Il ne semble pas qu’on ait assez commenté, lorsqu’elle a paru, — onze ans de cela ! — l’ordonnance du prince de Monaco octroyant le divorce à la Principauté.
Et pourtant, combien intéressant le paraphe noir par lequel Albert Ier, par la grâce de Dieu souverain de Monaco, son Conseil d’État entendu, signa la loi qui modifiait dans ses États le Code civil en usage jusqu’alors.
De ce petit pays sortit ce jour-là un grand exemple. Une leçon de bon sens, de justice et de progrès.
Car le divorce monégasque allait libéralement bien au-delà de notre droit civil français, puisqu’il reconnaît, à la rupture des unions mal assorties, les causes déterminées suivantes :
L’aliénation mentale.
L’épilepsie.
Le délire alcoolique.
La syphilis.
Nous n’avons pas encore cela en France… Et pourtant que de lettres navrantes nous avons reçues ! Une femme nous racontait que depuis vingt-quatre ans, vous lisez bien :vingt-quatreans, elle demeurait rivée au cadavre vivant d’un mari aliéné, loque humaine dans un hospice. Aucun moyen pour cette malheureuse d’avoir pu refaire sa vie, sinon en devenant une concubine et en vivant hors la loi.
Quant à l’épilepsie, qui crée des impulsifs brutaux et meurtriers, qui aliène soudain la personnalité du malade, quant au délire alcoolique, quant à la syphilis, il n’est pas question encore, chez nous, d’y remédier par le divorce libérateur.
Et cependant !… Là encore que de confessions lamentables : femmes qui vivent dans la crainte de l’alcoolique, menacées de mort, frappées de coups, spoliées de vive force, vouées aux gémonies de la misère, voyant souffrir et pleurer leurs petits, condamnés à une terreur de tous les instants !
L’alcoolisme ronge comme un ulcère quantité de nos départements, flétrit la race, tarit les forces saines du peuple ; — et pas un député n’a songé encore à préserver le lit de la femme et le berceau de l’enfant ; car l’alcoolique est un terrible créateur de tares physiologiques : crétinisme, épilepsie, paralysie générale, etc.
La syphilis ? Cette contamination abominable, toujours fatale aux victimes, la femme, l’enfant à naître, croiriez-vous que nos casuistes du Palais, avocats, avoués, juges, ont perdu trente ans à se demander si seulement on devait la considérer comme une injure grave, et partant, comme une cause de divorce ?
On croit rêver quand on voit des choses pareilles. S’il est un motif à rompre le lien conjugal, certes, il n’en est guère de plus justifié. Combien faudra-t-il en France d’articles de presse, quelle pression de l’Opinion publique, combien de discussions oiseuses, combien de joutes oratoires au Parlement pour obtenir ce que, avec un sens si éclairé, le prince de Monaco, dans ses terres, a tranché d’un trait de plume !
Prenons exemple, croyez-moi, sur ce petit État qui semble, dans son décor magique de ciel et d’eau, un paradis terrestre artificiel.
Cette loi, qui semble n’importer qu’aux quinze cents habitants et aux trois cent cinquante ménages environ de la Principauté, aurait dû avoir un effet puissant sur les populations qui l’entourent, le pays des trente-six millions d’êtres qui l’enlace.
Et la répercussion aurait dû aller plus loin encore ; car si la France côtoie, de partout, le rocher de Monaco et les jardins de Monte-Carlo, le monde entier aboutit à ce palais des fêtes où l’orchestre des représentations d’art couvre le bruit sourd des râteaux de l’or, voisine avec le brouhaha des Palaces et le crépitement du tir aux pigeons.
Une comparaison éloquente aurait dû s’imposer.
Quoi, dans ce coin de terre ensoleillé, la loi humaine est en harmonie avec la splendeur des choses ; quoi, un ménage monégasque pourra en quelques mois, s’il est malheureux, se dissoudre et se reformer pour des unions meilleures ; et, à cent mètres, à dix mètres de là, un ménage français devra agoniser lentement, croupir dans l’étau d’un Code inhumain et suranné !
Voilà qui devrait parler à l’esprit, au cœur, à la conscience.
Et comme me le fit remarquer M. Roussel, rapporteur de l’ordonnance devant le Conseil d’État, ce n’était pas seulement la contamination par syphilis qui motive le divorce, mais le seul risque de contamination, et alors même que l’intéressé, sinon l’intéressant personnage, pourrait arguer de son ignorance.
La loi, — et le cas est assez rare pour que nous le remarquions — se faisait préservatrice ; elle n’attendait pas que le mal ait eu lieu, que le crime, volontaire ou non, fût commis. Elle sauvait d’abord les innocents ; et rien que ce noble souci eût honoré la nouvelle loi monégasque.
Il y a mieux. Le huis-clos était spécialement ordonné dans les cas précisés plus haut ; et c’est de haute moralité. Chez nous, des divorces semblables seraient un combat honteux à coups de déloyales et malpropres procédures, de plaidoiries assassines, de débats scandaleux.
Nous ne pouvons qu’applaudir à un tel respect de la dignité humaine.
Tenons-nous-en, pour aujourd’hui, à méditer l’ordonnance signée, le 3 juillet 1907, à bord du yachtPrincesse-Alice, à Trondhjem, Norvège. Elle figura au long dans leJournal de Monacooù nos députés et nos sénateurs peuvent la relire, avec profil.
Le prince de Monaco a lancé une bonne semence. A nous de la faire fructifier. Pour cela, comme Candide, bêchons notre jardin. A chaque jour, sa peine. Nul effort n’est perdu !