LES ENFANTS ADULTÉRINS

Beaucoup a été fait, beaucoup reste à faire.

Il est encore trop de cas où un enfant adultérin, irresponsable de l’entraînement de ses parents, est injustement frappé dans la tare de sa naissance. Cette iniquité doit être réparée. Elle devra l’être d’autant plus qu’à un jour prochain, espérons-le, l’adultère n’étant plus reconnu comme un délit, l’ignoble article rouge ayant disparu, des modifications étant apportées aux lois qui régissent les biens des conjoints, la dot étant moins recherchée, la maternité, légale ou non, jouissant du respect qu’elle mérite, on verra s’atténuer les préjugés qui sont encore vivaces contre l’enfant né lorsqu’un des époux est encore retenu dans les liens du mariage.

Le 28 mai 1893, Alfred Naquet déposait un projet de loi appelant à la succession de leurs parents, à titre égal, tous les enfants légitimes, naturels ou adultérins.

C’était mettre le doigt sur la plaie de notre mariage bourgeois, de notre mariage d’argent. C’est, en effet, au nom de la conservation des biens au profit des enfants légitimes que se sont élevées les objections contre le projet, même chez des républicains et des esprits laïques, libérés, croyaient-ils, de l’influence de la morale sexuelle et religieuse.

Alfred Naquet était cependant dans la vérité humaine et généreuse, contre l’égoïsme de caste, les préjugés séculaires ; il demeurait dans la tradition de la Convention et de ses décrets du 6 juin 1793 et 12 brumaire de l’an II. C’est le Code civil qui revint aux errements du passé, malgré la belle déclaration de Cambacérès devant le Comité de Législation : « Personnellement, j’estime que tous les enfants, même les adultérins et les incestueux, ont le droit de succéder à ceux qui leur ont donné l’existence ».

C’est l’honneur du socialisme, — qui par ailleurs a émis tant d’idées discutables, — d’avoir, à plusieurs reprises, lutté pour la reconnaissance de ce principe, en déclarant inadmissible de voir souffrir un être par la loi, du fait d’une situation qu’il n’a pas créée et qu’il ne peut modifier. C’est l’appui du socialisme qui a permis, après des discussions et des obstructions réitérées, de faire à l’enfant adultérin une place plus large au foyer : une place d’autant plus justifiée qu’on ne voit pas, d’une part, que la loi exclue de la succession les enfants légaux de lits différents, pas plus qu’on ne voit en quoi ce souci des successions importe à la plus grande masse du peuple ouvrier, qui ne laisse le plus souvent aucun héritage appréciable.

Déjà, comme le faisait remarquer M. Jean de Bonnefon dans un fort intéressant article de l’Intransigeant, une loi de nécessité, promulguée en 1917 et due à la guerre, a très heureusement déclaré légitime l’enfant né avant le mariage des parents et après la mort du père soldat. Loi incomplète au surplus, car elle ne vise que les mobilisés (les civils mouraient aussi, bien qu’avec moins d’émouvant intérêt), loi incomplète encore, parce qu’elle ne faisait pas de la mère « une veuve » légale, la laissait mère tout court, non mariée. La guerre, là encore, aura démontré la nécessité de compléter la loi sur les enfants adultérins.

Actuellement la légitimation est autorisée lorsqu’il est né plus de 180 jours après l’ordonnance de l’article 878 rendu après comparution vaine de conciliation devant le Président du Tribunal, ce qui revient à dire qu’elle est refusée à l’enfant né moins de 180 jours après ladite ordonnance.

Il en résulte que, dans le mariage des « complices », il peut coexister un enfant adultérin sans droits, à côté d’un enfant adultérin légitimé. Question de dates, tranchée par le couperet des 180 jours. Comment une telle différence de traitement pourrait-elle être maintenue ? Est-ce qu’elle ne joint pas l’odieux à l’absurde ?

Le projet de loi Viollette, présenté en janvier 1916 à la Chambre, portait : « Les enfants nés hors mariage sont légitimés par le mariage subséquent de leur père et mère, lorsque ceux-ci les ont légalement reconnus avant leur mariage et qu’ils les reconnaissent au moment de sa célébration ». Cette prévision comporte un heureux, un sensible progrès.

Toutefois le mariage, on le voit, demeure la condition de la légitimation des enfants adultérins ; or, le mariage a pu être rendu impossible, soit par la mort anticipée de la mère, ou du père, soit par l’absence accidentelle et prolongée de l’un ou de l’autre. Pourquoi ne pas supprimer résolument la barrière qui sépare les enfants parias et les enfants privilégiés ? Pourquoi ne pas répéter, en faisant la loi définitive, le joli mot de théâtre — vérité de demain et de toujours : « Tous les enfants sont naturels ? ».

Et conclure :

« Tous les enfants sont légitimes ».


Back to IndexNext