L’AMITIÉ DANS LE MARIAGE

On sait que la sagesse bourgeoise des parents, quand ce n’est pas la méfiance réciproque des fiancés, excluta prioril’amour du mariage. Il y a, pour justifier cet ostracisme, des phrases toutes faites ; « L’amour n’a qu’un temps ». « Fonder son bonheur sur la passion, c’est bâtir sur le sable ». Et encore : « La beauté passe, la laideur reste ». Les plus francs ajoutent : « On ne se marie pas pour être heureux, mais pour créer une famille. Pour cela il faut de l’argent. » Traduisez : « Une dot bien grasse ».

C’est la honte de notre mariage français que ce souci de l’argent. Tout homme qui a du cœur et de l’intelligence devrait considérer comme une charge d’honneur de faire vivre de son travail sa femme et ses enfants. Ceux-ci, une fois un solide métier dans les mains, n’auront qu’à faire comme lui, travailler et se marier jeunes. Mais une idolâtrie vaniteuse, imbécile et touchante pousse les parents bourgeois à vouloir que leurs enfants soient riches et travaillent le moins possible ; leur idéal déçu — mais trop tard ! — c’est des fils à papas qui dilapident, en faisant la noce, le patrimoine accumulé, ou des filles livrées, avec trousseau luxueux et bonnes valeurs, à un gendre qui souvent croque la dot et trompe la femme.

Juste revanche de l’amour banni !

Certes l’amour n’est pas tout dans le mariage. Après des illusions que la réalité peut dissiper, il expose lui aussi à d’étranges mécomptes. Mais il a cela d’avoir existé, et ennobli un mariage qui n’est trop souvent qu’un contrat d’argent. L’amour, comme tout ce qui vit, se fane et meurt ? Il se peut, dans bien des cas. Mais sur les époux qui l’ont connu, il laisse toujours un rayonnement et, entre eux, la beauté du souvenir. L’amour peut se transformer en tendresse, en amitié ; et dès lors le mariage, s’il devient un lien moins rigoureux, n’en reste pas moins solide. Union et confiance facilitent les rapports des époux, les parents protègent de leur sollicitude les enfants. En vérité, c’est une très belle chose, la passion une fois affaiblie — et il est des cœurs où elle ne s’éteint jamais — que cet automne chaud encore de sentiments affectueux.

Ceux qui voient luire cette lumière connaissent la vérité. Eux seuls savent ce qu’il faut apporter à la pratique du jour à jour d’égards mutuels, de soins désintéressés, d’attentions délicates. Eux seuls ne font pas du mariage une horrible solitude morne, où chacun, mû par des intérêts différents ou opposés, bâille d’ennui et grelotte de froid. Eux seuls ne se livrent pas le hideux combat pour la domination, où l’homme apporte son instinct de conquête, son instinct brutal de mâle, et la femme tantôt une prostitution calculée pour l’asservir doucereusement, tantôt les aigreurs harcelantes qui le lassent et le domptent, humilié, acceptant tout pour avoir la paix.

Seul, le mariage où l’on s’est aimé conserve, à travers les médiocrités du terre à terre quotidien, à travers les épreuves inévitables, sa dignité, sa noblesse simple et discrète.

Rien de pareil dans un mariage conçu par égoïsme, avidité et lucre, n’ayant pour l’animer que le désir du moindre effort, le goût bas du plaisir ou de la vanité, un mariage qui ne serait, selon le mot de l’admirable romancier anglais Thomas Hardy, « qu’un contrat sordide, basé sur des convenances matérielles d’impôt, d’héritage en terre ou en argent pour les enfants », un mariage qui n’est trop souvent « qu’un adultère légal, fondé sur d’abjects intérêts ».

Ce mariage-là, qui crée la discorde intérieure, les trahisons secrètes, les hontes dissimulées, apparaîtra dans la Société future une survivance de la barbarie. Seul le mariage basé sur l’amitié tendre ne fait pas de l’alcôve un bourbier ; seul il donne à la vie de l’élévation, à la vieillesse de la sérénité et de la grandeur à la mort.


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