Le Code crée aux époux, à côté de devoirs égaux, fidélité, secours, assistance, des devoirs illégaux : à l’homme la protection, à la femme l’obéissance.
Partage dolosif, car si trop souvent la protection de l’homme est illusoire, l’obéissance de la plus faible est trop réelle, et permet au protecteur tous les abus de la force physique et de l’autorité légale.
L’obéissance de la femme se justifie de moins en moins depuis que, sortie de sa servitude, elle s’est affirmée, par son travail et son intelligence, l’égale de l’homme. Cette obéissance se justifie d’autant moins qu’elle n’est ni précise ni limitée et s’entend dans un sens absolu.
En fait, l’article 213 du Code civil place la femme sous la main-mise totale du mari. Le mari peut, en vertu de l’article 214, imposer à sa compagne le choix de leur résidence, si lointaine ou malsaine qu’elle soit, et la contraindre à y habiter. Chef de la communauté, il dispose de l’argent à sa guise ; père de famille, seul il a la haute main sur l’éducation des enfants. Investi, cela va de soi, du droit de possession conjugale, il peut infliger à sa femme une cohabitation parfois répugnante et des rapports qui violentent odieusement l’âme et le corps. La loi ne laisse à la femme mariée aucune échappatoire : elle est formelle et dure comme un coup de bâton… « Obéissance au mari ». Vlan !
Il est facile d’objecter qu’en fait, très fréquemment par sa patience, par son astuce, ou par son énergie selon les cas, par l’influence aussi de ses charmes, dont elle s’abaisse à jouer comme d’un appât et d’une récompense, la femme conquiert au foyer une autorité sans conteste. C’est sa revanche contre le Code : et les plus malignes mènent des maris impérieux par le bout du nez, tout en ayant l’air de leur céder. D’autres, sachant la faiblesse de leur compagnon, n’y mettent pas tant d’égards, et, à force de tracasseries ou de scènes agressives, obligent le malheureux « protecteur » à acheter, par sa soumission récalcitrante, le bienfait sans prix, cause de toutes les lâchetés intimes ; la paix du ménage.
Pour celles-là l’article 213 prouve ironiquement son inutilité. Pour les autres, les timides, les dociles, les résignées, celles qui, pétries par l’éducation religieuse, subissent comme un devoir ou une expiation terrestre la volonté de leur mari, l’article 213 apparaît d’autant plus inique, dans sa rigueur vieillotte, que tout aujourd’hui dans les mœurs et l’opinion consacre l’émancipation de la femme, devenue, dans les innombrables actes de la pensée et de l’action, la concurrente de l’homme.
On se demande en vertu de quel impératif moral la femme doit, parce qu’elle est mariée, se voir privée d’ester en justice, et aussi, même non commune et séparée de biens, empêchée de donner, aliéner, hypothéquer, acquérir, à titre gratuit ou onéreux, sans l’autorisation de son mari. Et on n’en trouve pas d’autre que la sordide conception bourgeoise du mariage : une association d’intérêts au seul profit de l’homme.
L’obéissance de la femme, saura-t-on jamais quelles souffrances morales elle aura engendrées, quels désespoirs contenus, quelles révoltes sourdes de la part de celle qui, riche, n’est que l’usufruitière de ses biens, et, mère, n’est qu’une servante en titre sans droits sur ses enfants ! Que de fois, devant le chantage de son « protecteur », devra-t-elle payer rançon pour voir tenir compte de ses plus légitimes désirs ! L’obéissance de la femme, qui dira ce que, dans le peuple, elle représente quotidiennement de misères, de coups assénés par des brutes ivres ou violentes ? Et sans le moindre recours à la loi, qui ne punit pas le mari bourreau de prison ou d’amende, qui se garde d’intervenir, puisqu’elle a prescrit à la femme l’obéissance sans limites. Que de complicités peureuses et désolées dans les mauvaises actions et jusque dans les crimes, où la femme arguerait en vain, devant les juges impitoyables, de ce devoir d’obéissance qui, en équité, devrait lui servir au moins d’excuse et de sauvegarde !
Superflu pour les bons ménages, où l’accord naît de la confiance et d’une réciproque bonne volonté, l’article 213 ne sort à rien ou sert beaucoup trop. Il écrase les seules victimes intéressantes que devrait « protéger » la sage volonté de l’homme. Il consacre de la souffrance imméritée. Il n’est plus qu’un anachronisme.
Abrogeons-le !