Lorsque, devant la « Commission de réforme du Code civil », Paul Hervieu proposa que l’Amourfût inscrit parmi les obligations réciproques des époux, il émit, pour l’étonnement de beaucoup et la raillerie du grand nombre, une vérité d’ordre supérieur, capable, si elle entrait dans les mœurs et recevait de la loi une sanction pratique, de transformer et de purifier le mariage, presque toujours affaire de convenances et d’intérêt, trop rarement union des cœurs.
L’Amour, oui, mis enfin à sa place, faisant disparaître l’antagonisme que la morale bourgeoise institue entre l’élan de la passion, la chaleur de l’affection, et le mariage tenu pour une association d’argent, une transmission de biens aux enfants.
L’Amour, oui, sous toutes ses formes, allant de l’amitié tendre à l’ardeur passionnée ; l’amour fait de compréhension, de bonne volonté, d’attentions mutuelles, de soutien réciproque, d’entente consentie ; l’amour rapprochant les époux à travers les épreuves, les penchant enlacés sur le berceau de leurs enfants.
N’objectez pas que ce soit impossible, puisque, déjà, entre l’amour et le mariage, grâce aux épousailles des vingt et un ans (et pourquoi pas plus tôt ?) la réconciliation se fait chaque jour, au profit de Roméo et de Juliette, vainqueurs des oppositions de leurs parents.
— Déjeuner de soleil, expériences fragiles, murmure-t-on.
Eh ! mon Dieu ! on verra bien ! Laissez faire, laissez passer l’amour. C’est encore la seule, la vraie force de la vie. C’est lui qui inspire le plus de courage, d’enthousiasme, de beaux efforts. Ce sera toujours autant de pris. Et, quoi qu’on en dise, mieux vaut qu’il ennoblisse de sa présence le foyer conjugal, plutôt, exilé de sa vraie place, que de s’incarner dans les fantômes voilés, séduisants et périlleux du bonheur clandestin, de la faute étrangère.
Après l’horreur du cataclysme actuel et l’empoisonnement des âmes par la haine entre peuples, il faut que l’amour vienne vivifier la famille française et régénère le monde enténébré.
Il doit réclamer sa place au soleil, ne plus être l’instinct calomnié, le voleur de nuit que l’on redoute et qui apparaît d’autant plus attirant par son mystère, dans l’ombre de péché où la morale religieuse le reléguait et le relègue encore.
L’amour, en effet, a été de tout temps le grand banni. Morale fausse, Société avare, religions pusillanimes se sont alliées pour le clouer, comme Prométhée, sur un rocher. Mais par une équitable vengeance, le vautour immortel s’est retourné contre ses persécuteurs, et il a enfoncé dans leur cœur ses serres et son bec d’acier.
Tributaires de l’amour impérieux, les hommes et les femmes ont connu toutes les hontes de la vindicte sociale, toutes les misères du mensonge et toutes les affres de la persécution. Et ce fut justice, parce qu’ils avaient outragé, méconnu l’essence de l’amour, le plus simple et le plus pur des rythmes éternels de la vie, le grand facteur d’harmonie, l’ordre suprême des choses.
L’amour, qui portait sur son visage la candeur charmante d’Abel, cet Adonis biblique, a pris, au pourchas, la face crispée de Caïn. Il s’est faufilé comme le maître des ruses, l’envoûteur ténébreux. Il a connu la bêtise justicière d’une Société qui voyait en lui le spoliateur, alors qu’il était l’ami des êtres et leur rachat, une providence aux mains douces. Il a connu les prisons, les fosses de terre vive, les bûchers. Son martyrologe emplit l’histoire des siècles. L’amour vécut des chaînes aux pieds : on le lapida, on fouetta à vif son beau corps d’éphèbe ou de jeune femme. Il n’est pas de jour encore où il ne marche ensanglanté.
Il triomphera pourtant.
Non seulement dans les unions qui, en face de la convention hypocrite, dressent déjà la franchise de leur tendresse courageuse, mais de plus en plus dans un mariage où soufflera, avec l’air du dehors, la liberté.