UNION FORCÉE ET UNION LIBRE

Quelques ménagements que la guerre exige envers ceux dont on ne partage pas les convictions, il faut bien aborder ici le problème religieux.

Le divorce élargi conduit à l’union libre : tel est le grand argument de nos adversaires.

Que vient-elle faire ici, la pauvre union libre ?

Je ne crois pas que les plus déterminés partisans du divorce l’aient réclamée comme une évolution sociale souhaitable avant longtemps, avant si longtemps qu’il n’y a pas lieu, en vérité, d’en envisager l’avènement.

Ce qu’est l’union libre, ce qu’elle peut être, ce qu’elle comporte en certains cas de profonde tendresse et d’honorable dignité, nul ne le contestera.

Qu’il vienne une époque où une humanité meilleure puisse se passer de tout contrat, de tout engagement d’ordre social, il se peut : rien de plus désirable. Si cet avenir doit se réaliser, si l’union familiale trouve en elle-même ses éléments de force et de durée, ce sera une des meilleures preuves de la perfectibilité de l’espèce humaine et de la réalisation du progrès.

Mais Salente n’est pas encore construite, il s’en faut ; la cité idéale ne nous apparaît encore que dans les nuages d’une aurore confuse. Nous vivons en 1918 et non quelques siècles en avant.

Partisans du divorce, nous savons que l’union libre, entrée brusquement dans les mœurs, ne conviendrait ni à celles-ci ni à l’éducation morale si incomplète de la masse. Nous savons qu’elle ne protégerait qu’insuffisamment, à l’heure actuelle, la femme et l’enfant.

Ce n’est pas entre l’union libre et le mariage catholique que se place le problème, mais entre le mariage tel que le conçoit la Société civile et le mariage tel qu’un parti religieux et politique entend le monopoliser.

Et, là encore, faudrait-il ne pas jouer sur les mots. Il est fort éloquent de vanter les vertus de la fidélité, du dévouement, de l’amour maternel et paternel, comme si tout le monde n’était pas d’accord pour déclarer qu’en effet rien n’est plus à désirer, et que c’est le plus noble idéal qui soit.

Il s’agit de savoir ce que deviennent ces vertus aux prises avec la douleur, l’humiliation, la honte, le dégoût quotidiens, et si une classe de citoyens, au nom de respectables croyances religieuses ou politiques, a le droit de condamner d’autres citoyens, tout aussi dignes de respect et d’estime, à la torture d’unions mal assorties, aussi pénibles pour eux que déplorables pour leurs enfants.

Il s’agit de savoir comment les adversaires du divorce mettent d’accord leurs principes avec les contingences médiocres de la vie, et si le stoïcisme qu’ils préconisent ne faiblit pas, pour eux comme pour tout le monde, quand la souffrance les tenaille. Pour ceux-ci, n’est-ce pas le recours à Rome, cette « nullité » du mariage qui n’est autre chose qu’un divorce religieux. Pour ceux-là, ne sont-ce pas les compromis de la morale aristocratique ou bourgeoise : la bigamie, la polygamie discrète refleurissant pour la plus grande consolation des uns et le plus grand plaisir des autres ?

Toute la question est de savoir si l’adultère, plus ou moins dissimulé, vaut mieux que le divorce et un remariage loyal, au plein jour. Toute la question est de savoir si le divorce religieux, « la nullité » prononcée en Cour de Rome, ne constitue pas une rupture de mariage aussi absolue que le divorce laïque.

Le doute, dès lors, n’est plus possible. Où est la vérité ? Elle est dans ce qui est juste. Elle est dans ce qui est humain. Et il est juste et humain que le divorce, dans quantité de cas particuliers, délivre un homme ou une femme, ou tous deux, d’un servage devenu insupportable.


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