L’article 212 du Code civil prescrit aux époux une réciproque fidélité : ce qui est rationnel autant que juste. Il y fixe cette double sanction.
1oL’adultère est une cause de divorce ; 2ol’adultère entraîne, sur la poursuite du conjoint lésé, une pénalité correctionnelle.
Seulement, l’homme ayant fait la loi, l’a faite comme d’habitude indulgente pour lui et rigoureuse pour la femme. Inégalité de traitement, là comme partout ; la morale sexuelle est venue encore peser de tout son poids.
Si le divorce suit également pour les deux sexes l’adultère constaté, il convient de se rappeler que cette identification est récente ; l’ancien texte ne permettait à la femme de demander le divorce pour adultère du mari, que lorsque celui-ci avait tenu sa concubine dans la maison commune, c’est-à-dire, presque jamais. Pas si bête !
Pour la pénalité de l’adultère, l’injustice du contraste est manifeste. Aucune répression contre le mari volage s’il papillonne au dehors ; même pris en flagrant délit, il restera impuni. C’est seulement s’il a été convaincu d’entretenir une concubine dans la maison conjugale (cas exceptionnel), qu’il est taxé d’une amende de cent à deux mille francs.
D’une amende, remarquez-le, et non de la prison !
Quant à la femme, ah ! la femme, c’est autre chose ! A elle la culpabilité majeure, contre elle la répression léonine ! L’article 337 lui inflige un emprisonnement de trois mois au moins et de deux ans au plus, tandis qu’à son complice l’article 338 inflige le même emprisonnement et en plus une amende de cent à deux mille francs.
Si cette vindicte est légère en comparaison des anciennes cruautés dont la loi barbare frappait la femme adultère et son complice, de cette variété inimaginable de tortures : — le feu, le pal, l’amputation, le poison, l’étouffement, la strangulation, la pendaison, l’écartèlement, l’ébouillantement, le dépècement, l’exposition aux bêtes, la noyade, — les mœurs en s’adoucissant et la révolte du sentiment général n’en ont pas moins conduit les tribunaux à juger trop sévères encore les articles 332, 338 et 339. En fait, et presque toujours par application de circonstances atténuantes, ils suppriment la prison pour la femme et le complice, et abaissent le châtiment au prix dérisoire de vingt-cinq francs d’amende, ce que vaudrait un délit de chasse sur la terre du voisin.
Il est apparu de plus en plus à tout le monde, en effet, que l’adultère, dénonçable par l’homme seul et suspensible à son gré, puisqu’il pouvait annuler la poursuite en reprenant sa femme, n’était pas un délit d’ordre public, mais un délit d’ordre particulier, privilégié en quelque sorte, où la Société n’avait pas à intervenir, sinon, ayant proclamé le devoir de fidélité, pour en constater l’infraction et prononcer le divorce, au cas où le mari outragé se refuserait à pardonner.
L’abaissement d’une pénalité, qui jadis n’était pas moindre que la mort, et la mort affreuse, à une bagatelle de vingt-cinq francs d’amende, cette transposition du tragique au burlesque, ont tellement déconsidéré la vengeance du mari, — car pour lui ce n’est jamais qu’une vengeance médiocre et basse, — que celle-ci même sombre dans le ridicule et ne relève plus que des couplets de revue.
En 1910, M. Viollette, devant la Chambre des députés, produisait un rapport pour l’adoption de la loi proposée par M. Paul Meunier : suppression pure et simple des pénalités de l’adultère. M. Viollette faisait remarquer avec humour que là où les supplices les plus raffinés ont échoué à maintenir la fidélité de la femme, ce n’est pas avec vingt-cinq francs d’amende qu’on l’imposera mieux. Il concluait à l’abrogation des articles précités et par suite du prix réduit de vingt-cinq francs : vingt-cinq francs, juste de quoi acheter dans un grand magasin, avant la guerre, un parapluie ou une paire de bottines pour se rendre au rendez-vous d’amour illicite et courir le risque bien suffisant du divorce. Divorce que, par une pudeur légitime presque tous les maris déguisent sous un prétexte moins désobligeant pour eux, tel que l’abandon du domicile conjugal ou l’injure par lettre.
Ce projet, qui est à reprendre, servira la cause du bon sens et de la justice.