Oui, cela semble révolutionnaire. Cela choque et indigne nos préjugés. Point d’enfants hors du mariage !
Et cependant les sollicitations naturelles de l’amour, de l’instinct sont là, pressantes, impérieuses. Toutes les jeunes filles ne se marient pas, et, le voudraient-elles, toutes ne peuvent se marier.
Est-ce qu’après l’effroyable hécatombe de vies françaises qui se sont offertes au sacrifice, pour sauver le passé, le présent, l’avenir de notre race, nous accepterons que le stupide massacre des innocents continue ? Car c’est un massacre annuel que provoquent la théorie Moloch de l’opprobre, la flétrissure inepte appliquée, comme un fer rouge, à la fille-mère.
Pour celle-ci, à quelque classe qu’elle appartienne, l’enfant est une terreur et une malédiction. Combien de germes anéantis, aux mains des avorteuses, de petits corps étranglés ou enterrés vivants ; combien de nouveau-nés dont la mère, à l’hôpital, se détourne avec horreur et qu’elle livre à l’Assistance publique !
Un enfant hors mariage : quelletolle !Quel scandale dans la famille et dans la Société ! Pour d’assez nombreuses qui, dans le peuple, bravent courageusement coups et injures, railleries et dédain, les autres, la majorité reculent devant l’aveu de cette chair, de cette âme pétries d’elles-mêmes, suppriment ce triste fruit ou le dissimulent, surtout dans le monde bourgeois, par un accouchement clandestin et l’éloignement immédiat du pauvre petit être, placé en nourrice, au loin.
Si l’on cherche cependant l’origine de la rigueur de l’Opinion et des mœurs, on ne trouve rien que la Morale sexuelle, avec son idée fixe du péché, l’obsession maladive d’une pureté imaginaire qui voit dans l’acte normal un stupre ; on retrouve aussi l’ancestrale, la féroce jalousie de l’homme tenant à la virginité comme à la garantie d’un bien, d’une chose réservée à son autorité et à son plaisir.
Origines barbare, origines mystiques, rien de conforme à une humanité civilisée. Car, mal pour mal, le préjugé contre la fille-mère engendre beaucoup plus de plaies sociales — la mort ou l’abandon de l’enfant, la prostitution si fréquente pour la mère, que ne le ferait le libre jeu d’institutions et de coutumes assurant à la maternité, d’où qu’elle vînt, des soins matériels et des égards moraux, permettant à la jeune mère de nourrir son enfant devant tous, sans s’exposer au blâme ; car toute vie est sacrée, et celle de l’enfant surtout, précieuse pour ce qu’elle contient d’avenir.
C’est encore la Morale sexuelle qui, admettant cruellement le report, la succession des responsabilités, frappe du même coup, non seulement la mère coupable de légèreté, d’ignorance, d’imprudence ou parfois d’honnête confiance et de sincère amour, mais aussi l’enfant qui, lui, n’a pas demandé à naître, et envers qui rien ne justifie le discrédit injuste que l’on fera peser sur lui.
Car l’enfant est la première, la principale, la plus lamentable victime de cette Morale immorale, qui méconnaît les lois souveraines de la vie. En vérité, que peut-on lui reprocher, à lui ?
Avec les forces perdues qu’une Société comme la nôtre dédaigne ou proscrit, avec les misères matérielles ou morales que son pharisaïsme crée comme à plaisir, que d’énergies on pourrait utiliser pour le bien et le bonheur, non seulement des individus, mais de cette Société marâtre elle-même !
Il ne faut pas que la guerre, qui a tant détruit, soit suivie, après la paix, de nouvelles ruines. Notre intérêt sacré nous ordonnera de rebâtir, de ramener sur les champs de mort la fécondité. Toute femme qui donne un enfant à notre pays devra être tenue en estime et respect.
Il ne doit plus y avoir de filles-mères, mais, simplement, des mères. Mot magnifique par tout ce qu’il représente. Faisons-en un signe d’honneur, et non plus de déconsidération !