On sait quelle importance morale, sociale et religieuse a pris, de tout temps, ce fragile obstacle.
En vain des médecins illustres ne le considèrent-ils plus que comme une survivance physiologique sans utilité, et que le bistouri pourrait, non seulement sans inconvénient, mais avec avantage supprimer, parce qu’elle enclot de façon nuisible toute une flore microbienne. En vain le bon sens nous convainc-t-il de l’exagération du symbole attribué à la virginité. Une opinion vieille comme le monde persiste à en faire un principetabou.
Deux idées foncières entretiennent cette inconcevable idolâtrie. La première sort de l’instinct barbare du mâle qui, à l’origine, vit là le signe d’une valeur intacte, la garantie que l’objet de son plaisir n’avait appartenu qu’à lui seul. Le progrès des idées et des mœurs aurait sans doute eu raison, à la longue, de cette conception rudimentaire. Mais le christianisme est venu y greffer la hantise du péché. Et cette seconde idée, flétrissant les organes de la vie et de la maternité, a donné une force exceptionnelle au mythe ancestral.
La virginité s’est parée, dès lors, d’une valeur mystique et idéale, est devenue le gage de l’extrême pureté ou le stigmate de la plus coupable transgression à l’ordre divin.
Tout un culte, toute une philosophie, tout un ensemble de doctrines et de coutumes se sont fondée sur cette obsession maladive de parties du corps réputées honteuses ; et, par un enchaînement inévitable, l’attrait du mystère s’est compliqué de toutes les aberrations imaginatives du désir et de son accomplissement clandestin.
Bien d’autres conséquences, et plus que singulières, en ont résulté. Ainsi, l’ignorance exigée de la vierge, comme un témoignage de sa pureté : ignorance dont le but est de la livrer, non comme un être intelligent et libre, mais comme une bête docile à la salacité de l’homme et à ses tromperies sournoises par la suite ; ignorance qui ravale l’épouse au lieu de l’honorer, et la maintient en esclavage des sens, de l’âme et du cerveau.
Autre conséquence, d’une invraisemblable niaiserie, celle qui fait de la perte de la virginité une révélation idéale de l’amour. Rarement mensonge fut plus artificieux ; car mille femmes interrogées répondraient, si elles sont sincères, que, loin de leur être agréable, le premier contact avec la rudesse du mâle ne leur laissa qu’un dégoût étonné. Pénétrant analyste, Camille Mauclair l’a dit, et rien n’est plus vrai[2]. « Ce n’est pas dans cet obscur moment où, confuse et meurtrie, elle subit une sorte de meurtre intime, que la révélation transforme à jamais la femme, mais lorsque, longtemps après parfois, elle découvre la volupté, dont les lois, les circonstances, les causes sont si mystérieuses qu’elle l’ignore souvent avec un mari estimé, voire même aimé, et en reçoit le foudroyant éclair d’un amant d’aventure, d’un passant investi du don magique ».
[2]L’Amour Physique; beau livre où, à côté d’« anticipations » d’une curieuse audace, figurent de durables pages sur la déformation de l’instinct sexuel, et des Étude d’une rare acuité sur la « Fille ».
[2]L’Amour Physique; beau livre où, à côté d’« anticipations » d’une curieuse audace, figurent de durables pages sur la déformation de l’instinct sexuel, et des Étude d’une rare acuité sur la « Fille ».
Autre conséquence, et qui serait grotesque si elle ne s’avérait scandaleuse : l’exhibition de nos mariages à grand orchestre et costumes de gala, imposant à une foule grossière l’image en blanc du viol nocturne. Autre conséquence encore, l’âpre possession garrottant la femme dans le mariage, l’assimilant à un bien volé, la frappant des pénalités de l’adultère, dérisoires avec les vingt-cinq francs d’amende, tragiques avec le coup de couteau ou de revolver, excusés par le Code pénal.
C’est un fleuve d’encre qu’en ses annales aura fait couler le mythe virginal ; c’est aussi un fleuve de sang : amoureux frénétiques, maris jaloux, femmes égarées. Héréditaire et religieux, il trouble l’humanité. N’exorciserons-nous pas un jour ce décevant mirage ?
Une époque peut s’imaginer où l’homme cessera de voir, dans un simple empêchement à son étreinte, soit une nécessité gênante, soit un plaisir bestial. Une époque où les poètes, où les romanciers n’exalteront plus à force d’épithètes désordonnées la servitude du corps féminin. Une époque enfin où dans la virginité, dépossédée de sa religion et de son mystère, on ne verra plus qu’une fatalité organique sans intérêt, étrangère par elle-même à l’amour et aux fins de l’espèce.