En rétablissant le divorce, les législateurs de 1884 ne parurent pas apercevoir sa portée et ses conséquences. Ils semblèrent oublier que, si la Restauration supprimait en 1816 le divorce, décrété par la Révolution en 1792, ce fut à la requête de M. de Ronald, sur le rapport de M. de Lamoignon soutenu par M. de Luzerne, évêque de Langres, et M. de Clermont-Tonnerre, évêque de Chalons. La Monarchie, puis le Second Empire, pendant soixante-dix-neuf ans, imposèrent à la France nouvelle machine arrière. En 1848 le temps manquait, dans le remous de l’époque enfiévrée, pour que la proposition de Crémieux, tendant au rétablissement du divorce, se réalisât. Un Parlement républicain avait donc la partie belle pour voter une loi large et sage. Il recula par timidité ou imprévision. Il ne vit pas surtout le grand point, — et il ne semble pas que les Parlements successifs Paient vu davantage — : l’importance d’un acte qui libérait la Société civile, l’affranchissait de la domination de l’Église.
Là cependant était l’intérêt vital du problème. Avant que le divorce fût rétabli, notre mariage civil ne différait pas dans ses conséquences du mariage religieux, fondé sur l’indissolubilité. Le divorce a nettement séparé le contrat civil du sacrement religieux. Grâce à lui, l’État laïque soustrayait la femme, et par elle l’enfant, parfois même le mari, à l’emprise du confesseur, représentant du pouvoir théocratique. Par le divorce, l’État laïque vivifiait la Société et l’individu du souffle de l’esprit moderne : il complétait par avance la séparation de l’Église et de l’État ; il préparait l’évolution des idées de libre examen, dégagées de la gangue du passé.
Il ne peut être ici question de sectarisme. La Foi est utile à trop d’êtres pour être combattue par l’État laïque qui se borne à ne privilégier aucun culte particulier. Ce n’est pas en ennemie de l’Église que la Société civile doit se poser pour récupérer ses droits, mais en puissance autonome, accomplissant ses destinées propres et tendant à des fins différentes.
Les législateurs de 1884 ne l’ont pas compris. Le divorce qu’ils réinstauraient fut sans doute un progrès considérable, mais incomplet. Ils laissèrent les Tribunaux donner au prononcement alors parcimonieux des divorces un air de châtiment. Ils entourèrent la rupture du mariage d’une procédure scandaleuse, d’un étalage de boue, au lieu de la soumettre au huis-clos. Par suite, une disqualification bien naturelle poursuivit les divorcés, surtout les divorcées, rejaillit sur les enfants.
Ce faisant, députés et sénateurs méconnurent la valeur sociale de la loi qu’ils édictaient, son caractère de relative bienfaisance. Le divorce ne prétend point, en effet, comme ses ennemis l’en accusent, à assurer le bonheur de l’individu aux dépens de la Société, ni à permettre à chacun de « vivre sa vie » égoïste ou passionnelle. Il n’a d’autre raison d’être que de réserver à ceux qui souffrent un malheur moindre.
La Révolution, en sécularisant le mariage, avait fort bien senti qu’il n’est qu’un pacte, un contrat de fidélité, de secours, d’assistance réciproque, « une association libre entre époux » devait dire M. Viviani. La Révolution avait fort bien senti que la loi, qui proscrit comme contraire aux mœurs les contrats personnels, la loi qui n’autorise pas qu’on se vende à titre d’esclave ni qu’on prononce au couvent des vœux éternels, cette loi ne pouvait déclarer que le mariage comporterait des serfs à perpétuité, ferait des époux les contractants d’un vœu infrangible. Elle était logique avec elle-même, en considérant que le manquement de l’un des deux conjoints au libre contrat devait en entraîner la dissolution.
Les législateurs de 1884 montrèrent une pusillanimité fâcheuse en restreignant les causes du divorce, en écartant les barreaux de la geôle avec tant d’étroitesse que les évadés du mariage durent les forcer douloureusement, en spectacle public, poursuivis par la médisance des spectateurs, éclaboussés par la diffamation des plaidoiries.
Ce fut de la part d’un Parlement républicain une regrettable erreur.