LA JEUNE FILLE

L’instruction a tout prévu : l’indispensable et le superflu, le latin, le grec, les humanités, la philosophie, les mathématiques, l’histoire et la géographie, dix autres branches encore de l’Arbre de Science. Il n’y a qu’un point sur lequel l’École et la Famille se refusent à renseigner les adolescents en mal de curiosité légitime : c’est la transmission de la vie, le mystère qui accompagne l’amour ou le plaisir ; tranchons le mot : l’initiation sexuelle.

Que les parents les meilleurs et les plus intelligents s’interrogent ? Ils le reconnaîtront : nulle question n’offre plus d’intérêt. De l’instinct qui rapproche les êtres selon le rythme de l’invincible attraction dépendent la constitution de la famille, cellule de l’ordre social ; toutes les modalités du sentiment et de la sensation, avec l’union libre, l’adultère, la paternité, et des fléaux tels que la prostitution, les vices secrets et les maladies prétendues honteuses.

La connaissance théorique, sommaire et suffisante des réalités physiques influera fatalement sur la moralité, sur la santé, sur la valeur personnelle et collective des jeunes gens.

Et ces mêmes parents, soucieux pourtant de l’épanouissement de leur race, par tradition, par préjugé séculaire ou esprit religieux, — oui, même chez les plus libérés, — jettent un voile de honte sur des précisions d’une telle importance, que la destinée de leur enfant, leur bonheur ou leur malheur futurs y sont étroitement liés.

Sincères et bons, ces parents préfèrent, au lieu d’être les conseillers privilégiés de ceux qui leur tiennent tant à cœur, garder un silence gêné, laisser l’imagination juvénile, si ardente, s’orienter d’elle-même à l’heure de la puberté. Ils confient au hasard, aux lectures cachées, aux propos surpris, aux mauvaises camaraderies ou aux pires rencontres, la découverte d’un acte auquel l’adolescent attachera la tentation d’un fruit défendu et, — ce qui est plus grave — la hantise malsaine d’une perversité.

Aucune personne de bonne foi ne le niera ; cette conduite est absurde autant que dangereuse. On invoque les convenances, l’habitude, l’exemple d’autrui ; faibles motifs en matière si haute ! Notre vaine prudence expose nos enfants à des risques autrement profonds, et tels que leur imagination et leur raisonnement en resteront irrémédiablement faussés par la suite. Des illusions ridicules, des déceptions pénibles les atteindront du fait qu’on ne leur aura pas appris à regarder en face l’union des deux sexes comme une nécessité organique, simple, naturelle et conforme au but de la Nature : créer la vie.

Faute d’éclaircissements salutaires, le jeune homme, en cherchant à satisfaire un irrépressible instinct, croira accomplir un rite inavoué, vouera à la femme d’abord un désir vicié ; puis un injuste mépris, accru par l’idée fausse d’une réciproque souillure.

La jeune fille, elle, arrivera au mariage peu ou point préparée, pour subir une révélation brutale qui souvent lui laissera un écœurement et une tenace rancune. En dehors du mariage, sa demi-ignorance l’expose aux dangers d’une séduction, avec ses suites honnies : l’enfant, l’abandon ; parfois, comme pour l’homme, des maladies non certes honteuses, mais d’une gravité redoutable.

Tous ces périls, une éducation franche les éviterait au moins en partie… et d’autres qui tiennent à la promiscuité des lycées et collèges.

S’il répugne aux parents de voir les éducateurs professionnels instruire les adolescents des lois vitales, que ne le font-ils eux-mêmes avec courage ; que n’en appellent-ils à la confiance de leurs fils et de leurs filles ? Ne se rappellent-ils donc plus leur propre jeunesse, leurs curiosités inquiètes, leurs recherches maladroites et leurs expériences désabusées ?

Sachons-le : c’est parce qu’un faux mystère entoure les impulsions du désir, que l’imagination se dérègle vers tant d’images louches et funestes ; alors que la lumière du vrai, à elle seule, dissiperait le maléfice des fantômes et des ombres.


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