Vis-à-vis de la Femme qui acquitte intégralement son devoir de mère, la Société doit acquitter aussi le sien, qui est double : devoir de protection sociale, devoir de protection humaine.
Le premier exige un vaste réseau de lois prévoyantes, assurant à la femme enceinte comme à l’accouchée le repos nécessaire, la subsistance durable, des primes maternelles graduées, des dégrèvements de toutes sortes aux familles nombreuses, du lait en abondance aux enfants, des conseils d’hygiène gratuits, des contrôles médicaux sévères : en un mot, tout ce qui pourra encourager et soutenir la maternité, permettre à l’enfant de s’épanouir autrement que dans la crasse et la misère.
Ce faisant, la Société ne sera pas quitte envers la mère. Elle a pour second devoir de l’entourer du respect dû à sa fonction loyalement remplie, en ne sériant plus les enfants sous des étiquettes arbitraires, en ne les parquant plus dans des castes inégales, au bénéfice de ceux qui sont nés dans le mariage, et au dommage des autres.
« Tous les enfants sont naturels ! » s’écrie une femme d’esprit et de cœur, dans une pièce célèbre. Ce n’est pas assez ! Tous devraient être légitimes !
On ne voit pas que la nature dispense la femme de souffrir moins de neuf mois, ni d’échapper aux tortures de l’accouchement, parce qu’elle met au monde un être en dehors du mariage ; on ne voit pas non plus que le nouveau-né diffère, par quelque infériorité physique ou morale, des enfants dits légitimes ; pas plus qu’on ne constate ces différences chez les enfants d’un second ou d’un troisième lit. Dès lors, pourquoi la Loi marque-t-elle de honte, dépouille-t-elle de sa part d’héritage, tient-elle à l’écart comme un mendiant ou un paria, l’enfant non-légitime ?
Toujours l’idée chrétienne, la Morale sexuelle ; avec sa morbide idée de souillure :
L’œuvre de chair ne désireras,Qu’en mariage seulement.
L’œuvre de chair ne désireras,
Qu’en mariage seulement.
Comme si c’était toujours humain toujours possible !
Et il y a aussi l’idée bourgeoise, indigne d’une Société laïque bien organisée, que le mariage est avant tout un contrat d’intérêts, une transmission régulière d’héritage aux enfants nés sous l’empire de ce contrat.
Comme si les autres n’étaient pas également fils et filles de leur père et mère ; comme si on pouvait, sans inhumanité, leur refuser leur place au soleil ; comme s’ils étaient eux, les innocents, responsables de cette tare fictive de leur naissance !
Ce n’était pas assez pour le Code de disqualifier l’enfant naturel. Il a osé identifier l’enfant adultérin, né d’un libre amour, avec l’enfant incestueux, né de rapports contre nature entre le père et la fille ou le fils et la mère !
Pour permettre la reconnaissance de l’enfant adultérin, il a fallu des années de discussion devant la Chambre et le Sénat, sous l’effort courageux du parti socialiste. Une loi plus humaine autorise en certains cas, grâce au mariage des parents, la légitimation de l’enfant adultérin, mais cette largesse est bien insuffisante, car très souvent, et malgré le désir des intéressés, le mariage reste impossible. Ce n’est donc pas le mariage des parents, leur vie ou leur mort en suspens qui doivent régler le sort des enfants : mais l’admission de fait de tous les nouveau-nés au titre d’enfant légitime.
Voyons clair ! En dehors de toute pitié et de tout bon sens, la question des enfants nés hors mariage tire de leur accroissement, surtout depuis la guerre, une gravité extrême. Combien, en effet, seront nés de rencontres hasardeuses, de liaisons passagères, ou au rapprochement des permissions, dans ces faux-ménages que, par l’allocation à la femme restée seule, l’État avec justice a considérés comme autant de vrais ménages.
Déjà, avant août 1914, le nombre des enfants naturels augmentait dans des proportions inquiétantes. Rien qu’à Paris, ils représentaient plus du tiers de la natalité.
L’ostracisme exercé contre l’enfant né hors mariage est cause que beaucoup d’entre eux meurent à leur naissance ou peu après, soit par l’infanticide, soit par ignorance ou absence de soins. Et cela quand nous avons manqué de soldats pendant la guerre (car sans nos alliés !…) Et cela quand nous allons manquer de main-d’œuvre pour rebâtir sur les ruines et redonner au pays sa vie économique ! Et cela, quand il faut vingt ans pour faire un homme !
Est-il bien sage, devant la tâche écrasante de demain, de rejeter le tiers de notre natalité dans la poubelle des préjugés, de la livrer à la vindicte d’une morale aussi féroce que sénile ?
La Nécessité se dresse. Elle affirme que l’enfant, d’où qu’il vienne, est une valeur trop précieuse pour qu’il soit stupidement sacrifié aux sordides intérêts du mariage d’argent. L’enfant, mais c’est la réserve et la puissance du grenier national. Dans un pays qui proclame tous les citoyens égaux en droits, ne commençons pas par enlever les leurs à d’innombrables petits êtres, qui seront, tout comme leurs frères et sœurs jusqu’ici privilégiés, des soldats, des artisans, des penseurs, toutes les forces vives de l’avenir français !