanité aurait dû supprimer depuis longtemps, pour les jurys, cette dérisoire excuse de meurtre. Or, on sait qu’il n’en est rien. L’abrogation de la deuxième partie de l’article 324 s’impose donc. La guerre à elle seule l’aurait rendu indispensable, en multipliant l’infidélité chez beaucoup de femmes et en abolissant chez beaucoup de maris, entraînés à la violence, le respect de la vie humaine.

L’excuse du meurtre nous vient de la loi romaine, d’une époque où le père avait le droit de tuer, non seulement sa femme, mais sa fille et le complice s’il surprenait leur adultère dans la maison familiale.

Encore fallait-il, pour le mari, qu’il tuât du même coup le complice, et un complice disqualifié déjà par sa condition sociale, tel qu’un esclave, un affranchi ou un repris de justice.

Le Christianisme accrut encore la sévérité des lois ; d’ordre public, la femme adultère fut punie de mort.

L’article 324 consacre pour le mari un privilège d’autant plus excessif que ce privilège est refusé à la femme. L’article 324 offre encore cet illogisme que, s’ils se défendent contre le mari et le tuent, l’épouse et le complice se trouvent, en vertu de la première partie dudit article, en état de légitime défense et bénéficient de cette excuse même.

De tous les crimes passionnels, le meurtre pour adultère est un des plus monstrueux : il est aussi vil que les vengeances des femmes délaissées ou trahies qui lancent le bol de vitriol.

Au surplus, le rétablissement du divorce l’a rendu odieux en donnant à l’adultère la seule sanction qu’il comporte. On objecte que le divorce n’a pas supprimé le meurtre ; il supprime en tout cas la seule excuse que pouvait invoquer le mari rivé, son existence durant, à celle qui le trompait et le bafouait.

Chaque jour la conscience publique, plus éclairée, les mœurs plus douces font apparaître hors de notre temps, comme un phénomène, le mari qui tue. Qu’un trait de plume sur six lignes du Code lui rende sa véritable qualité : celle d’assassin !


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