Elles se réduisent actuellement à trois.
La condamnation à une peine afflictive et infamante.
L’adultère établi.
Les excès, sévices, injures graves.
Or, la condamnation à une peine afflictive et infamante, telle que la mort, les travaux forcés, la déportation, la détention ou la réclusion constituent, on l’avouera, des cas plutôt rares. Par contre, on ne tient nul compte du vol, de l’escroquerie, de l’abus de confiance, de l’outrage à la pudeur, de l’attentat aux mœurs qui sont cependant de nature à altérer profondément les sentiments conjugaux.
L’adultère ? Mais ce grief qui a l’inconvénient de ridiculiser et de salir non seulement les conjoints, mais aussi leurs enfants, n’est pas si facile à constater légalement, avec les exigences du Parquet, l’enquête plus ou moins discrète du commissaire, les chinoiseries de l’heure légale ; et la preuve par témoignage ou celle par correspondance dépendent de l’art illusionniste des avocats, des dispositions hasardeuses des juges.
Hors ces deux causes péremptoires, il ne reste à invoquer que les sévices, excès, injures graves : c’est-à-dire les fantaisies du droit, les marécages des gloses, les sables mouvants de la jurisprudence. Aucun tribunal n’a encore fixé de façon stable où commencent, où s’arrêtent les excès, sévices et injures graves. Battre sa femme ici est un cas de divorce, ailleurs de déboutement. Les mots grossiers, ignobles devant témoins, ici comptent, et là point. C’est le brouillard des interprétations, le chaos des jugements et des arrêts.
Ajoutez les traquenards de la procédure, le piège de « réconciliation » où l’adversaire avisé s’efforce de faire tomber son conjoint, afin d’annuler son instance en divorce. Ajoutez les lenteurs de l’inscription au rôle, la complication des formalités et des paperasses, l’ajournement des débats qui peuvent user la patience et la bourse pendant deux ans, trois ans, cinq ans ou davantage. Ajoutez le processus moyen-âgeux, la transcription tendancieuse des enquêtes. Ajoutez le dégoût des procès plaidés devant les salles curieuses, amusées, friandes de scandale ; et vous vous demanderez pourquoi les législateurs de 1884 n’ont pas : 1oprécisé davantage et mieux les motifs du divorce, 2oinstauré la seule forme de rupture honorable, parce qu’elle est silencieuse et propre : le consentement mutuel.
Au lieu de ce titre vague : excès, sévices, injures graves, pourquoi n’a-t-on pas inscrit des griefs formels, dont la validité apparaît cependant probante ? Est-ce que toute brutalité constatée, toute injure ignominieuse, est-ce que l’alcoolisme et l’ivrognerie, est-ce que l’aliénation mentale durable, est-ce que l’absence volontaire pendant deux ans au moins, et la séparation volontaire de fait pendant un an, est-ce que l’impuissance, est-ce que les infirmités dégoûtantes et incurables cachées frauduleusement au moment du mariage, est-ce que les fausses dénonciations et les calomnies d’un époux contre l’autre, est-ce que l’acquisition d’un gain déshonnête, est-ce que les dissentiments religieux, est-ce que l’aversion invincible ne devraient pas figurer comme causes péremptoires du divorce ?
Quant au consentement mutuel, on sait que les conjoints qui se respectent y recourent, sous une forme déguisée (adultère d’accord, injures convenues, abandon simulé du domicile conjugal). Comédie sans difficulté lorsqu’il s’agit de personnages notoires, ou appartenant seulement au monde bourgeois. Dispensé de plaidoiries détaillées, le divorce en pareil cas est, surtout à Paris, prononcé rapidement. Quel obstacle voit-on à le rétablir dans la loi ? Son absence est d’autant plus inexplicable que le divorce fondé sur le consentement mutuel est le seul rationnel, et le plus légitime. Il éviterait la comédie superflue ou dérisoire, qu’on joue pour le remplacer. M. Louis Martin l’avait proposé à la Chambre, et en 1917 M. Violette présentait un rapport favorable.
Le consentement mutuel s’impose au bon sens public.