LA FEMME ET LA POLITIQUE

Oui, leur part. Pourquoi ne la réclameraient-elles pas ? D’ailleurs, ont-elles le choix ? C’est ce que l’on ne se demande pas assez.

Le choix, comment l’auraient-elles ? Ce ne sont pas elles qui ont codifié les conditions de la vie moderne. Elles en sont les premières victimes. Ce n’est pas d’hier que Michelet a poussé son cri d’alarme devant ce qu’il appelait un sacrilège : la femme entrant dans l’arène, concurrente de l’homme aux labeurs, aux salaires, lui disputant ce pain que, de moins en moins, il partage avec elle.

La femme veut vivre, voilà tout. Et c’est son droit.

Elle n’a vécu jusqu’à présent que comme reflet, comme écho, comme esclave, dans l’ombre de l’homme. Elle n’a pas eu de vie personnelle. Elle y prétend. Et elle ne réclame que son dû.

La part des femmes ? Mais si l’on y réfléchit, combien elle est mince encore ! Combien peu elles ont leur droit de cité, leur droit légal, familial, leur droit humain ! Loin de nous insurger contre ce qu’elles ont acquis, disons-nous bien que c’est fort peu de chose à côté de ce qu’il leur reste à acquérir.

Voyons ce qu’a conquis la femme, et voyons tout ce qu’elle n’a pu conquérir encore et que détient l’orgueil masculin, la suprématie du plus fort, de celui qui fait les lois et les applique.

La femme, c’est le fait primordial, est entrée dans l’enseignement. Elle s’est fait reconnaître comme éducatrice. On l’avait vue femme de lettres, actrice, ouvrière du luxe ou de la peine, commerçante, infirmière ; on l’avait vue peintre, sculpteur ; on l’avait vue courtisane. On ne l’avait pas encore vue professeur ; elle l’est. Mais depuis combien de temps ?

C’est en 1869 que la première candidate au baccalauréat se vit renvoyée durement à ces travaux ménagers, que l’Arnolphe de Molière assigne à la femme : couture, broderie, etc. C’est de 1881 que date la fondation des lycées de jeunes filles, en 1886 seulement que les femmes, admises dix-huit ans plus tôt à la Faculté de médecine, concourent pour l’internat.

En vérité, c’est d’hier. D’hier qu’elles sont doctoresses, avocates. D’hier qu’elles travaillent à l’École des beaux-arts et à la Villa Médicis.

Leurs victoires, on les chiffre moins à la quantité qu’à la qualité. Contre tant d’hommes détenant places, fonctions, honneurs, on cite une femme qui, par miracle, grâce à un ministre libéral, représente ses millions de compagnes dans les assemblées de choix.

On cite, en 1888, une femme qui entre au Conseil supérieur de l’Instruction publique. En 1900, une autre qui pénètre au Conseil supérieur du travail, au ministère du commerce. Une encore, féministe éminente, prend part aux travaux de la commission extra-parlementaire du régime des mœurs. D’autres deviennent membres du Conseil supérieur de l’assistance et de l’hygiène. Et MmeCurie a professé à la Sorbonne.

Exceptions !

En revanche, si la femme peut défendre en justice une cliente ou un client, elle est inapte à juger. Toute sa connaissance du droit ne lui permet pas de passer de la barre au tremplin du tribunal. Et quand a été créée la grande commission de révision du Code civil, on a vu cette iniquité : aucune femme ne venant s’asseoir à cette table d’hommes, d’hommes légiférant sur des femmes.

La femme peut être témoin dans les actes de l’état civil, mais elle n’a point qualité pour les dresser, les enregistrer, les prononcer. Elles ne sont ni secrétaires de mairie, ni adjointe.

Pour une à la Sorbonne, en est-il à l’Institut ? Certaines, dont le nom vient à l’esprit immédiatement, dépareraient-elles l’Académie française ? N’y tiendraient-elles pas avantageusement la place de tel ou tel ? Combien sont chevalières de la Légion d’honneur ? Combien ont la rosette ?

Ceci pour les titres officiels.

Au point de vue de sa capacité civile, n’est-il pas invraisemblable que la femme, en se mariant, abdique sa personnalité, et, au regard de son mari et de ses enfants, devienne la première servante de la maison ? N’est-il pas révoltant qu’elle soit, dans son ménage, sans pouvoir, sans argent, sans droits, dépossédée de son âme et de son corps ?

Au point de vue politique, son rôle est nul.

En vain, deux projets de loi ont-ils été déposés et demeurent enterrés sous la poussière et l’oubli ; l’un proposait d’admettre aux élections municipales, cantonales, législatives, les femmes célibataires, veuves et divorcées ; un autre, en 1906, plus libéral, appelait au vote les femmes mariées, mais restreignait leur voix aux élections des conseils municipaux, des conseils d’arrondissement et des conseils généraux.

En vain, le Conseil national des femmes organisait-il jadis un vaste pétitionnement, qui ralliait l’appui du Comité central de la Ligue des Droits de l’homme, soit 73.000 adhérents. La femme française, mineure en son foyer, reste mineure en l’État.

Mais, patience !

S’il est vrai que l’union fait la force, cette vérité servira surtout aux femmes, à leur merveilleux pouvoir d’action, de propagande. Les ruches se réveillent, les fourmilières s’agitent.

Aujourd’hui, les femmes de presque tous les pays ont une arme de revendications : c’est le Conseil international, qui, en 1888, naquit d’un Congrès à Washington, et d’un autre à Chicago, en 1893.

D’année en année, le Conseil international des femmes, constitué par un bureau de sept membres et tenant des assemblées quinquennales, a vu s’affilier les groupements féministes constitués dans chaque pays en Conseil national.

D’abord, le Canada, puis, successivement, la représentation des femmes suédoises, anglaises, celles de la Nouvelle-Zélande. Puis ce fut le tour de la République Argentine, de la Suisse, de l’Autriche, de la Norvège et de la Belgique. En 1906, vingt et un Conseils nationaux étaient entrés dans cette confédération des intérêts féminins.

L’avenir est là. On l’a vu aux Congrès de Londres, de Berlin, au Congrès interquinquennal de Paris. On le verra de plus en plus, le jour où la femme qui, jeune fille ou mariée, ne peut disposer de son argent, pourra, grâce à de plus justes lois, disposer de ce qui lui appartient et le mettre au service de la cause commune.

On ne saurait nier la magnifique éclosion d’idées, le mouvement que par la presse, les revues et journaux féministes, les conférences, les groupements, Sociétés, Congrès de toute nature, ont affirmé, en ces dernières années, les efforts de la femme française.

Là, l’élite remplace le nombre. Mais le nombre viendra, soyons-en sûrs, à l’élite par l’élan invincible des circonstances. Souvent, à la lenteur du progrès, on ne mesure pas la marche des grands mouvements économiques et sociaux. On entend des craquements, on voit des fissures, et l’on perçoit bien qu’un grand fleuve souterrain circule.

Tel est le destin de la poussée féministe.

Elle s’amasse, elle s’accroît, elle rallie les hésitantes, elle fait corps avec toutes les faibles, elle se lasse autour des révoltées.

Bientôt, le fleuve crèvera de terre. Et la femme aura accompli sa révolution.


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