LE DROIT A L’AMOUR

A l’heure présente, la jeune fille, si elle ne se marie pas, n’a d’autre avenir que la prostitution qui la flétrit ou le célibat qui la ridiculise. La Morale sexuelle ne lui permet que le mariage. Et les chances du mariage, déjà très réduites avant la guerre, deviendront des plus précaires, après les coupes sombres exercées dans les rangs des hommes de vingt à trente-cinq ans.

Sans doute, il y a quelques années, la loi de l’abbé Lemire, l’excellente « loi d’amour » avait permis de se marier dès vingt-et-un an, en se passant de toute autorisation parentale. Une petite signification notariée au besoin, et passez muscade ! C’était très bien. Sans doute la guerre a vu beaucoup de ces mariages-là, d’autant plus touchants qu’ils exprimaient chez l’adolescent l’exaltation vitale d’un avenir menacé, le secret, l’obscur instinct de ne pas disparaître tout entier.

Mais, cette exception constatée, la majorité des filles attend encore, comme elle attendait avant 1914.

Regardez autour de vous. De vingt et un à vingt-huit ans, vous verrez quantité de jeunes filles jolies, instruites, pleines de bonne volonté et de courage qui ne se marient pas. Les unes n’ont rien, les autres pas grand-chose, quelques-unes possèdent une dot. Elles ne se marient pas davantage.

En vain les mœurs, les sports, une éducation moins rigide et moins étroite laissaient-elles plus de part à leur initiative, leur permettaient de courir leur chance : en vain, pendant la guerre, les rapprochements dans les ambulances, l’institution des marraines et filleuls ont-ils facilité quelques mariages ; combien les moyens d’action de la jeune fille restent limités, en quel cercle étroit elle se meut !

Et quel droit la société laisse-t-elle aux jeunes filles dédaignées ?

Celui de vieillir. Elles se faneront peu à peu, verront mourir leurs beaux rêves ; chaque jour desséchera leur beauté inféconde. La vieillesse lente, une froide et interminable agonie du cœur et des sens : tel est leur lot.

Et cela paraît tout naturel. Cette monstrueuse conception ne choque personne. Minotaure vorace, la Morale sexuelle consomme des milliers de vierges stériles, pures et désespérées.

Cependant, les idées marchent.

Balzac, grand maître es-sciences sociales, et dont la philosophie sagace doublait l’intuition du plus puissant des romanciers, a, dans saPhysiologie du Mariage, posé la question, sans oser la résoudre, de l’émancipation des filles. Pourquoi n’auraient-elles pas le droit d’aimer d’abord, et de sanctionner par le mariage ensuite une union dont, au moins, elles auraient fait l’essai et qui leur donnerait ensuite de rassurantes garanties ? Léon Blum, dans son livredu Mariage, a repris cette idée et, la poussant à ses extrêmes conséquences, a proposé que les filles de condition bourgeoise — on sait que pour les filles du peuple la question se tranche d’elle-même, — puissent connaître l’amour, discret et sauvegardé par certaines apparences, comme le font les jeunes hommes qui ne tiennent pas à se compromettre. Il affirme qu’elles arriveraient au mariage bien mieux préparées, et ayant jeté cette gourme d’illusions qui leur réserve, dans notre état actuel, de si fâcheuses déceptions, soit dans la fidélité, soit dans la trahison conjugales.

Sans aller si vite ni si loin, puisqu’il faut à tout des transitions, pourquoi refuserait-on, à la jeune fille qui ne trouve pas de mari, le droit de prendre un amant, soit avec des ménagements que lui imposera la pudeur sociale, soit avec la franchise d’une union libre acceptée ? Ce lien, insuffisant et incomplet, de ce qu’il la protège moins que le mariage, vaudra encore mieux pour elle que l’agonie d’une existence inutile.

Et elles accompliront du moins, en devenant mères, et bonnes mères, leur mission.


Back to IndexNext