Même fondé sur l’amour ou l’affection, le mariage peut, au frottement des caractères, aux défaillances des volontés, sous l’empire d’influences extérieures, aux secousses de l’instinct, aux frénésies de la passion, à l’usure de l’habitude, au lent empoisonnement des griefs, par l’effet de mille causes tenant à l’imperfection humaine, devenir pour l’homme et la femme, ou l’un des deux, une chaîne intolérable.
Un divorce limité, reconquis par l’État républicain et non sans peine contre la Morale sexuelle et religieuse, permet en certains cas, très insuffisants, la rupture de cette chaîne.
En fait, c’est la femme que le plus souvent le divorce libère. C’est à la requête des femmes que le plus souvent il est prononcé. Réduites à réclamer une liberté dont elles sont presque toujours victimes, parce qu’elles les vouent au discrédit bourgeois, elles témoignent bien ainsi combien, dans le mariage et même en dehors ensuite, la Loi de l’homme les opprime.
Elles surtout pourraient dire, aux adversaires du divorce, la nécessité de ce pis-aller qui n’est un bienfait que par son rôle chirurgical… Elles surtout, dolentes, meurtries par la cruelle opération, sauraient dire à ceux qui voudraient leur retirer cette triste délivrance, à quel point cependant elle est conforme à la justice et à l’intérêt de la Société.
C’est qu’en effet, les adversaires du divorce n’ont pas désarmé.
Après la guerre, — ce n’est ni manquer à l’Union sacrée, ni vouloir raviver des polémiques fâcheuses, que de le constater, — le divorce sera remis en question — il l’est déjà ! Une récente brochure de propagande, signée par M. J. Massabuau, ancien député, avocat à la Cour d’appel, indique bien comment se produira l’assaut et avec quels arguments.
Ce sont les mêmes que l’on nous opposait, à mon frère et à moi, lors de nos campagnes de presse et par le livre et le théâtre, de 1898 à 1905, comme on les avait déjà opposées à Alfred Naquet, lorsque sa courageuse ténacité arrachait en 1881 à ses adversaires, après huit ans d’efforts, la loi actuelle du divorce.
Le premier argument est d’ordre politique et religieux : il n’est valable que pour les fervents de l’Église et perd toute sa valeur dès qu’il prétend régenter ceux qui n’appartiennent pas ou ne se considèrent plus comme appartenant au culte catholique. Qu’un époux de cette confession ne veuille pas plaider en divorce, c’est son droit le plus respectable ; mais le droit de son conjoint, plaidant contre lui, n’est pas moins légitime. A quel titre le catholique, consentant ou résigné à la séparation de corps, prétendrait-il imposer cette forme de demi-rupture à celui ou à celle qui réclame la rupture entière ? Sans doute par la conversion, au bout de trois ans, de la séparation de corps en divorce, le catholique subit une situation contraire à ses principes et à sa foi ; mais, s’il ne la subissait pas, c’est donc son conjoint qui se verrait sacrifié. Or, le divorce ne contraignant pas le catholique à se remarier, mais permettant de le faire à celui qui ne pratique pas ou ne pratique plus, il apparaît bien que cette solution, qui permet la renaissance d’un foyer et la procréation de nouveaux enfants, soit la plus conforme à l’équité en même temps qu’aux droits inaliénables de l’individu.
Le second argument, d’ordre philosophique, se réclame de la biologie. La famille étant la cellule-type de la Société, tout ce qui l’affaiblit, tout ce qui la détruit comme le divorce, est malsain. Cela serait fort exact, si la cellule qu’est la famille baignait dans un milieu incorruptible, si elle était toujours elle-même parfaite et intacte, si elle échappait aux lois destructrices de la vie. Mais que de fois s’infecte-t-elle, la cellule-type ! Que de fois met-elle en péril le corps entier ! Toute la question est de savoir s’il y a avantage, pour l’agrégat des cellules, pour la Société, de subsister en menace ou en état de pourriture, ou s’il vaut mieux qu’elle soit assainie par le bistouri brutal du divorce. N’est-ce pas se refuser à l’évidence, que d’affirmer préférables les mauvais ménages, les unions détestables et détestées, les mensonges de l’adultère, sa trivialité basse ou ses drames, les accouchements clandestins, les meurtres dont l’écho se répercute en cour d’assises ?
— Sacrifiez l’individu à la Société ! C’est vite dit ! Il faudrait démontrer que la Société, collection d’individus, a intérêt aux misères, aux vains sacrifices, aux révoltes scandaleuses et aux souffrances désespérées de ces individus dont l’on fait si bon marché ! Jamais cette preuve n’a été apportée.
Le troisième argument est celui des enfants, victimes, affirme-t-on, du divorce. Mais ce n’est pas du divorce, c’est de la mésintelligence, hélas ! des parents que l’enfant souffre, c’est des scènes ignobles, c’est des exemples vils, c’est de la lutte haineuse des siens. Le divorce n’en est que le témoignage déchirant. Ceux qui évoquent l’intérêt des enfants n’ont donc jamais vu ce que ceux-ci deviennent dans un ménage en discorde ! Ils n’ont jamais vu leurs pauvres yeux d’angoisse, leurs lèvres serrées qui tremblent, leur pâleur et leur façon de se terrer, de se faire tout petits ! Si, dans le divorce, l’enfant était confié à celui qui l’aime et saura l’élever le mieux, il serait beaucoup moins à plaindre que vivant dans un foyer contaminé. D’ailleurs, il ne restera pas toujours un enfant : il grandit, il comprend, il juge, il s’affranchit, il s’éloigne et fait sa vie.
On objecte[3]qu’à travers les dissentiments du mariage indissoluble, la résignation viendrait et que les époux procréeraient de nouveaux enfants, nécessité urgente après la guerre. Il serait bien improbable, vraiment, que les mauvais ménages se missent à contribuer à la repopulation, alors que tant de bons ménages se font volontairement stériles !
[3]M.Massabuau, laFamille, leDivorce.
[3]M.Massabuau, laFamille, leDivorce.
Reconnaissons le mariage pour ce qu’il vaut : aux yeux de la société laïque, ce n’est pas un sacrement, c’est une libre association, noble dans son but, et qui, comme toute organisation humaine, comporte des risques de faillite. Le divorce a l’avantage de liquider cette faillite ; seulement il s’y prend mal et incomplètement parce que ceux qui l’ont rétabli n’ont pas osé lui donner son ampleur et son véritable caractère.