L’union libre inquiète à raison la majorité de celles qui n’ont pas encore trouvé d’épouseur. Il faut « sauter le pas ». Et voilà ce qui effraie tant de jeunes filles, averties par un secret instinct de l’égoïsme et de la veulerie du mauvais compagnon qui les guette.
Le mariage, à option égale, demeurera, elles le savent, toujours préférable.
Encore faut-il pouvoir se marier. Et nous tournons dans ce cercle vicieux. La jeune fille voudrait bien ; le jeune homme ne veut pas.
Demandons-lui pourquoi.
Les jeunes gens affirment que s’ils ne se marient pas, c’est de la faute des jeunes filles et de leurs parents.
Comment cela ?
« Nous gagnons notre vie, déclarent-ils, suffisamment pour nous, célibataires. Le mariage nous appauvrirait. Il est donc légitime que nous cherchions une dot représentant un avoir égal à nos revenus, qui, remarquez-le, sont ceux d’un capital de travail toujours en mouvement et d’efforts renouvelés.
« Or, lorsque nous nous adressons à une jeune fille possédant une dot, même minime, dont nous nous efforcerions de nous contenter, les parents et la jeune personne le prennent de haut et nous envoient promener. Leurs prétentions passent fort au-dessus de notre tête. On nous fait sentir que nous sommes bien audacieux d’oser prétendre à une union semblable. Il faut au moins à la donzelle un mari deux ou trois fois plus riche qu’elle. »
Voilà une objection de poids.
Bien des hommes mûrs et sérieux, — de vieux garçons à qui le mariage, ses aléas, ses responsabilités font peur, formulent un autre argument ; le voici :
« Une femme doit veiller au foyer, entretenir le bien-être, surveiller les enfants et la servante, être économe, raisonnable, gardienne vigilante du nid familial. Or, nous ne trouvons plus de jeunes filles décidées à remplir les devoirs de leur mission. Celles auxquelles nous nous adressons sont coquettes, frivoles, dédaignent ces humbles et utiles travaux qui sont indispensables dans les ménages moyens. Diriger la cuisinière, mettre la main à la pâte, faire un point de couture, veiller à l’entretien du linge, ranger les armoires, ah ! bien, oui ! Mademoiselle n’a cure de cela ! Elle n’a que chiffons en tête ! »
Sans méconnaître ce qu’il y a de fondé dans l’une et dans l’autre de ces objections, peut-être le double malentendu dont il s’agit n’est-il pas si nouveau qu’il en a l’air. De tout temps on a désiré mieux que ce à quoi l’on pouvait prétendre. Et si des jeunes filles sans dot ou avec dot sont frivoles, exigeantes, élevées sans solidité, est-ce un spectacle sans précédent ? Et l’erreur des jeunes ou des vieux garçons mécontents ne tiendrait-elle pas à ceci, qu’ils s’acharnent à chercher leur femme dans des milieux où ils ne trouveront pas les qualités morales qu’ils souhaitent ?
Remarquez que l’idée viendra très rarement à un homme travaillant dans cette caste demi-bourgeoise qui englobe les bureaux, les affaires, l’industrie et le commerce, d’épouser une collègue de travail. Au contraire, il a pour elle des sentiments de camaraderie tantôt suffisamment cordiale et tantôt résolument hostile. Il la subit comme associée de labeur ; il ne pense pas à en faire sa compagne. On dirait qu’à ses yeux le travail, au lieu d’être un honneur, est une tare. Il rêve de la jeune fille bien habillée, qui ne fait rien de ses dix doigts. Et il s’étonne ensuite qu’elle soit vaine, futile, et qu’elle rêve, de son côté, au jeune homme bien mis, renté grassement et pourvu d’une auto.
Il n’est pas douteux que, dans la classe bourgeoise moyenne, des goûts de plaisir, de luxe et de frivolité aient remplacé les vertus ménagères d’autrefois. Il n’y a pour cela qu’à comparer la différence des besoins et des exigences des jeunes et des vieux, la simplicité d’il y a quarante ans. Si on tient compte de la cherté accrue de la vie, on s’explique que le mariage, considéré en France comme une affaire, chôme de plus en plus.
Faut-il donc désespérer ? Non. L’instinct de la vie est trop fort pour ne pas triompher. Le courant des idées qui nous porte à plus d’audace, à plus de liberté, à plus de franchise, ne s’endiguera pas de sitôt. Par la force des choses, beaucoup de jeunes filles, à qui le mariage sera refusé, iront à des unions volontaires que l’usage et les mœurs ratifieront.
Un jour viendra où toute liaison d’amour et de dévouement, régulière ou non, où toute naissance, légitime ou non, seront respectées comme elles le méritent. En attendant, c’est le mariage qu’il faut conseiller : aux jeunes hommes, puisque c’est d’eux surtout qu’il dépend, et aux jeunes filles, puisque c’est là qu’elles trouveront le plus de stabilité.
Mais cette préférence, que les mœurs et les lois nous dictent, ne doit pas être abusive et agressive. A côté du mariage parfois impossible, l’union libre, lorsqu’elle est fondée sur la sincérité et la droiture, doit avoir sa place, une place aussi haute et aussi digne d’égards ; car elle suppose souvent plus de difficultés vaincues et plus de douleurs traversées.