Théodore de Banville, devant un livre appelé :Le Besoin d’aimer, s’écriait que l’auteur avait trouvé là un titre à faire reculer d’horreur les étoiles.
Qu’eût-il dit devant celui-ci :Le devoir conjugal?
Si deux mots jurent d’être accouplés de la sorte, ne sont-ce pas ceux-là ?
Comme si le devoir — puisque devoir il y a — avait lieu d’être prescrit à ceux qui s’aiment ; et comme si, en l’imposant à ceux qui ne s’aiment pas, la loi ne se montrait pas malpropre. Est-il en effet rien de plus répugnant à penser que, pour la femme surtout, réceptive et passive, le devoir conjugal soit infligé dès la première nuit de noces, sans souci de ses pudeurs et de ses délicatesses, et imposé par la suite, quelque aversion qu’elle puisse éprouver contre un mari brutal, ou malade, ou aliéné, ou tuberculeux ou alcoolique, parfois même, sans qu’elle le sache, syphilitique ? N’est-il pas révoltant de penser que ce devoir conjugal est si bien un devoir pour elle, que, en s’y refusant, elle s’expose à ce que le mari frustré obtienne contre elle le divorce ?
Le devoir conjugal est cependant la pierre angulaire du mariage, non seulement religieux, mais civil, celui-ci reflétant comme toujours, avec la loi du mâle primitif, la morale sexuelle : c’est-à-dire vingt siècles de Christianisme.
Le Devoir conjugal !
L’Église a eu le mérite de le purifier en lui assignant ce but unique, la procréation, si par contre elle l’a abaissé en instituant le confesseur arbitre de l’alcôve, et en permettant à la casuistique d’entrer dans des détails singulièrement choquants.
Le droit civil, lui, n’a point inscrit le devoir conjugal parmi les obligations des époux, mais il l’a admis implicitement en reconnaissant, par la voix des tribunaux, que le refus du conjoint à l’acte d’amour ou de plaisir peut entraîner le divorce pour injure grave.
Allant plus loin, la Cour de Rome a retenu parmi les causes de nullité du mariage l’impuissance, qui est l’impossibilité matérielle d’accomplir le devoir conjugal. Elle l’a même proclamé, par une décevante interprétation, dans certains cas bizarres : telle, citée par Dumas fils « l’impuissance » de ce capitaine de cavalerie qui avait eu de sa femme plusieurs enfants.
Le droit civil, plus pusillanime, n’a pas voulu que l’impuissance caractérisée fût une cause de nullité, alors que, logiquement ce devrait être une des premières. Et voyez l’absurdité, l’impuissance ne figure à l’article 313 que pour conclure à ce beau résultat ; — le père impuissant ne pourra désavouer l’enfant de sa femme adultère ; mais, par contre, le fait innocent d’épouser sans dispenses préalables son beau-frère ou sa belle-sœur est qualifié d’inceste et provoque la nullité du mariage.
Ce n’est pas à la loi que nous demanderons de supprimer le devoir conjugal, puisqu’elle ne l’a pas formellement ordonné, mais aux mœurs et à l’opinion, plus puissantes que les lois. Un homme d’honneur devrait rougir de violer brutalement sa femme le soir des noces, sans avoir obtenu son assentiment et préparé les conditions les plus favorables à envelopper de douceur et délicatesse cette opération intime. Un homme d’honneur devrait avoir honte d’imposer ensuite son contact au dégoût, à l’aversion dissimulée ou seulement à la froideur de sa femme. Seul, un goujat pourra, dans des temps prochains, exiger comme un droit le devoir conjugal. Songer que des milliers de femmes subissent, à ce titre, les baisers et la luxure de tuberculeux, de syphilitiques, d’alcooliques et de sadiques, soulève le cœur et révolte la pensée.
On peut constater ainsi combien Paul Hervieu avait vu juste en demandant que l’amour figurât au nombre des obligations réciproques des époux. Avec l’amour ou à défaut l’amitié tendre, point de devoir conjugal, la libre possession. Avec l’amour ou l’amitié tendre, plus de ces procès ignobles où, preuves en mains, on arrache les draps du lit et on expose la nudité des êtres, pour cause de refus d’accomplir le devoir charnel.
En vérité, balayant les miasmes du confessionnal et l’odeur moisie du Code, il est temps d’ouvrir les fenêtres de la chambre à coucher.