PÈRE DÉCLARÉ

Il a fallu arriver au début duXXesiècle, et perdre plus de vingt-cinq années en d’oiseuses discussions au Parlement et dans la Presse, pour voir aboutir enfin la généreuse proposition de Gustave Rivet et autoriser la recherche de la paternité.

Ce progrès est-il suffisant ?

Non.

Il consacre le droit de la mère et de l’enfant, il n’impose pas son devoir à l’homme. Il lui permet toutes les précautions anticipées, tous les faux-fuyants de la mauvaise foi, et toutes les arguties de la procédure. Il autorise une partie de cache-cache dérisoire et humiliante pour les victimes, tenues à démontrer qu’il s’agit bien de ce père-là, forçant le Tribunal à proclamer : « Coucou ! le voilà ! » Ce droit ne garantit pas par lui-même les sanctions pécuniaires dues par le père récalcitrant. Il ne le frappe pas de prison, s’il se refuse à reconnaître son enfant.

Il ne suffit donc pas que la paternité puisse être recherchée par les innocents laissés à l’abandon. Il faut qu’elle soit infligée comme une obligation stricte au père oublieux, au séducteur égoïste, au lâche gredin qui donne la vie et se refuse à la continuer.

Je ne vois qu’un moyen. Forcer le Père à déclarer à la mairie sa paternité, sitôt celle-ci produite au jour. Et cela sans distinction d’espèces. C’est par une monstruosité légale qu’il est actuellement interdit au père adultérin ou même incestueux — le Code ne fait aucune distinction entre eux — de reconnaître leur enfant et de subir leurs nécessaires responsabilités.

Tout père de tout enfant devrait être astreint, sous peine de poursuites, à faire sa déclaration dans les trois jours après la naissance. N’objectez pas le fameux et éternel argument : la mère seule est sûre de sa maternité, le père jamais. Il sait parfaitement si des présomptions vraisemblables le dénoncent ; il le sait si bien que, dans la plupart des cas, la paternité peut se prouver par lettres, témoignages sûrs, cohabitation avérée.

Alors, on ne pourra plus faire de l’amour ou du plaisir un passe-temps sans lendemain ? Finies, les surprises du sentiment ou des sens, avec coup de chapeau ou baiser final : « Bonjour, ni vu ni connu ! » On devra payer l’addition ? Mon Dieu oui ! Qu’y voyez-vous d’immoral ou d’inique ?

Est-ce que ce n’est pas à l’homme, créé pour la lutte de l’existence et mieux armé pour elle, à endosser ses charges ? On ne le forçait pas à féconder ; qu’il paye, de son nom d’abord, ensuite de sa bourse. Est-ce que ce n’est pas un spectacle abominable, en regard de l’ignoble désertion du mâle, que celui de ces femelles préférant avorter misérablement, au risque de leur vie, en étouffant leur fruit en gésine, ou l’abandonnant à l’Assistance Publique ?

Déclarer son fils ou sa fille ? Serait-ce une idée saugrenue, et n’est-ce pas la chose la plus naturelle du monde ? Y aurait-il une honte à faire un enfant qui accroît le patrimoine du pays ; soldat, saura le défendre ; ou femme, mettra au monde de nouvelles forces humaines ? On déclare son cheval, son chien, son automobile, ses revenus. Où donc est la raison pour ne pas déclarer à l’État son enfant ?

Quand tant de petits êtres meurent, faute de soins, ou par mauvaises conditions d’hygiène, ou parce que la mère se débat contre la dure pauvreté, est-il de l’intérêt social de parquer dans un enclos disqualifié tant d’enfants débiles, sans protection, véritables parias, menacés dans leur intégrité morale et leur vie physique, parce que le père s’est esquivé comme un voleur.

Non, non ! Il importe que toute échappatoire soit enlevée à ce triste individu, à ce mauvais citoyen. Il faut qu’il sache d’avance, quand il poursuivra son plaisir, ce à quoi il s’engage.

A tout enfant né, père déclaré !


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